Table des matières

Suite à la discussion entamée sur le livre de Maurice Joyeux (cf le p'tit Noir n°1) Alayn a alimenté la discussion sur la fraction que Georges Fontenis avait créé clandestinement en 1950 dans la Fédération anarchiste.

LETTRE DE FONTENIS à SKIRDA

Georges Fontenis

Voici une lettre envoyée par Georges Fontenis à Alexandre Skirda que l'on peut trouver dans le livre d'Alexandre Skirda “Autonomie Individuelle et Force Collective”, datée du 25 mars 1987.

“Lorsque naît l'OPB, en janvier 1950, elle n'est que l'aspiration, l'expression de la tendance “plateformiste” dans la FA. qui est un regroupement assez hétéroclite de multiples manières de concevoir l'anarchisme. Les valeurs militantes qui fondent la nécessité de l'OPB au sein du “magma” libertaire, ce sont la nécessité d'une organisation très structurée, l'unité idéologique, l'unité tactique, la nature de classe de l'anarchisme. Le caractère de fraction secrète au sein de la FA donne à l'OPB une grande efficacité dans la lutte sur le plan théorique (retour aux sources du bakouninisme, du courant du socialisme anti-autoritaire de la 1ere Internationale, utilisation d'un certain nombre d'apports de Marx et de la méthode matérialiste dialectique) et sur le plan des responsabilités à tous les niveaux.

Ainsi, en trois ans, est mis fin à la domination dans la FA des courants individualisants et “synthésistes” qui faisaient prévaloir un immobilisme et un confusionnisme qui exaspéraient les jeunes militants, les membres des groupes d'usines, les groupes traditionnellement plateformistes (Paris 18°, un groupe de Lyon, Narbonne, pour n'en citer que quelques-uns). Car il faut rétablir la vérité: l'OPB est une réaction à l'esprit de “déliquescence” (selon l'expression des camarades de Narbonne) des autres tendances qui, à leur manière, se sont organisés, fixent dans des “rencontres” leur stratégie pour empêcher les Congrès d'aboutir à quoi que ce soit de positif (1) et pour privilégier une vision “humaniste”, en réalité interclassiste, non prolétarienne, de l'anarchisme.

Si l'OPB triomphe, à Bordeaux en 52, à Paris en 53, c'est tout simplement parce qu'elle représente la majorité des groupes et militants, parce qu'au sein de la guerre froide et devant l'hégémonie du parti communiste français dans la classe ouvrière, elle a fait triompher des options essentielles:

-le combat prolétarien (les adversaires de l'OPB étant surtout un rassemblement de petits commerçants et artisans, voire de petits patrons et d'intellectuels de style franc-maçon) en tentant de vaincre l'hégémonie du PCF.

-le 3ième Front contre à la fois Staline et Truman (alors que le mouvement dans son ensemble a choisi le camp américain).

-l'anticolonialisme qui, contre la guerre d'Indochine, puis la guerre d'Algérie coûtera fort cher à la FCL (la majorité plateformiste de la FA, après le départ des “nullistes” ou “vaseux” au Congrès de Paris en 1953, prend le nom de Fédération Communiste Libertaire).

Quand au caractère contraignant des règles de l'OPB, il est certain que, par réaction contre le refus d'une organisation solide, il y eut des exagérations qui mécontentèrent un certain nombre de ses membres. A cela, il faut ajouter les rivalités de personnes, les persécutions policières et judiciaires, la fatigue due à un combat ininterrompu de 50 à 56, et aussi un certain esprit de “fuite en avant” chez quelques-uns à partir de 54 (2).

Mais nous sommes loin des exagérations et des demi-vérités qui émaillent le “Memorandum” du groupe Kronstadt (malicieusement réédité en 68 par A. Lapeyre, ennemi juré de la Plate-forme).

Je ne puis en dire plus dans ce court communiqué mais je veux conclure en affirmant que, face à ceux qui condamnaient le mouvement anarchiste en France à une lente dégénérescence, à l'étiolement, la FCL, grâce à l'OPB, a sauvé l'honneur et a permis, à travers maintes vicissitudes historiques, que se constitue un courant communiste-libertaire dont la permanence est évidente aujourd'hui. (3)

(1)Et ce, dès le premier Congrès tenu à Paris les 6-7 octobre et 2 décembre 1945. Au Congrès de Dijon, en novembre 46, la rupture est évitée de justesse par ma nomination au poste de Secrétaire général. Je reviendrai sur ce point dans l'ouvrage détaillé que je prépare.

(2)Il est évident que dans l'ouvrage que j'annonce, je reviendrai sur tout cela avec précision et dans un esprit d'auto-critique.

(3)Lettre à l'auteur, le 25 mars 1987.

L'EFFONDREMENT DE LA PREMIERE FEDERATION ANARCHISTE

Afin de faire le contrepoint à la lettre de Fontenis, voici un texte de Maurice JOYEUX extrait de sa brochure “L'Hydre de Lerne” publiée en 1967:

“J'ai expliqué plus haut les structures de l'organisation née de la guerre. Ce qui devait causer sa perte fut moins les luttes de tendances à l'extérieur de l'organisation que le système majoritaire introduit dans les congrès pour régler les litiges. La démocratie, la loi du nombre qu'imprudemment nous avions laissé introduire chez nous au nom de l'efficacité, devait permettre aux “communistes libertaires” nouvelle manière de s'emparer du journal et du mouvement, de jeter dehors tous ceux qui s'opposaient à eux et, en fin de compte, de vider la Fédération Anarchiste de sa substance. L'opération fut montée (déjà) sous le signe du renouveau et de la jeunesse (sic). Ceux d'entre nous qui sentaient venir le danger avaient tenté de s'opposer à la politique de Fontenis au congrès de Bordeaux.

A la liste des responsables présentés par les politiciens et qui se composait d'une majorité de jeunes inconnus dans notre milieu, j'opposai alors une liste de militants chevronnés. Cette liste aurait dû l'emporter. Il n'en fut rien. Fontenis et ses amis furent élus de justesse à tous les postes d'administrations du journal et du mouvement […]

En effet, un certain nombre de camarades de province et de Paris, les frères Lapeyre, Laisant et Vincey, etc…avaient vu clairement où l'application de la loi du nombre pouvait nous entraîner pour peu que des gens sans scrupules, à grand renfort de démagogie, s'emploient à en faire une application systématique. Ces sages avaient raison sur le fond et tort dans cette circonstance particulière. Bien sûr, ils avaient raison lorsqu'ils nous reprochaient, et à moi en particulier, d'avoir favorisé l'introduction de la démocratie, c'est-à-dire la loi du nombre, dans nos congrès. Mais ils eurent tort dans cette circonstance, car leur abstention au congrès, lors du vote, devait mettre dans les mains de Fontenis les commandes qui lui permirent de liquider la Fédération et son journal en moins de 2 ans.[…]

Mais déjà lors de la construction de la Fédération Anarchiste à la Société des savants en 1946, je m'étais opposé à une scission éventuelle, j'avais été à l'origine de la motion de conciliation, et je m'étais violemment élevé contre ceux qui, après avoir déclenché le tumulte, s'étaient retirés du congrès, laissant à de jeunes militants le soin de défendre leur thèse.[…]

Après le congrès de Bordeaux, Fontenis devait mettre définitivement la main sur l'administration de notre mouvement. Les permanents étaient changés. Fontenis lui-même s'installait au quai Valmy. Une secrétaire prise en dehors du mouvement était entrée dans l'appareil ; une espèce d'abruti, ancien communiste et aujourd'hui de nouveau communiste, était introduit au local.[…] Un personnage falot, prêt à tout pour conserver sa gamelle, assurait la permanence de la rédaction du “Libertaire”.

2 évènements devaient alors précipiter le dénouement: j'entrais en possession (je l'ai encore) d'un document qui démontrait présence irréfutable d'un indicateur parmi les permanents du quai Valmy. Cela déclencha des réactions rocambolesques que personne n'a oubliées. Le deuxième évènement, le plus curieux, fut une entrevue que me demanda Fontenis et qui eut lieu au jardin des Buttes-Chaumont. […]

Le lieu choisi (de tous temps, Fontenis fut hanté par le carbonarisme) autant que ses propos furent alors exemplaires de ce que seraient ceux des communistes libertaires, qu'ils se réclament ou non de lui.

Pour Fontenis, la Fédération Anarchiste était composée de 2 éléments valables: les syndicalistes et les communistes. Les premiers relevaient des ouvriers, les seconds des intellectuels, et nous devions nous partager la tâche. Il me proposait de m'occuper exclusivement des ouvriers dans tout le mouvement syndical, lui se réservant avec son entourage la partie intellectuelle, donc le journal et la Fédération.

Je dois d'ailleurs convenir que Fontenis n'avait aucune arrière-pensée péjorative lorsqu'il me fit cette singulière proposition de partager le mouvement en deux zones d'influence, et c'est tout naturellement qu'il constatait que lui était un intellectuel et moi un ouvrier. Ne pas mélanger les torchons avec les serviettes lui paraissait relever de la logique et de la dialectique les plus élémentaires. et, lorsque je lui fis remarquer que, dans nos milieux, il existait d'autres militants que lui et moi, c'est très nettement qu'il me proposa de les éliminer. […]

Le congrès de Paris de 1952 devait voir le triomphe des entreprises de Fontenis. Sa thèse était présentée à ce congrès par une majorité de jeunes à peu près inconnus et qui, pour la plupart, ont regagné le giron politique. […]

Ces militants bafouilleurs sans contenu idéologique certain, jamais critiqués pour ce qu'ils font, car ils ne font jamais rien, auréolés de ce qu'ils pourraient faire s'ils désiraient travailler, et qui sont une des plaies purulentes de notre mouvement anarchiste. Dans nos congrès, ces personnages flous, sans grande consistance, apparemment en dehors des querelles, ont pesé et pèseront peut-être encore d'un poids tragique dans nos décisions.[…]

On constate que tous les éléments étaient réunis pour la réussite des projets de Fontenis, et il ne la laissera pas s'échapper. Déjà, son organisation secrète est en place. Aussitôt après le congrès, il procèdera à l'exclusion du camarade Joyeux, puis du groupe Louise Michel. Les sages ne se sentiront que modestement concernés par le départ de ces “emmerdeurs”. Et il faudra que, un à un à leur tour, ils soient boutés hors de la Fédération Anarchiste pour que nous les retrouvions dans les réunions de notre groupe où ils viendront nous conter leurs malheurs. […]

Après le congrès de Paris, la Fédération Anarchiste éclata. En province, autour du groupe de Bordeaux, et à Paris autour du groupe Louise Michel, les militants anarchistes vont se regrouper. Leur souci majeur consistera à étudier sérieusement les raisons qui les ont conduits dans ce “merdier”, et à prendre des mesures pour que nous ne soyons plus jamais victimes de ces agissements.”

 
numero2/2-opb.txt · Dernière modification: 2009/07/19 16:34 (édition externe)
 
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