AFP, Le Monde - 11 aot 2010
http://www.lemonde.fr/planete/article/2 ... _3244.htmlLa sécheresse va affaiblir une économie russe déjà fragileTouchée par une canicule sans précédent et des incendies ravageurs, la Russie, qui se remet tout juste de la crise économique mondiale, va voir sa croissance déjà modeste freinée encore un peu plus cette année, selon des experts.
Si les incendies reculent quelque peu en Russie, la canicule et la sécheresse pesant depuis six semaines sur le pays ne donnent pour l'instant pas de signe de répit. Conséquence: l'économie russe, qui se remet tout juste de la crise économique mondiale, se voit mise à mal, qu'il s'agisse de sa croissance, du prix des céréales ou de l'inflation.
Les estimations officielles ne devraient être connues que d'ici à plusieurs mois, mais certains économistes évaluent déjà le préjudice de ce désastre entre 7 et 15 milliards de dollars (5 et 11 milliards d'euros). Selon Alexandre Morozov, économiste en chef de la banque HSBC en Russie, le coût de la vague de chaleur devraient s'élever à 1 % du PIB, soit 15 milliards de dollars, le secteur agricole payant le plus lourd tribut.
Envolée du prix des matières premières
Selon les derniers chiffres du ministère de l'agriculture, datant du 4 août, 10,7 millions d'hectares de cultures ont déjà été détruits, soit plus de 20 % des espaces agricoles du pays. Les cultures de blé sont les plus touchées, la Russie étant le troisième exportateur mondial de cette céréale.
"La sécheresse devrait provoquer une chute de 30 à 33 % des récoltes de céréales cette année", assure Alexandre Morozov. Lundi 9 août, le premier ministre, Vladimir Poutine, a annoncé une nouvelle révision à la baisse des prévisions de récolte de céréales pour 2010, à 60-65 millions de tonnes, contre 97 millions de tonnes récoltées en 2009.
L'état d'urgence a été décrété dans 27 régions agricoles essentiellement situées dans la partie européenne de la Russie, où se situe le "tchernoziom", une terre noire particulièrement fertile. Jeudi 5, l'ancien président avait déjà appliqué un embargo aux exportations de céréales afin d'éviter une pénurie et donc une hausse des prix sur les marchés intérieurs.
Mais ces mesures n'ont pas suffi à empêcher le prix du pain de s'envoler, ces derniers jours à Moscou. La miche de 380 grammes a ainsi connu une hausse de 20 % en quelques jours sur les marchés moscovites, passant de 15 roubles (38 centimes d'euro) à 18 roubles (45 centimes)
Ralentissement de la croissance
Par ailleurs, "en raison de la canicule et de la fumée, les entreprises annoncent la fermeture de lignes de production et la réduction des horaires de travail", indique Alexandre Morozov, qui précise toutefois que cette estimation ne tient pas compte de la hausse de la mortalité et de la morbidité.
"Le secteur des services est lui aussi touché. Cela pourrait coûter un autre demi-point de croissance », soutient M. Morozov.
"La croissance économique en Russie est en train de ralentir et la vague de chaleur va encore la ralentir un peu plus", estime ainsi l'économiste. Alors que l'économie russe s'est violemment contractée de 7,9 % en 2009 en raison de la crise mondiale, les autorités tablent sur une croissance de 4 % du PIB en 2010, grâce à la remontée progressive des cours des hydrocarbures, dont les ventes représentent 60 % des exportations du pays. Mais ce chiffre pourrait être revu à la baisse.
De leur côté, les institutions financières internationales ont jusqu'à présent pronostiqué des taux de croissance supérieurs, tout en soulignant que la reprise demeurait fragile. Dans son dernier rapport publié en juin, la Banque mondiale (BM) a ainsi jugé qu'elle était "cahoteuse", pointant de nombreuses faiblesses structurelles.
Vladimir Tikhomirov, économiste en chef de la banque d'investissement moscovite Ouralsib, est pour sa part légèrement plus optimiste: si la canicule se poursuit jusqu'à fin août, les pertes devraient être comprises entre 0,5 et 1% du PIB, soit entre 7 et 14 milliards de dollars (5 et 10 milliards d'euros).
"Mais c'est le pire scénario", a-t-il précisé à l'AFP, estimant que les conséquences des vacances forcées, de la hausse de la mortalité et des maladies seraient compensées par une reprise de l'activité économique un peu plus tard dans l'année.
Risque d'accélération de l'inflation
La sécheresse devrait aussi avoir un sévère impact sur l'inflation, fléau que la Russie était en train d'éradiquer. La banque ING a ainsi relevé ses prévisions pour 2010 et 2011 à 8,5 % et 9,5-10 %, contre respectivement 6,8 % et 7,6 % prévus auparavant (et 8,8 % en 2009).
Jusqu'à présent, les autorités tablent officiellement sur une hausse des prix à la consommation comprise entre 6 et 7%, contre 8,8% en 2009, mais face à la catastrophe naturelle, le ministère du Développement économique a récemment admis le risque d'une accélération de l'inflation dès le mois de septembre. Le gouvernement, inquiet d'éventuels troubles sociaux, a par ailleurs décidé de plafonner les prix d'une vingtaine de produits alimentaires.