Le Japon vers un Hiroshima économique

Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Antigone le Dim 9 Mai 2010 08:20

Le Japon, c'est ma seconde culture. J'y ai fait plusieurs séjours. J'ai passé quelques années à l'étudier. C'est le pays, après la France, que je connais le mieux.

Il n'y avait pas encore de topic ouvert sur le Japon, mais ça se comprend un peu. Pas de mouvements sociaux, pas de tradition de lutte de classe, une société très conservatrice...
La seule révolution qu'a connue le Japon lui a permis de s'ouvrir au capitalisme moderne. Elle s'est effectuée par en haut, et elle a consisté en 1868 à donner le pouvoir à l'empereur Meiji.

Pour un révolutionnaire, le Japon a tout d'un pays désespérant. Mais à regarder de plus près, on s'aperçoit qu'il est entré depuis une quinzaine d'années dans une phase de déclin et qu'il porte en lui les stigmates de la crise du capitalisme financier. C'est pour cela qu'il est intéressant et qu'il est observé très attentivement par les analystes économiques qui, pour paraphraser ce qu'aurait dit Einstein pour les abeilles, redoutent que la chute du Japon prédède de peu celle du capitalisme.

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La vie politique est dominée depuis 1955 par le Parti Libéral Démocrate (PLD) constitué de multiples clans. La vingtaine de Premiers ministres qui en ont été issue sont tombés pour la plupart suite à des scandales de pots-de-vin, de prises illégales d'intérêt et j'en passe..
Chaque fois qu'un ministre se fait prendre les doigts dans la confiture, il vient présenter ses excuses devant les caméras, l'air contri, se confondant en moult courbettes, promettant de ne plus recommencer. Les électeurs savent que leurs politiciens ne sont pas honnêtes, mais ils n'en ont pas d'autres, alors ils continuent de voter pour eux.

La corruption fait partie intégrante de la culture en Extrème-Orient. Au Japon, c'est le "giri" (le devoir). Il faut faire des cadeaux. Celui qui en reçoit un a pour devoir d'en rendre un, un peu plus gros, s'il ne veut pas être regardé de travers. De cadeau en cadeau, de petit service en petit service, la surenchère s'emballe. Comment s'étonner alors si le "giri" commande les modes de relations au sommet de l'Etat ?
Ce phénomème est encore amplifié par le fait que la plupart des députés, sénateurs et beaucoup d'élus locaux sont des enfants du sérail, des politiciens de deuxième ou troisième génération, des fils à papa et à grand-papa dont ils ont repris le fauteuil, et qui se donnent pour insigne devoir de ne pas oublier les valeurs qui avaient cours au temps de Hiro-Hito.

L'année dernière pourtant, la domination qui paraissait sans fin du PLD a volé en éclats.
Yukio Hatoyama, un "dissident", a réussi à remporter les élections législatives après avoir fondé son propre parti, le Parti Démocrate du Japon (PDJ), sous l'étiquette "audacieuse" de centre gauche. Historique ! Pensez donc, la première alternance depuis plus d'un demi-siècle !

Jouissant de plus de 70% d'opinions favorables, cet Obama japonais promettait de tout changer, de prendre de vraies mesures pour en finir avec le clientélisme et faire sauter les blocages de la société (abolition de la peine de mort, droit des femmes à conserver leur nom de jeune fille après le mariage, droit de vote des étrangers aux élections locales, déménagement des bases américaines de Okinawa etc.). Du vent. Rien que du symbolique. C'était peu de chose, et pourtant rien de ce qu'il avait promis ne sera réalisé.
En six mois d'exercice, après avoir trempé, lui et sa femme, dans un scandale de financement de campagne, il n'aura fait voté qu'une loi de gratuité de l'enseignement secondaire et une réforme des allocations familiales très insuffisante pour espérer inverser la courbe démographique (l'un des maux endémiques dont souffre le Japon, j'y reviendrai plus loin).
Sa côte de popularité a dégringolé à moins de 30%. Aucun doute que Hatoyama va disparaitre du devant de la scène politique aussi vite qu'il y était apparu.

Comme l'échec au Japon a valeur de noblesse, il faut croire que celui de Hatoyama a encouragé d'autres anciens poids lourds du PLD et des "dissidents" du PDJ à tenter eux aussi leur chance et créer leur propre formation avec des noms de savonnettes sortis tout droit d'agences de pub ("Votre parti", "Debout le Japon"...). Pour ces larbins, la période est propice à se refaire une virginité politique à bon compte.
D'après les dernières tendances, il se pourrait bien que le vainqueur des prochaines élections sénatoriales de juillet ait un nom aussi creu que son programme, "Nouveau Parti pour la Réforme" (l'influence de Besancenot peut-être ?). Tout cela montre dans quel désarroi se trouve le personnel politique...

La décomposition de l'omnipotent PLD a précipité le pays dans un vide sidéral. Toutefois on ne parle pas encore de crise politique. Certes, le PLD est moribond, mais la force qui s'y est si longtemps incarnée, la droite nationaliste, est toujours présente, profondément incrustée dans les rouages de l'Etat, au sein des puissants lobbies affairistes et à la direction des grandes compagnies; et elle est très très influente. On lui doit beaucoup de "giri".

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Sur le plan économique, on peut faire sensiblement le même constat. Si l'on s'en tient aux principaux indicateurs, la situation du pays est désastreuse, quasi désespérée... mais finalement ce n'est pas si grave ! Au Japon, rien ne parait jamais grave. C'est un pays étonnant.

La dette publique a dépassé cette année la barre des 200% du PIB ! Le produit de deux années de richesse nationale ! Plus de 10 000 milliards de dollars !! Et 500 milliards (rien que ça) seront encore émis cette année. C'est le ratio dette sur PIB le plus élevé du monde.
Au début de l'année, en guise d'avertissement, l'agence de notation Standard and Poor's a rétrogradé la dette japonaise AA de "stable" à "négative". Et alors qu'il se fait régulièrement tapé sur les doigts par l'OCDE, le gouvernement japonais a reçu ces derniers jours un autre avertissement de la part de Naoyuki Shinohara cette fois, le directeur adjoint du FMI... parce que merde, ça commence à faire beaucoup !

Le Japon croule sous une dette monstrueuse. Il emprunte plus qu’il ne gagne et n'envisage même pas d'y remédier en augmentant les impôts ou en allant quérir de nouvelles sources de revenus. Pour la première fois depuis 1946, le Japon va émettre plus de dettes qu’il ne va percevoir d’impôts. Le problème de sa solvabilité commence à poser problème, mais grave.

Lucide et prémonitoire, Noriko Hama, une éminente économiste, professeur à la Doshisha Business School de Kyoto, a déclaré récemment: "Si nous étions le Botswana, on verrait immédiatement que nous prenons l'eau. Mais le Japon est comme le Titanic, notre économie est tellement grosse que personne ne s’aperçoit que nous coulons".
"N'importe où ailleurs, pareille situation budgétaire "mènerait droit à une annulation forcée de la dette ou même à l'instauration d'un Etat fasciste", poursuit-elle. "Mais pas au Japon, dont la dette continue de jouir du troisième ou quatrième meilleur score possible chez les agences de notation." (propos rapporté par l'AFP le 20 déc. 2009)

C'est en 1998 que le Japon a perdu sa prestigieuse note AAA dont jouissent la plupart des autres grands pays industrialisés. Cette sanction venait en écho au krach qui avait secoué les places financières asiatiques l'année précédente et dont le Japon ne s'est toujours pas remis. Depuis 1996, il traine une déflation qui le mine en profondeur, dégrade les bénéfices des entreprises, décourage les investisseurs, freine la consommation. La Bourse de Tokyo a chuté de 75% en 20 ans de crise économique, immobilière, financière, en 20 ans de cadeaux fiscaux, de gabegie invraissemblable qui ont rendu les plans de relance aussi inefficaces les uns que les autres. La déflation est une spirale infernale qui aspire et dévore celui qui en devient prisonnier.

On pourrait penser que l'état calamiteux des finances publiques nippones aurait été de nature à inquiéter les investisseurs... Que nenni ! Pourquoi ?
- Parce que le Japon détient énormément d'obligations sur la dette américaine, un peu plus que ce que détient la Chine, de quoi honorer presque la moitié de sa dette.
- Ses capacités exportatrices ne semblent pas avoir été trop amoindries par les multiples ennuis qu'a connu ces dernières semaines son industrie automobile.
- Ses taux d'intérêt demeurent très bas, anormalement bas au regard de l'ampleur de la dette..
- Ses importantes réserves d'épargne (les japonais dépensent peu) lui assurent un matelas suffisant pour faire face à un coup dur.
- Enfin sa dette y est plus gérable que dans les autres pays car elle est détenue presque totalement par des investisseurs privés et des organismes locaux comme la Banque de la Poste du Japon.
Jusqu'à présent ces spécificités ont joué en faveur du Japon, mais ça pourrait ne pas durer...

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Le capitalisme japonais est malade parce qu'après avoir été épargné par la crise économique pendant les années 70 et 80, il a aujourd'hui le plus grand mal à changer ses habitudes, tourner la page de l'après-guerre, répondre aux nouvelles exigences imposées par le capitalisme. Il n'a plus la réactivité dont il avait fait preuve à la fin du XIXe siècle et dans les années 50.

Mais la société est tout aussi malade. Le taux de suicide (26 pour 100 000, le plus élévé des pays de l'OCDE) traduit l'état de malaise social qu'on ressent très vite au bout d'une semaine passée dans une grande ville.
Le tremblement de terre de Kobe en 1995 a agi comme un révélateur sur l'état réel de la société en montrant qu'elle n'est plus celle des années 60 considérée comme la plus égalitaire du monde, celle qui était parcourue par un élan de solidarité, celle savait spontanément venir en aide aux victimes des catastrophes. A cette époque, on n'aurait pas permis que des gens dorment dans la rue.
Fini le temps où le salarié qui intégrait une entreprise y restait toute sa vie, plaçait avec fièreté le nom de son entreprise devant son patronyme. Le chômage, la précarité (elle concerne 1/3 des emplois), l'exclusion des personnes âgées, le chacun pour soi ont fait leur apparition et ont bouleversé tous les repères. Plus un japonais sur 6 vit sous le seuil de pauvreté.

A ces problèmes s'ajoute un autre mal, existentiel celui-ci, qui se manifeste à travers la baisse de la démographie. Amorcée en 2004, elle ne fait que croitre et prend l'allure d'un suicide à retardement.
La jeunesse japonaise est laissée à l'abandon. Beaucoup de SDF ont moins de 30 ans. Les jeunes qui vivent de "freeter" (contractions de "free-arbeiter", emplois précaires) squattent les cybercafés ouverts 7j/7, 24h/24. Ils y trouvent tout ce qui leur permet de survivre (distributeurs de nourriture et de boissons, banquettes, toilettes).
Les moins de 15 ans ne représente plus que 13% de la population totale. Au rythme de plus de 180 000 personnes de moins par an, le phénomène va encore s'accentuer au cours de la prochaine décennie.
L'abrutissement au travail et la priorité donnée à la carrière a fait des ravages. Sur les forums sociaux, on évoque très tranquillement l'hypothèse pas du tout saugrenue que dans 150 ans, les japonais auront disparu de la surface de la terre...

Le Japon est un pays de vieux. La génération de l'immédiat après-guerre (les plus de 65 ans) représente plus de 22% de la population.
On a retardé l'âge de leur départ à la retraite à 67 ans, mais nul doute que lorsqu'ils partiront enfin, ils vont vouloir retirer leurs économies des banques où, autant par discipline que par patriotisme, ils ont acheté pendant des années des obligations souveraines à un taux ridicule. Ils en détiennent 7 700 milliards de dollars !
Plus la population va vieillir et plus le Japon sera contraint de vendre sa dette sur le marché obligataire. Par voie de conséquence, les taux d'intérêt devront être relevés significativement, ce qui ne manquera pas de plomber un budget déjà largement vulnérable puisque, malgré des taux d'intérêt très faibles, le tiers de ce budget est accaparé par le service de la dette. Pas besoin de faire un dessin pour imaginer ce qu'il adviendra des finances publiques lorsque l'intérêt de la dette dépassera les rentrées fiscales.

Le processus est inexorable. Rien ne peut plus l'enrayer.
Les projections des spécialistes annoncent une faillite totale et inévitable de la (bientôt) troisième économie mondiale avant 2020. Mais des facteurs aggravants pourraient en hâter l'implosion.

Tous les pays industrialisés vont adopter dans les semaines et mois à venir des plans d'austérité drastiques. Il faudra du personnel politique et syndical pour faire avaler ces mesures impopulaires et défendre le système.
C'est cette opposition de façade forte d'un capital crédit suffisant qui fait défaut à la bourgeoisie japonaise, tant la domination du PLD et son idéologie libérale ont été sans concurrence, sans contradiction durant des décennies.
La gauche étant trop faible, trop cantonnée à la sphère intellectuelle, ce sera à un leader populiste issu du PLD de faire le sale boulot de réduction des déficits. Pour l'instant, c'est le populaire Yoichi Masuzoe qui tiendrait la corde, mais comme c'est un fervent partisan des réductions d'impôts pour les entreprises, ce ne sera qu'une baudruche de plus qui ne mettra pas longtemps à se dégonfler. Ce n'est pas de cette façon que la bourgeoisie japonaise sortira de son enlisement et résoudra le problème de sa dette avant qu'elle lui pête à la gueule.

Pour l'heure, la Banque du Japon (la BoJ) s'efforce autant que faire se peut de retarder le naufrage annoncé et lance des opérations de prévention.
Après avoir récemment doublé ses apports de liquidités d’urgence aux établissements bancaires, portant les fonds alloués à plus de 150 milliards d'euros à des taux défiant toute concurrence, la BoJ a fait savoir qu'elle allait encore injecter quelques milliards en liquidités sur le marché pour soutenir les opérations des institutions financières, et éviter un retour à la récession avant les élections sénatoriales. Ça n'a pas dû suffire, trois jours plus tard, 16 milliards d'euros supplémentaires sont injectés dans le système bancaire. Ces dispositifs de colmatage donnent une idée des stratégies à courte vue qui transpirent des bureaux de la haute finance et de la fièvre qui doit règner dans les salles de marchés...

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Mais les menaces qui planent au dessus du Japon ne se limitent pas aux domaines politique, démographique et financier...
Tout d'abord, il ne faudrait pas oublier que Tokyo est construit à l'intersection de trois plaques techtoniques qui plient Honshu, l'ile principale. Regardez la carte, vous verrez que Tokyo se situe au sommet de ce coude et vous comprendrez les tensions qui s'y exercent..
Le tremblement de terre de 1923 avait détruit la ville. Pendant longtemps j'ai entendu les sismologues craindre qu'un séisme de très grande intensité (le Big One) se produise avant l'an 2000. A Kobe, des constructions censées résister à des secousses d'intensité 8 sur l'échelle de Richter étaient tombées.

L'Empire du Soleil levant décline lentement tandis que le rival chinois est en pleine phase d'expansion.
Une mer les sépare. Une mer dont les fonds à plus de 10 000 mètres sont les plus profonds du monde. Or on sait qu'ils recèlent de très grandes richesses minérales qui pour le moment n'appartiennent à personne. Mais bientôt des moyens technologiques vont pouvoir rendre possible une exploitation à une telle profondeur.
Les nationalistes japonais en revendiquent la propriété exclusive. Les chinois en face n'attendent qu'un prétexte, l'annexion de Taiwan par exemple pour y mettre la main.
Les mers de Chine et du Japon vont constituer dans les prochaines années un terrain de bataille que vont se disputer les puissances montantes de la région Asie-Pacifique (Chine, Japon, USA, mais aussi Corée, Indonésie, Inde, Australie, Russie...).
Plus le gâteau s'avérera gros et plus les tensions iront en s'exacerbant.

Le Japon est un volcan dont l'activité est souterraine. Rien n'apparait. Tout est contenu. Mais quand les gens en ont vraiment assez, cela peut devenir tout de suite très violent.
Les asiatiques ont une culture des arts martiaux et un sens aigu de l'organisation dans le combat. Ils s'équipent de casques de moto, de battes de base ball (le sport le plus populaire au Japon), de protections de taekwondo. Les Zengakuren qui ont combattu à la fin des années 60 contre la construction de l'aéroport de Narita ont donné bien du fil à retordre aux forces de police... Les derniers événements de Bangkok démontrent que les asiatiques ne lachent rien. Et les japonais ne sont pas aussi passifs et soumis qu'on veut bien les montrer en occident.

Voila le décor de ce topic planté..
Dernière édition par Antigone le Sam 11 Sep 2010 13:02, édité 3 fois.
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede spleenlancien le Dim 9 Mai 2010 10:18

Bonne idée que l'ouverture de ce topic.
On peut glâner de bonnes infos sur le Japon sur ce site fait par des français y vivant :
http://www.aujourdhuilejapon.com/rubriq ... asp?IdSr=6
spleenlancien
 

Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Polack le Dim 9 Mai 2010 16:40

voilà le décor de ce topic planté... une atmosphère de fin du monde en asie... argh !
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede spleenlancien le Mar 18 Mai 2010 10:41

Aline Le Dunff du site Aujourd'hui le Japon a écrit:

le 17/5/2010 à 17h30


17 000 personnes ont manifesté, dimanche 16 mai, contre la présence de la base aérienne américaine de Futenmna dans la ville de Ginowan, a rapporté l'agence AP, citant les officiels du gouvernement local de Hitoshi Nakou. Les manifestants ont formé une chaîne humaine autour de la base de l'US Air Force. Malgré une pluie battante et de fortes bourrasques de vent, les mairesde deux villes concernées ont participé à l'événement.
Dans une déclaration commune, Yoichi Iha, maire de Ginowan et Susumu Inamine, maire de Nago ont fait part des attentes de la population.
Les habitants de la préfecture d'Okinawa exigent toujours le retrait de la base américaine de la ville de Ginowan. Ils s'opposent par ailleurs au projet qui prévoit de déplacer la base du district de Henoko à Nago.
Cette manifestation dénote une fois encore l'impopularité croissante de la base américaine dans la ville de Ginowan. Le mois dernier, un rassemblement de 90 000 personnes avait déjà été organisé.



Dans le tableau du contexte brossé par Antigone, une manif de 17 000 personnes n'est pas anodine. En outre, actuellement le Premier Ministre Hatoyama perd de sa crédibilité sur cette question. Il en avait fait un des axes majeurs de sa campagne électorale et avait lui même fixé le 31 Mai comme date buttoir.
Les grands media le critique y compris jusque dans sa façon de s'habiller...
http://www.aujourdhuilejapon.com/actual ... 90.asp?1=1
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Antigone le Mar 18 Mai 2010 16:42

Mouais...

Ce ne sont pas les premières manifestations contre les bases américaines à Okinawa.
Pendant des années, les habitants de la région ont profité des retombées économiques de cette présence étrangère. Mais il y a environ deux ans, une affaire de viol qui faisait suite à d'autres (mais pas plus qu'il y en a ailleurs au Japon) a été montée en épingle par la presse locale. Le déménagement de la base américaine est devenue alors une revendication chargée d'un tel symbole que Hatoyama a dû l'inclure dans ces mesures prioritaires de campagne.

Mais ce sont surtout les nationalistes qui sont derrière ces actions; ils leur accordent une large place dans la presse. Par délà le départ des troupes américaines du Japon, ce qu'ils réclament, c'est le retour à l'intégrité du territoire national, le droit à se doter d'une armée moderne et être capables de se défendre par eux-mêmes.
En moins grand nombre, les écologistes manifestent davantage contre les nuisances occasionnées par cette occupation.

Ces manifestations très mises en scène, très encadrées, sans la moindre spontanéité, ont quelque chose d'inquiétant. Voila pourquoi je n'en avais pas fait état.

spleenlancien a écrit:Les grands medias le critiquent y compris jusque dans sa façon de s'habiller...

Par rapport aux looks des autres Premiers ministres (noir et blanc), il détonne franchement. A défaut de tenir ses promesses électorales, il a voulu se donner un style dynamique, moderne.
Il y a beaucoup de japonais qui s'habillent comme ça. Ca fait partie des mélanges un peu bizares qu'on voit dans la rue. Il a seulement oublié qu'il est encore Premier ministre, et que dans un pays aussi conservateur que le Japon, ça ne se fait pas.
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Antigone le Jeu 20 Mai 2010 16:24

Les mouvements de contestation sont rares au Japon. En voilà un...

Aujourd'hui le Japon - 18 mai 2010

Le projet de parc Nike confronté à ses opposants à Tokyo

L’équipementier américain a lancé un projet construction d’un parc sportif à son nom à Tokyo, dédié au futsal, une variante du football et au skateboard. Mais ses opposants font barrage.

Alors que l'entreprise avait reçu le feu vert de la municipalité en septembre 2009, et qu'elle est prête à lui verser chaque année 180 000 dollars sur dix ans de droits publicitaires, le projet est aujourd'hui loin de faire l'unanimité. Les plans du «Nike Park» qui prévoient de grands travaux dans le parc de Miyashita, dans le quartier branché de Shibuya,, sont remis en cause par des manifestants.
Depuis quelques jours, des militants campent dans le jardin public pour en bloquer l'accès aux salariés de l'entreprise et aux ouvriers. Ils contestent l'appropriation d'un espace public pour en tirer profit à titre privé.

Casse-tête pour la municipalité, qui a dû déjà fait place nette en expulsant des sans-abris qui s'y étaient installés et doit envisager leur "relogement". Le blocage actuel repousse la reprise des travaux à septembre. Le chantier avait commencé en septembre 2009.
Le mouvement a été suivi au-delà du pays. Des militants anti-globalisation français, australien et thaïlandais ont organisé des rassemblements devant les ambassades du japon et des magasins Nike.
Aline Le Dunff
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede spleenlancien le Mar 25 Mai 2010 17:11

Il semble que la cause soit entendue... Les travaux commencent demain.
Thierry Ribault du CNRS pour Rue 89 a écrit:
Le parc de Miyashita est situé au cœur de la mégalopole tokyoïte, sur une bande verte de 50 mètres de large et de 500 de long plantée de grands arbres. Au début des années 2000 y vivait une centaine de sans-abris. Il n'y en avait plus que vingt avant leur éviction de septembre 2009. Certains y vivaient depuis plus de cinq ans dans des abris solidifiés avec le temps.

Les transactions entre la mairie de Shibuya et la firme Nike, relatives à la vente et à la « réhabilitation » du parc Miyashita, se sont déroulées de manière souterraine.

L'un des membres influents du conseil municipal, un ancien employé de l'entreprise Dentsu, le plus grand groupe de publicité du pays, est ouvertement engagé en faveur d'une image verte de l'arrondissement.

En conformité avec le verdissement de la politique municipale, il est un fervent défenseur d'une réappropriation des espaces verts au bénéfice de la jeunesse et des sports.
Sous la bannière Nike, une politique volontairement néolibérale

Autant de nobles causes au titre desquelles il défend… la privatisation du parc Miyashita. Cette privatisation s'intègre dans un grand projet d'aménagement urbain, visant notamment à mettre en place un nouvel axe routier allant du parc au quartier d'Harajuku, temple de la mode pour adolescents.

La centralité de Miyashita Koen en fait une ressource publicitaire potentielle considérable en plein Shibuya, quartier de la jeunesse consumériste, qui a perdu un peu de son aura depuis le milieu des années 2000.

La municipalité souhaite ainsi renouveler l'image de l'arrondissement en projetant l'aménagement dans le parc de cafés, de pistes de skateboard, de murs d'escalade et autres activités ludiques et lucratives.

Au fond, le vrai motif de l'éviction des résidents du parc Miyashita n'est pas la firme Nike elle-même. Cette dernière est la bannière d'une politique plus générale délibérément néolibérale de la part des autorités locales.

La titrisation immobilière aidant, le groupe immobilier, de transport et de grands magasins Tokyu exerce de son côté de fortes pressions pour que l'arrondissement se déssaisisse de son patrimoine immobilier.
Un moyen d'éviter les manifestations ?

Miyashita, parc aux multiples visages, a également la fâcheuse réputation d'être l'un des principaux points de ralliement pour nombre de manifestations dans la capitale.

En août 2009, une manifestation organisée par la Coalition pour la protection du parc Miyashita rassemblait ceux qui luttent pour préserver le caractère public du parc. Parmi les slogans utilisés : « Nike, ne fais rien ou rentre chez toi ! » ou « Non à la Nike-isation du parc ! ».

La vingtaine de tentes récalcitrantes a été détruite en septembre par les autorités qui ont généreusement « relogé » les sans-abris, dans un espace étroit qui longe un boulevard à quatre voies, dans des tentes flambant neuves, mais au risque d'accidents.
Des artistes bloquent le projet de « Nikérisation » du parc

En réaction, la Coalition a aménagé un campement « Artists In Residence » (AIR), de sculptures et d'installations à partir des matériaux laissés sur place suite à l'éviction. Les forces spéciales de sécurité (équivalent des CRS) se sont rendues sur les lieux, mais elles sont restées en observation : toute intervention pourrait être nuisible à l'image de Nike.

La « Coalition » a plusieurs griefs contre ce projet. Elle y voit :

* Une volonté de transformer un espace public ouvert à tous en un espace commercial sélectif.
* L'abolition annoncée d'un espace propice à la liberté d'expression politique et artistique.
* Une entorse aux règles démocratique, l'assemblée de l'arrondissement de Shibuya ayant été contournée et le conseil de planification de la ville n'ayant pas été consulté.
* Enfin, les défenseurs du parc considèrent que Nike est loin d'être un modèle de dignité en matière de gestion de sa main-d'œuvre, tant du point de vue de son recours au travail des enfants dans les pays d'Asie, que des conditions de travail dans nombre de ses sites de production.

Le 31 mars 2010, jour de la vente du parc à Nike, une délégation de la Coalition, composée d'une quinzaine de personnes, dont quatre sans-abris, a décidé de s'introduire dans le conseil municipal.
Les opposants sortis manu militari du conseil municipal

La délégation pénètre discrètement dans le hall de la mairie, malgré le poids de plusieurs grands sacs portés en bandoulière, sous l'œil interrogateur des fonctionnaires affairés - les sans-abris ont peu coutume de fréquenter ce lieu - et sous celui d'une dizaine de caméras de surveillance.

Le groupe est ensuite guidé jusqu'à l'amphithéâtre, tout de bois et de moquette verte.

Dans cet antre du ready-made politique à majorité PLD, rien n'est débattu, tout est voté. 61 conseillers sont présents, dont 11 femmes, et 4 greffières.

La délégation prend place sur les sièges de velours du poulailler, aux côtés d'une dizaine d'autres administrés de plus de 75 ans. Un des sans-abris s'endort au bout de cinq minutes.
Les élus votent le projet sans sourciller, ni en débattre

Les dossiers se succèdent, lorsque survient celui du parc Miyashita. L'arrêté de décision de privatisation du parc est alors lu à haute voix. Soudain, les membres de la coalition se lèvent, déroulent une banderole de trois mètres de long et sortent les mégaphones.

La séance est interrompue. Trois agents de sécurité saisissent les agitateurs par le col pour les sortir manu militari. Seule reste la dizaine de citoyens présents en début de séance … et le sans-abri hagard que l'agitation a sorti du sommeil.

Le président fait appel au vote : seuls les 5 conseillers communistes votent contre. Les travaux commenceront demain.

Le soir même, 200 personnes manifesteront encore face à 400 policiers. Parmi les manifestants : des membres du réseau anti-pauvreté, des sans-abris, des élus, des artistes, des représentants de minorités sexuelles, des délégués d'Attac Japon, des handicapés. Leurs slogans : « Nike sors de notre parc », « Y a-t-il de la vie dans le parc de Nike ? »

Quoiqu'en pensent ces empêcheurs de profiter en rond, le parc Miyashita va bel et bien être rebaptisé « Nike Park », la firme ayant acquis les droits liés à cette nouvelle appellation pour la somme de 150 millions de yens (1,2 millions d'euros), qui seront versés sur cinq ans à la mairie de Shibuya.


http://www.rue89.com/2010/05/21/nike-se ... kyo-152064
spleenlancien
 

Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Denada le Lun 7 Juin 2010 19:29

Je n'ai pas encore lu ce topic (mais je le ferai, le Japon aussi m'intéresse - conditionnement... argh -_-" ).

Je lis pas mal de mangas, et je me demandais si quelqu'un aurait des infos sur la place des femmes dans la société japonaise ? S'il y a des luttes féministes là-bas, et tout ça ? Car ça n'a pas l'air très rose (je demande ça, car à force de voir dans les mangas les nanas harcelées, défendue par un chevalier blanc ou en petites culottes, je me demande quelle part de réalité ça contient - ça m'interroge aussi car il me semble me rappeler avoir lu, dans un numéro spécial des Inrocks sur les mangas [oui bon... j'étais plus jeune], un article disant qu'en fait, c'était plutôt féministe [dans le sens où les femmes, dans les mangas, regagnaient une place qu'on leur nie dans la société]).

En cherchant rapidement, je suis tombé là-dessus :
http://www.fraternet.com/femmes/art22.htm

Thanks.
Apparemment, on n'avait le choix qu'entre deux voies : persévérer dans l'arnaque ou devenir un clochard - Bukowski.
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Denada le Lun 7 Juin 2010 19:47

J'ai lu, c'est intéressant, mais j'ai une question sur un truc que je n'ai pas compris (effectivement, je suis une bille en économie, mais j'essaye de me soigner). Ca veut dire quoi "ils ont acheté pendant des années des obligations souveraines à un taux ridicule" ? C'est quoi des "obligations souveraines" achetées par patriotisme ?

Thanks :)
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede hocus le Lun 7 Juin 2010 20:16

salut. Si je ne m'abuse, les obligations d'état (j'imagine que les obligations souveraines, c'est la même chose), c'est en fait tu finances la dette d'un état, tu lui prête de l'argent.
L'état émets des bons, des bouts de papiers, tu les achètes à la valeur X, et il s'engage à te reverser cette somme à une certaine date, et en attendant, il te verse tous les ans (/mois/trimestres/jeudi (?) ) un pourcentage de cette somme (il te verse des intérêts, vu que tu lui a consenti un prêt).
Ces trucs là, je crois tu peux aussi jouer avec en bourses (les vendre, les acheter, spéculer à la hausse ou à la baisse, bref, l'éclate totale quoi).

EDIT : et donc "à un taux ridicule", ca veut dire, j'imagine, qu'ils ont prêté de l'argent à leur état pour très peu cher, l'état leur versant des intérêts avec un taux très faibles.
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Antigone le Mar 8 Juin 2010 13:16

Denada a écrit:Je lis pas mal de mangas, et je me demandais si quelqu'un aurait des infos sur la place des femmes dans la société japonaise ? S'il y a des luttes féministes là-bas, et tout ça ? Car ça n'a pas l'air très rose (je demande ça, car à force de voir dans les mangas les nanas harcelées, défendue par un chevalier blanc ou en petites culottes, je me demande quelle part de réalité ça contient -


Effectivement la condition des femmes japonaises n'est pas brillante.
Le mot japonais le plus commun pour parler d'une femme est "shufu" (prononcez "shf") qui se traduit par femme d'intérieur. La shufu est épouse, mère et femme de ménage. Tout ce qui est domestique est de son ressort. Même quand elle travaille à l'extérieur, le plus souvent à temps partiel, ce rôle social la poursuit. L'éducation, la culture, la publicité, l'abondante presse magazine, l'infantilisation par peluches interposées, la pression sociale, le regard des voisins, des collègues, tout participe à ce bourrage de crâne et renvoie aux femmes les valeurs rigides et traditionnelles auxquelles elles doivent se soumettre. Par exemple, c'est très mal vu (égoïste) de ne pas être mariée à l'âge de 25 ans. Le mariage apporte la sécurité; il donne accès au confort et à la consommation qui sont les meilleurs gages de bien-être qu'un couple puisse espérer et qui rejaillit sur la société toute entière.

Il y a eu des mouvements féministes au Japon dans les années 70 qui ressemblaient à ceux que nous avons connus dans les autres pays développés. Mais ils ont pris une forme américaine avec la création de centres culturels féminins. Les femmes qui pensaient s'émanciper en sortant de leur foyer retrouvaient dans ces centres subventionnés par l'Etat leurs préoccupations ménagères pratiques abordées sous l'angle "comment être une meilleure shufu", et une autre forme de contrôle.

Impossible d'être invité dans une famille japonaise sans avoir droit à une soirée à commenter les photos familiales encadrées au mur, ou feuilleter l'album de famille. Tout japonais qui profité de Obon (la grande semaine de vacances du mois de mai) pour aller faire un peu de tourisme se doit impérativement de rapporter plein des photos et de bricolles pour la famille. Toujours sous pression, impossible de déconnecter, pas moyen d'être un peu tranquille, le stress même pendant les périodes de repos. Quel pays !

L'homme est tout aussi victime. Accaparé par son travail, son rôle de salaryman consiste à rapporter l'argent qui sert à son épouse pour faire fonctionner le foyer. Il n'est qu'un enfant qui doit se contenter de l'argent de poche que sa femme lui donne pour jouer, boire, s'amuser avec ses collègues. Sinon à la télé le soir, on a le choix entre des jeux débiles et un match de base-ball.
La société japonaise est aussi machiste que conservatrice. L'homme y exerce partout son pouvoir et son autorité sans que beaucoup de voix s'élèvent pour s'y opposer.
Il y a sur les forums sociaux des débats sans fin sur les "chikan", les hommes qui profitent de la sur-affluence aux heures de pointe dans le métro pour pratiquer des attouchements. Comme les plaintes des femmes ne portent pas très loin, les panneaux de signalisation civiques non plus, et ne pouvant empêcher le harcèlement, la solution qui a été trouvée par les autorités a été de créer de wagons reservés aux femmes... ce qui fait dire maintenant que les femmes qui se plaignent encore l'ont bien cherché. Ce serait donc aux femmes de changer, pas aux hommes.

C'est qui est étonnant, c'est que la religion n'est pas à l'origine de cet asservissement. Au Japon, la religion n'existe qu'au moment des cérémonies qui entourent la mort d'un proche, sinon dans la vie quotidienne, elle n'existe pas. Il n'y a que les vieux en province qui se rendent au temple bruler des batonnets d'encens pour le repos de leurs aieux. L'empereur est censé être le dépositaire du shintoïsme, la version japonaise du bouddhisme, mais on ne l'aperçoit que deux ou trois fois par an.

En réalité le Japon est toujours prisonnier de son histoire. La dégradation de la condition féminine date du shogunat des Tokugawa, après que l'unité du Japon ait été réalisée par Hideyoshi. L'homme y a acquit à cette époque le droit de vie et de mort sur la femme.
La culture japonaise regorge de référence à cette période. Il n'y a qu'à aller au cinéma voir les films de samouraï dont l'action se passe pendant les 250 années de la période Edo. On y retrouve les valeurs du Japon moderne, souffrance, honneur, soumission, abnégation, sacrifice...
Les mangas, les cosplays n'ont fait qu'adapter et moderniser ces stéréotypes en troquant les habits de samouraï pour les tenues futuristes et made in USA de Barbarella et de Star Trek.

Au Jaopon, les femmes ne portent de vêtements (et sous-vêtements) occidentaux que depuis une soixantaine d'années. Ils ont très vité été adoptés par les jeunes filles qui y voyaient un signe de modernité, avant de se généraliser dans les années 60.
On est passé de la féodalité aux années 50 sans aucune transition. Par conséquent, il n'est pas étonnant que la culture du vêtement y soit très différente de celle que nous en avons, et qui nous vient du XVIIIe siècle après un abandon du panier, un décorsetage et un raccourcissement progressif de la longueur des jupes.
Le Japon fascine les occidentaux parce qu'ils y trouvent d'autres codes moraux que ceux de la civilisation judéo-chrétienne. Pas de sens du "pêché", un autre rapport au corps, à la nudité, à la féminité, ce que, naturellement, le capitalisme s'est empressé d'exploiter et de vendre via la culture manga.
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Denada le Mar 8 Juin 2010 19:43

Merci vous deux.

Curieux, c'est la femme qui reverse au mari son argent de poche sur le salaire de ce dernier ? Ton post est très intéressant Antigone (et il n'y a pas d'activisme étudiant sur cette question du féminisme ? Au moins dans les universités ou les lycées, que sais-je ?). Bon, si je me retenais pas, je te poserais plein de questions... ^^

S'il y en a que ça intéresse, je peux leur filer le lien pour télécharger l'article de Jean-Marie Bouissou, Face à l'état, la société civile, tiré du gros bouquin de "vulgarisation" Le Japon contemporain, que je viens de photographier (MP-moi) - ça retrace rapidement l'histoire des mouvements sociaux au Japon (avec quelques noms de militants et d'orgas) de 1920 à aujourd'hui environ (comment ça s'est dilué dans les assoss de consommateurs, qui ont pourtant eues un poids important jusqu'à récemment).
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede conan le Mar 8 Juin 2010 19:54

Merci Antigone, néanmoins juste une précision :

Antigone a écrit:Au Japon, la religion n'existe qu'au moment des cérémonies qui entourent la mort d'un proche, sinon dans la vie quotidienne, elle n'existe pas. Il n'y a que les vieux en province qui se rendent au temple bruler des batonnets d'encens pour le repos de leurs aieux. L'empereur est censé être le dépositaire du shintoïsme, la version japonaise du bouddhisme, mais on ne l'aperçoit que deux ou trois fois par an.



Le shinto est une religion de type animiste, bien antérieure à l'arrivée du bouddhisme, dont la forme japonaise est le zen (dérivé du coréen son, lui-même dérivé du chinois chan, lui-même dérivé du sanskrit dhyana, la méditation).

Je crois à l'inverse de ce que tu avances que la société japonaise est très marquée par une certaine conception animiste des choses (amour de la nature, des paysages, des jardins, pèlerinage au fujiyama, lieux nombreux dédiés aux kami dans le Japon de l'intérieur, oeuvres littéraires, manga divers faisant référence aux esprits de la nature et aux esprits tout court, thème très prisé par le cinéma japonais) ; et par une perception à la fois immédiate, fulgurante des phénomènes, le sens aigü de leur impermanence et un sens de l'esthétique très empreint de la philosophie zen, dont on peut constater l'influence dans nombre de loisirs (de l'ikebana aux arts martiaux, en passant par la calligraphie, la peinture, la céramique). Ca c'est pour le côté bouddhiste.
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Antigone le Mer 9 Juin 2010 13:01

Denada a écrit:(et il n'y a pas d'activisme étudiant sur cette question du féminisme ? Au moins dans les universités ou les lycées, que sais-je ?)

Pas à ma connaissance.
Ceci dit, il y a probablement des cercles féministes quelque part, mais très marginalisés par rapport à la globalité du milieu universitaire.

conan a écrit:Le shinto est une religion de type animiste, bien antérieure à l'arrivée du bouddhisme, dont la forme japonaise est le zen (dérivé du coréen son, lui-même dérivé du chinois chan, lui-même dérivé du sanskrit dhyana, la méditation).

Bien sûr le bouddhisme s'est juxtaposé à ce qui existait déjà avant lui. Ce qui est valable pour le Japon, l'est aussi pour la Corée et l'Asie du sud-est (Siam et Indochine),

conan a écrit:Je crois à l'inverse de ce que tu avances que la société japonaise est très marquée par une certaine conception animiste des choses (amour de la nature, des paysages, des jardins, pèlerinage au fujiyama, lieux nombreux dédiés aux kami dans le Japon de l'intérieur, oeuvres littéraires, manga divers faisant référence aux esprits de la nature et aux esprits tout court, thème très prisé par le cinéma japonais) ; et par une perception à la fois immédiate, fulgurante des phénomènes, le sens aigü de leur impermanence et un sens de l'esthétique très empreint de la philosophie zen, dont on peut constater l'influence dans nombre de loisirs (de l'ikebana aux arts martiaux, en passant par la calligraphie, la peinture, la céramique). Ca c'est pour le côté bouddhiste.

Quand j'entends des gens autour de moi faire référence au zen, ou dire "sois zen" pour "sois cool, relax", ça me fait sourire.
Parce qu'au Japon, le zen a connu son essor à une époque où la société se militarisait, le shogun prenant petit à petit le pouvoir en lieu et place de l'empereur (périodes Kamakura et début Muromachi qui correspondent à la fin de notre Moyen-Age à nous).
C'était une école de rigueur et de discipline pas cool de tout, l'apanage d'une élite qui entretenait sa domination par la connaissance d'un savoir très austère auquel on ne pouvait accéder qu'après de longues années d'apprentissage. Cela a donné le pire mais aussi le meilleur (les arts). Cette école de discipline zen s'est transmise jusqu'à nos jours où elle sert encore de support à la pensée d'extrème-droite.
Au Japon, les temples zen ne sont pas les plus fréquents, mais ils se reconnaissent par des petites idoles serrées les unes contre les autres et habillées de tissus colorés. Tôt le matin, on peut y croiser des nostalgiques de l'époque Showa (Hiro-Hito), des maitres dans l'art de manier de katana. Franchement, je n'aime pas fréquenter ce genre d'endroit..
Evidemment conan, avant d'être introduit au Japon à partir du VIe siècle, le zen avait traversé l'Inde, la Chine, la Corée en connaissant bien des transformations et de multiples pratiques parce que cette histoire s'est étendue sur plusieurs siècles.
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede spleenlancien le Mer 9 Juin 2010 17:14

Antigone a écrit:Quand j'entends des gens autour de moi faire référence au zen, ou dire "sois zen" pour "sois cool, relax", ça me fait sourire.

Un peu comme l'épicurisme qui n'est pas une course effrénée aux plaisirs mais la recherche de l'ataraxie qui est un certain ascétisme. Loin des idées véhiculées par le marketing actuel...
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede conan le Mer 9 Juin 2010 18:43

Pour l'avoir pratiqué une bonne douzaine d'années, d'accord pour dire que le zen est difficile, dur et austère. mais pas que c'est une "connaissance" ; au contraire c'est d'un dépouillement extrême. Le zazen, la posture qui constitue l'essence du zen, s'apprend en rente minutes. Il s'agit de demeurer immobile face à un mur pendant une bonne heure, de façon stable, avec une posture simple.
Et c'est pas du tout "élitiste"... la prise de tête autour de la "connaissance" et le sentiment de supériorité sont, selon le zen, des illusions ridicules, constamment ridiculisées par ailleurs. Quant aux "moines", il leur est vivement conseillé de ne pas stagner dans les monastères mais de vivre une vie civile comme tout le monde (c'est l'idéal du boddhisattva, c'est-à-dire de la personne qui considère que le nirvana est de vivre pleinement au milieu du monde).
Il n'y a donc (à part le "godo", le maître), rien d'élitiste dans le zen. Le zen a une pensée extrêmement dépouillée et près du corps et de la réalité physique, extrêmement critique des hiérarchies (y compris "spirituelles", cf toute son histoire). Avec même beaucoup d'humour (y compris contre des maîtres, ou Bouddha). Le zen considère précisément que le "satori" (l'illumination) c'est la conscience de l'ici et maintenant, et que chacun-e ne peut le découvrir que seul-e, d'une façon qu'il-elle ne peut découvrir que seul-e, et à condition précisément de cesser de le chercher.
A mon sens, le zen est l'une des écoles de destruction de toute forme de dogme (y compris et surtout des dogmes propres au bouddhisme), que je trouve la plus fidèle, dans l'histoire du bouddhisme, au bouddhisme philosophique.
J'ai presque totalement abandonné la pratique du zen, mais je pense qu'elle n'est pas étrangère au goût de la liberté et de la critique des dogmes qui m'a ensuite conduit vers l'anarchisme.
M'enfin, on se détourne du sujet désolé. :D
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Denada le Mer 9 Juin 2010 19:00

Pas tant que ça, je conseille ce petit manga là-dessus (qui retrace l'itinéraire d'un moine qui sort du monastère et se fout de la gueule des moines qui restent cloîtrés - je crois que c'est aussi un manga historique, si mes souvenirs sont bons) :

Image


(et sinon, mon article, je le bouffe ?)
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede conan le Mer 9 Juin 2010 21:17

Ikkyu, surnommé "nuages fous", est un poète zen du XVème siècle, assez excentrique, qui préférait fréquenter, en bon "boddhisattva", les auberges, les pauvres, les bordels, et pratiquer les arts divers (poésie, mais aussi jardinage, thé...), au lieu de l'austérité parfois orgueilleuse des monastères. Il renonça au statut de maître d'un grand monastère, offert par l'empereur lui-même. Il a habité dans une cabane, avec une nonne dont il fut très amoureux, mais se rendait souvent en ville, car il trouvait égoïste l'attitude de certains moines qui se détachaient des misères de la société.
J'apprécie beaucoup son oeuvre, tour à tour touchante, drôle, souvent dans l'autodérision, et toujours très juste, très près de la réalité vécue.
Un exemple au hasard de poème parmi des dizaines... envoyé au maître d'un monastère qu'il quitte, où il détestait l'attitude orgueilleuse des moines.

J'ai habité cet ermitage
mais après dix jours j'en étais rassasié
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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Alayn le Jeu 10 Juin 2010 00:45

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Re: Le Japon vers un Hiroshima économique

Messagede Antigone le Jeu 10 Juin 2010 19:04

@ conan
Tu parles de "philosophie zen" et en même temps tu ne lui reconnais pas une "connaisance"... Bon, on ne va pas chipoter sur les mots.
Après, que cette philosophie/connaissance conduise à renoncer à une forme de savoir, c'est autre chose.

Apprendre le zen en 30 minutes ???... Hum ! C'est la méthode assimil ou du zen d'importation ?
Plus sérieusement, vu de France, on peut voir ça comme une technique effectivement, entouré d'un folklore que quelques gugusses savent très bien exploiter. Mais au Japon, pour ceux qui s'y adonnent, c'est toute une ascèse, une manière de vivre très stricte, et une vie entière ne suffit pas à en faire le tour.
Des moines qui se mêlent à la vie, boivent, ont de l'humour et vont dans les bordels ? Tu dois confondre avec le Tao, ou l'Inde, ou autre chose. A Taïwan j'ai pris en stop un moine un peu comme ça, avec bien plus de baluchons qu'il n'avait de mains... Une autre fois, j'ai fait une partie de ping-pong plutôt enjouée avec un autre moine dans un temple où j avais trouvé un peu de fraicheur... mais ni l'un ni l'autre n'étaient zen.
Par contre j'ai été contraint de prendre en stop de jeunes militaires en uniforme. De loin j'ai cru qu'un policier me faisait signe de m'arrêter. Ils sont montés à trois. Ils sont restés impassibles, n'ont pas dit un mot ni esquissé le moindre geste. Peut-être étaient-ils zen ?

Ce que je sais, c'est qu'au Japon le zen a été le mode de pensée de la classe dominante et qu'il a permis aux militaires d'imposer leur pouvoir. Il est resté depuis associé aux valeurs de l'extrème-droite. Nombre d'ultra-nationalistes et de familles d'officiers qui se recueillent chaque année au sanctuaire YasuKuni sont des adeptes du zen.

J'en ai parlé juste pour montrer le décalage avec la manière dont on utilise le mot zen aujourd'hui dans notre manière de parler.
Enfin bon, si j'ai créé ce topic ce n'était pas pour parler de zen ou de bouddhisme...
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