http://www.lemonde.fr/opinions/chronique/2010/03/15/abstention-et-radicalisation-deux-dangers-pour-la-paix-politique-en-france_1319232_3232.html
Abstention et radicalisation: deux dangers pour la paix politique en France
par Luc Borot, Universitaire
15.03.10
Dans sa chronique de France-Culture en ce lendemain de premier tour des régionales, Alain-Gérard Slama soulignait la désaffection que représentait la baisse de la participation, et pointait du doigt une radicalisation de l'opposition.
Il me semble que les deux mouvements convergent en un point : l'extrême gauche a pris un tel virage activiste depuis les manifestations internationales contre les divers G8, G20 et autres OMC, que la posture électorale ne convainc plus ses troupes, ou encore semble réduite à la posture, sans avenir dans l'action. L'influence croissante d'écrits comme L'Insurrection qui vient, ou Temporary Autonomous Zones, ou la popularité de Zizek dans certains milieux, sont autant d'indices qu'un activisme à coloration anarchiste a pris le relai de la stratégie de communication électorale dans les nébuleuses de l'action radicale. Non que Zizek soit un anarchiste, mais sa prise de parole et son positionnement encouragent la radicalité, notamment par la réhabilitation de figures du pouvoir violent, terroriste au sens originel du terme, comme Robespierre.
Si le pouvoir est au bout du fusil, ou au pied de la guillotine, malheur à la démocratie. L'extrême droite avait toujours défrayé la chronique avec son bloc identitaire, dont la tendance à la scissiparité pouvait rassurer (s'ils se désunissent, ils perdent toute efficacité), mais aussi inquiéter (s'ils multiplient leurs étiquettes, ils peuvent donner une impression de nombre, et multiplier les actions dangereuses d'autant plus discrètes que les groupes seront réduits). Depuis la disparition de mouvements criminels à discours politique comme Action Directe, à l'extrême gauche, discours révolutionnaire et stratégie électorale semblaient tenir le haut du pavé, mais la dissolution de la logorrhée trotskyste dans l'éructation démagogue du NPA, et la baisse dudit NPA dans les urnes ont sans doute privé la gesticulation gauchiste de toute crédibilité auprès des troupes les plus résolues de la mouvance révolutionnaire.
Si le gauchisme n'est plus soluble dans la salive ni dans les urnes, c'est le retour à l'action anarchiste violente du XIXe siècle et de la réputée "Belle" époque qui nous guette. Le refus des urnes par l'extrême gauche, s'il débouche comme je le crains sur des actions irresponsables contre les services publics (train, police, université, école) ou les symboles (lieux de culte, monuments, musées), ouvrira la voie au fascisme. Il risque peu de réconcilier avec la démocratie ceux qui ont cessé de voter par ignorance du sens de la république ou par indifférence à la société humaine. En revanche, il y a de fortes chances pour que Brice et Nicolas commencent à regretter Arlette.