Autonomes

Débats politiques, confrontation avec d'autres idéologies politiques...

Re: Autonomes

Messagede Bibo le Mer 8 Juil 2009 10:42

Ouais, j'ai quand même l'impression que l'Autonomie est méconnue par ceux qui ne s'y retrouvent pas ... tout comme ceux qui s'en revendiquent.
Je pense qu'actuellement, on met dans un gros sac "totos ou autonomes" des gens qui son radicaux et qui se bougent en dehors d'organisations anarchistes ou communistes libertaires structurées. C'est d'ailleurs mon cas. Et du coup, ça fausse le débat, car ces mots ne désignent pas la même réalité et filiation historique.
De même, parler "d'inorganisés" n'est pas juste : les gens en dehors des "grosses" orgas sont organisés, mais de façon affinitaire. (après, on peut toujours discuter si ces groupes sont regroupés autour de personnes plus influentes que les autres, voire de "petits chefs", mais là, on partirai sur des jugements de valeur, ce qui n'est pas le but ici).
Reste aussi que dans des organisations "structurées et qui se revendiquent de l'anarchisme social et organisé" (comme la FA où je suis, puisque je me contenterai de citer une orga que je connais), on trouve des principes de groupes affinitaires (soit autour de thèmes, ou d'individus qui s'apprécient, ou de formes de luttes spécifiques) et d'autonomie des groupes les uns par rapport aux autres, ce qui n'empêche pas un fédéralisme libertaire dans lequel les groupes ont la liberté de plus ou moins s'impliquer. De plus, ces individus gardent la liberté d'agir en dehors des groupes de leurs orgas, selon tel ou tel contexte, car l'un n'empêche pas l'autre. Du coup, il faut bien reconnaître que tout ça est difficile à trancher, tant au niveau des notions et de leurs ancrages historiques qu'au niveau de la réalité du terrain, elle aussi assez méconnue et/ou caricaturée. Bref, bonne chance pour continuer à débattre ...
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Re: Autonomes

Messagede Antigone le Mer 8 Juil 2009 19:38

Je crois que quand on parle d'"autonomes", on confond beaucoup de choses. Il y a plus qu'un problème de langage.

La première image qui nous vient à l'esprit, c'est celle qui a été véhiculée à plaisir par les médias, celle des casseurs de la fin des années 70. Par la suite, il suffisait d'être rebelle un peu punk, chômeur ou vivant en marge du système, et bien sûr inorganisé pour être appelé autonome.
Aujourd'hui la notion s'est étendue au "groupe affinitaire" (tiens tiens... une terminologie bizarre que j'ai découverte sur ce forum !). Ainsi quelques individus partageant un mode de vie, d'empathie, avec des goûts musicaux communs (sans doute ?), seraient des autonomes... C'est fou le nombre de gens qui peuvent se dire "autonomes"!
Le problème, c'est que de par sa définition, l'autonomie refuse toute classification.

Personnellement, je me réfère encore et complètement à l'Autonomie Ouvrière, 30 ans après la disparition de ce mouvement. Filiation historique puisqu'il s'agit du dernier mouvement à avoir contesté cette société et avoir cherché à l'abattre. Mais pour autant, je ne suis pas jamais revendiqué autonome parce que ça n'avait pas de sens et cela en aurait encore moins aujourd'hui.

La plupart des militants qui ont participé au mouvement de l'Autonomie provenaient de l'extrème-gauche, principalement maoiste, un peu moins trotskyste ou anarchiste, c'est-à-dire d'un milieu où l'on ne cessait d'afficher ses couleurs et de clamer haut et fort ses références et ses certitudes. L'Autonomie a marqué une rupture historique par rapport ce vieil héritage. Partant de là, il en était fini des drapeaux flottant au vent, des badges, des brassards, fini des dogmes, des programmes et des certitudes.
Il s'agissait surtout d'une rupture totale avec l'Etat, qui nous obligeait à nous organiser, pas seulement en dehors, mais contre les organisations, partis "ouvriers" et syndicats, qui s'étaient rangés de son côté, oeuvraient à le défendre et dont la seule aspiration était de participer à sa gestion.

Pour tous ceux qui ont vécu l'Autonomie même brièvement, elle a représenté un tournant dans leur vie, une cassure irrémédiable qui a rendu tout retour en arrière impossible. Parce qu'après avoir connu cette expérience, il n'était plus possible de continuer à militer comme avant. il fallait tout remettre à plat, tout reconsidérer (de la pratique à la théorie, de la théorie à la pratique), et c'est ce que certains ont fait pendant une bonne dizaine d'années.

Il y a aussi quelque chose je ne n'arrive pas à expliquer, c'est cette relation qu'on cherche absolument à établir entre l'Autonomie et l'anarchisme. Elle a été voulue par les anarchistes qui ont essayé de se l'approprier, pas par les autonomes parce qu'un autonome, s'il est anarchiste, ne peut plus être autonome... ça me parait logique. Qu'il soit inorganisé ou organisé "affinitairement" ne change rien à l'affaire. Un autonome anarchiste, ça n'existe pas, ou alors c'est n'importe quoi.
Par contre, un anarchiste autonome, c'est un anarchiste.
Bibo, quand tu parles de l'autonomie des groupes et des individus par rapport à un fonctionnement fédéraliste (type FA), pour moi, ça n'a rien à voir avec l'Autonomie.

En ce qui me concerne, je ne suis évidemment pas marxiste. Je ne suis pas non plus anarchiste. Je suis donc conséquent avec la conception que je me fais de l'autonomie. Celle-ci se moque des projections de société et autres anticipations idéalisées plus ou moins fumeuses. La seule chose qui lui a toujours importé, c'est d'en finir avec ce "vieux monde" et de faire la révolution.
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Messagede conan le Mer 8 Juil 2009 19:55

Antigone, je ne serais pas aussi catégorique que toi dans l'espèce d'incompatibilité que tu affirmes entre autonomie et anarchisme, du point de vue philosophique, du moins. Si d'une part l'anarchisme est le refus d'être commandé ou de commander, ce qui suppose d'ailleurs un rejet de la transcendance et donc de tout dogme ; et si d'autre part, l'autonomie est l'affirmation qu'il est possible de produire soi-même ses règles et son éthique.
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Messagede Antigone le Mer 8 Juil 2009 20:23

L'Autonomie ne s'est jamais placée du point de vue de la philosophie et de l'éthique.
Cette orientation n'a été le fait que que la majorité de l'ex-PIC après 1985 et surtout 1988 avec leur revue Interrogations pour la communauté humaine.. Elle aura d'ailleurs été le point final de leur trajectoire.
Ce groupe n'aura jamais fait la moindre allusion à l'anarchisme.
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Re: Autonomes

Messagede conan le Mer 8 Juil 2009 21:08

L'essence du mouvement autonome (du moins, historiquement) est certes d'avoir porté la volonté de l'autonomie vis-à-vis des syndicats et partis... mais des philosophes s'y sont pas mal intéressés, et je ne pense pas qu'ils n'aient rien apporté au mouvement autonome, même s'ils n'en sont pas l'origine pour autant - je pense à Castoriadis avec sa réflexion sur ce concept, réflexion pas détachée pourtant de ce qui se faisait à l'époque.
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Re: Autonomes

Messagede Antigone le Sam 11 Juil 2009 21:13

@ conan
L'Autonomie ouvrière a certes été précédée par d'autres oppositions. Celle dans les années 50 de Socialisme ou Barbarie de Castoriadis, étendue à d'autres scissions dont celle de ICO (Informations CorrespondanceS Oouvrières) de Henri Simon. Mais il s'agissait de ruptures intellectuelles faite par des élites sans lien réel avec la classe ouvrière.

@ bibo
Pour une meilleure connaissance de l'Autonomie:

Les groupes autonomes des années 77-79 ont laissé peu de traces écrites.
Cela est surtout vrai de la branche spontanéiste, tupamariste et insurrectionnaliste - les très informels résidus du maoisme, héritiers de La Cause du Peuple et de Vive la Révolution (1968-73) - qui drainait la majeure partie des effectifs du mouvement autonome, via la coordination parisienne.
L'OCL a bien accompagné l'Autonomie, y a participé, en a rendu compte dans les numéros de Front Libertaire, mais sans jamais l'avoir abordée en profondeur. L'OCL n'a jamais été autonome.
Il a existé aussi un certain nombre de groupes influencés par le Movimento, qui se sont lancés dans des actions de solidarité avec les réfugiés politiques. Ce fut le cas notamment du CINEL (Centre d'initiative pour de nouveaux espaces de libertés, 1977-81) de Felix Guattari. Après l'Autonomie, le CINEL a participé à l'essor des radios associatives en animant Radio Tomate. La radio Fréquence Paris Plurielle en est issue.

Mais si l'on veut comprendre l'essence du mouvement autonome, les documents les plus consistants viennent de revues éponymes de trois groupes organisés:

- Les Fossoyeurs du vieux monde, dits "les foss" (1977-83), groupe clandestin d'influence mao-situ, qui s'est prolongé avec Os Cangaceiros, post-situ (1983-87). J'en ai déjà parlé à plusieurs reprises... Leurs numéros sont téléchargeables à partir de la fanzinothèque (rubrique Partage).

- Marge (1974-79) de sensibilité libertaire désirante, qui s'est efforcé de rassembler les marginaux de toutes sortes, les rejetés de la "société libérale avancée" de Giscard (taulards, prostitué(e)s, junkies, squatters et autres gueux...). Son importance s'est vérifiée de manière posthume à partir des années 80 au travers des collectifs anti-expulsions, mal logés, précaires etc., des initiatives de quartiers qui ne contestaient que partiellement l'ordre social.
Comme à l'époque, les désirants avaient le don de m'horripiler, je n'ai jamais lu Marge.

- Combat pour l'Autonomie ouvrière (CPAO 1977-78) qui provenait au départ d'une fraction constituée de Lutte Ouvrière, Union Ouvrière (1974-77). CPAO était réprésenté principalement à Lille, Rouen, Paris, Sochaux, Clermont-Ferrand. Il a déployé une activité qui lui a permis de maintenir une périodicité quasi mensuelle de son journal... mais qui a aussi contribué à son rapide éclatement. Ce groupe anticipait l'évolution conseilliste prise par les groupes autonomes d'entreprises à la fin du mouvement. Toutefois, seul le groupe de Sochaux se rapprochera de PIC.
La phraséologie marxiste y est encore bien présente !!... La mise en page est à l'image du mouvement, bordélique. Nombreux sont les articles qui commencent à une page, s'interrompent et se terminent trois pages plus loin !
Les éléments moteurs de CPAO Rouen ont créé le Cercle Marxiste de Rouen (1978-80) qui a fusionné par la suite avec le groupe Tribune (1979-81) dont j'ai fait partie.

Comme leurs textes ne sont accessibles nulle part, je reproduis à la suite un texte de CPAO de novembre 1977 qui résume ses positions.


LUTTE AUTONOME DU PROLETARIAT ET INTERVENTION COMMUNISTE
(CPAO -1977)


L'optique syndicaliste, revendicativiste, défendue par tout ce que le mouvement ouvrier compte d'activistes poussiéreux au service de la logique capitaliste, mérite qu'on s'y attarde un peu, afin de règler le compte aux maniaques de l'échelle mobile, mais aussi afin de renvoyer à la niche tous les inactivistes de profession qui foisonnent dans le milieu de l'ultra-gauche.

Si la lutte pour l'amérioration des conditions salariales a été un des facteurs essentiels de la lutte prolétarienne démarrée au XIXe siècle, le cercle vicieux de cet axe de lutte dejà dénoncé par les révolutionnaires de l'époque est désormais ressenti intuitivement par la masse de la classe ouvrière... L'amélioration toute relative du "pouvoir d'achat" n'a fait que révéler plus crûment l'aliénation profonde de cette société: consommer plus n'a pas fait de l'ouvrier d'aujourd'hui un être plus émancipé que son arrière-grand-père !
Confusément, les travailleurs sont de moins en moins dupes des luttes revendicatives traditionnelles dans lesquelles, d'une part ils ne puisent aucune conscience de leur force ( les syndicats qui encadrent ces luttes étant de A à Z inféodés aux nécessités de conservation du capitalisme) (1) et surtout parce que ces luttes ne peuvent plus constituer le moteur d'un associationnisme ouvrier réellement subversif, c'est à dire rompant avec la logique des rapports capitalistes. Prévues et programmées, ces luttes sont bien souvent des soupapes de sécurité et permettent l'auto-justification des syndicats...

Il est pourtant faux de croire que les combats revendicatifs de la classe ouvrière sont totalement intégrés dans le système. Ils sont aussi porteurs d'une énergie qui dépasse le cadre du marchandage de la force de travail. La seule base matérielle qui permet aux prolétaires de passer au stade de l'affrontement ouvert avec le Capital, ce sont les liens tissés au cours des luttes, ces liens qui brisent momentanément la concurrence entre ouvriers... Seules les fractions révolutionnaires voient dans cette mise en commun des efforts une tension, un désir d'une autre vie, c'est l'associationnisme prolétarien qui crée la base de la socialisation du point de vue du communisme...
Chaque étape dans le processus de constitution d'associations combatives au sein de la classe ouvrière est une étape dans le processus de prise de conscience COMMUNISTE.

En poussant à une lutte dépassant le cadre de l'usine et s'attaquant à tous les aspects des rapports marchands, les fractions communistes, loin de dédaigner les avantages immédiats que l'on peut obtenir, ouvrent des perspectives réelles aux travailleurs, élargissent le champ d'action de la transformation sociale, approfondissent la critique du Capital comme rapport social. Ils ne font qu'exprimer pratiquement ce que l'ensemble des travailleurs sera contraint d'accomplir...

Tout ceci est bien sur une donnée générale dont la compréhension ne suffit pas à règler la difficile intervention locale. De nombreux groupes autonomes d'usine se sont enfermés dans le particularisme et n'ont pas pu s'ouvrir à une pratique plus large en direction des foyers de résistance faute de perspectives révolutionnaires générales. En se soumettant aux aspects spécifiques des lieux où l'on travaille, on se ruine dans un activisme qui conduit généralement, en période de non-lutte, au pessimisme et au mépris des prolétaires eux-mêmes dont on n'attend plus rien, ainsi la voie est ouverte au terrorisme sensé réveiller les masses de leur torpeur... Il n'est pas question évidemment de rejeter le terrorisme comme extérieur au combat prolétarien, il s'agit de la situer comme effet de la faiblesse de ce combat. Car ce n'est pas en réduisant les moyens de l'intervention révolutionnaire, qu'on fait avancer d'un pouce la capacité de combat du prolétariat dans son ensemble.

La politique liquidatrice du gauchisme, son influence désastreuse sur les éléments combatifs, le dilletantisme des groupes anarcho-conseillistes, le sectarisme ultra-gauche sont des faits matériels réels qui, jusqu'à présent, ont freiné les efforts de lutte autonome du prolétariat. C'est en mettant sur pied les moyens sociaux d'une intervention communiste véritable, tranchant avec la vieille merde revendicative que les groupes de l'AUTONOMIE OUVRIERE pourront effectivement accélérer le processus de rupture communiste qui se fait sentir dans les luttes actuelles, et cela en développant les conditions d'apparition du facteur essentiel de cette rupture: l'autonomie dans la lutte par la confiance des travailleurs en eux, par la défense d'objectifs incompatibles avec le maintien du salariat et de l'économie marchande !

Tout cela ne pourra se mener sans une critique ferme et positive des impasses proposées par tous ceux qui veulent maintenir les luttes ouvrières autour de thèmes visant à réformer le capitalisme au nom des intérêts de la classe ouvrière. Il faut clairement combattre tous ceux qui veulent faire de l'autogestion, du contrôle ouvrier sur la production en période de crise, des nationalisations, des objectifs nécessaires pour passer à l'étape supérieure de la révolution. Nous n'avons pas à dresser de plan transitoire de passage au communisme ! (2) Ce sont les exigences du prolétariat mondial lors de l'affontement révolutionnaire qui détermineront les mesures de transformation de l'organisation capitaliste du travail.

Développer cette critique au sein des luttes, ne signifie pas pour autant développer un sectarisme de boutique imbécile à l'égard des travailleurs combatifs encore influencés par telle ou telle officine de la conservation sociale. Si nous travaillons à l'autonomie ouvrière dans la lutte, ce n'est pas pour créer une division supplémentaire chez les travailleurs, c'est au contraire pour faire surgir une unité réelle des prolétaires, une unité qui dépasse les divisions corporatistes, les querelles des boutiques syndicales qui accentuent leur sabotage des luttes par la démoralisation, les tripotages et les magouilles gauchistes, etc... Nous pensons que les objectifs communistes dans une grêve sont liés à des méthodes de lutte qui unissent effectivement les travailleurs !
C'est en rompant avec le légalisme, le pacifisme, le démocratisme qui soumet les plus combatifs à l'avis des moins combatifs, voire des non-grêvistes, etc. que les travailleurs tissent entre eux des liens infiniment plus solides. C'est ainsi que les travailleurs, dans l'action, se rendent comptent de leur force de transformation sociale ! C'est ainsi que les ruptures ébauchées confusément par les travailleurs avec les agents du capitalisme et leurs propres préjugés (racisme, corporatisme, pacifisme) s'accomplissent pratiquement !

Renoncer à impulserla pratique révolutionnaire de la classe ouvrière, se refuser à peser dans la maturation de cette pratique, en croyant qu'il suffit d'apporter la bonne parole sans se "salir" les mains dans les conflits tels qu'ils sont, revient à se nier comme facteur actif de la lutte de classe, cela revient à accepter la soumission des autres prolétaires, cela en fait à sortir des contradictions réelles des luttes pour entrer dans le confort béat du dispenseur de discours idéologiques.

Ceux qui prétendront qu'une telle pratique réintroduit l'idée qu'il y aurait une différence de nature entre la base "ouvrière" des Partis et syndicats et les directions de ceux-ci, oublient qu'en période de lutte c'est l'ensemble des prolétaires qui sont tiraillés par les contradictions de la lutte de classe (3). Syndiqué, gauchiste ou ouvrier de rang, tous sont poussés par des forces antagoniques, les unes visants à casser la tension révolutionnaire, les autres à la faire émerger. Découper, au moment des luttes, le prolétariat en tranches, idéaliser une partie de celui-ci: l'ouvrier "moyen", le jeune ou l'immigré, c'est reconduire la division et sombrer dans la démagogie à l'égard d'une "base" ouvrière parée de toutes les qualités à partir du moment où elle correspond aux critères arbitraires cités plus haut... Il n'y a pas à attendre d'une catégorie de travailleurs bien particulière des vélléités communistes supérieures !
Est-ce faire du frontisme, est-ce se compromettre avec les forces capitalistes au sein du mouvement ouvrier ? Nous ne proposons pas une tactique d'alliance avec ces forces, nous les combattons toutes au même titre, et c'est parce que nous prétendons les combattre effectivement sur le terrain que nous devons développer des actions susceptibles d'ébranler réellement leur base sociale !

(1) Si les syndicats sont adaptés aux limites de la lutte revendicative, il serait faux de croire qu'ils sont pour autant les organes appropriés pour obtenir effectivement victoire pour ce terrain. Là où le prolétariat se bat pour le pain, pour des conditions de survie minimums, les syndicats se dressent contre lui. Les syndicats sont mondialement les organes du Capital à part entière. Tous sont liés aux intérêts de l'économie nationale. Leur fonction n'est pas seulement de maintenir les luttes dans le cercle vicieux de la lutte économique, elles est esentiellement de casser toute vélléité autonomes des travailleurs lors des luttes...

(2) Les fractions communistes n'avancent pas de mots d'ordre "transitoires" sous prétexte qu'ils sont plus faciles à comprendre pour les travailleurs. Les révolutionnaires accentuent les ruptures entamés par les prolétaires, ils en montrent le côté émancipateur, supérieur aux rapports sociaux en place. Les contre-révolutionnaires se distinguent par le fait qu'ils défendent ce qui est encore compatible avec le salariat et la marchandise dans les mesures prises par les travailleurs au cours de leur lutte...

(3) Les périodes de luttes ouvertes ébranlent la totalité des structures de conservation sociale, ces structures sont d'autant plus ébranlées que leurs racines sont plus profondes au sein de la classe ouvrière. Ce ne sont pas deux blocs monolithiques qui s'affrontent au moment de la révolution. La rupture communiste ne recouvre pas les divisions sociologiques, elle entraine des pans entiers de l'édifice capitaliste en dissolvant les couches sociales qui lui sont liées...

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Re: Autonomes

Messagede BlackJoker le Sam 30 Jan 2010 14:32

Merci pour les explications historiques fournies dans le topic, notamment celles d'Antigone qui semble avoir bien connu le contexte d'alors. Mais puisqu'on en parle, je ne suis pas d'accord ou du moins je ne comprends pas certaines positions défendues ici.

Antigone a écrit:La plupart des militants qui ont participé au mouvement de l'Autonomie provenaient de l'extrème-gauche, principalement maoiste, un peu moins trotskyste ou anarchiste, c'est-à-dire d'un milieu où l'on ne cessait d'afficher ses couleurs et de clamer haut et fort ses références et ses certitudes. L'Autonomie a marqué une rupture historique par rapport ce vieil héritage. Partant de là, il en était fini des drapeaux flottant au vent, des badges, des brassards, fini des dogmes, des programmes et des certitudes.
Il s'agissait surtout d'une rupture totale avec l'Etat, qui nous obligeait à nous organiser, pas seulement en dehors, mais contre les organisations, partis "ouvriers" et syndicats, qui s'étaient rangés de son côté, oeuvraient à le défendre et dont la seule aspiration était de participer à sa gestion.


Bah pour moi, sans avoir connu cette période, ça me parait incohérent de concevoir un mouvement dit autonome avec des individus aux conceptions forts divergentes en son sein. Car si un "autonome" de tendance maoïste est contre l'Etat et le capitalisme, ce n'est pas pour autant qu'il sera contre les hiérarchies et le pouvoir. Et si c'est pour alors reproduire des logiques de pouvoir, même en dehors de toute orga, parti ou syndicats, je n'en vois pas l'intérêt. En fait je trouve ce "mélange" assez bizarroïde.

Et je ne vois pas en quoi la rupture avec les organisations, les partis et syndicats seraient spécifiques à l'autonomie.
Il y a aussi un nombre importants de gens qui sont dans la même démarche au niveau des luttes et qui ont l'anarchie comme idéal. ( tu vas peut être me dire que l'autonomie était contre les idéaux éthiques ou philosophiques mais concrètement ça ne change rien au niveau de ce que je viens de dire, c'est à dire des luttes dans la pratique). Donc être anar avec des pratiques "autonomes" comme elles sont explicitées ici, ça existe. Exemple des individus qui écrivent dans NON Fidès et qualifiées d'autonomes voire de totos par pas mal d'anar organisés. Pourtant je crois qu'ils se considèrent anarchistes avant tout.
Donc je pense que tu fais, consciemment peut être, une assimilation entre le mouvement anarchiste organisé et "les anarchistes" au sens large du terme, c'est à dire avec des individus aux conceptions, idéaux et pratiques très différentes.
Je n'ai jamais tenu de drapeaux, mis des brassards ou des badges, suivi des dogmes, fait parti d'une orga, d'un syndicat, fait ou soutenu un programme quelconque, cru ou fait croire à un paradis futur et une vérité à suivre. Et pourtant je considère l'anarchie, c'est à dire la liberté et l'émancipation totale de chacun par la négation de tout pouvoir, domination ( sous tous ses aspects, moral, économique, social, culturel, sexiste etc etc) et autorité comme quelque chose que je tente de m'approprier bien que ça soit compliqué. Donc l'incompatibilité entre anarchie et autonomie des luttes je ne suis pas d'accord.

De ce fait je ne comprends pas très bien le passage suivant:

Antigone a écrit:Il y a aussi quelque chose je ne n'arrive pas à expliquer, c'est cette relation qu'on cherche absolument à établir entre l'Autonomie et l'anarchisme. Elle a été voulue par les anarchistes qui ont essayé de se l'approprier, pas par les autonomes parce qu'un autonome, s'il est anarchiste, ne peut plus être autonome... ça me parait logique. Qu'il soit inorganisé ou organisé "affinitairement" ne change rien à l'affaire. Un autonome anarchiste, ça n'existe pas, ou alors c'est n'importe quoi.
Par contre, un anarchiste autonome, c'est un anarchiste.
.

Tu parles de tentative d'appropriation mais le fait que tu rejettes totalement la compatibilité entre anarchie et autonomie laisse penser que l'autonomie ainsi pensée serait définie, avec des bornes qui font que untel ou untel ne peut pas l'appliquer ou s'en réclamer. Mais si c'est le cas alors l'autonomie et "être autonome" deviennent aussi un carcan idéologique et une étiquette pourtant rejetée à la base. Pour être plus clair, le fait de dire "untel a voulu s'en réclamer, se l'approprier" et que ce n'est pas possible, c'est sous entendre qu'il existe donc une "propriété" de l'autonomie et du terme autonome, et donc dire ou prétendre qui peut ou ne peut pas s'en réclamer. J'sais pas si j'suis compréhensible là.
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Re: Autonomes

Messagede fu hsang le Sam 30 Jan 2010 15:31

sur l autonomie

Comment situer ce qu’on appelle l’autonomie ?

Les voies de l’autonomie dans la lutte de classe sont impénétrables, tout au moins pour ceux qui ne veulent pas la voir là où elle se trouve. On pourrait dire que cette autonomie, c’est-à-dire ce qui se dégage comme tel de la lutte de classe et non ce qui est préconçu dans la tête de quelque idéologue, est protéiforme — changeant constamment de forme, de registre et de niveau d’attaque, car elle trouve en face d’elle, selon les nécessités du capital, des constructions répressives et/ou intégrantes tendant à empêcher et/ou dévier le cours qu’elle tendrait à prendre naturellement. Bien sûr, cette tendance générale à faire dans l’exploitation du travail autre chose que ce qui est prescrit par — et dans l’intérêt de — celui qui tire la plus-value de ce travail, se déroule obligatoirement dans le cadre dans lequel on l’enserre. Cette réaction à l’exploitation — individuelle ou collective (une collection d’actes individuels similaires ou une attitude concertée) — dans de telles circonstances, ne peut pas être cette mécanique parfaite que l’on voudrait qu’elle soit. En termes plus clair, le travailleur exploité ne bouffe pas son chef ou son patron chaque matin lorsqu’il franchit le seuil de sa boîte, et toute grève n’a au départ d’autre perspective qu’une visée réformiste, et en aucun cas révolutionnaire.

Il existe donc une dialectique à laquelle toute action individuelle et/ou collective ne peut échapper. Cette dialectique modèle la manière dont l’action naît, la manière dont elle se développe ; elle en donne aussi les limites et/ou le potentiel. D’une certaine façon, on pourrait assimiler l’autonomie au virus de la grippe, qui change chaque année tout en se référant à une souche commune, ou bien à l’évolution des espèces, les barrières dont nous venons de parler la contraignant à s’adapter en se modifiant pour pouvoir continuer à agir, c’est-à-dire à survivre. L’autonomie, c’est en quelque sorte, au début de sa manifestation, l’expression brute de la résistance à l’exploitation, qui existe comme un corrélat intrinsèque tant qu’existe le capitalisme et qui existera tant qu’il existera. La souche commune, on la trouve dans toutes les formes historiques ou présentes de l’autonomie dans la lutte de classe ; c’est la défense par les acteurs eux-mêmes, les exploités esclaves du travail salarié, de leurs propres intérêts face à cette exploitation qui tend à les réduire à des objets. Ce qui fut exprimé, il y a bien longtemps, en 1861, par la formule : "Vous êtes libres, organisez-vous ; faites vos affaires vous-mêmes" (2) ou plus emphatiquement par les premières lignes des statuts de l’Association internationale des travailleurs en 1864 : "Que l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux- mêmes" (3).


sur http://www.mondialisme.org/spip.php?article1270
fu hsang
 

Re: Autonomes

Messagede Antigone le Dim 31 Jan 2010 14:17

BlackJoker a écrit:Et je ne vois pas en quoi la rupture avec les organisations, les partis et syndicats seraient spécifiques à l'autonomie

Pourquoi ? Parce qu'elle n'avait rien de commun avec ce que proposait l'extrème-gauche organisée puisque les gauchistes issus de 68 se trouvaient dans les syndicats, ocupaient même des responsabilités dans les sections et les CE, principalement à la CFDT où ils y défendaient l'autogestion, une autre forme de gestion du capitalisme et de collaboration avec l'Etat.
Il faut rappeler que c'était aussi une époque où le PCF représentait entre 20 et 25% de l'éléctorat, où la CGT, omniprésente dans les entreprises, cherchait à faire avancer la collaboration de classe à grands pas, s'opposait aux luttes sous le prétexte qu'elle nuisaient à la perspective d'un gouvernement d'Union de la gauche.
Dans les entreprises, les syndicats s'étaient alliés au patronat et lui servait de chiens de garde. Il n'était pas possible d'entamer une lutte sans affronter directement les syndicats, pas seulement les bureaucraties, les directions, mais tout ce que le syndicalisme représentait, le rôle qu'il jouait en participant à la paix sociale, à la gestion de la crise économique, à la défense de l'outil de travail et à la survie du capitalisme.
Voila pourquoi le fait même d'être obligés de nous organiser en déhors des organisations, partis, syndicats nous a rendu "autonomes".

Toutefois, il ne faudrait pas confondre mouvement autonome et Autonomie ouvrière.
Le mouvement autonome, c'était pour l'essentiel la Coordination parisienne où émergeaient les maos spontex, nombre d'anciens de La Cause du Peuple et de VLR, fortement influencés par les stratégies insurrectionnalistes et de guerilla urbaine pratiquées par les Tupamaros et la RAF. Il y avait aussi de jeunes chomeurs plutôt libertaires, de jeunes travailleurs qui se révoltaient contre la vie de merde toute tracée qui les attendait, ainsi que des éléments très actifs de l'OCL.

L'Autonomie ouvrière, c'était les groupes d'entreprise constitués dans des luttes (ou juste après) où il avait fallu affronter les syndicats tout préoccupés à défendre les intérets du patronat. Les gens qui en ont fait partie sont devenus autonomes par la force des choses, sans même le savoir. Moi même, je ne l'ai su qu'un an après quand je me suis retrouvé en face de militants qui avaient vécu au même moment la même expérience que moi.
Or dans les journaux, on lisait que les autonomes, c'était ceux qui incendiaient les voitures et terrorisaient tout Paris...

Pour répondre à ta question, oui, c'était une spécificité de l'Autonomie, parce qu'à l'époque, il n' y avait que les autonomes qui étaient anti-syndicalistes...
mais aussi l'OCL qui a participé au mouvement, mais l'OCL n'était pas net sur l'autogestion (et défendait les luttes nationales, mais c'est une autre histoire)
mais aussi l'ultra-gauche conseilliste. D'ailleurs, quand le mouvement de l'Autonomie a pris fin, bon nombre d'autonomes se sont tournés vers une mouvance que PIC a tenter de regrouper (non sans arrière pensée), mais sans succès. Même en étant anti-léniniste, PIC était trop "communiste" et se référait à la dictature du prolétariat avec cohérence. Ceci explique pourquoi il n'a pas réussi à retenir les autonomes radicaux en dehors d'anciens d'anciens trotskystes comme moi.
Quelques anciens maos ont été séduits par la rigidité de RI. Les libertaires babas sont partis vivre en squats, loin de tout mouvement social. Les jeunes travailleurs sont devenus jeunes chomeurs en galère. Les gens combattifs sont pour la plupart restés non-syndiqués et ont abandonné par la suite toute activité militante. Il y en a aussi pour qui l'Autonomie n'aura été qu'un moment d'égarement passager qu'ils ont vite rectifié.
Mais ce que je trouve important de signaler, c'est que les autonomes ne sont pas dévenus anarchistes.

L'Autonomie ouvrière est le dernier mouvement révolutionnaire en date qui s'est donné comme objectif de renverser le capitaiisme par l'abolition du salariat et de l'économie marchande, et globalement, les anarchistes y ont été absents (OCL exceptée).
L'Autonomie a donné l'occasion de rappeler le besoin d'auto-organisation qui a été le moteur de toutes les luttes majeures de la classe ouvrière depuis près de deux siècles. C'est à mon avis en cela qu'elle doit pouvoir continuer à inspirer les prochains mouvements sociaux.

BlackJoker a écrit:Bah pour moi, sans avoir connu cette période, ça me parait incohérent de concevoir un mouvement dit autonome avec des individus aux conceptions forts divergentes en son sein. Car si un "autonome" de tendance maoïste est contre l'Etat et le capitalisme, ce n'est pas pour autant qu'il sera contre les hiérarchies et le pouvoir. Et si c'est pour alors reproduire des logiques de pouvoir, même en dehors de toute orga, parti ou syndicats, je n'en vois pas l'intérêt. En fait je trouve ce "mélange" assez bizarroïde.

Il n'y avait pas d'autonomes à tendance mao, d'autres à tendance libertaire etc. Nous venions d'horizons différents, avec une culture différente et cela ne gênait personne. Il n'y avait pas de divergences majeures entre nous puisque nous voulions tous en finir avec le capitalisme et l'Etat.
Dans mon groupe d"entreprise, j'ai cohabité sans aucun problème avec un éventail très large de sensibilités.
En apparence, nous n'avions pas de conceptions différentes puisqu'elles se résumaient à des rejets clairs et nets, contre les élections, contre le syndicalisme, contre l'autogestion, et de façon moins évidente contre les frontismes (antifascisme et luttes nationales compris).
Pour l'avant-garde et les modes d'action, c'était plus discutable. L'Autonomie italienne avait périclité vers 1975-76 en tentant de créer un pouvoir à opposer à l'Etat, dans un premier temps par la construction du Parti, puis par la guerilla urbaine via le pistolet P38.
Je ne suis allé qu'à une réunion de la Coordination parisienne. J'y suis resté assez longtemps pour constater qu'il était difficile de prendre la parole, de la conserver sans être interrompu et que les relations de pouvoir la régissaient totalement. De loin, cela donnait l'air d'un beau bordel. De l'intérieur, c'était carrément insupportable.

L'Autonomie s'est caractérisée par une addition de ruptures brutales, pas par une pratique particulière, pas par un programme en positif, ou des tables de la loi, pas par un projet d'une société idéale. C'est en ce sens que l'Autonomie ébauchait une rupture avec la pensée du XIXe siècle, celle dont le marxisme et l'anarchisme sont issus. C'est ce qu'on a compris dans les années qui ont suivi.

L'analyse critique de l'économie faite par les post-situs (La Banquise, Os Cangaceiros) pendant les années 80 a contribué à actualiser les théories classiques salaire, prix, profit pour y intégrer des notions nouvelles qui ont pris énormément d'importance dans le capitalisme moderne: marchandise, pénurié, valeur, consommation, Elle a montré qu'il était possible de sortir enfin de la sempiternelle problématique marxiste de la propriété des moyens de production et du capitalisme d'Etat sous-jacent, sur laquelle jusque là on plaquait tout.

C'est à partir de là qu' on a commencé à comprendre qu'il n'y a pas de société idéale à espérer. L'utopie appartient aux philosophes du début du XIXe siècle qui eux-même avaient hérité des idéaux de la Révolution Française. Même après avoir fait la révolution et renversé le système capitaliste, il y aurait encore des luttes et des révolutions à mener, et qu'il faudrait encore et toujours se battre ne serait-ce que pour empêcher la pénurie et la restauration d'une économie marchande.
Pour certains, la révolution commençait donc par la subversion au jour le jour et morceau par morceau de ce monde. Aujourd'hui, il y en a qui ont repris cette idée de la subversion et qui se disent autonomes et anarchistes sans trop faire la différence. J'interprète cette démarche comme étant dominée par une auto-satisfaction et une impatience purement individuelles. Elle cache en réalité un repli sur soi qui ne fait en rien avancer le schmilblic.

On ne prépare pas les révolutions de demain avec les modes de pensée d'un autre siècle.
Le marxisme et l'anarchisme sont les produits d'une Révolution industrielle qui a donné tout ce qu'elle avait à donner. Le marxisme a profité de son essor, l'anarchisme en a été victime. Désormais prisonniers des écrits de leurs maitres barbus, l'un et l'autre ne peuvent plus évoluer. Ils ne peuvent créer que des réactions de rupture plus ou moins radicales, dont les principales ont été au cours des cinquante dernières années: Socialisme ou Barbarie, les situationnistes, l'Autonomie ouvrière.

Le mouvement anarchiste a trop longtemps associé ses destinées à l'histoire et aux pratiques du mouvement syndical. Or celui-ci, depuis le début du XXe siècle, n'est plus en mesure d'offrir aux travailleurs un projet de transformation révolutionnaire de la société.
Le capitalisme en se développant à intégré les syndicats à son fonctionnement. Toutes les tentatives pour retourner le cours des choses se sont fracassées sur la dure réalité imposée par le système: représentativité, élections professionnelles, droits, délégation de pouvoir, cogestion, partenariat social. SUD et la CNT sont en train d'en faire l'expérience.

BlackJoker a écrit:Donc être anar avec des pratiques "autonomes" comme elles sont explicitées ici, ça existe. Exemple des individus qui écrivent dans NON Fidès et qualifiées d'autonomes voire de totos par pas mal d'anar organisés. Pourtant je crois qu'ils se considèrent anarchistes avant tout.

Non Fides, comme tu le dis toi-même, se réclame de l'anarchisme... avec une propension à l'avant-garde, à l'élitisme, mais de l'anarchisme quand même. A mon sens, un anarchiste reste un anarchiste avec toutes les références livresques qui vont avec. Qu'il soit inorganisé ne change rien. Ce n'est pas ce statut d'inorganisé qui va le faire devenir autonome.
Non Fides apporte la preuve que l'Autonomie (et les écrits situationnistes) peuvent influencer des anarchistes, mais sans les amener à réviser leur indécrotable philosophie.

BlackJoker a écrit:Tu parles de tentative d'appropriation mais le fait que tu rejettes totalement la compatibilité entre anarchie et autonomie laisse penser que l'autonomie ainsi pensée serait définie, avec des bornes qui font que untel ou untel ne peut pas l'appliquer ou s'en réclamer. Mais si c'est le cas alors l'autonomie et "être autonome" deviennent aussi un carcan idéologique et une étiquette pourtant rejetée à la base. Pour être plus clair, le fait de dire "untel a voulu s'en réclamer, se l'approprier" et que ce n'est pas possible, c'est sous entendre qu'il existe donc une "propriété" de l'autonomie et du terme autonome, et donc dire ou prétendre qui peut ou ne peut pas s'en réclamer.

De toute façon, le mouvement de l'Autonomie a disparu il y a 30 ans. Se dire autonome aujourd'hui n'a plus de signification.
On ne peut juste que se référer aux ruptures qui ont été créés à cette époque, et dans lesquelles je me reconnais toujours. Tu peux dire qu'il s'agit d'un carcan idéologique. Avec le temps, ça peut devenir un risque effectivement. L'Autonomie devrait eêtre inclassable et n'appartenir à personne. Mais est-ce que le souhait de la préserver sous verre ne la conduira pas à devenir un objet de musée ? C'est aussi un autre risque.
Mais comme je l'ai dit plus haut, il y a eu mouvement autonome et Autonomie ouvrière qui n'avaient pas grand chose en commun, mais qu'on continue à associer. Alors, le terme d'autonome peut être récupéré et mis à toutes les sauces, on ne peut rien y faire....

BlackJoker a écrit:Donc je pense que tu fais, consciemment peut être, une assimilation entre le mouvement anarchiste organisé et "les anarchistes" au sens large du terme, c'est à dire avec des individus aux conceptions, idéaux et pratiques très différentes.
Je n'ai jamais tenu de drapeaux, mis des brassards ou des badges, suivi des dogmes, fait parti d'une orga, d'un syndicat, fait ou soutenu un programme quelconque, cru ou fait croire à un paradis futur et une vérité à suivre. Et pourtant je considère l'anarchie, c'est à dire la liberté et l'émancipation totale de chacun par la négation de tout pouvoir, domination ( sous tous ses aspects, moral, économique, social, culturel, sexiste etc etc) et autorité comme quelque chose que je tente de m'approprier bien que ça soit compliqué. Donc l'incompatibilité entre anarchie et autonomie des luttes je ne suis pas d'accord.

Sans doute existe-t-il des anars anti-syndicalistes et anti-gestionnaires qui auraient pris part à l'Autonomie ouvrière s'ils l'avaient connue. Mais il doit y en avoir peu.
En tout cas, la plupart des anarchistes aujourd'hui défendent l'autogestion en terme de projet... ou de style de vie communautaire ou individuel, et continuent de croire dans l'intervention syndicale, même sans avoir trop d'illusions
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Re: Autonomes

Messagede id73160 le Dim 31 Jan 2010 15:29

Je crois que je partage une partie des interrogations de BlackJocker :wink: et qu'il y a une part d'incompréhension "réthorique", le fait qu'un mouvement Auronome ouvrier, rassemble sur un objectif de lutte des personnes qui n'ont pas forcément le même objectif final de vie en société pour moi c'est de l'anarchisme. D'autant plus que ce mouvement ne s'en revendique pas (cf. de l'anarchisme).

On va peut être me taxer d'autonome à force :lol: , mais militer pour un certain mode d'organisation ou principes "anarchistes" ça ne veut pas dire pour moi qu'ils doivent tous s'appliquer à toutes et tous, ce sont des propositions. C'est un peu dur sur ce point, à chaque problème on va te renvoyer; "mais comment tu vois l'organisation de tel ou tel pan de la société", et là il faut répondre, puis une fois que tu as répondu on te dit; "bah mais qu'est ce que tu veux m'imposer ton fonctionnement à 2 balles" :P

Tel que tu le décris Antigone, l'émergence et l'action du mouvement autonome ouvrier, tend à prouver pour moi qu'il y a de la place pour d'autres voies que celles portées par "les anarchistes", et je pense qu'une société anarchiste serait le meilleur "cadre" pour les voir émerger. :wink:

Je suis pas sûr d'être très clair :confus:
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Re: Autonomes

Messagede BlackJoker le Mar 2 Fév 2010 12:54

Je ne te réponds pas sur tout Antigone, parce que à l'inverse de toi je ne connais pratiquement rien du sujet excepté les lectures d'ici ou ailleurs, et donc je n'ai rien à dire à beaucoup de choses que tu dis, notamment issues de ta propre expérience, au vécu.
Au passage tu as bien fait de préciser la diff entre mouvement autonome et autonomie ouvrière, je confondais un peu les deux.

néanmoins je continue de ne pas être d'accord sur certains points, c'est là dessus que je vais insister. Notamment sur ta vision de "l'anarchisme" que je trouve assez galvaudée.

Antigone a écrit:Pour répondre à ta question, oui, c'était une spécificité de l'Autonomie, parce qu'à l'époque, il n' y avait que les autonomes qui étaient anti-syndicalistes...


A cette époque peut être, mais il n'y a pas rupture au sens historique. Tout un courant de l'anarchisme fin 19ème/début 20ème rejetait les partis, syndicats et le fait d'être compromis, conféré à un rôle de contre pouvoir dans l'entreprise, préférant une démarche de rupture.
" Les libertaires babas sont partis vivre en squats, loin de tout mouvement social. "
Tu sais comme moi que ce n'est pas si simple, et que squatter est une attaque contre la propriété privée qui engendre souvent une réponse ferme de la part du capitalisme, et de fait c'est un acte social et politique qui engendre souvent des luttes sociales, l'actualité des ces derniers mois / années tend à le confirmer. ( et je ne fais pas là des fleurs au squats, puisque je suis assez critique sur ceux ci, notamment leur mode de fonctionnement et leur "non-ouverture" )
Ensuite, et tu le dis toi même, ce n'est pas l'autonomie qui a fait naitre le besoin et la pratique d'auto organisation des luttes. Après qu'elle l'ait remis au parfum dans la pratique c'est surement le cas.

Antigone a écrit:Il n'y avait pas d'autonomes à tendance mao, d'autres à tendance libertaire etc. Nous venions d'horizons différents, avec une culture différente et cela ne gênait personne. Il n'y avait pas de divergences majeures entre nous puisque nous voulions tous en finir avec le capitalisme et l'Etat.


Mais il y a aussi plein d'autoritaires qui disent vouloir en finir avec le capitalisme et l'Etat. Seulement ce n'est pas un gage d'unité selon moi. Et si vous vous reconnaissiez dans une finalité commune, on sait que les moyens sont justement très différents et souvent opposés de part l'incompatibilité de certaines pensées.

Antigone a écrit:L'Autonomie s'est caractérisée par une addition de ruptures brutales, pas par une pratique particulière, pas par un programme en positif, ou des tables de la loi, pas par un projet d'une société idéale. C'est en ce sens que l'Autonomie ébauchait une rupture avec la pensée du XIXe siècle, celle dont le marxisme et l'anarchisme sont issus. C'est ce qu'on a compris dans les années qui ont suivi.


Là encore, nombre d'anarchistes, y compris dans la période à laquelle tu te réfères ( 19ème) n'avaient pas de "programme", dogmes ni un beau projet de société emballé et prêt à l'usage. J'ai l'impression que volontairement tu ne te réfères qu'à un pan de l'anarchisme.

Antigone a écrit:L'analyse critique de l'économie faite par les post-situs (La Banquise, Os Cangaceiros) pendant les années 80 a contribué à actualiser les théories classiques salaire, prix, profit pour y intégrer des notions nouvelles qui ont pris énormément d'importance dans le capitalisme moderne: marchandise, pénurié, valeur, consommation, Elle a montré qu'il était possible de sortir enfin de la sempiternelle problématique marxiste de la propriété des moyens de production et du capitalisme d'Etat sous-jacent, sur laquelle jusque là on plaquait tout.


A te lire, je trouve moi que tu restes au contrairement largement dans un cadre de pensée marxiste.
Tu ne parles de domination que sous le prisme économique. Et si il est réel et même écrasant dans nos sociétés actuelles il y a d'autres formes de domination ne passant par forcément par le capital. Tu n'y fais jamais mention. Qu'en était il à l'époque?
je trouve aussi que le déterminisme est trop fort dans tes propos. J'y reviens juste après.

Antigone a écrit:C'est à partir de là qu' on a commencé à comprendre qu'il n'y a pas de société idéale à espérer. L'utopie appartient aux philosophes du début du XIXe siècle qui eux-même avaient hérité des idéaux de la Révolution Française. Même après avoir fait la révolution et renversé le système capitaliste, il y aurait encore des luttes et des révolutions à mener, et qu'il faudrait encore et toujours se battre ne serait-ce que pour empêcher la pénurie et la restauration d'une économie marchande.
Pour certains, la révolution commençait donc par la subversion au jour le jour et morceau par morceau de ce monde. Aujourd'hui, il y en a qui ont repris cette idée de la subversion et qui se disent autonomes et anarchistes sans trop faire la différence. J'interprète cette démarche comme étant dominée par une auto-satisfaction et une impatience purement individuelles. Elle cache en réalité un repli sur soi qui ne fait en rien avancer le schmilblic.


Moi je pense que ta démarche de pensée est faussée, notamment la fin de ton post. "l'impatience", le "replis sur soi" ce sont des facteurs qui peuvent exister chez certains mais tu en fais une généralité. D'autre part je me trompe surement ( et je ne veux pas te blesser) mais je sens dans ce passage cité au dessus une sorte d'aigreur ou frustration car des pratiques justement de subversion au jour le jour sont repris de façon différente par d'autres et que l'autonomie a elle disparue.
J'ai l'impression que le facteur générationnel et le fait que tu ais vécu quelque chose qui a ensuite disparu fausse ton jugement. Quand au fait de dire qu'il n'y a pas de société idéale à espérer, la mise en avant de la révolution permanente, ce n'est pas l'autonomie qui l'a crée. Le courant anarchiste individualiste social ( Zo d'axa, Libertard etc etc) du début du 20ème siècle avait déjà fourni ces critiques et mis en avant cela.
La différence néanmoins avec ton discours est que s'ils affirmaient l'existence de classes sociales et la nécessité de rupture avec le capitalisme, ce courant ne tenait pas non plus un discours strictement classiste, et pensaient le rapport individu ( alors affirmé comme réalité ) au collectif. C'est là ou je trouve que ton discours reste aussi très emprunt de marxisme.

Antigone a écrit:On ne prépare pas les révolutions de demain avec les modes de pensée d'un autre siècle.
Le marxisme et l'anarchisme sont les produits d'une Révolution industrielle qui a donné tout ce qu'elle avait à donner. Le marxisme a profité de son essor, l'anarchisme en a été victime. Désormais prisonniers des écrits de leurs maitres barbus, l'un et l'autre ne peuvent plus évoluer. Ils ne peuvent créer que des réactions de rupture plus ou moins radicales, dont les principales ont été au cours des cinquante dernières années: Socialisme ou Barbarie, les situationnistes, l'Autonomie ouvrière.


Vision à mon sens trop déterministe de l'histoire, puisque tu penses l'anarchisme comme quelque chose de rigide, pure produit de son époque, et donc une chose finie, valable qu'à une époque précise, celle qui l'a vu naitre. ( marxisme ? lol :wink: ) Je pense moi que les courants socialistes que tu décris sont nées effectivement dans ce contexte, mais qu'il n'y a là rien de figé, et que chaque pensée évolue suivant l'évolution globale, suivant aussi les individus qui s'y attachent. Ce n'est pas pure déterminisme. Et on pourrait alors penser si l'on suit cette logique " l'autonomie est le pure produit des conditions économiques du capitalisme des années 70. Le capitalisme ayant beaucoup évolué, ce mouvement et ses pratiques se trouvent totalement "obsolètes " et on ne préparera pas les révolution de demain avec une réalité d'un autre siècle".
D'autre part si certains combats sont directement déterminés par le monde dans lequel on vit ( l'anti capitalisme par exemple), ils s'inscrivent dans quelque chose de plus général, qui dépasse le cadre d'une époque ou d'un lieu précis.
Affirmer la liberté totale de chacun par la négation de tout pouvoir ou principe de domination, ce n'est pas une pensée d'un autre temps mais au contraire quelque chose de valable partout, tout le temps. Que l'on soit dans une société capitaliste et patriarcale, ou dans un autre type de société ou les dominations sont autres. Donc cette base même ne peut pas rester prisonnière d'une époque ou de conditions sociales particulières. Elle est influencée oui, lié au monde dans lequel on vit, mais pas prisonnière de celui ci.
Aussi, elle n'est pas prisonnière des "maitres barbus" sinon chez quelques "gardiens du temple" et caricatures ambulantes. Et d'ailleurs bien des anar ne se réfèrent pas aux "maitres à penser", notamment chez les jeunes, dont je fais parti.
Antigone a écrit:
BlackJoker a écrit:Donc être anar avec des pratiques "autonomes" comme elles sont explicitées ici, ça existe. Exemple des individus qui écrivent dans NON Fidès et qualifiées d'autonomes voire de totos par pas mal d'anar organisés. Pourtant je crois qu'ils se considèrent anarchistes avant tout.

Non Fides, comme tu le dis toi-même, se réclame de l'anarchisme... avec une propension à l'avant-garde, à l'élitisme, mais de l'anarchisme quand même. A mon sens, un anarchiste reste un anarchiste avec toutes les références livresques qui vont avec. Qu'il soit inorganisé ne change rien. Ce n'est pas ce statut d'inorganisé qui va le faire devenir autonome.
Non Fides apporte la preuve que l'Autonomie (et les écrits situationnistes) peuvent influencer des anarchistes, mais sans les amener à réviser leur indécrotable philosophie.


"références livresques" , "indécrotable philosophie". ( d'ailleurs qu'entends tu par ces termes ?)
Je ne pense pas que tu te sois forgé une culture révolutionnaire ( par exemple au niveau économique que tu maitrises bien) par un claquements de doigts, mais en ayant lu des textes, des critiques, que tu as ensuite digéré et critiqué à ton tour.
J'ai l'impression que tu vois "la philosophie" comme quelque chose de purement bourgeois et abstraits ( mais à toi de me dire). C'est une certaine philosophie ( dominante) qui est cela. Mais le fait de penser le monde, ce que l'on est dans celui ci, le fait de vivre etc, ce n'est pas un phénomène bourgeois ou élitiste, chaque être humain en est capable, même sans être le nez dans des bouquins. Et d'ailleurs, le fait d'avoir un raisonnement aboutissant à un rejet de la philosophie.... c'est déjà philosopher!
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Re: Autonomes

Messagede skum le Mar 2 Fév 2010 13:16

" Les libertaires babas sont partis vivre en squats, loin de tout mouvement social. "
Tu sais comme moi que ce n'est pas si simple, et que squatter est une attaque contre la propriété privée qui engendre souvent une réponse ferme de la part du capitalisme, et de fait c'est un acte social et politique qui engendre souvent des luttes sociales, l'actualité des ces derniers mois / années tend à le confirmer. ( et je ne fais pas là des fleurs au squats, puisque je suis assez critique sur ceux ci, notamment leur mode de fonctionnement et leur "non-ouverture" )

En lisant Les Nostalgiques de la Cité Grecque, je tombe sur un texte et, en effet c'est vrai, ce n'est pas facile d'être fermer au capitalisme :siffle: -> http://www.lapicharlerie.internetdown.o ... ?article11

Mais le fait de penser le monde, ce que l'on est dans celui ci, le fait de vivre etc, ce n'est pas un phénomène bourgeois ou élitiste, chaque être humain en est capable, même sans être le nez dans des bouquins

Tout à fait BJoker, je partage. Et si apprécier des hommes exigeants, sans concession, sans complaisance (au sens premier) théorique-critique envers autrui, suis-je à mon tour "partisan de l'élitisme" ?
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Re: Autonomes

Messagede herope le Mar 2 Fév 2010 16:27

Par essence il ne peut avoir de réponses pour Autonomes car se réclamant d'aucune orga ou pensées leur démarche ne peut-être qu 'affinitaire nous avons de bon contact avec certains avec d'autre moins. Sachant que nous mêmes nous réclamons AA voir notre site. Après il y a tout un folklore créer de toute part car étant par nature hostile a toute forme d'organisations pérenne, tous les mouvements (tous) s'en servent dès qu'il y a un dérapages dans une manifs c'est facile de leur coller dessus puisque sans visage. Autonomes est BB cela n'a rien a voir les BB sont stucturés voir parfois paramilitaire pour l'organisation .....
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Re: Autonomes

Messagede BlackJoker le Mer 3 Fév 2010 00:24

Qui est ce "on" que tu évoques herope? Et de quel site parles tu?
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Re: Autonomes

Messagede Antigone le Mer 3 Fév 2010 17:43

id73160 a écrit:Je crois que je partage une partie des interrogations de BlackJocker et qu'il y a une part d'incompréhension "réthorique", le fait qu'un mouvement Auronome ouvrier, rassemble sur un objectif de lutte des personnes qui n'ont pas forcément le même objectif final de vie en société pour moi c'est de l'anarchisme. D'autant plus que ce mouvement ne s'en revendique pas

BlackJoker a écrit:Mais il y a aussi plein d'autoritaires qui disent vouloir en finir avec le capitalisme et l'Etat. Seulement ce n'est pas un gage d'unité selon moi. Et si vous vous reconnaissiez dans une finalité commune, on sait que les moyens sont justement très différents et souvent opposés de part l'incompatibilité de certaines pensées.

Il y a eu des rapports d'autorité évidents dans la Coordination parisienne, pas dans les groupes d'entreprises.

Un mouvement social est toujours très hétérogène et multiforme. Notre groupe n'a pas fait exception. On y trouvait des gens de la gauche de la gauche anti-stalinienne sensibles à l'écologie, au féminisme, à tout ce qu'on appelait à cette époque "les mouvements de masse', d'autres venant de la gauche traditionnelle et qui n'étaient pas les moins combattifs. Il y a eu des personnes d'apparence effacée qui se sont soudainement révélées à cette occasion.
Des babas sont passés parce qu'on avait l'air de foutre un peu le bordel, mais ils n'ont pas fait grand chose.
Les soixante-huitards sont restés à l'écart, un peu usés, un peu blasés, un peu rangés. Ils ont observé tout ça de loin avec amusement.
En tout cas au départ, on n'a pas eu besoin de forcer les gens à parler. Ils sortaient tout ce qu'ils avaient sur la patate.
Après on s'est donnés une perspective en sortant un journal. Tout ce qu'on faisait était décidé collectivement.

Ce qu'on peut contester, c'est que tout cela a été décidé dans un café par un noyau de militants d'extrème-gauche qui étaient partis avec fracas de leurs syndicats respectifs. C'est vrai qu'il y avait eu un peu avant une altercation à l'entrée de la cantine entre un délégué CGT et un adhérent qui l'avait insulté et lui avait déchiré sa carte sous son nez. Ils en étaient venus aux mains.

Les tensions entre nous ne sont apparues qu'à la fin quand la question d'une activité légalement reconnue dans l'entreprise a été posée. Pour ceux qui avaient déchiré leur carte du syndicat quelques mois plus tôt, il n'était pas question de retourner à la case départ. "Plutôt crever que de retourner avec cette bande de putes !"

BlackJoker a écrit:J'ai l'impression que volontairement tu ne te réfères qu'à un pan de l'anarchisme.

C'est fort possible. (et c'e n'est pas volontaire)

BlackJoker a écrit:A te lire, je trouve moi que tu restes au contraire largement dans un cadre de pensée marxiste.
Tu ne parles de domination que sous le prisme économique. Et si il est réel et même écrasant dans nos sociétés actuelles il y a d'autres formes de domination ne passant par forcément par le capital. Tu n'y fais jamais mention. Qu'en était il à l'époque?

A l'époque, la gauche PC/PS relayée par la LCR faisait miroiter que tout changerait avec les nationalisations et l'autogestion, et les débats qui amenaient la contradiction portaient sur la critique du capitalisme d'Etat (il y a eu plusieurs scissions dans les orgas sur cette question) et tout était vu sous l'angle économique.
L'Autonomie a été un mouvement de rejet du stalinisme (du PCI en Italie, de la CGT en France) à un moment où les PC tentaient d'amorcer une mue sociale-démocrate (l'euro-communisme).

Les operaistes de Lotta Continua, qui ont été à l'origine du mouvement tout de suite après "l'automne chaud" de 1969, étaient déjà des marxistes critiques. Et puis je ne rappellerais jamais assez que les anarchistes ont brillé par leur absence. Normal, ils croyaient dans les syndicats.

Au début des années 80 après la fin de l'Autonomie, on a essayé de tout redéfinir d'un point de vue théorique pour sortir du cadre de la pensée marxiste, et d'imaginer comment pourrait s'organiser les échanges, les rapports sociaux dans une autre société. On a revisité les analyses antérieures de S. ou B. et des situs, toutes influencées par le marxisme et produits de leur époque.
De leur côté, les majoritaires de l'ex-PIC sont allés puisé dans les textes de Socialisme mondial et de la Gauche anglaise créé par Daniel De Leon au début du XXe siècle. Ils ont poussés très loin dans leur réflexion sur une société sans classe, sans Etat, sans argent, raccrochant le terme de "communisme" à celui de la communauté humaine.

D'une manière générale, dans nos textes théoriques, c'était toujours de communisme qu'il s'agissait.

BlackJoker a écrit:Moi je pense que ta démarche de pensée est faussée, notamment la fin de ton post. "l'impatience", le "replis sur soi" ce sont des facteurs qui peuvent exister chez certains mais tu en fais une généralité.

C'est ce que j'ai (mal) vécu au moment de la dissolution du groupe Subversion (1985).
Les derniers qui restaient du groupe et qui faisaient le choix de cette démarche ne voulaient pas attendre "le grand soir". La subversion pour eux, c'était la révolution tout de suite, morceau par morceau, à commencer par leur propre existence. Je n'étais pas d'accord.

Je trouvais que leur démarche n'étaient guère différente des réformistes qui nous expliquent qu"on peut changer le monde progressivement par de petites évolutions, à ceci pres qu'ils appliquaient directement sur le (leur) quotidien ce que les réformistes préfèrent changer par le droit.
En tant que révolutionaire, partisan du "tout ou rien" comme ils disaient, je ne l'ai pas accepté.

BlackJoker a écrit:D'autre part je me trompe surement ( et je ne veux pas te blesser) mais je sens dans ce passage cité au dessus une sorte d'aigreur ou frustration.

Non, tu ne te trompes pas.
J'étais pour la dissolution parce qu'on ne faisait plus rien d'intéressant et la plupart des membres semblait avoir des points d'attache ailleurs. Mais après quelques années, j'ai ressenti comme un gâchis le fait qu'on se soient perdus de vue, chacun de son côté.
Les fins d'histoires sont toujours déprimantes.

BlackJoker a écrit:des pratiques justement de subversion au jour le jour sont repris de façon différente par d'autres et que l'autonomie a elle disparue.
J'ai l'impression que le facteur générationnel et le fait que tu ais vécu quelque chose qui a ensuite disparu fausse ton jugement.


Pour moi, les subversifs d'aujourd'hui ne sont plus ceux de Os Cangaceiros et de Subversion des années 80, ils sont loin d'avoir leurs bagages théoriques, mais il y en a toujours et ce sont eux qui se disent autonomes aujourd'hui.

Cela rejoint le peu de discussion que j'ai eue l'été dernier sur le forum avec l'Ami du Négatif (qui est de la même génération que moi), même si ses références proviennent en grande partie du situationnisme et pas ou peu de l'Autonomie ouvrière.

BlackJoker a écrit:le rapport individu ( alors affirmé comme réalité ) au collectif. C'est là ou je trouve que ton discours reste aussi très emprunt de marxisme.

Les anarchistes ont le don de s'intéresser à eux, d'écrire des pages sur des trucs sans importance, et de négliger tout ce qui est fondamental, l'économie et tout ce qui se passe dans le monde.
Pour moi, le collectif conditionne bien plus l'individu que le contraire. Et tant pis si cela te parait emprunt de marxisme.

BlackJoker a écrit:Je pense moi que les courants socialistes que tu décris sont nées effectivement dans ce contexte, mais qu'il n'y a là rien de figé, et que chaque pensée évolue suivant l'évolution globale, suivant aussi les individus qui s'y attachent. Ce n'est pas pure déterminisme.
Et on pourrait alors penser si l'on suit cette logique " l'autonomie est le pure produit des conditions économiques du capitalisme des années 70. Le capitalisme ayant beaucoup évolué, ce mouvement et ses pratiques se trouvent totalement "obsolètes " et on ne préparera pas les révolution de demain avec une réalité d'un autre siècle".

Tout à fait.
Nous ("post-situs", ex-PIC) en avions conscience lorsque nous avons cherché à en faire une analyse et en tirer des projections pour l'avenir.

BlackJoker a écrit:J'ai l'impression que tu vois "la philosophie" comme quelque chose de purement bourgeois et abstraits ( mais à toi de me dire).

Plutôt futile, je dirais.
Elle devient utile quand on n'a rien à faire.

Pour les "références livresques", j'en ai bouffé pour rentrer à LO parce que j'étais obligé. Mais par la suite, j'ai beaucoup plus appris dans les réunions de Tribune, de PIC, dans les soirées nantaises avec les Cangaceiros, à écouter les arguments des uns et des autres.
Ni rouge, ni noir. Révolutionnaire sans drapeau.
L'Autonomie, ça devrait ressembler à ça
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Re: Autonomes

Messagede Antigone le Ven 5 Fév 2010 14:27

En 1981, PIC éclatait.
La minorité (Volonté Communiste) partait pour entreprendre un projet agitatoire dont elle n'avait pas les moyens et qui s'est rapidement essoufflé.
La majorité décidait de tirer un bilan de la présence du courant de l'autonomie ouvrière dans l'ultra-gauche, avant d'engager un travail de réflexion sur "le communisme" qui allait durer une dizaine d'années. Ce groupe prendra pour nom L'Insécurité sociale, puis Interrogations pour la Communauté humaine.
- Voici d'abord le texte qui a servi de base de départ pour créer l'Insécurité sociale.
On y trouvera un paragraphe sur la dictature du prolétariat qu'ils ont fini par abandonner au bout de quelques années... néanmoins l'ensemble reste marqué par le vocabulaire de l'ultra-gauche, même si le contenu diffère.
- Puis le texte de présentation de Interrogations pour la Communauté humaine (devenu groupe affinitaire).

____________________

NOTRE ROYAUME ETAIT UNE PRISON (1982)

Le 14 novembre 1981, le PIC s’est dissout, mettant par conséquent fin à la parution de la revue JEUNE TAUPE.
Précisons d’abord que nous n’étions plus motivés pour inscrire nos activités dans un groupe portant le sigle pompeux de Pour une Intervention Communiste, éditant une revue au titre nébuleux de Jeune Taupe (appartenant à une époque précise, mais aussi comportant des références codées la destinant à un certain milieu). Mais au-delà de ces questions formettes, nous ne souhaitions pas effectuer un replâtrage du PIC, ce qui aurait signifié que nous voulions maintenir une certaine continuité, alors que nous ne nous reconnaissions plus globalement dans sa plate-forme, son « passé » et certains de ses textes d’orientation. Notre évolution impliquait donc notre dissolution.
De plus, force nous est de constater que malgré ses déclarations périodiques sur la mort de l’ultra-gauche, le PIC a continué à situer son action dans le cadre de ce milieu aujourd’hui en pleine déliquescence. Notre dissolution était aussi une nécessité pour opérer une rupture avec ce milieu, et donc d’une certaine façon avec notre propre passé.
Si l’ultra-gauche a représenté après 68 un certain dépassement du gauchisme, dont elle s’est d’ailleurs alimentée, elle n’est à terme parvenue qu’à une variant radicale de celui-ci. Ceci peut se vérifier au travers d’un certain nombre de dénominateurs communs à ce courant (et donc à ce qu’a été le PIC), que nous rejetons aujourd’hui.

L’ELITISME ET LE PARTITISME, base commune à l’ensemble de l’ultra-gauche, même celle qui se prétend contre les élites et contre le parti. Cet élitisme se rencontre autant dans les mesures organisationnelles des constructeurs de parti, que dans les propos grandiloquents sur la responsabilité historique des révolutionnaires des « anti-partitistes ». N’en déplaise à ces derniers, nous ne confondons pas l’histoire avec les tréteaux du théâtre élisabéthain. C’est d’ailleurs chez les plus anti-organisationnels, partisans de regroupements fortuits autour d’une revue ou d’une intervention ponctuelle que l’on rencontre les individus les plus intimement persuadés d’appartenir à une élite sans rapport avec le vulgaire capital variable. Pour voir clairement apparaître le partitisme de l’ultra-gauche, il suffit de réunir dans une même salle un certain nombre de ses groupes, comme nous avons périodiquement tenté de le faire ces dernières années. On constate alors que leur comportement est à l’image de celui des partis parlementaires : manœuvres pour conserver le contrôle de l’assemblée ou pour prendre le pouvoir, tractations de couloir,…

LA NOTION DE POLE DE REFERENCE, liée à la tentative de gagner ou maintenir une image de marque, ceci concernant aussi bien le groupe que l’individu au sein du groupe. A ceci correspond la pratique consistant à se pousser en avant, que ce soit par le terrorisme verbal (ou intellectuel), le culte de l’individu, le copinage qui permet également à l’individu de ses valoriser à ses yeux et aux yeux des autres. On finit par ne plus agir en fonction d’un engagement (individuel ou collectif) sur certaines perspectives, mais pour justifier son existence et sa supériorité. En ce qui nous concerne, nous ne visons pas (plus ?) à être populaires, reconnus par les masses (ou par qui que ce soit d’autre !) ; nous ne visons pas fondamentalement à une implantation ou à une audience ouvrière, mais à une contribution à l’autonomie prolétarienne.

LA CONCURRENCE INTER-GROUPES, conséquence de tout ce qui précède. Il est nécessaire que chaque groupe soit en possession des tables de lois qui lui permettront de satisfaire son partitisme et son élitisme, de se placer en position de référence vis-à-vis de ce qu’on nomme le milieu révolutionnaire. Cette concurrence s’est ressentie dans la confection même d’une revue comme Jeune Taupe… Combien d’articles publiés sans aucune élaboration collective parce qu’il fallait absolument avoir écrit sur tel ou tel sujet (vis-à-vis de qui !) ; lorsqu’on ne trouvait pas déplorable que d’autres aient produit des articles considérés comme plus intéressants que les nôtres (sur la Pologne en particulier) ! A la manière des gauchistes, les ultra-gauchistes pratiquent également vis-à-vis des autres une tentative de culpabilisation perpétuelle. Combien de fois avons-nous entendu ces petites phrases : on ne vous a pas vu à la grève ou à la manif de… vous n’avez pas fait ça – ça n’est pas un hasard ; vous avez fait ça – c’est bizarre (ou ça n’est pas un hasard, c’est selon) ;… !!!
C’est donc en rejet de tout ce que nous venons de décrire que nous nous situons aujourd’hui. Nous nous sommes dispensés de citer des noms ou des sigles. Tout d’abord, cette pratique de la personnalisation systématique appartient à ce que nous rejetons. D’autre part, rien de cela n’est propre à tel ou tel groupe. On le rencontre en des mélanges divers, chez tous ces pseudo-théoriciens, professeurs en marxisme, apprentis bureaucrates et déclassés professionnels qui constituent ce milieu en décomposition.
A ceux qui se réjouiraient trop vite de la disparition d’empêcheurs de magouiller en rond, nous apprendrons que nous sommes décidés à nous inscrire dans un engagement collectif sur des bases clarifiées par rapport à notre passé (et donc pires de leur point de vue !).
A ceux qui s’étonneraient que la paille que nous avons dans l’œil nous ait aveuglé pendant si longtemps, nous conseillerons d’ôter la poutre qui est dans le leur.
A ceux qui partagent le rejet que nous venons de définir ; qui à l’encontre de tout élitisme se situent sur le terrain de l’autonomie du prolétariat ; nous dirons que nous sommes prêts à engager un débat fraternel avec eux. N’étant pas à la recherche d’un cercle de fidèles, nous nous refuserons de nous situer au centre de ce débat. Celui-ci ne pourra avoir de signification que sur une base fondamentalement égalitaire, ou chacun apportera sa contribution à la réflexion (le cas échéant à l’action) collective. Ainsi seulement s’établira un rapport politique entre révolutionnaires en rupture non seulement avec l’ambition des uns de se constitue en pôle de référence, mais avec le comportement de spectateurs ou le localisme des autres.

AXES DE REFLEXION POUR L’AUTONOMIE PROLETARIENNE
L’histoire des sociétés de classe est marquée par la lutte des classes opprimées et exploitées. Dans la société capitaliste, celle-ci prend la forme de l’antagonisme entre prolétariat d’une part et classe capitaliste d’autre part. C’est cette lutte qui a permis la formulation de positions communistes, c’est-à-dire de prises de positions politiques allant dans le sens de l’autonomie de classe du prolétariat.
Les axes de réflexion suivants représentent une des expressions de ces positions. Ils évolueront en fonction de la situation et des discussions que nous pourrons avoir entre nous et avec d’autres.
Les buts de cette concrétisation temporaire sont de :
- définir les positions qui nous semblent actuellement permettre l’engagement d’une minorité révolutionnaire sur le terrain de l’auto-émancipation du prolétariat ;
- servir de base de discussion avec des camarades isolés ou d’autres groupes.
Ne visant pas à développer chaque position dans le moindre détail, ils seront logiquement complétés par des textes d’orientation approfondissant les questions qui nous semblent primordiales.

CONTRE LE CAPITALISME

LE MODE DE PRODUCTION CAPITALISTE ET SA DECADENCE
Le Mode de Production Capitaliste est un système social dans lequel l’économie est prédominante.
La loi du profit qui caractérise en propre le capitalisme conditionne, et cela à l’échelle planétaire, l’activité humaine c’est-à-dire la production matérielle, l’acte social de travail, l’organisation des rapports des hommes entre eux et avec la nature.
Les rapports sociaux dans le cadre desquels les prolétaires produisent, échangent, communiquent, vivent, sont eux-mêmes déterminés et s’ils subissent des variations, c’est en fonction de l’évolution et des contradictions du mode de production capitaliste.
Les rapports sociaux existants permettent le maintien et la perpétuation de la domination capitaliste sur l’ensemble de l’humanité.
Depuis ses origines, le capitalisme repose sur l’existence du salariat (vente de la force de travail), l’économie marchande, la concurrence économique entre chaque capitaliste (individuels ou national) qui conduit chacun de ceux-ci à augmenter le taux de plus-value extorquée aux prolétaires qu’il exploite, afin d’être le mieux placé vis-à-vis de ses concurrents.
Avec le partage impérialiste du monde s’affirmant au XXème siècle, il entre dans des contradictions économiques insolubles entraînant l’humanité à subir le cycle perpétuel : crise (austérité, chômage,…), guerre (destruction des moyens de production matériels et humains, repartage des marchés,…) et reconstruction (mythe de l’abondance et de la prospérité, sur-production,…).
A un niveau historique, cette décadence est marquée par la première guerre mondiale et l’ensemble des affrontements inter-impérialistes lui faisant suite.
A un niveau social, elle se caractérise par une domination de plus en plus généralisée des rapports marchands sur toutes les conditions d’existence masquant une barbarie croissante (coexistence d’une surproduction et d’une sous-consommation, misère matérielle de la majorité de l’humanité). Au centre de cette domination, se situe le travail, source de profit et activité aliénée par excellence autour duquel gravitent les autres activités humaines.

UNITE DU MODE DE PRODUCTION CAPITALISTE
A partir du moment où existe la production marchande, c’est-à-dire la production pour la vente, l’argent, le profit et la salariat, il y a capitalisme, que celui-ci soit sous le contrôle de patrons ou de l’Etat.
Ainsi, la Russie, la Chine et autres pays à étiquette socialiste ou communiste sont des capitalismes d’Etat soumis aux lois du marché mondial.
Le capitalisme d’Etat, s’il se répand à l’échelle mondiale en fonction des contradictions de la période, n’est que tendanciel car il est contrecarré par la concurrence entre les différentes fractions du capital.
Quant aux mouvements de libération nationale que connaît le Tiers-Monde, ils ne peuvent se développer que dans le cadre des conflits inter-impérialistes. Mais dans le cas de tentatives de constitution d’un capitalisme national, celui-ci ne représente aucun progrès mais ne peut survivre qu’au prix d’une surexploitation du prolétariat local. Nouveau concurrent sur le marché, il ne peut qu’accélérer l’enfoncement dans la crise et la barbarie. Plus généralement les luttes de libération nationale ont toujours constitué un obstacle à l’indépendance et à la conscience du prolétariat.
Sa participation à de telles luttes ne peut que se traduire par la perpétuation de son exploitation.

MOYENS DE LA DOMINATION CAPITALISTE
Pour maintenir sa domination, le capitalisme doit enfermer le prolétariat dans un CADRE NATIONAL. C’est ainsi qu’il a mis en place successivement différentes politiques d’embrigadement capitaliste : social-démocratie, bolchévisme, fronts populaires, fascisme, new-deal, anti-fascisme, résistance, etc…
La nation n’a d’autre réalité que celle d’unité concurrentielle au sein du système. Le prolétariat n’a ni à s’ériger en classe nationale, ni à se constituer lui-même en nation.
La lutte de classe ne peut être que mondiale et être la négation de tout nationalisme et de tout Etat.
Comme toutes les sociétés d’exploitation, le capitalisme nécessite une séparation entre dirigés et dirigeants dans tous les domaines. Une de ses manifestations est l’émergence du pouvoir politique comme sphère séparée de l’activité humaine.

Les PARTIS qu’ils visent ouvertement à la prise du pouvoir d’Etat ou qu’ils ne se donnent qu’un rôle de direction, sont une des expressions de ce phénomène. Un parti politique ne peut être qu’un organisme capitaliste, y compris quand il prend le nom de « parti révolutionnaire ». La gauche et l’extrème-gauche considèrent « le parti » comme le moyen de prendre le pouvoir et de constituer un capitalisme d’Etat sur le dos de la classe ouvrière pour prendre le pouvoir. Pourtant, si l’on considère que le parti est l’organisation de la classe ouvrière et que la tâche fondamentale de la classe ouvrière est la dictature politique, on ne peut pas longtemps éviter d’admettre que la dictature du prolétariat sera exercée par le parti.

Les SYNDICATS, organismes basés sur la vente et la détermination du prix de la force de travail, ne peuvent être que des obstacles à l’autonomie du prolétariat.
L’évolution du capitalisme les a conduit à participer, en tant qu’institutions, à la gestion et à l’encadrement du travail salarié dans de multiples structures (étatiques, mixtes, paritaires,…).
Lors de chaque guerre capitaliste, ils ont participé avec enthousiasme à « l’effort national », contribuant à l’envoi des travailleurs au front et au maintien de la discipline de la production à l’arrière.
Le fonctionnement du syndicalisme repose sur l’organisation capitaliste du travail, la délégation de pouvoir, la démission de la « base » et le culte de la représentation.
La fonction des syndicats (gestion et régulation du marché du travail par rapport aux besoins du capital) et leurs rôles idéologiques (défense du réformisme, de l’intérêt national, de l’entreprise, de l’individualisme,…), d’encadrement des travailleurs (jusqu’à la violence physique) en font des piliers de l’ordre capitaliste au sein de l’entreprise. Quant à la conception anarcho-syndicaliste, syndicaliste « révolutionnaire », outre le fait que l’autogestion n’est que la gestion ouvrière de la production marchande, sa conception du syndicat gérant la société se situe sur le même terrain de substitution d’une organisation préalable au mouvement réel de lutte du prolétariat que les partis et syndicats traditionnels.

La lutte du prolétariat pour son autonomie ne peut se réaliser qu’en dehors et contre les partis et les syndicats, jusqu’à leur disparition.
Les ELECTIONS sont un terrain qui perpétue l’atomisation des prolétaires, fondus dans la catégorie des « citoyens ». Elles s’appuient sur l’idéologie démocratique (débats, suffrage universel, délégation de pouvoir,…) dont le capital se sert pour masquer sa domination de classe. Les prolétaires n’ont rien à faire sur ce terrain totalement étranger à la lutte de classe. L’utilisation des élections, dans le but d’être élu, ou comme « tribune de propagande », est du strict domaine de la politique bourgeoise. Si certaines organisations tentent de récolter plus spécifiquement les suffrages ouvriers, c’est que pour eux le prolétariat n’est pas le sujet historique de la transformation révolutionnaire, mais simplement le groupe le plus important des individus atomisés.
L’ensemble de ces moyens reposent sur les principes capitalistes du chef.

POUR LE COMMUNISME

LA REVOLUTION COMMUNISTE
Le communisme, c’est la réalisation de la communauté humaine, par la réalisation de la communauté humaine, par la destruction du capital, de l’économie marchande et du salariat sur le plan mondial. Il implique donc la suppression de toute concurrence sociale, économique, politique, entre les individus. Ceci passe par la mise en commun des moyens de production nécessaires à la satisfaction des besoins humains, afin de supprimer la séparation en classes sociales, professions, nations, états… Cette perspective est contradictoire avec les solutions de sauvetage du système capitaliste que sont les nationalisations, le contrôle ouvrier ou l’autogestion.
La révolution communiste, mouvement social du prolétariat, devra s’attaquer à l’ensemble des rapports capitalistes (politiques, économiques, idéologiques,…) pour détruire de fond en comble l’Etat, expression politique de la domination du capital, et ceci à l’échelle de la planète.
Le communisme c’est la libération et la transformation radicale de l’activité humaine, ce changement dans l’histoire de l’humanité nécessitera donc l’abolition des survivances des modes de production antérieurs.

L’AUTONOMIE DU PROLETARIAT
L’autonomie du prolétariat signifie son indépendance politique par rapport aux autres classes sociales, à l’Etat et à ses institutions, aux divisions nationales ; vers l’auto-organisation de l’ensemble de la classe. En ce XX° siècle, elle s’exprime dans les luttes de masse, la tendance à ce que les travailleurs s’organisent eux-mêmes par le moyen d’assemblées générales souveraines, de comités de grève sous le contrôle strict des grévistes,… autant de formes d’organisation produites par l’expérience historique des masses. Seule cette auto-organisation peut permettre un véritable engagement de tous dans la lutte, l’unité et la transparence effective des décisions et de leurs applications.
Ce besoin d’autonomie, d’auto-organisation du prolétariat, qui s’est manifesté dans le passé comme dans certaines luttes actuelles, existe à l’état latent, parmi les travailleurs, même si c’est sous des formes mystifiées. C’est uniquement de son développement que dépend la possibilité du communisme.

LA DICTATURE DU PROLETARIAT
Dans le processus révolutionnaire, cette autonomie s’affirme par la dictature du prolétariat qui n’est rien d’autre que l’exercice direct de son hégémonie. Cette dictature ne peut pas coexister avec un Etat mais exige sa destruction. Elle ne peut donc être le fait d’un parti, mais celui des organisations de l’ensemble de la classe ouvrière (assemblées de masse, conseils ouvriers,…). Cette notion de dictature signifie que le prolétariat doit utiliser la violence, tant que cela sera nécessaire, pour instaurer le communisme contre la menace des organisations contre-révolutionnaires qui se constitueraient afin de rétablir l’exploitation, le travail salarié, la production marchande et l’Etat. Mais cette conception n’a rien à voir avec celle d’un « Etat prolétarien » car elle est l’expression de la prise en charge de l’activité humaine par les plus larges masses.
N’ayant pas de domination à perpétuer, le prolétariat ne peut assurer de fonction étatique, mais au contraire préparer l’accomplissement de la communauté humaine mondiale. Par conséquent, dans les régions où il aura instauré sa dictature, le prolétariat se trouvera immédiatement confronté aux tâches de renforcement et d’extension de la révolution. Même si les conditions dans lesquelles celle-ci émergera joueront sur les possibilités d’arriver plus ou moins vite à l’abondance, tout rapport marchand devra être immédiatement exclu. Contre toute solution de paix ou de compromis avec un quelconque Etat ou Bloc, le prolétariat ne pourra s’affirmer mondialement qu’en continuant la guerre de classe révolutionnaire, en développant les nouveaux rapports sociaux.

QUI NOUS SOMMES

CONTRE LE SUBSTITUTISME, L’ELITISME, L’AVANT-GARDISME
Si les révolutionnaires, par l’expérience et la réflexion, sont parvenus à accomplir certaines ruptures avec l’idéologie occultant la réalité, leurs organisations ne sont pas détentrices de la conscience de classe. Elles sont simplement parvenue à une clarification imparfaite, issue de l’expérience prolétarienne, permettant leur intervention.
Le rôle des organisations révolutionnaires n’est donc ni primordial, ni déterminant. Le seul facteur primordial est l’auto-mouvement du prolétariat, son expérience sociale. Les organisations voulant constituer des élites, des avant-gardes, cherchent à regrouper sous leur influence le plus grand nombre de travailleurs, au moyen de programmes minimums, qui sont autant d’aménagements de l’exploitation salariale. Pour nous, au contraire, le rôle des communistes n’est pas de s’efforcer à être « populaires » ou reconnus par les masses. Nous sommes un produit et en même temps un facteur actif du mouvement dynamique de classe qui tend à dépasser le terrain du salariat. Nous ne visons pas fondamentalement à une implantation ou à une audience ouvrière, mais à une contribution à l’autonomie de classe.

L’INTERVENTION ET L’ORGANISATION DES REVOLUTIONNAIRES
Pour assurer l’intervention, les communistes sont organisés de façon distincte, même s’ils sont un produit du mouvement de la classe en constitution. Ils ne peuvent viser à représenter celui-ci ou à s’y substituer car leur contribution active a pour objet l’homogénéisation de la conscience de classe. Ainsi, il n’existe pas de concurrence, mais un complémentarité, entre les différentes formes d’organisations contribuant à l’autonomie prolétarienne (organisations autonomes de masse, groupes minoritaires sur les entreprises, groupes de révolutionnaires,…).
Sans rien céder sur leurs positions politiques, les groupes de révolutionnaires oeuvrent au développement de leur propre organisation et au regroupement d’un courant pur l’autonomie prolétarienne. Ce regroupement se fera en excluant tout volontarisme, mais en allant le plus loin possible dans la clarification politique.
Le fonctionnement de l’organisation des communistes implique l’expression individuelle et collective permanente et la centralisation des décisions (prise de décision à la majorité lorsqu’un accord n’est pas intervenu). Il en découle une pratique la plus collective possible.
L’intervention et l’organisation ne peuvent évidemment se concevoir qu’à l’échelle de la planète dans la perspective de la lutte mondiale du prolétariat. Il ne peut donc exister aucune limite territoriale (régionale, nationale,…) ni à l’organisation d’un groupe de révolutionnaires, ni dans les relations entre révolutionnaires organisés distinctement.

NOTRE ACTIVITE
Que ce soit au travers de publications, tracts, inscriptions, discussions, présence physique,… la contribution des révolutionnaires peut se résumer à quelques grands axes.
Leur tâche fondamentale est évidemment de diffuser les expériences ouvrières dans leurs luttes autonomes et les réflexions qu’elles suscitent, de faire connaître les formes de lutte accélérant le processus d’autonomisation du prolétariat par rapport à l’Etat, aux partis et aux syndicats.
La contribution au dégagement de formes d’organisations autonomes au sein du prolétariat. En l’absence de mouvements pouvant déboucher sur des assemblées de masse, cela peut revenir à favoriser le groupement de travailleurs radicaux au sein de l’entreprise.
Les révolutionnaires peuvent favoriser la formation, l’existence et la création de contacts et de liaisons solides et directes entre eux. Pour autant, l’action des groupes de révolutionnaires ne peut être dépendante de leur existence. Elle ne peut non plus être dirigée exclusivement vers les entreprises, mais aussi vers d’autres lieux où des prolétaires (« bénéficiant » d’un travail ou non) sont regroupés.
La mise en avant de la nécessité d’une unification se situant au-delà du terrain de l’entreprise. Les révolutionnaires sont évidemment parties prenantes de toute lutte réelle, même partielle, mais en désignant la perspective de leur dépassement telle qu’ils la conçoivent, et non en la figeant à un stade revendicatif. Les organisations de révolutionnaires n’ont pas à inventer ou à propager des revendications pour la lutte… même anti-hiérarchiques. C’est un fait que le processus de la lutte de classe passe par des phases revendicatives, mais elles n’ont pas pour autant à bloquer le mouvement à ce stade. Les révolutionnaires n’ont pas à mettre en évidence de « pieux mensonges » pour améliorer leur audience ou tenter de provoquer artificiellement une « mobilisation ». Ils doivent combattre les illusions sur d’éventuelles réformes et montrer ce qu’elles dissimulent.
De ce qui précède, il ressort qu’il ne s’agit pas de « négliger » telle ou telle lutte parce qu’elle n’est pas immédiatement révolutionnaire ; il s’agit au contraire d’y apporter notre contribution directe ou indirecte suivant nos forces et possibilités. Il s’agit de montrer clairement quelles sont les formes par lesquelles les travailleurs peuvent contrôler leurs luttes sans dissimuler leurs limites et leurs perspectives de dépassement. Il s’agit d’insister sur la nécessité d’affronter directement les syndicats et de forger des organes autonomes qui en se reliant brisent le carcan de l’entreprise.
Ces perspectives pratiques sont indissociables du travail ininterrompu de clarification auquel les révolutionnaires sont confrontés :
- compréhension des luttes actuelles (apports, limites,…) en relation avec l’évolution mondiale du capitalisme ;
- critiques des expériences révolutionnaires passées, ainsi que des conceptions idéologiques qui s’y sont rattachées (marxisme, anarchisme, élitismes divers) ;
- critiques des organisations actuelles se réclamant du socialisme, du communisme ou du syndicalisme ; des organisations critiquant les « excès » du capitalisme (écologistes, féministes, squatters,…) en en dissimulant les racines, et étude du pourquoi de leur existence ;
- Réflexion sur le problème de l’organisation des révolutionnaires, tel qu’il s’est posé et tel qu’il se pose aujourd’hui, et sur les rapports entre minorités révolutionnaires et prolétariat ;
- Réflexion sur les problèmes fondamentaux de l’autonomie prolétarienne, du dépassement du terrain revendicatif, de l’abolition du salariat,…
Cette indispensable clarification est inséparable de la nécessité d’une presse révolutionnaire. Les groupes révolutionnaires n’étant ni des cercles de discussion ni des groupes d’études, ils ne peuvent que viser à la répercussion des positions auxquelles ils sont parvenus le plus largement possible et avec un maximum de régularité. Ils doivent donc s’efforcer de concrétiser leur réflexion dans des périodiques permettant de dépasser le cercle des « initiés », avec un sérieux excluant à la fois le volontarisme et le dilettantisme.

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
INTERROGATIONS POUR LA COMMUNAUTE HUMAINE (1989-90)

Nous sommes quelques uns et quelques unes réunis par notre rejet de la société actuelle et notre aspiration à une communauté humaine rompant avec tous ses fondements. Cette société que nous rejetons, nous l'appellerons capitalisme, étant entendu que par ce terme nous ne désignons pas une forme particulière de propriété mais un rapport social (un mode de relation entre les individus se concrétisant en institutions, idéologies, adhésion à certains modes de vie,...). Par rupture avec ses fondements, nous ne voulons pas uniquement dire qu'il s'agit d'abandonner les bases de fonctionnement de cette société, mais aussi qu'il ne faut pas attendre qu'elle sécrète - pour ainsi dire mécaniquement - les agents de son effondrement. Nous ne participons pas à la croyance pensant que le développement du capitalisme pourrait conduire (brutalement ou non) à une libération de l'humanité, ou qu'une des classes sociales de cette société pourrait s'autonomiser par rapport à celle-ci et parvenir à une conscience globale des "transformations" à y apporter. Non pas que ce système est figé, mais le développement du capitalisme ou l'affirmation de classes (ou couches sociales) capitalistes ne peuvent engendrer qu'une version encore plus inhumaine de celui-ci.
Rompre avec le rapport social capitaliste nécessite de faire table rase des systèmes de valeurs qui l'imprègnent : grands systèmes philosophiques, religieux, idéologiques,... mais aussi petits systèmes de justification quotidienne, préjugés,... Il n'est pas possible de fixer à l'avance les formes que pourrait prendre cette rupture. Mais il est souhaitable de discerner dans les amorces de rebellions sociales ce qui est porteur de l'aspiration à un autre monde, en opposition à ce qui ne vise qu'à un simple aménagement. Tout autant, il est nécessaire de mettre à jour les fondements matériels et idéologiques au travers desquels le système se reproduit. Le refus d'une telle clarification ne conduit qu'à se situer en souteneur de diverses expressions de la restructuration continuelle du capitalisme sous les prétextes les plus fallacieux : quelque chose bouge, des actions violentes ou illégales se déroulent, des Etats dominés par les grandes puissances contestent cette domination,...
Sans prétendre faire un catalogue des valeurs dominantes de ce monde, nous présentons ci-dessous nos réflexions sur certaines d'entre elles (d'ailleurs étroitement liées) qui nous paraissent tenir un rôle central : le travail, la démocratie, le progrès,...

CRITIQUE DU TRAVAIL
En critiquant le travail, nous ne nous en prenons pas à l'activité humaine... bien au contraire ; mais à une activité se déroulant généralement en pure perte, sans que ceci représente une nécessité réelle pour les exécutants que le travail enchaîne ou pour les autres êtres humains. Le rejet du travail implique le rejet de ses structures d'encadrement : l'entreprise, le syndicat (et au delà le syndicalisme). L'entreprise n'est pas le cadre naturel de notre activité, en particulier productive. Elle est le lieu de la production et de la circulation des marchandises, de la gestion des humains. Elle est cette prison dont on ne s'échappe quotidiennement que contre la certitude que les contraintes sociales nous y reconduiront bon gré mal gré le lendemain. Dans une société où à peu près rien ne peut se faire sans argent, la simple contrainte économique suffit en effet généralement à nous maintenir dans cet emprisonnement. De plus, afin d'empêcher tout ce qui risquerait de mettre en cause son fonctionnement normal, sans heurts, il est nécessaire que la force de travail (c'est à dire vous et nous) soit bien encadrée tout en ayant le sentiment d'être partie prenante dans la marche de l'entreprise. Ceci se fait au travers de structures hiérarchiques et de concertation, au travers en particulier des syndicats même si ceux-ci ont perdu une partie de leur base militante. Les syndicats représentent les structures d'encadrement direct des salariés. Leur force réside dans le fait qu'ils sont d'une part un des pouvoirs de l'entreprise (c'est pourquoi l'Etat les subventionne, accorde des droits syndicaux) imposé en tant que tel aux salariés ; et d'autre part un produit de la servitude de ces mêmes salariés, de leur difficulté à concevoir leur vie indépendamment de l'entreprise. Aussi, même si les appareils syndicaux sont les obstacles auxquels les individus révoltés se trouvent directement confrontés dans les entreprises, le rejet du syndicalisme ne peut se limiter à leur dénonciation. Il faut s'attaquer à l'idée syndicale elle-même, c'est à dire à l'acceptation de se définir comme salariés, tout changement de vie se ramenant alors à un changement de condition dans le cadre du lieu de travail. Que ce changement se fasse par la voie de la négociation ou par des luttes revendicatives, il débouche toujours sur la même résignation, l'acceptation de ce monde tel qu'il est.
Nous ne disons pas qu'il faut accepter de travailler dans n'importe quelles conditions, se vendre à n'importe quel prix, mais il ne faut pas s'illusionner sur le débouché de ces résistances quotidiennes. S'il y a quelque chose à en tirer, c'est surtout de fournir une possibilité (parmi d'autres) de réflexion sur la vie que nous menons, de mieux connaître les gens et forces (amis et ennemis,...) auxquels nous sommes confrontés,... Mais rien d'important ne se fera en dehors d'une remise en cause globale de l'entreprise et du travail. Cette remise en cause nécessite non seulement de balayer l'idéologie des directions syndicales, mais aussi les idéologies de rechange de ceux qui critiquent ces directions... mais en se situant sur le même terrain. Ceci vise bien sûr ceux qui sont prêts à monter à l'assaut des appareils pour en devenir les dirigeants, mais aussi ceux qui s'y refusant voudraient faire du "syndicalisme propre" à la base, reconstruire de nouveaux syndicats, ou ré-organiser les individus toujours sur la base du travail et de l'entreprise sous forme de coordinations néo-syndicales, de structures auto-gestionnaires,...

CRITIQUE DE LA DEMOCRATIE
Notre rejet de la démocratie n'a rien de commun avec un dégoût aristocratique pour toute décision ne provenant pas d'une élite ou d'une direction éclairée. Nous ne sommes pas effrayés par la tendance (par ailleurs bien rare) que peuvent avoir certains groupes de personnes à prendre leurs affaires en mains ; nous le sommes par contre par la force du capitalisme capable - grâce à la démocratie - de dévoyer ce qui pourrait le remettre en cause sur la voie d'un formalisme politicien.
Tout comme notre critique du travail et du syndicalisme illustre notre manque de respect pour l'économie, notre critique de la démocratie illustre notre manque de respect pour la politique. Comment ne pas voir que la politique n'est que la représentation de rapports artificiels, abstraits, entre des êtres isolés, sans profondes relations les uns avec les autres. Aussitôt que des liens un tant soit peu humains se lient ces artifices éclatent. Au sein d'un petit groupe comme le nôtre qui - même s'il ne peut totalement se soustraire aux pressions du monde environnant - ne peut reposer que sur la confiance mutuelle et l'affinité de pensée, toute démocratie serait à vrai dire odieuse. Elle signifierait que certains ont des intérêts particuliers à défendre, des positions à faire passer par des voies politiques, du pouvoir à acquérir,... Ce qui vaut ici pour un petit groupe vaut aussi pour une communauté plus large. Prenons l'exemple de la communauté de lutte formée par des grévistes dans un mouvement social combatif. Lorsque le mouvement est ascendant, des initiatives variées apparaissent et bien souvent chacun y trouve sa place et y noue les contacts nécessaires. Au contraire lorsque ce même mouvement se fige ou décline, avec l'apparition de divisions entre participants, les procédures démocratiques et politiciennes se multiplient annonçant la fin prochaine tout en l'accélérant.
La démocratie est une des expressions fondamentales du rapport capitaliste. Elle ne s'oppose pas au totalitarisme, elle est le totalitarisme, c'est à dire le pouvoir de la société d'imposer des normes communes à l'ensemble de ses sujets. La permissivité dont se gargarise le système (ce qu'il nomme souvent les libertés) ne fait que fixer les frontières de ce qui peut être dit ou fait sans que ceci n'aît aucune conséquence réelle. Dans ce cadre, l'Etat démocratique est tour à tour gardien des valeurs éternelles et contestation de ces valeurs, représentant de la rigueur et amuseur public, policier et trafiquant,... Le monde de la démocratie n'est finalement qu'un théâtre de bas étage, un spectacle permanent où tous les rôles se valent puisque force reste toujours à l'argent, au pouvoir et à l'Etat.

CRITIQUE DU PROGRES
Une des forces de la société démocratique est sans doute qu'elle réussit même à berner certains de ceux qui tentent d'ébaucher sa critique, mais confondent la liberté mise en spectacle avec la liberté elle-même. Ce type d'illusion vaut également pour un autre pilier de la société moderne, ce que l'on nomme généralement "le Progrès". L'idéologie du progrès peut finalement se résumer en une courte formule : "Ce qui est est bien, et ce qui va suivre est encore mieux" ! Rien de plus général que l'adhésion religieuse au culte du progrès. Et pourtant, à y regarder de plus près, les fondements de ce culte (comme de tous les cultes) sont on ne peut plus grossiers. Accepter ce culte, c'est d'abord accepter qu'il y aît un sens de l'histoire (le progrès ne représentant que les avancées dans cette direction), autrement dit que les hommes ne créent pas leur propre activité, mais sont inspirés par une puissance qui leur échappe,... vision religieuse par excellence. C'est ensuite toujours mettre en avant les mêmes images saintes (l'avancée de l'alphabétisation, de l'hygiène,...) tout en considérant que les aspects les plus difficiles à défendre (massacres de populations, catastrophes écologiques,...) ne sont que des incidents de parcours.
Ce qui est remis ici en cause n'est pas l'utilisation par les humains de techniques, de procédés, dans les multiples actions de leur vie. Notre espèce y recourt certainement depuis la nuit des temps, comme d'autres animaux mais de façon significativement plus sophistiquée. Ces techniques ne constituent d'ailleurs - en elles-mêmes - qu'une part nullement privilégiée du vécu humain, parmi d'autres comme les relations à autrui et à la nature, la connaissance de son corps, l'éveil progressif des sentiments et des sensations,... Ce que nous contestons est l'émergence comme sphère autonome des techniques et de leur théorisation. Cette émergence signifie d'une part que l'homme n'a plus vraiment le choix de ses moyens. Il doit adhérer à la tendance technologique du moment, sous peine d'être catalogué comme passéiste, plus du tout dans le coup et en tout cas pas du tout performant ! Il est à la limite rejeté par ses contemporains s'il ne partage pas leurs obsessions. Plus, il doit pour accéder à la conformité façonner son esprit et son corps à l'image de cette tendance technologique. Peu importe que ses sens s'atrophient, s'il est le possesseur de la dernière prothèse-gadget mise sur le marché. Il suffit de croiser ces troupeaux de zombies, écouteurs sur les oreilles, le regard vide à force de fixer les écrans (de téléviseur, d'ordinateur,...) pour constater la vacuité de la thèse des incidents de parcours. Il n'y a ni incident ni bavure. Tous les développements à venir de la "société de progrès" ne pourront produire que plus de zombies, plus de déprimés et de dingues, plus d'ulcères et de maladies cardio-vasculaires ; des villes à la botte de la marchandise mais vidées de leurs habitants stockés dans des dortoirs périphériques, un tiers-monde refoulé vers un abrutissement croissant ou un anéantissement accéléré. Il n'y a nulle amélioration à attendre de leur progrès. Une telle "amélioration" ne peut être que poudre aux yeux répandue par toutes sortes de prêcheurs, politiciens ou chanteurs contestataires. Il ne peut pour nous s'agir que d'abandonner ce qui fonde ce monde au moins depuis la soumission de cette partie de la planète au système Gréco-romain, à la Renaissance,... Non pas pour reconstituer les antiques communautés barbares, mais trouver (parfois retrouver) les moyens de nos aspirations.

Ces quelques réflexions ne prétendent pas épuiser les points soulevés, tout comme elles passent sous silence d'autres questions importantes pour la critique de la civilisation. Par exemple : critiques du nationalisme, de la religion et du spiritualisme, des diverses idéologies de "libération" ( sexuelle, culturelle,... ), des sociétés autres que celle ou nous vivons... Le sujet est inépuisable ; et ce qui est important n'est pas de critiquer tel ou tel aspect particulier, c'est le point de vue à partir duquel est fait cette critique. Ce point de vue, nous le nommerons cohérence, globalité1,... ou plutôt recherche de celles-ci. Cette recherche nous l'assurons, souvent avec difficulté. D'autres également. Ce ne sont pas pour nous des concurrents ; plutôt des compagnons dont nous nous trouvons formellement séparés à cause de différences d'itinéraires individuels ou de la distance géographique. Des divergences peuvent exister entre eux et nous (tout comme d'ailleurs entre nous), mais il n'est nullement besoin de les surestimer, de chercher à tout prix "ce qui nous distingue", de vouloir trancher de façon absolue sur tel ou tel point particulier. Il s'agit de distinguer entre ce qui participe de la critique de la civilisation et de l'aspiration à notre libération et ce qui ne vise qu'à aménagement ou renforcement du système. Dans ce cadre, nous recherchons une cohérence maximale, ce qui n'a rien à voir avec un quelconque monolithisme. Pour nous, le cadre de cette recherche n'est pas un groupe politique ou militant dans le sens traditionnel du terme - fondé sur une plate-forme idéologique et fonctionnant au travers de procédures démocratiques - mais plutôt ce que l'on peut nommer un "groupe affinitaire" reposant sur des sentiments et des rejets communs face à ce monde, et surtout sur la confiance partagée qui seule permet d'être autre chose qu'une somme d'individus... ou un racket. Certains compagnons qui nous sont plus ou moins proches font un autre choix : celui que l'on peut nommer de l'individualisme, les individus concernés pouvant pratiquer (ou subir) un certain isolement ou à l'inverse la multiplication de contacts strictement informels.

Sans prononcer aucune condamnation, nous craignons que ce choix constitue une impasse, tant individuelle que collective. Alors que l'atomisation de l'individu est une des bases de la domination, tout ce qui peut favoriser l'isolement d'un individu non-résigné est une victoire de plus de la société. On peut d'ailleurs remarquer que l'affirmation de l'individu est souvent, pour ceux qui sont prêts à céder aux offres d'intégration du système, un moyen de trouver une porte de sortie. Sans aller jusque là, l'absence de relations affinitaires un tant soit peu formelles risque de conduire, lorsque le besoin de "faire quelque chose" se fait ressentir, à y substituer des relations de fortune vis-à-vis desquelles il n'est guère aisé d'être trop exigeant . Bien vite alors -au nom d'un individualisme justifié par l'anti-militantisme- émergent des rapports politiques de la pire banalité.

Notre mouvement de refus de la civilisation n'a besoin ni de grands esprits, ni de penseurs sublimes. A ceux-là l'establishment offre déjà suffisamment de moyens de faire carrière sans qu'ils prétendent en plus nous imposer leur marchandise ou leur compagnie. Autrefois, on utilisait pour désigner les personnes qui réclamaient le partage et la communauté des biens le terme de partageux. Nous voudrions êtres des partageux du refus de ce monde. Ce partage, nul n'en a l'exclusivité. S'il prend aujourd'hui naissance dans la conscience d'individus isolés, c'est en dépassant cette forme individuelle qu'il pourra s'approfondir et s'épanouir, sans pour autant tolérer une réduction des êtres à des stéréotypes.
Le seul programme que nous avons à offrir à notre espèce, c'est la communauté ET l'être humain.
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Re: Autonomes

Messagede Antigone le Ven 5 Fév 2010 15:02

Pendant toute la décennie des années 80, l'ex-PIC a évolué en étant de plus en plus influencé par les idées du SPGB dont l'organe francophone était Socialisme mondial et qui était représenté en France par un luxembourgeois, Adam Buick.
Les anglophones du groupe en traduisaient les textes et la correspondance avec délectation. En voici un dont l'esprit est très... anarchiste.


L'ABOLITION DU TRAVAIL
Extraits traduits de Bob Black, The Abolition of Work (septembre 1985)

Personne ne devrait jamais travailler.
Le travail est la source de la plupart des misères du monde. La plupart des maux que nous connaissons proviennent du travail, ou de la vie dans un monde façonné pour le travail. Afin de mettre un terme à la souffrance, nous devons arrêter de travailler.
Ceci ne veut pas dire qu'il faille arrêter de faire des choses. Ceci signifie créer une nouvelle façon de vivre fondée sur le jeu ; en d'autres termes une révolution ludique. Par jeu j'entends aussi réjouissance, créativité, convivialité et peut-être même art. Jouer implique autre chose que ce qui existe dans le jeu de l'enfant, quoique cela soit déjà estimable. Je revendique une aventure collective dans une joie généralisée et une exubérance librement interdépendante. Jouer n'est pas passif. Sans aucun doute nous avons tous besoin de beaucoup plus de temps que nous en avons maintenant pour décompresser et paresser sans nous soucier de revenus ou de tâches à effectuer ; mais après avoir récupéré de l'épuisement du labeur, la plupart d'entre nous veulent agir. Oblomovisme et Stakanovisme sont les deux faces d'une même médaille sans valeur.
La vie ludique est totalement incompatible avec la réalité existante. Tant pis pour la réalité, ce trou béant où se perd le peu de vitalité qui distingue encore la vie de la simple survie. Curieusement - ou peut-être pas - toutes les anciennes idéologies sont conservatrices car elles croient au travail. Quelques-unes d'entre-elles, comme le marxisme et la plupart des courants anarchistes, croient dans le travail tout aussi ardemment parce qu'elles ne croient pas en grand chose d'autre.
Les gens de gauche disent qu'il faut mettre fin à la discrimination dans le travail. Je dis que nous devrions mettre fin au travail. Les conservateurs défendent la liberté du travail. Comme le gendre rebelle de Karl Marx, Paul Lafargue, je défends le droit à la paresse. Les gauchistes sont en faveur du plein-emploi. Comme les surréalistes - excepté que moi je ne blague pas - je suis en faveur du plein-désemploi. Les trotskistes militent pour la révolution permanente. Je suis pour la bombance permanente. Mais si tous les idéologues préconisent le travail - pas seulement parce qu'ils projettent que d'autres travaillent à leur place - ils sont pour le moins étrangement évasifs là-dessus. Ils discourent inlassablement sur les salaires, les horaires, les conditions de travail, l'exploitation, la productivité, le profit. Ils parleront volontiers de n'importe quoi, mais pas du travail lui-même. Ces experts qui offrent de penser à notre place livrent très rarement leurs conclusions sur le travail, sur toutes ses répercussions dans notre vie à tous. Entre eux, ils chicanent sur les détails. Bien qu'ils marchandent sur le prix, les syndicats et les directions d'entreprises sont d'accord sur le fait que nous devons vendre le temps de nos vies en échange de la survie. Les marxistes pensent que nous devrions être dirigés par des bureaucrates. Les libéraux pensent que nous devrions être dirigés par des hommes d'affaires. Les féministes se moquent bien de la forme que la direction peut prendre du moment que les dirigeants sont des femmes. Il est clair que ces marchands de soupe idéologique ont de sérieuses divergences sur la manière de s'approprier le gâteau du pouvoir. Il est tout aussi clair qu'aucun d'entre eux n'a d'objection sur le pouvoir en tant que tel, et que tous veulent nous maintenir au travail.
Vous devez vous demander si je plaisante ou si je suis sérieux. Je suis à la fois sérieux et en train de plaisanter. Être ludique n'est pas être grotesque. Jouer ne doit pas être frivole, bien que la frivolité ne soit pas trivialité ; très souvent nous devrions prendre la frivolité au sérieux. J'aimerais que la vie soit un jeu, mais un jeu avec de grands enjeux. Je veux jouer pour de bon.
L'alternative au travail n'est pas seulement l'oisiveté. Être ludique n'est pas être un petit rigolo. Quoique je prise fort le plaisir de la torpeur, il n'en vaut jamais autant la peine que quand il ponctue d'autres plaisirs et passe-temps. Je ne suis pas non plus, loin de là, partisan de ce que l'on appelle "loisir", un temps-discipliné tenant lieu de soupape de sécurité . Le loisir, c'est du non-travail dans l'intérêt du travail. Le loisir, c'est le temps dépensé à récupérer du travail, dans une tentative forcenée et frénétique mais sans espoir d'oublier le travail. Beaucoup de gens reviennent des congés si abattus qu'ils attendent la reprise du travail pour se reposer. La principale différence entre travail et loisir est qu'au travail au moins vous êtes payés pour votre aliénation et votre énervement.
Je ne joue pas sur les mots avec qui que ce soit. Quand je dis que je veux abolir le travail, je pense strictement ce que je dis, mais je veux définir ce que je pense en des termes qui ne me soient pas strictement personnels. Ma définition minimum du travail est labeur forcé , c'est à dire production obligatoire. Ces deux éléments sont essentiels. Le travail est une production mise en vigueur par des moyens économiques ou politiques, par la carotte ou le bâton. (La carotte est pareille au bâton, seuls les moyens changent). Mais toute création n'est pas du travail. Le travail n'est jamais réalisé pour lui-même, il est au service d'une certaine production ou d'un certain rendement que le travailleur (ou, le plus souvent quelqu'un d'autre) en retire. Le travail est nécessairement cela. Le définir c'est le mépriser. En général le travail est encore pire que sa définition. La dynamique de la domination intrinsèque au travail tend au cours du temps à s'élaborer. Dans les sociétés industrielles, capitalistes ou "communistes", rivées au travail, celui-ci acquiert invariablement d'autres attributs qui en accentuent le côté haïssable.

Habituellement -et c'est encore plus vrai dans les pays "communistes" que capitalistes, où l'État est à peu près le seul employeur et où chacun est un employé- le travail est un emploi, c'est à dire un travail salarié, qui signifie se vendre à crédit. Ainsi, 95% des américains qui travaillent, travaillent pour quelqu'un (ou quelque chose) d'autre. En URSS, ou à Cuba, en Yougoslavie, au Nicaragua, ou dans n'importe quel autre modèle qui pourrait être invoqué, le chiffre correspondant approche les 100%. Seuls les bastions paysans du tiers-monde -Mexique, Inde, Brésil, Turquie, abritent temporairement des concentrations significatives d'agriculteurs qui perpétuent le dispositif traditionnel de la plupart des travailleurs depuis des millénaires : le paiement de taxes (=rançons) à l'État ou d'un loyer à des propriétaires parasites afin qu'on leur fiche la paix. Même ce marchandage va finir par nous sembler bon. Tous les travailleurs de l'industrie (et des bureaux) sont employés et sous un type de surveillance qui assure la servilité.
Le travail moderne a les pires implications. Les gens ne travaillent pas seulement, ils ont des "boulots". Une personne remplit une tâche productive tout le temps, qu'elle le veuille ou non. Même si la tâche en elle même a un tant soit peu d'intérêt (bien que de plus en plus de boulots n'en aient pas), son caractère obligatoire et exclusif entraîne une monotonie qui draine son potentiel ludique. Une activité qui pourrait engager les énergies de quelques uns, pour le plaisir, pendant un temps raisonnablement limité, est juste un fardeau sous lequel vous devez travailler quarante heures par semaine sans rien à dire sur comment il devrait être fait, pour le profit de possédants qui ne contribuent en rien au projet, sans aucune possibilité de partage des tâches ou de répartition du travail entre ceux qui l'exécutent. Ceci est le vrai monde du travail : un monde de maladresse bureaucratique, de harcèlement sexuel et de discrimination, de salauds de patrons exploitant et prenant comme boucs-émissaires leurs subordonnés qui -selon un> critère rationalo-technique- devraient organiser le travail. Mais le capitalisme dans le monde réel subordonne la maximalisation rationnelle de la productivité et du profit aux exigences du contrôle organisationnel. L'humiliation dont la plupart des travailleurs font l'expérience au boulot est la somme d'affronts de toutes sortes qui peuvent être appelés "discipline". Cette discipline est la totalité des moyens de contrôles totalitaires sur le lieu de travail - surveillance, travail de routine, rythme de travail imposé, quotas de production, pointeuses, etc... Elle est ce que le magasin, l'usine et le bureau ont en commun avec la prison, l'école et l'hôpital psychiatrique. C'est quelque chose d'historiquement original et horrible qui dépasse les capacités de dictateurs d'autrefois aussi démoniaques que Néron, Gengis Khan ou même Ivan le Terrible. Malgré leurs mauvaises intentions, ils ne disposaient pas pour contrôler leurs sujets de la machinerie si minutieusement mise en place par les despotes modernes. La discipline est par excellence le mode de contrôle moderne diabolique, une innovation qui doit être prohibée à la première occasion.

Ainsi est "le travail". Jouer est exactement l'opposé. Jouer est toujours volontaire. Ce qui pourrait être du jeu devient du travail si on y est forcé... Les conséquences du jeu, s'il y en a, sont gratuites. Jouer et donner sont très proches, ce sont les facettes comportementales et transactionnelles d'une même impulsion, l'instinct de jeu. Les deux montrent un dédain aristocratique des résultats. Le joueur trouve son compte en jouant. C'est pourquoi il joue. Mais la récompense réside dans l'expérience de l'activité elle-même quelle qu'elle soit. Certains qui ont étudié le jeu avec précision, comme Johan Huizinga2(Homo Ludens) le définissent comme jouer le jeu ou suivre les règles. Je respecte l'érudition de Huizinga, mais je rejette complètement sa définition étroite. Il y a beaucoup de bons jeux3 (échecs, base-ball, monopoly, bridge) qui sont soumis à des règles, mais jouer c'est bien plus que suivre les règles. La conversation, le sexe, la danse, le voyage -ces activités ne sont pas soumises à des règles mais elles sont assurément du jeu. Et on peut également jouer avec les règles elles-mêmes.
Le travail est une parodie de liberté. Selon la ligne officielle, nous avons tous des droits et vivons dans une démocratie. D'autres malheureusement ne sont pas libres comme nous et doivent vivre dans des États policiers. Ces victimes obéissent à des ordres aussi arbitraires qu'ils puissent être. Les autorités les gardent sous surveillance continue. Les bureaucrates de l'État contrôlent même les plus petits détails de la vie quotidienne. Les officiels qui les pressent de toutes parts ont à répondre seulement à leurs supérieurs, publics ou privés. D'une manière ou d'une autre, la dissidence et la désobéissance sont punies. Des informateurs rendent compte régulièrement aux autorités. On nous dit que tout ceci est une très mauvaise chose.
Et ça l'est, mais ce n'est rien d'autre qu'une description du lieu de travail moderne. Les progressistes et les conservateurs ainsi que les libéraux qui se lamentent devant le totalitarisme sont des imposteurs et des hypocrites. Il y a plus de liberté dans n'importe quelle dictature modérément déstalinisée qu'il y en a dans un quelconque lieu de travail américain. On trouve le même genre de hiérarchie et de discipline dans un bureau ou une usine que dans une prison ou un monastère. En fait, comme Foucault et d'autres l'ont montré, les prisons et les usines sont apparues à peu près au même moment, et leurs organisateurs ont échangé consciemment leurs techniques de contrôle. Le travailleur est un esclave à temps partiel. Le patron dit quand il faut se présenter, partir et ce qu'il faut faire dans l'intervalle. Il vous dit quelle masse de travail fournir et à quelle vitesse. Il est libre d'exercer son contrôle en vous humiliant à l'extrême, en déterminant s'il en a envie les vêtements que vous portez ou le nombre de fois où vous allez aux toilettes. A de rares exceptions près, il peut vous flanquer à la porte avec ou sans raison. Il vous a à l’œil grâce à des mouchards ou des chefs, il amasse un dossier sur chaque employé. Répondre est appelé insubordination, comme si un employé était un vilain garnement, et non seulement cela peut vous faire flanquer dehors mais vous empêcher d'obtenir une indemnité de licenciement. Sans nécessairement assimiler l'un à l'autre, on peut constater que des enfants à la maison ou à l'école reçoivent le même traitement, justifié dans leur cas par leur immaturité supposée. Qu'est-ce que cela signifie venant de leurs parents et maîtres qui travaillent ?

Il y a bien des motifs pour appeler notre système démocratie ou capitalisme ou -mieux encore- industrialisme, mais ses véritables noms sont fascisme d'usine ou oligarchie de bureau. Le système dégradant de domination dont j'ai décrit les règles règne sur la moitié du temps de la majorité des femmes et de la plupart des hommes pendant des dizaines d'années, durant la majeure partie de leur vie. Quiconque dit que ces gens sont libres est un menteur ou un imbécile. Vous êtes ce que vous faites. Si vous faites un travail assommant, stupide, monotone, il y a des chances pour que vous finissiez assommant, stupide, et morose. Le travail est une meilleure explication à la crétinisation diffuse qui nous entoure que des mécanismes aussi manifestement débilitant que la télévision ou l'éducation. Des gens qui sont enrégimentés toute leur vie, passant de l'école au travail, et encadrés par la famille au début de leur vie et par des maisons de vieux à la fin de celle-ci, sont habitués à la hiérarchie et psychologiquement esclaves. Leur aptitude à l'autonomie est si atrophiée que leur peur de la liberté apparaît comme une phobie rationnellement fondée. Leur dressage à l'obéissance au travail se répercute dans les familles qu'ils fondent, reproduisant ainsi le système en politique, culture et tout le reste. Une fois que vous avez pompé la vitalité des gens par le travail, ils auront tendance à se soumettre à la hiérarchie et aux experts dans n'importe quel domaine. Ils sont habitués à cela.
Nous sommes si près du monde du travail que nous ne pouvons pas voir ce qu'il nous fait . Nous devons nous appuyer sur des observateurs extérieurs d'autres temps ou d'autres cultures pour apprécier à quelle extrémité nous en sommes arrivés et la pathologie de notre position présente...

Supposons un instant que le travail ne rende pas les gens soumis et infirmes. Supposons, au mépris de toute psychologie plausible et de l'idéologie de ses chantres, qu'il soit sans effet sur la formation du caractère. Et, supposons que le travail ne soit pas assommant, fatiguant et humiliant, comme nous savons qu'il l'est réellement. Même alors, le travail serait encore une raillerie de toutes les aspirations humanistes et démocratiques, simplement parce qu'il usurpe trop de notre temps. Socrate disait que les travailleurs manuels font de mauvais amis et de mauvais citoyens parce qu'ils n'ont pas de temps pour remplir les devoirs de l'amitié ou de la citoyenneté. Il avait raison. A cause du travail, quoi que nous fassions, nous gardons l’œil rivé à nos montres. La seule chose "libre" dans le soi-disant temps libre est qu'il ne coûte rien au patron. Le temps libre est en majeure partie dévolu à se préparer au travail, à aller au travail, à revenir du travail et à récupérer du travail. Temps libre est un euphémisme pour désigner un facteur de production (les travailleurs) qui non seulement se transporte à ses propres frais vers le lieu de travail et inversement, mais encore assure la propre responsabilité de son maintien et entretien. Le charbon et l'acier ne font pas cela, les tours et les machines à écrire ne font pas cela. Mais les travailleurs si ! Il n'est guère étonnant que Edward G. Robinson dans un de ses films de gangsters s'exclame :" Le travail c'est pour les cons"!
Platon et Xénophon attribuent à Socrate une perception qu'ils partagent des effets destructeurs du travail sur le travailleur en tant que citoyen et en tant qu'être humain. Hérodote percevait le mépris pour le travail comme un attribut des Grecs classiques au sommet de leur culture. Pour prendre seulement un exemple chez les Romains, Cicéron disait que :" Quiconque donne son travail contre de l'argent se vend lui-même et se place lui-même au rang des esclaves.". Sa franchise est rare de nos jours, mais des anthropologues occidentaux ont été éclairés par les porte-paroles des sociétés primitives contemporaines que nous avons coutume de mépriser. Les Kapauku de l'Ouest de l'Iran, selon Posposil, ont une conception d'une vie équilibrée et travaillent en conséquence un jour sur deux. Le jour de repos est destiné à "retrouver la puissance et la santé perdues". Nos ancêtres, jusqu'au 18ème siècle alors qu'ils étaient loin de notre misérable condition, avaient au moins conscience de ce que nous avons oublié, la face cachée de l'industrialisation. Leur dévotion religieuse à la "Saint Lundi" - établissant ainsi de fait la semaine de 5 jours 150 à 200 ans avant sa consécration légale - fut le désespoir des premiers propriétaires de fabriques. Ils mirent longtemps à se soumettre à la tyrannie de la cloche, ancêtre de l'horloge. Pour répondre aux nécessités industrielles, il fut nécessaire de remplacer pendant une génération ou deux les hommes adultes par des femmes accoutumées à l'obéissance et par des enfants plus malléables. Même les paysans exploités de l'Ancien régime truquaient d'une façon notable le temps de travail dû à leur propriétaire. Selon Lafargue, un quart du calendrier des paysans français était dévolu aux Dimanche et jours fériés, et les représentations de Chayanov de villages de la Russie tsariste - qui peut difficilement être considérée comme une société progressiste - montrent également un quart ou un cinquième des jours des paysans consacré au repos. Nous sommes bien loin derrière ces sociétés arriérées. Les moujiks exploités se demanderaient pourquoi la plupart d'entre nous travaille. Nous devrions aussi nous le demander.

Pour saisir pleinement l'énormité de notre détérioration, considérons la plus ancienne condition de l'humanité, sans gouvernement, sans propriété, quand nous allions à l'aventure comme chasseurs-cueilleurs. Hobbes4 supposait que la vie alors était affreuse, brutale et courte. D'autres pensent que la vie était une bataille désespérée et permanente pour la subsistance, une guerre engagée contre une Nature hostile, la mort et le désastre s'abattant sur les malchanceux, ou quiconque n'étant pas assez fort dans la bataille pour l'existence. En réalité ce n'est qu'une projection des craintes qu'occasionnait l'effondrement de l'autorité gouvernementale sur des communautés non habituées à s'en passer, comme l'Angleterre de Hobbes durant la Guerre Civile. Les compatriotes de Hobbes avaient déjà rencontré des formes de sociétés alternatives qui illustraient d'autres modes de vie -en Amérique du Nord, notamment,- mais celles-ci étaient trop éloignées de leur expérience pour être compréhensibles. (Les gens de plus basse extraction, plus proche de la condition des Indiens, la comprenaient mieux et l'ont souvent trouvée attirante. Tout au long du 17ème siècle, des colons anglais désertèrent vers des tribus indiennes ou, capturés à la guerre, refusèrent de retourner chez eux.. Mais aucun Indien ne déserta pour aller chez les Blancs... La version de la " survie des plus forts"- la version de Thomas Huxley- du darwinisme rendait mieux compte des conditions économiques de l'Angleterre Victorienne que de la sélection naturelle, comme l'anarchiste Kropotkine l'a montré dans son livre "L'Entr'aide : un facteur de l'Evolution" , (Kropotkine était un scientifique, un géographe qui avait eu l'opportunité involontaire de faire des travaux sur le terrain pendant qu'il était exilé en Sibérie: il savait de quoi il parlait). Comme bien des théories sociales et politiques, l'histoire que Hobbes et ses successeurs relatait était réellement de l'autobiographie sans le savoir.

L'anthropologue Marshall Sahlins, analysant les données existantes sur les chasseurs-cueilleurs contemporains , discrédita le mythe Hobbesien dans un article intitulé "La Première Société d'Abondance". Ils travaillent beaucoup moins que nous et leur travail est difficile à distinguer de ce que nous considérons comme du jeu. Sahlins concluait que "les chasseurs et cueilleurs travaillent moins que nous, et que la quête de la nourriture, au lieu d'être un travail continu, est intermittente, les temps libres abondants, et il y a un taux plus important de sommeil par jour/ par personne / et par an que dans n'importe quelle autre société". Ils travaillent en moyenne 4 heures par jour en supposant qu'ils "travaillent". Leur "travail", tel qu'il nous apparaît, est un travail complexe qui met en oeuvre leurs capacités physiques et intellectuelles. Un travail non qualifié sur une grande échelle, comme le dit Sahlins n'est possible que dans une société industrielle. Ainsi leur activité correspond à la définition du jeu de Friedrich Schiller: la seule occasion où un homme réalise sa complète humanité, en donnant "libre cours" aux deux côtés de sa double nature, pensante et sensible. Comme il le soulignait "l'animal travaille quand une privation guide son activité, et il joue quand ce motif est l'épanouissement de sa force , quand une vie débordante est son propre stimulus pour agir"... Même Marx, qui (malgré ses bonnes intentions) appartient au Panthéon productiviste, observait que " le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures". Il ne fut jamais amené à identifier cet heureux événement pour ce qu'il est, l'abolition du travail. Mais c'est possible, même si c'est plutôt exceptionnel d'être pro-travailleurs et anti travail...
Adam Smith dans la Richesse des Nations malgré son enthousiasme pour le marché et la division du travail, était plus vigilant (et plus honnête) vis à vis de la face cachée du travail que ses épigones modernes. Comme il l'observait: " la compréhension de la majorité des hommes est nécessairement formée par leurs emplois habituels. L'homme dont la vie est occupée à faire des opérations simples... n'a pas l'occasion d'exercer sa compréhension.... Il devient généralement aussi stupide et ignorant qu'il est possible à une créature humaine de le devenir." Ceci est, en peu de mots sans ménagement, ma critique du travail. Le problème c'est la révolte contre le travail. Il ne figure dans aucun texte d'économistes du laissez-faire -Milton Friedman, Murray Rothbard, Richard Posner- parce que pour parler comme eux et comme dans "Starstrek", "c'est pas dans l'ordinateur".
Si mes objections, sous-tendues par l'amour de la liberté, n'arrivent pas à persuader les humanistes , il y en a d'autres qu'ils ne peuvent méconnaître. Le travail est dangereux pour la santé . En fait le travail est un meurtre de masse ou un génocide. Directement ou indirectement, le travail tuera la majorité des gens qui lisent ces mots. Entre 14000 et 25000 travailleurs sont tués annuellement aux USA au travail. Plus de 2 millions sont estropiés. 20 à 25 millions sont blessés chaque année. Et ces chiffres sont fondés sur une estimation très modeste de ce qui constitue les accidents relatifs au travail. Ainsi n'est pas comptabilisé le demi-million de cas annuel de maladies professionnelles. J'ai consulté un manuel médical de 1200 pages sur les maladies professionnelles. Même cette mise à jour n'est que superficielle. Les statistiques disponibles recensent les cas effectifs de 100000 mineurs qui présentent une silicose pulmonaire parmi lesquels 4000 meurent chaque année, un taux de mortalité bien plus important que pour le SIDA, par exemple, qui attire si fort l'attention des médias. Ceci reflète l'hypothèse non exprimée que le SIDA5 affecte des pervers qui pourraient contrôler leur dépravation alors que l'extraction du charbon est une activité sacro-sainte qu'on ne peut remettre en question. Ce que les statistiques ne montrent pas c'est que des dizaines de millions de gens ont leur espérance de vie raccourcie par le travail -ce qui n'est après tout rien d'autre qu'un homicide.
Même si pendant le travail vous n'êtes pas tués ou estropiés, vous pourriez très bien l'être en allant travailler, en revenant du travail, en cherchant du travail, ou en essayant d'oublier le travail. La grande majorité des victimes de l'automobile le sont soit en faisant une de ces activités rendues obligatoires par le travail ou encore en entrant en collision avec ceux qui les font. A ce chiffre déjà considérable doivent être ajoutées les victimes de la pollution automobile-industrielle, de l'alcoolisme et de la toxicomanie dus au travail. Le cancer ainsi que les maladies cardiaques sont des affections modernes en rapport direct ou indirect avec le travail.
Le travail institutionnalise l'homicide comme mode de vie. Les gens pensent que les Cambodgiens étaient fous de s'auto-exterminer, mais sommes nous si différents? Le régime de Pol Pot au moins avait une vision, bien que pervertie d'une société égalitaire. Nous tuons des gens par milliers afin de vendre des Big Macs et des Cadillacs aux survivants. Nos 40000 à 50000 accidentés graves de la route, sont des victimes non des martyrs. Ils sont morts pour rien ou plutôt, ils sont morts pour le travail. Mais le travail ne mérite pas qu'on meure pour lui..

Mauvaises nouvelles pour les gens de gauche : le bricolage réformateur est inutile dans ce contexte de vie ou de mort... Le contrôle de l'état sur l'économie n'est pas non plus une solution. Le travail est, si c'est possible, plus dangereux dans les pays socialistes d'état, qu'il l'est ici. Des milliers de travailleurs Russes ont été tués ou blessés en construisant le métro de Moscou. Des histoires circulent à propos de catastrophes nucléaires soviétiques étouffées, à côté desquelles Times beach et Three Miles Island ressemblent à des manœuvres de débutants. D'autre part le désengagement de l'état et la déréglementation actuellement à la mode, n'apporteraient aucune aide et probablement aggraveraient la situation. Du point de vue de la santé et de la sécurité, entre autres, les conditions de travail étaient pires dans les périodes où l'économie était la plus proche du laissez-faire. Des historiens comme Eugène Génovèse ont argués avec persuasion du fait que -comme le soutenaient avant guerre les apologistes de l'esclavage- les salariés de l'Amérique du Nord et de l'Europe étaient plus mal lotis que les esclaves des plantations du Sud. Aucun réaménagement des relations entre bureaucrates et hommes d'affaires ne se traduisent par des différences au niveau de la production.
Ce que j'ai dit jusqu'ici ne devrait pas être contredit. Beaucoup de travailleurs en ont ras-le-bol du travail. Au travail, il y a des taux élevés d'absentéisme, de turnover, de vol et de sabotage par les employés, de grèves sauvages et surtout de "perruque". Certains mouvements pourraient apparaître allant vers un rejet conscient et pas seulement viscéral du travail. Pourtant, le sentiment que le travail lui-même est inévitable et nécessaire s'il prévaut chez les patrons et leurs agents est aussi largement répandu chez les travailleurs eux-mêmes.
Je ne suis pas d'accord. Il est maintenant possible d'abolir le travail et de le remplacer dans la mesure où il sert des buts utiles, par une multitude de nouvelles activités libres. Abolir le travail nécessite d'aller dans deux directions, quantitative et qualitative. D'une part du côté quantitatif nous devons diminuer massivement la quantité de travail . Aujourd'hui, la majeure partie du travail est inutile ou pire et nous devrions simplement nous en débarrasser. D'autre part - et je pense que ceci est le cœur du problème et le nouveau départ révolutionnaire- nous devons recenser quel est le travail utile qui peut rester et le transformer en une diversité d'activités plaisantes proches du jeu et de l'artisanat, ne se distinguant pas d'autres passe-temps agréables excepté qu'ils conduisent à produire des choses utiles. Ceci ne les rendrait pas moins attrayantes à faire pour autant. Alors toutes les barrières artificielles de pouvoir et de propriété pourraient être balayées. La Création pourrait devenir récréation. Et nous pourrions arrêter d'avoir peur les uns des autres .
Je ne suggère pas que la plupart du travail soit récupérable par ce biais. En fait la plupart de celui-ci ne mérite pas d'être conservé. Seule une faible fraction, qui va en diminuant, a un but utile indépendant de la défense et de la reproduction du système de travail et de ses appendices politiques et légaux. Directement ou indirectement la majeure partie du travail sert les buts improductifs de commerce ou de contrôle social. Du coup, on peut libérer des dizaines de millions de vendeurs, de soldats, de managers, de flics, d'agents de change, de prêtres, banquiers, avocats, professeurs, propriétaires, vigiles, agents de publicité et tous ceux qui travaillent pour eux. Il y a un effet boule de neige puisque, à chaque fois que vous mettez en chômage quelques gros bonnets vous libérez ses larbins et aussi ceux qui sont en dessous. Alors l'économie implose.

40% de la force de travail est composée d'employés dont la plupart font quelques-uns des travaux les plus idiots et assommants jamais concoctés. Des industries entières, assurances ou banques et sociétés immobilières par exemple, ne se consacrent qu'au brassage de papiers inutiles. Ce n'est pas par accident que le "secteur tertiaire", le secteur des services, augmente tandis que le "secteur secondaire" (industrie) stagne et que le "secteur primaire" ( agriculture) est en voie de disparition. Parce que le travail est inutile, excepté pour ceux à qui il procure le pouvoir, les travailleurs sont translatés d'occupations relativement utiles à des occupations inutiles afin d'assurer l'ordre public. N'importe quoi plutôt que rien. C'est pourquoi vous ne pouvez pas rentrer chez vous simplement parce que vous avez fini tôt. Ils veulent votre temps, assez de celui-ci pour vous accaparer, même s'ils n'ont pas l'usage de la plupart de celui-ci. Sinon, pourquoi la semaine de travail n'a-t-elle diminué que de quelques minutes ces 5O dernières années?
Ensuite nous pouvons couper de grands pans du travail productif lui-même. Plus de production de guerre, d'énergie nucléaire, de nourriture synthétique, de déodorants intimes, et avant tout, plus d'industrie automobile. A l'occasion monter dans une Stanley Steamer ou un modèle T serait agréable mais "l'auto érotisme" sur lequel repose des fléaux comme Détroit et Los Angeles s'y oppose. Déjà, nous avons virtuellement résolu la crise de l'énergie, la crise de l'environnement et les autres problèmes sociaux insolubles qui y sont assujettis.
Finalement nous devons sans lésiner supprimer autour de nous la plupart des emplois, ceux qui ont les horaires de travail les plus longs, les moins payés et quelques-uns des travaux les plus pénibles. Je pense aux femmes au foyer faisant les travaux ménagers et gardant les enfants. En abolissant le travail salarié et en accédant au plein désemploi nous sapons la division du travail en fonction des sexes. La famille nucléaire telle que nous la connaissons est une inévitable adaptation à la division des tâches imposée par le travail salarié moderne. Qu'on le veuille ou non les choses sont ainsi depuis un siècle ou deux; il est économiquement rationnel que l'homme rapporte le bifteck à la maison, que les femmes fassent les sales besognes pour lui assurer un havre dans ce monde sans cœur, et que les enfants soient mis au pas dans les camps de concentration de la jeunesse appelés écoles, essentiellement pour les garder hors des jupes de leur mère, mais toujours sous contrôle, et incidemment d'acquérir les habitudes d'obéissance et de ponctualité si nécessaires aux travailleurs. Si on supprimait le patriarcat, on éliminerait la famille nucléaire dont, comme le dit Ivan Illich, le travail au noir non rétribué rend possible et nécessaire le système du travail. Liée à cette stratégie de dénucléarisation il y a l'abolition de l'enfance et la fermeture des écoles. Il y a plus d'étudiants à plein-temps que de travailleurs à plein-temps dans ce pays. Nous avons besoin des enfants comme enseignants et non comme étudiants. Ils peuvent faire beaucoup pour contribuer à la révolution ludique parce qu'ils sont plus doués pour jouer que les adultes. Adultes et enfants ne sont pas pareils mais ils deviendraient égaux au travers d'une interdépendance. Seul le jeu peut combler le fossé des générations.

Je n'ai même pas encore mentionné la possibilité de réduire le travail qui demeure par l'automation et la cybernétique. Tous les scientifiques, ingénieurs et techniciens libérés des tracas de leur recherche sur la guerre et l'obsolescence planifiée, pourraient avoir du bon temps avec l'élaboration de combines pour éliminer la fatigue, la peine et le danger d'activités comme celles pratiquées dans les mines. Indubitablement ils trouveraient d'autres projets pour s'amuser. Peut-être feraient-ils naître des systèmes de communication mondiaux et multimédias, ou fonderaient-ils des colonies dans l'espace. Peut-être. Je ne suis pas moi-même amateur de gadgets. Je n'ai cure de vivre dans un paradis presse-bouton. Je ne veux pas de robots esclaves pour faire quoi que ce soit. Je veux faire les choses moi-même. Il y a, je pense une place pour la technologie allégeant le travail, mais une place modeste. Ce que l'on sait de l'histoire et de la préhistoire n'est pas encourageant. Quand la technologie productive a conduit les chasseurs-cueilleurs à l'agriculture et à l'industrie le travail augmenta alors que la compétence et l'autodétermination diminua. La nouvelle évolution de l'industrialisme a accentué ce que Harry Braverman appelait la dégradation du travail. Des observateurs intelligents ont toujours été conscients de cela. John Stuart Mill a écrit que toutes les inventions destinées à alléger le travail n'ont pas réussi à soustraire un instant de ce travail. Karl Marx écrivait "il serait possible d'écrire une histoire des inventions faites depuis 1830, celles-ci ayant pour seul but de fournir au capital des armes contre les révoltes de la classe ouvrière." Les technophiles enthousiastes - Saint-Simon, Comte, Lénine, B.F. Skinner- ont toujours été aussi des autoritaires convaincus ; c'est-à-dire des technocrates. Nous devrions être plus que sceptiques au sujet des promesses des mystiques de l'ordinateur. Ils travaillent comme des enragés et s' ils atteignent leur but, il est probable que nous serons forcés de les suivre. Mais si ils ont quelques contributions particulières plus applicables à des buts humains que la course à la haute technicité, prêtez leur l'oreille.
Ce que je veux voir vraiment c'est le travail tourné en jeu. Une première étape est de séparer les notions de "boulot" et "d'occupation". Même des activités qui ont déjà un quelconque contenu ludique perdent la plupart de celui-ci si elles sont réduites à l'état de travail, que certaines personnes, et seulement celles-ci, sont forcées de faire à l'exclusion de toute autre. N'est-ce pas curieux que des ouvriers agricoles triment péniblement dans les champs tandis que des richards imprégnés d'air conditionné viennent dans leur maison de campagne chaque fin de semaine et bricolent dans leurs jardins? Dans un système de bombance permanente nous serons témoins de l'Age d'Or du dilettantisme qui fera honte à la Renaissance. Il n'y aura plus de boulots, juste des choses à faire et des gens pour les faire.
Le secret pour transformer le travail en jeu, comme l'a démontré Charles Fourier est d'aménager des activités utiles pour tirer avantage de tout ce que diverses personnes se réjouissent de faire. Pour permettre à certains de faire les choses qui leur plairaient il suffirait d'éradiquer les irrationalités et déformations qui affectent aujourd'hui ces activités quand elles sont réduites à être du travail. J'aimerais par exemple (pas trop) enseigner, mais je ne veux pas contraindre des étudiants et je n'ai que faire de lécher les bottes à des pédants pathétiques pour y parvenir.
Deuxièmement, il y a des choses que les gens aiment faire de temps en temps, mais pas longtemps, et certainement pas tout le temps. Vous pouvez être contents de garder des enfants quelques heures afin de bénéficier de leur compagnie, mais pas autant que leurs parents. Les parents cependant, apprécient profondément le temps que vous libérer pour eux, bien qu'ils se fassent du mauvais sang si ils restent trop longtemps loin de leur progéniture. Ces différences parmi des individus sont ce qui rend possible une vie de libres jeux. Le même principe s'applique à bien d'autres secteurs d'activités, surtout les plus courantes. Ainsi, beaucoup de gens aiment cuisiner quand ils peuvent le faire à leur aise pendant leurs loisirs, mais pas quand il s'agit de faire bouffer ceux qui vont bosser.
Troisièmement, des choses qui sont insatisfaisantes si vous les faites tout seul , dans un environnement désagréable ou sous les ordres de supérieurs, peuvent être agréables pendant quelques temps en d'autres circonstances. En principe ceci est vrai de tout travail. Les gens exercent leur ingéniosité à faire un jeu du travail de forçat le moins attrayant. Des activités qui plaisent à certains ne plaisent pas toujours à d'autres, mais chacun au moins a potentiellement une variété d'intérêts et un intérêt dans la variété... Fourier imagina brillamment comment les penchants pervers et aberrants pourraient être utilisés dans une société post-civilisée, qu'il appela Harmonie. Il pensait que l'empereur Néron aurait été normal si étant enfant il avait pu assouvir son goût pour le sang en travaillant aux abattoirs. Des petits enfants qui manifestement ont du plaisir à se vautrer dans la saleté pourraient être organisés en "petites hordes" pour nettoyer les toilettes et vider les poubelles, des médailles récompensant les meilleurs. Je ne tiens pas à ces exemples précis mais au principe sous-jacent qui je pense rend bien le sens d'une dimension, d'une transformation révolutionnaire profonde. Gardons en mémoire que nous n'avons pas à prendre le travail d'aujourd'hui tel que nous le trouvons et à le répartir entre les individus appropriés dont certains auraient à être vraiment pervers. Si la technologie a un rôle dans tout ceci, c'est moins d'automatiser le travail à un point où son exécution devienne superflue que d'ouvrir de nouveaux royaumes de re/création. Nous voulons peut-être retourner à l'artisanat, que William Morris considérait comme une conséquence probable et souhaitable d'une révolution communiste.. L'art devrait être enlevé aux snobs et aux collectionneurs, aboli en tant que spécialité destinée à une élite, et ses qualités de beauté et de création rendues partie intégrante de la vie à laquelle elles ont été volé par le travail. C'est une pensée dégrisante de savoir que les vases grecs sur lesquels nous écrivons des odes et qui sont mis en vitrine dans des musées, étaient utilisés dans leur temps pour conserver l'huile d'olive. Je doute que nos objets quotidiens auront le même avenir dans le futur, si il y en a un. Il n'y a aucun progrès à attendre du travail, c'est tout le contraire. Nous ne devrions pas hésiter à chiper au passé, nous pouvons bénéficier de ce qui a été perdu depuis les anciens...
Les abolitionnistes devront compter essentiellement sur eux-mêmes. Personne ne peut dire ce qui résulterait de la libération d'un pouvoir créatif étouffé par le travail. Tout peut arriver. Le problème rabâché de l'opposition entre liberté et nécessité, avec tous ses sous-entendus théologiques, se résoudra pratiquement de lui-même une fois que la production des valeurs d'usage correspondra à des activités de jeux agréables.

La vie deviendra un jeu, ou plutôt plusieurs jeux, mais pas -comme maintenant- un jeu dans lequel l'existence d'un gagnant implique nécessairement l'existence d'un perdant. Une rencontre sexuelle réussie est le paradigme du jeu productif. Les participants potentialisent réciproquement leurs plaisirs., personne ne tient la marque et chacun gagne. Plus tu donnes plus tu reçois. Dans la vie ludique, le meilleur du sexe se diffusera dans les meilleurs moments de la vie quotidienne. Le jeu généralisé conduit à une vie libidineuse. Le sexe, en retour, peut devenir moins pesant, plus attractif. Si nous jouons la bonne carte, nous pouvons retirer de la vie plus que ce que nous y investissons;mais seulement si nous jouons pour de bon.
Personne ne devrait jamais travailler. Travailleurs du monde ... relax !

NOTES
N.B. La version originale de ce texte ne comportant pas de notes, celles-ci n'engagent que les éditeurs de cette traduction.
1. Oblomov est le titre d'un roman de Gontcharov (1821-1891) et le nom du personnage principal, symbolisant un individu désœuvré, incapable de sortir de sa torpeur.
2. Johan Huizinga est un historien hollandais (anthropologue, historien de la culture), auteur de deux livres : "Le déclin du Moyen-age" (Payot) et "Homo ludens" (Tel : Gallimard). Le dernier écrit durant les années '30 développe son objection à la conception de l'homme comme "homo faber" se définissant par l'action de "fabriquer". Huizinga insiste sur la notion de jeu comme qualité humaine fondamentale.
3. Les exemples donnés par Bob Black de "bons jeux" nous semblent discutables !
4. Thomas Hobbes (1588-1679) : philosophe anglais auteur du Léviathan "où il se déclarait en philosophie pour le matérialisme, en morale pour l'utilitarisme égoïste, en politique pour le despotisme" (Larousse).
5. Le texte de Bob Black écrit dans une période où le SIDA était peu connu en Europe (le premier malade européen mourut en septembre 1980) n'oppose pas de contre-interprétation à celle qu'il attribue aux médias. On peut aujourd'hui mieux souligner à quel point ce mal qui répand la terreur est à l'image de l'inhumanité du monde où nous vivons, par exemple du remplacement chez certains individus du rapport amoureux par une défonce sexuelle.
"Le sida s'épanouit parce qu'ont été transgressés non pas certains tabous sexuels, mais certaines règles et des modes de vie qui avaient concouru jusque-là à établir un équilibre biologique relatif." (J.P. Escande cité par M.D. Grmek)
"Nous l'avons maintenant, cette maladie métaphore qui, par ses liens avec le sexe, le sang, la drogue, l'informatique et la sophistication de son évolution et de sa stratégie exprime notre époque." (M.D. Grmek, Histoire du Sida, Payot)

REPÈRES BIBLIOGRAPHIQUES
* Pierre Kropotkine :
Oeuvres (choix de textes ; Petite Collection Maspero
La Conquête du Pain
L'Entr'aide : Un facteur de l'Evolution ; Librairie Publico, 145 rue Amelot, 75011 Paris
* William Morris
Nouvelles de Nulle Part ; Aubier-Montaigne
Contre l'Art d'Elite ; Hermann
* Raoul Vaneigem
Traité de Savoir-Vivre à l'usage des jeunes génération ; N.R.F. Gallimard
* Collection de l'Internationale Situationniste ; Editions Gérard Lebovici
* Harry Braverman
Travail et capitalisme monopoliste ; Maspéro

EN GUISE DE POSTFACE

Si nous avons traduit de larges extraits du texte de Bob Black sur l'abolition du travail c'est que ce texte comporte beaucoup d'éléments avec lesquels nous sommes d'accord... Et en particulier l'idée même de l'abolition du travail. Cependant nous émettons quelques réserves sur certaines idées qui y sont développées ainsi que sur certaines des références de Bob Black. Certains points mériteraient d'être analysés plus précisément afin d'argumenter sur les divergences qui existent entre lui et nous. Nous nous bornons simplement à les signaler ici en attendant de les développer ultérieurement. Il s'agit en particulier des références fréquentes à la démocratie grecque, qui nous semble dénoter de sa part une fascination que nous ne partageons pas. De même il existe dans ce texte, de manière sous-jacente, des relents auto-gestionnaires avec lesquels nous sommes en désaccord. Concernant ce dernier point Bob Black écrit que le travail est fait "pour le profit de possédants qui ne contribuent en rien au projet, sans aucune possibilité de partage des tâches ou de répartition du travail entre ceux qui l'exécutent"; "de salauds de patrons exploitant et prenant comme boucs-émissaires leurs subordonnés qui -selon un critère rationalo-technique- devraient organiser le travail. Mais le capitalisme dans le monde réel subordonne la maximalisation rationnelle de la productivité et du profit aux exigences du contrôle organisationnel".

Sans vouloir être méchants, nous lisons dans ces passages que les possédants sont des parasites ; le capitalisme serait mieux géré par les exécutants, car la productivité et le profit sont subordonnés au contrôle, à la discipline. N'étant pas des auto-gestionnaires, les projets de gestion des entreprises par les travailleurs ne nous intéressent pas. A l'opposé, nous voulons l'abolition du salariat, la destruction du marché et donc des entreprises. Cette divergence de principe exprimée, il nous reste à indiquer en quoi nous pensons que ces citations n'expriment pas la réalité. Des bourgeois des débuts du capitalisme aux managers d'aujourd’hui, des petites entreprises aux grandes organisations industrielles, commerciales, financières, etc... le "projet" consiste à faire en sorte que l'aboutissement des processus de travail puisse être représenté par des sommes d'argent plus importantes que celles investies au début et pendant le déroulement des processus. Selon les critères de la rationalité et de la technique actuelle, les individus qui composent les diverses bandes dont la fonction sociale consiste à administrer et à gérer le Capital sont adaptés aux tâches de direction impliquées par leur fonction ; les évolutions du Capital, la concurrence économique se chargeant généralement d'évincer et parfois de liquider purement et simplement les dirigeants "incapables".

Contrairement à ce qu'affirme Bob Black, dans le monde réel la maximalisation de la productivité et du profit n'est pas subordonnée au contrôle organisationnel. Si celui-ci entrave la productivité et le profit, il est abandonné ou il doit évoluer. Le contrôle, l'organisation, font partie des moyens qui dans les entreprises permettent de créer, d'améliorer, de faire évoluer les conditions de travail afin de permettre l'appropriation la plus efficace de l'énergie vitale d'humains réduits à la fonction de travailleurs.
Pour conclure, il nous semble absurde de qualifier le système du despotisme capitaliste de "fascisme d'usine ou d'oligarchie de bureau", car ce qui est critiqué dans le texte s'est manifesté bien avant l'apparition de régimes fascistes et se poursuit de plus belle depuis la fin de ces régimes. Il ne s'agit pas de nier l'existence de groupe peu nombreux d'individus qui dans leurs bureaux croient diriger le monde, mais le capitalisme ne se réduit pas à la domination de ces individus, ni même à la forme juridique de la propriété (privée ou étatique).
Pour cette raison, nous sommes en complet désaccord avec les expressions de pays "communistes" ou de "pays socialistes d'état" pour désigner le régime social en Russie, dans les pays de l'Est,... Dans ces États, jusqu'à présent, la forme dominante de la propriété était la propriété d'état, mais il s'agit de la propriété d'entreprises vendant leurs produits, dans lesquelles les travailleurs reçoivent un salaire en échange de leur force de travail. Donc, le seul terme qui peut qualifier tout cela, c'est celui de capitalisme.
Mai 1990.

Lettre de Bob Black (Albany, USA)
1° juillet 1990
Chers amis,
Merci pour avoir rendu "The Abolition of Work" (L'abolition du travail) disponible en français. Et je remercie K.O. pour m'avoir résumé vos commentaires sur cet essai (je ne lis pas le français).
D'une façon générale, nous sommes plus en accord que vous ne le supposez. En me référant aux économies staliniennes, j'ai utilisé le mot "communiste" comme une citation entre guillemets. En tant que sociétés de classe basées sur le travail salarié les régimes "communistes" sont capitalistes. Mais mon essai traite du travail, pas du capitalisme. Afin de dire quelque chose il n'était pas nécessaire de tout dire.
Mes références classiques reflètent la lucidité des intellectuels de la classe-oisive Grecque et Romaine, et pas une quelconque admiration attardée pour leur culture ou leur système social. Libérés du travail par le travail d'esclave accompli par d'autres, ils étaient uniquement conscients de ses implications, à la différence de la plupart des classes dominantes. Seul leur héritage intellectuel reste à exproprier ; ainsi c'est ce que j'en ai fait.
Je ne peux pas comprendre vos remarques sur la relation entre profit et contrôle social dans les calculs du management. Je considère que la priorité accordée au contrôle est éminemment rationnelle, pas un jeu de pouvoir psychologique, quoique le travail organisé hiérarchiquement permette une foule de petites tyrannies. Le travail est la source du profit pour les employeurs, certainement. Mais collectivement, les patrons ont un intérêt à des horaires longs qu'ils accroissent ou non la production et donc le profit, car mêmes les heures improductives sont autant de temps disponible pour plus de pratique de la subordination, et non disponible pour les buts propres des travailleurs. Un employeur non-conformiste pourrait échanger des horaires réduits contre une plus grande productivité des employés. Je trouve significatif que ceci se produise rarement. Avez-vous une meilleure explication que la mienne ?
Mes expressions "factory fascism" (fascisme d'usine) et "office oligarchy" (oligarchie de bureau) - qui en anglais sont des allitérations - sont théâtralement dramatiques et métaphoriques, pas littérales comme vous semblez le croire. Les usines ont manifestement précédé les fascistes dans un sens politique, etc. Dans mon essai je joue avec les mots autant qu'avec les idées. Je ne prône pas seulement un jeu profitable, je m'engage dans celui-ci? K.O. pense que l'essentiel de cet aspect exemplaire de l'essai peut avoir été perdu dans votre version. Je n'en sais rien. Mais j'apprécie l'opportunité d'être entendu par ceux qui ont un intérêt à votre projet.
Sincèrement,
Bob Black
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Re: Autonomes

Messagede herope le Sam 6 Fév 2010 00:59

Nous voyons de longs textes : les autonomes ne se réclament de rien. Ils sont contre le système point barre, après il peut y avoir des sensibilités, l'idée de leur collé une étiquette de telle ou telle orga les fait gerber.
Lors des manifs on dresse notre drapeau noir tout simple et généralement on discute le temps de la promenade et puis voilà.

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Re: Autonomes

Messagede Antigone le Sam 6 Fév 2010 11:45

Pendant la dizaine d'années qui a suivi l'Autonomie, il y a eu un travail de réflexion qui a été mené dans un certain nombre de groupes... et des textes qui témoignaient de leur évolution. C'est ce que je rapporte (mais on est pas obligés de lire). Tout cela a pris fin en 1992.

herope a écrit:les autonomes ne se réclament de rien.
Lors des manifs on dresse notre drapeau noir tout simple

Pour moi, lever un drapeau (peu importe la couleur), c'est se réclamer de quelque chose.

herope a écrit:généralement on discute le temps de la promenade et puis voilà

C'est ce que font les gens dans un cortège syndical...
Ni rouge, ni noir. Révolutionnaire sans drapeau.
L'Autonomie, ça devrait ressembler à ça
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Re: Autonomes

Messagede fu hsang le Sam 6 Fév 2010 12:09

il est vrai que l autonomie ouvriere a du plomb dans l aile , meme si il existe une pratique encore assez typé " reappropriation" par les evenements des contis , cater , et autres ; la critique de la valeur travaille est assez absente de leur communication, ils sont plus dans un " instant" que dans une perspective et une projection
l avenir nous dira si cette liberation du "temps " soumis leur est profitable , mais j ai bien peur que non

sinon , sur le mouvement autonome , je serais un peu plus circonspect
il y a une pratique et une reflexion qui se sont bien repandu depuis la fin des années 90
que ce soit l assemblée des chomeurs de jussieu , le mouvement pro-squatt , mouvement anti carceral et d autres , qui pour moi sont dans une certaine mesure ce prolongement , tu dis qu ils n ont pas "votre " bagage theorique , surement , quoi que certains se sont formés en italie ou en allemagne , (c est pas pour ça que c est mieux ) , la plupart ont eu acces a vos experiences et en ont tiré des conclusions et donc des pratiques differentes de ce mouvement
ces conclusions ne te satisfons pas apparemment
il est vrai que l approche parcellaire de ce monde est assez deconcertante mais nombre de ces personnes ont justement une vision assez totalitaire du monde et l attaque se fait sous differents angles , en prenant en compte , les actes et pensées des autres

par contre j aimerais bien que tu continues a mettre en ligne des textes , surtout si tu as des correspondances , et des echanges

merci
fu hsang
 

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