LES AYATOLLAHS AU TAPIS ! (persan)La situation en Iran a bien changé depuis les manifestations de juin dernier. Désormais il ne s'agit plus de contester le résultat d'une élection mais d'en finir avec le régime et de changer la vie.
Il y a quelques mois encore, personne n'aurait osé arraché le portrait de Khamenei, le Guide suprême, ou de brûler l'image de Khomeini, le fondateur de la République islamique, et pourtant aujourd'hui les mythes qui avaient permi aux mollahs d'établir leur pouvoir sont en train de vaciller.
Le vent a tourné brutalement le 22 décembre à Sirjan quand la foule s'est précipitée pour empêcher la pendaison publique de deux condamnés. Bien qu'ayant fait usage de leurs armes, tuant 5 manifestants, les policiers avaient dû reculer devant la détermination des émeutiers et les pierres qu'ils leur lançaient. C'était la première fois qu'une éxécution publique instituée pour terroriser les populations se terminait en émeute. Cela démontrait qu'un palier venait d'être franchi. Un pouvoir dont les moyens de répression deviennent inéfficaces n'a plus aucun avenir.
La journée de l'Achoura du 27 décembre, traditionnellement utilisée par les religieux pour soutenir le régime, s'est transformée en protestations anti-gouvernementales et en combats de rue à Téhéran mais aussi dans de nombreuses autres villes. En plusieurs points, la foule s'est ruée sur les miliciens bassidji, les capturant, les déshabillant, brûlant leurs motos et leurs voitures, s'attaquant à leurs locaux. Les manifestants ont pris le contrôle de plusieurs quartiers après en avoir chassé les forces de l'ordre. Un commissariat a été incendié.
La répression a été sanglante. Plusieurs morts (8 ou 15 ?) et une centaine de blessés. Difficile d'établir un bilan précis au milieu des opérations de dissimulation des gardiens islamiques. Des milliers de personnes ont été arrêtées.
Au fil des mois, les manifestations sont montées en puissance et la base sociale du mouvement s'est élargie.
Aujourd'hui, elle déborde largement la jeunesse étudiante et la petite bourgeoisie urbaine qui semblaient avoir été à l'origine de la "vague verte". La classe ouvrière s'y est engoufrée, multipliant les grêves, occupant des usines, réclamant le paiement de plusieurs mois de salaires en retard.
La crise économique qui pèse de plus en plus sur l'emploi attise les mécontentements. L'électorat qui avait été sensible aux arguments populistes de Ahmadinejad en 2005 semble, lui aussi, s'être mis de la partie. La vague de fond est telle que même des villes réputées conservatrices comme "la ville sainte" de Qom ont connu récemment des manifestations.
En s'élargissant, l'aspect sociétal du mouvement a pris le pas sur les déterminants politiques.
C'est sur la base du refus de l'apartheid sexuel que beaucoup de rassemblements ont eu lieu dans les universités cet automne. La mixité commence à se répandre dans les manifestations, ce qui paraissait inconcevable il y a encore peu de temps. A présent, c'est toute une société qui, globalement, en a assez de supporter les interdits moraux et le contrôle social qu'on lui impose.
En s'élargissant, le mouvement est devenu aussi plus hétérogène, ce qu'on devine aisément quand les cris hostiles à la République islamique se mêlent aux mélopées "Allah Akbar". C'est ce qui donne à penser que si la dictature s'effondrait, elle n'entrainerait pas forcément, ni immédiatement avec elle la République islamique; mais à terme il est évident que le système religieux est condamné.
Par rapport à 1978-79, le rapport entre les forces qui poussent au changement s'est inversé. Les religieux autrefois radicaux sont devenus modérés et la société civile qui apparaissait plutôt modérée est aujourd'hui en pleine radicalisation.
Si la dictature tombait, on peut penser que les religieux réformateurs feraient le nécessaire pour sauver les meubles, préserver leur pouvoir et leurs privilèges, et se présenter comme le seul recours possible pour éviter le chaos... mais cette opération de sauvetage aurait peu de chances de réussir.
Le fait d'être sociétale ne rend pas la contestation canalisable par des moyens politiques. Moussavi est en train de s'en rendre compte à ses dépens. Les votes du 12 juin sont en passe d'être oubliés, les rubans verts se font plus rares et aucune alternative politique n'apparait, qu'elle soit dans le système ou en dehors.
Pendant les huit années pendant lesquelles Khatami a été président de la République (de 1997 à 2005), les réformes promises sont restées lettres mortes et il est clair qu'aujourd'hui ni lui, ni Moussavi, ni Rafsandjani (ce filou qui ambitionne depuis longtemps de devenir Guide à la place du Guide), ni aucun autre homme du sérail n'aurait les moyens de porter le mouvement. Et si d'aventure il essayait de calmer le jeu, il se ferait marcher dessus.
Par ailleurs, il est difficile d'imaginer comment les dissenssions patentes au sommet de l'Etat concernant la meilleure façon de sauver l'essentiel ne se sont pas étendues dans les rangs de l'armée. Pendant la journée de l'Achoura, des actes de désobéissance se sont produits. On a appris que des policiers avaient refusé de tirer sur la foule malgré la menace d'être traduits devant un tribunal militaire. C'est bien la preuve que si ça bouge en surface, ça doit bouillonner à l'intérieur. Et quand un appareil d'Etat commence ainsi à se fissurer, c'est déjà le début de la fin.
Pour avoir une chance de s'en sortir, il aurait fallu pour Khamenei que, dès la fin de la guerre avec l'Irak, il prenne exemple sur Deng Xiao-Ping, un autre Guide historique. Après la chute de la "bande des quatre", celui-ci avait habilement conduit les destinées de la Chine sans endosser de responsabilité officielle, en sachant renouveler de fond en comble les cadres dirigeants et placer aux postes clés des comptables de fer en costume cravate, la démarche automatique et la chevelure laquée.
Mais Khamenei a tout figé. Et comme en Iran ce sont les mêmes barbes blanches qui occupent le devant de la scène depuis la mort de Khomeini, on peut facilement imaginer à quel point le degré de corruption aux parfums de pétrole et de gaz naturel qui doit règner à la tête de l'Etat doit dépasser celui que le PC chinois a fait mine de plafonner... et c'est rien de le dire.
Pour l'heure, Ahmadinejad n'a pas d'autre solution que de tenter de temporiser tant qu'il le peut, et de créer une sorte d'unité nationale autour du dossier du nucléaire en continuant de fustiger les atteintes à la souveraineté venant de l'étranger.
Mais cette stratégie de la tension ne prend plus. La contre-manifestation organisée ces derniers jours par le régime, avec des figurants mobilisés sur ordre, faisait pâle figure à côté des démonstrations fanatiques des pasdarans des années 80.
Nous ne sommes plus au temps de la prise d'otages de l'ambassade américaine à Téhéran, ni de la guerre avec l'Irak. On est d'ailleurs étonnés de ne pas voir de manifestants agités de drapeaux. Même après avoir visionné des dizaines et des dizaines de vidéos, on n'en voit nulle part. Preuve s'il en est que le mouvement de contestation, dans son essence, n'est pas nationaliste.
L'Iran est un pays jeune qui, pour les 2/3 de la population qui ont moins de 30 ans, n'a rien connu d'autre que la dictature des mollahs. La moitié des iraniens se sert d'internet. Les 3/4 ont un téléphone portable... et ils savent s'en servir. C'est de cette façon qu'ils arrivent à envoyer des messages et passer par dessus la censure. C'est de cette façon qu'ils témoignent des événements dont ils sont les acteurs, et ceci malgré la répression policière et le verrouillage des autorités.
Jamais une manifestation n'avait fait l'objet d'autant d'images que celle du 27 décembre. Pendant cette journée, petits appareils photo et téléphones portables ont fonctionné à plein régime. Les vidéos postées sur Youtube nous ont donné bien plus d'informations sur la violence de la répression et ce climat d'effervescence qui remplissait les rues que ne l'auraient fait des médias démocratiques. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes que de remarquer que c'est la censure qui pousse les manifestants à se prendre en main et à agir sans en référer à une autorité supérieure,
Certes, nous n'en sommes pas encore à voir les femmes se promener dehors sans être couvertes d'un tchador ou d'un foulard, mais ça finira bien par arriver.