Un autre automne allemand. Pour la manifestation contre l’antisémitisme
à Hambourg le 13 décembre 2009 par Moishe Postone.
Plusieurs dizaines de groupes allemands se sont joints à l'appel à condamnation des actes antisémites faits par des groupes de gauche lors de la projection à Hambourg le 25 octobre dernier du film de Claude Lanzmann Pourquoi Israël : Stoppez les matraqueurs antisémites - même ceux de gauche ! Une manifestation le 13 décembre contre ces actes antisémites a eu lieu à Hambourg.
Je pense qu'il est politiquement important que le plus de monde possible à gauche prenne au sérieux les expressions d'antisémitisme qui se sont répandues parmi des groupes qui se considèrent comme anti-impérialistes. Peut-être cela peut aussi amener à une longue et tardive clarification théorique. La question n’est pas que l’on puisse ou non critiquer des politiques israéliennes. Les politiques israéliennes devraient être critiquées, particulièrement celles qui ont visé à saper n'importe quelle possibilité de créer un Etat palestinien viable dans la Cisjordanie (la Rive ouest) et à Gaza. Cependant, la critique du « sionisme » répandue dans beaucoup de cercles anti-impérialistes va au-delà d'une critique des politiques israéliennes. Elle attribue à Israël et aux « sionistes » une malveillance unique et une puissance globale de conspirateur. Israël n'est pas critiqué comme d'autres pays sont critiqués - mais comme l'incarnation de ce qui est profondément et fondamentalement le mal. Bref, la représentation d'Israël et des « sionistes » pour cette forme d' « anti-impérialisme », d' « anti-sionisme », est essentiellement la même que celle des Juifs dans l'antisémitisme virulent qui a trouvé son expression la plus pure dans le nazisme. Dans les deux cas, « la solution » est la même - l'élimination au nom de l'émancipation.
La représentation conventionnelle stalinienne et social-démocrate du nazisme et du fascisme comme simples outils de la classe capitaliste, utilisée pour écraser des organisations ouvrières, omettait toujours une de leurs dimensions centrales : Ces mouvements en termes d'auto-compréhension d'eux-mêmes et leur appel aux masses, étaient des révoltes. Le nazisme s'est présenté comme une lutte pour la libération (et a soutenu des mouvements « anti-impérialistes » dans le monde arabe et en Inde). Le fondement de cette auto-compréhension était une compréhension fétichisée du capitalisme : la domination abstraite, intangible, globale du capital a été comprise comme la domination abstraite, globale, intangible des Juifs. Loin d'être simplement une attaque contre une minorité, l'antisémitisme des nazis s'est compris comme anti-hégémonique. Son but était de libérer l'humanité de la domination omniprésente et impitoyable des Juifs. C'est du fait de son caractère anti-hégémonique que l'antisémitisme pose un problème particulier pour la Gauche. C'est la raison pour laquelle il y a un siècle, l'antisémitisme pouvait être caractérisé comme « le socialisme des imbéciles ». Aujourd'hui il peut être caractérisé comme l' « anti-impérialisme des imbéciles ».
Malheureusement, cette forme antisémite d' « anti-sionisme » n'est pas nouvelle. Elle se trouvait au centre des procès spectaculaires staliniens du début des années 1950, particulièrement en Tchécoslovaquie, quand des Communistes internationalistes qui souvent étaient des Juifs, ont été accusés d'être des « agents sionistes » et exécutés pour cela. Cette forme codée d'antisémitisme, dont les origines n’ont eu aucun rapport avec des luttes dans le Moyen-Orient, a été alors transportée là par l'Union soviétique et ses alliés pendant la Guerre froide - particulièrement par les services secrets de la RDA travaillant avec leurs clients Occidentaux et du Moyen-Orient (par exemple la RAF et les groupes palestiniens « radicaux » divers).
Cette forme d'anti-sionisme « gauchiste » a convergé avec le nationalisme arabe radical et l'islamisme radical - qui n'est pas plus progressiste qu'une autre forme de nationalisme radical, comme le nationalisme radical albanais ou croate - et pour qui l'impulsion éliminatrice envers les Juifs d'Israël est justifiée comme étant adressée contre des colonisateurs « européens ». Chaque fois que l'impulsion éliminatrice envers les Juifs d'Israël est plus forte, la légitimité d'Israël est davantage mise en question - avec des arguments allant de l’affirmation que la plupart des Juifs européens ne sont pas biologiquement du Moyen-Orient (une affirmation faite en 1947 par le Haut Comité arabe et maintenant réchauffée comme une « nouvelle découverte » par Shlomo Sand) à l'idée qu'ils sont simplement des colonisateurs européens qui, comme le « pied noir » [en français dans le texte], devraient être renvoyés à la maison. C'est malheureux sinon étonnant, que ces nationalistes radicaux dans le Moyen-Orient voient la situation en ces termes. Cependant, cela devient pervers quand des Européens - particulièrement des Allemands - identifient les Juifs, le groupe le plus persécuté et massacré par des Européens pendant un millénaire, avec ces Européens là. En identifiant les Juifs avec leur propre passé meurtrier, ces Européens peuvent esquiver le traitement de ce pesant fardeau. Le résultat est un discours qui prétend se battre avec le passé, mais qui en réalité le continue et le prolonge. Cette forme d'anti-sionisme fait partie d'une campagne qui gagne en force depuis le début de la Seconde Intifada, pour éliminer Israël. Son positionnement sur la faiblesse des Palestiniens voile cette intention suprême. Cette forme d'anti-sionisme fait partie du problème et non d'une partie de la solution. Loin d'être progressiste, elle s'allie avec des nationalistes arabes radicaux et des islamistes, c'est-à-dire avec la droite radicale du Moyen-Orient et, ainsi, renforce la droite israélienne. C'est constitutif d'une guerre de plus en plus définie en termes de somme nulle, qui sape n'importe quelle solution politique possible, c’est une recette pour une guerre infinie. La haine exprimée par cet anti-sionisme fait éclater les frontières de la politique, car elle est aussi illimité que son objet imaginé. Un tel fait d'être illimité indique un rêve d'élimination. Les Allemands comme beaucoup d'autres Européens, connaissent trop bien ce rêve d’élimination. Il est enfin temps de se réveiller.
Traduction française (en amateur) par Palim Psao.
Les camps de la mort : une usine capitaliste inversée
Gossweiler n’a pas étudié ni la culture ni l’antisémitisme ; son travail se fonde uniquement sur la formation pratique et théorique des structures nazies.
La thèse de Postone, elle, met l’accent sur le côté froid et « rationnel » du nazisme, le fait que le génocide ait été « calculé. » La population juive a été exterminée sans qu’aucun intérêt matériel n’existe ; les nazis considéraient cela comme leur « mission », et même leur mission « centrale », prioritaire.
Selon Postone :
« ni une explication fonctionnaliste du meurtre de masse ni une théorie de l’antisémitisme centrée sur la notion de bouc émissaire ne sauraient fournir l’explication satisfaisante au fait que, pendant les dernières années de la guerre, une importante partie des chemins de fer fut utilisée pour transporter les juifs vers les chambres à gaz et non pour soutenir la logistique de l’armée alors que la Wehrmacht était écrasée par l’Armée rouge.
Une fois reconnue la spécificité qualitative de l’anéantissement du judaïsme européen, il devient évident que toutes les tentatives d’explication qui s’appuient sur les notions de capitalisme, de racisme, de bureaucratie, de répression sexuelle ou de personnalité autoritaire demeurent beaucoup trop générales »
(Moishe Postone, « Antisémitisme et national-socialisme »).
Qui est alors responsable du génocide juif ? Postone se fonde uniquement sur le principe du « fétichisme de la marchandise » élaborée par Karl Marx dans le Capital. Il va, en s’appuyant sur cela, élaborer l’explication la plus originale du génocide juif, explication qui aura un énorme succès au sein du mouvement autonome en Allemagne.
Selon lui, c’est la marchandise elle-même qui doit être étudiée. Postone constate en effet que :
« quand on considère les caractéristiques spécifiques du pouvoir que l’antisémitisme moderne attribue aux juifs – abstraction, insaisissabilité, universalité et mobilité –, on remarque qu’il s’agit là des caractéristiques d’une des dimensions des formes sociales que Marx a analysées : la valeur »
(Moishe Postone, « Antisémitisme et national-socialisme »).
En quelque sorte, les nazis ont pris les « Juifs » comme cible de leur « anticapitalisme » de la même manière que Proudhon avait pris comme cible l’argent (et que Proudhon ait été antisémite ne relève pas du hasard vu l’imaginaire antisémite). Dans la logique de Postone, Proudhon opposait le concret – le travail – à l’abstrait, c’est-à-dire l’argent, car il ne comprenait pas les rapports sociaux comme Marx a pu le faire.
« Le capitalisme se caractérise par des rapports sociaux médiatisés, objectivés dans des formes catégorielles dont l’argent est l’une des expressions et non la cause. En d’autres termes, Proudhon a confondu la forme phénoménale du capitalisme – l’argent en tant qu’objectivation de l’abstrait – avec l’essence du capitalisme »
(Antisémitisme et national- socialisme).
Et les nazis ont fait de même ; ils ont voulu purifier le capitalisme de l’élément abstrait, personnifié pour eux en la personne du « Juif ».
« L’usine capitaliste est un lieu où est produite la valeur, production qui, « malheureusement », doit prendre la forme d’une production de biens, de valeurs d’usage.
C’est en tant que support nécessaire de l’abstrait que le concret est produit. Les camps d’extermination n’étaient pas la version d’horreur d’une telle usine – il faut y voir au contraire la négation « anticapitaliste », grotesque, aryenne, de celle-ci.
Auschwitz était une usine à « détruire la valeur », c’est-à-dire à détruire les personnifications de l’abstrait. »
(Moishe Postone, « Antisémitisme et national-socialisme »).
Les « Juifs » étaient ainsi un fétiche négatif, l’expression de la finance, de l’argent, de l’abstrait, l’abstraction elle-même : le nazisme les révèle et les liquide, pour rendre la société pure. Voilà pourquoi le nazisme mettait l’accent sur la pureté, la communauté, la race : il s’agissait d’un « anticapitalisme » idéaliste, servant naturellement les capitalistes.
Le nazisme : un anticapitalisme idéaliste, romantique
Les thèses de Postone sont uniques ; c’est la seule fois où l’antisémitisme moderne a été étudié à la perspective des thèses de Marx sur la marchandise.
Pour en arriver à ces thèses, Postone a considéré que l’ensemble de la culture « chrétienne – occidentale » européenne avait une composante antisémite, liant les Juifs avec le « pouvoir » (celui de tuer Jésus, de créer le capitalisme, d’amener le socialisme, etc.).
Le racisme anti-juif a cela de particulier que non seulement la population juive est vue comme étant composée de « sous-humains », comme pour les autres racismes, mais il s’y ajoute des éléments comme le côté insaisissable, invisible : parce que le « pouvoir » juif n’est pas « enraciné », il est « partout », caché, tout puissant, conspiratif.
Et ces éléments différents des autres racismes en amène un autre : l’aspect « systématique » ou (soit disant) scientifique de l’antisémitisme moderne, car l’antisémitisme moderne prétend absolument tout expliquer.
Postone constate alors que toutes les caractéristiques que l’antisémitisme moderne donne aux « Juifs » – abstrait, insaisissable, mobile, universel-, sont les mêmes caractéristiques que possèdent en réalité la valeur de la marchandise, car une marchandise est d’un côté un objet utile et concret, mais de l’autre une entité abstraite, dont on s’explique mal ou pas la valeur, le « prix », la « valeur. »
Postone considère alors que sa thèse est la seule valable, car s’il est vrai que le fascisme s’imagine être une « révolte contre le monde moderne », le fait est qu’il ne s’est jamais « révolté » contre l’industrie, alors qu’il a prétendu (soi-disant) le faire contre la finance.
Et pour cause : l’antisémitisme moderne est lié à l’aliénation, au fait que les marchandises semblent s’échapper des mains du travailleur pour être jetées sur le marché.
Le travail concret devient abstrait car le fruit du travail est arraché des mains du travailleur, d’où l’apologie par les nazis de la féodalité, des corporations, de l’époque où les travailleurs étaient des artisans, etc., par opposition à la population juive personnifiant pour les nazis l’aspect « abstrait ». La communauté (nationale) ne peut devenir elle-même qu’en supprimant le côté abstrait ; telle est l’idéologie de l’« authenticité » mis en avant par le nazisme.
Il n’y a plus d’histoire propre au capitalisme, il n’y a que la communauté en général face à un abstrait particulier. Voilà ce qui explique également la forme « romantique » du nazisme, sa conception « anti-bourgeoise » (alors qu’en fait le nazisme est un phénomène vivant dans le capitalisme et par lui, et non pas contre lui).
L’anti-capitalisme romantique ne s’intéresse qu’aux formes de l’abstraction, formes qu’il oppose à la réalité « naturelle », évidemment communautaire ou nationale selon lui. A l’opposé du marxisme, le travail concret est considéré comme « non capitaliste », voire « anti-capitaliste. »
De fait, le socialisme utopique et l’anarchisme ont une conception similaire : ils opposent une société « vraie », quasiment un « organisme », qui est « parasitée ».
Voilà pourquoi l’anti-capitalisme romantique ne s’oppose pas aux machines, au machinisme, à l’industrie :
« Dans ce type d’« anti-capitalisme » fétichisé, tant le sang que la machine sont vus comme principes concrets opposés à l’abstrait. L’accent positif mis sur la « nature », le sang, le sol, le travail concret, la communauté (Gemeinschaft) s’accorde sans problème avec une glorification de la technologie et du capital industriel. »
Pour Postone, le nazisme sert le culte de la technologie, le capital industriel. Si le nazisme se présente comme un « retour en arrière » aux valeurs féodales, comme une « nostalgie », en réalité il est l’expression du passage du capitalisme libéral au capitalisme industriel organisé, passage où la vision de la société est « biologisée. »
Le « Juif » n’est pas seulement équivalent à l’argent, il devient la personnification du capitalisme lui-même. Postone a donc une compréhension du nazisme différente de Dimitrov (ou Gossweiler) ; s’il explique l’antisémitisme par la question de l’« abstrait » et du « concret », il pousse la question du fétichisme de la marchandise tellement loin qu’il explique qu’il s’est développé un faux marxisme, une idéologie totalement coupée de la réalité et interprétant le monde de manière délirante.
http://www.hapoel.fr/documents-importan ... -brochure/
La déification du travail et l’antisémitisme
L’ennoblissement du capital et son élévation au rang de premier serviteur du travail sont liés, surtout dans la variante droitière de ce geste, à sa division projective. Le capital productif s’est vu charger d’incarner le sensible concret et accorder l’auréole du « Bien », tandis que le capital monétaire et financier s’est vu attribuer tout ce qu’il y a d’abstrait et de destructeur dans la domination capitaliste. De cette externalisation de l’effroi du capitalisme — qui a fourni l’image de l’ennemi indispensable à la construction d’une communauté de travail transcendant les classes — à sa personnalisation antisémite, il n’y a qu’un pas à franchir. Il n’y a pas que dans la vision nationale-socialiste du monde que la séparation fantasmagorique entre « capital créateur » et « capital accapareur » a été amalgamée à l’opposition entre, d’un côté, « travail national » sacré et, de l’autre, « argent juif » sans racines. Tout comme la religion du travail est parfaitement compatible avec des idées racistes, elle se distingue aussi par son affinité profonde avec des modèles de pensée antisémites. Les choses ont évolué en Allemagne d’une façon singulière dans la mesure où la « patrie du travail » a franchi le pas menant de la détestation idéologique à une pratique de l’extermination industrielle organisée par l’Etat. C’est seulement dans le nazisme que la mobilisation totale du travail national a trouvé son accomplissement avec la construction d’usines de cauchemar prétendument anticapitalistes — des « usines de destruction de la valeur » (Moishe Postone) — dans lesquelles, avec les victimes juives bien réelles, devaient aussi être fantasmagoriquement gazés et brûlés les moments de la domination du travail abstrait séparés du travail idéalisé. La fraternité de « ceux qui travaillent avec leur front » et de « ceux qui travaillent avec leurs poings » a été scellée par le meurtre de ceux qui avaient auparavant été exclus de la définition de la communauté de travail allemande.
La Shoah n’a pas seulement fait éclater le cadre de la fonctionnalité de la société marchande parce qu’elle a poursuivi un objectif irrationnel, mais aussi parce qu’elle a renversé le rapport intime entre travail et destruction. Alors que, d’habitude, la destruction est un moment qui accompagne la praxis capitaliste et que l’accumulation de profit constitue l’objectif des objectifs, avec Auschwitz, l’anéantissement est devenu indépendant au point de constituer un contenu propre. Que des hommes aient été massivement forcés de travailler à mort pour le bien de la production de richesse capitaliste, c’est ce qui a eu lieu depuis l’époque de l’« accumulation originelle ». Dans le génocide des Juifs européens, l’exploitation réelle du travail a en revanche fonctionné comme un simple moyen, tandis que l’anéantissement de la vie était devenu le véritable objectif. La possibilité de cette transformation nous informe de l’existence d’un rapport entre travail et mort bien plus intime que celui que soupçonne un anticapitalisme orienté sur le seul paradigme de l’exploitation.
http://www.krisis.org/2007/terreur-du-t ... du-travail
Breaking The Law a écrit:Alors en fait les théories du complot sont pour vous issus des nazis, de crypto ou proto fasciste ou autres neo nazis...
Breaking The Law a écrit:Enfin déjà j'aimerais savoir ce qu'est un nazi, fasciste,...pour vous
Breaking The Law a écrit:ensuite sur pour vous le complot mondial se limite qu'aux juifs et à un antisemitisme.
Breaking The Law a écrit:Tout ça m'a l'air plus que subjectif et superficielle comme analyse.
Breaking The Law a écrit:SI vous pensez que les individus sont libres, vous ne pouvez pas adhérer aux theories du complot.
BlackJoker a écrit:Je ne pensais pas lire ici des gens appuyant leurs propos en citant Hannah Arendt mais bon pourquoi pas...
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