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New Fabris : "On peut parler de conflit désespéré"
LE MONDE | 01.08.09 | 14h15 • Mis à jour le 01.08.09 | 18h39
Les salariés de l'équipementier automobile New Fabris à Chatellerault (Vienne) ont voté, vendredi 31 juillet, la fin du conflit, et ont renoncé à mettre à exécution la menace de faire exploser leur entreprise avec des bonbonnes de gaz. Confrontés à des fermetures de sites et à des licenciements, ceux de Nortel à Châteaufort (Yvelines) ont exercé une pression identique auprès de la direction, tandis que des cadres de Michelin ont été séquestrés à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire).
Risque-t-on d'assister à la recrudescence de conflits durs, "désespérés" ?
Les possibilités de dérapage existent toujours, mais elles sont à nuancer du fait des cadres collectifs qui semblent prédominants dans ces luttes. Cela dit, il existe des différences dans ces conflits. Concernant les New Fabris, on peut parler en effet de conflit "désespéré". Là, les salariés ont manifestement intégré qu'ils auraient beaucoup de mal à retrouver un emploi. C'est aussi un conflit de la dignité, car ils réclament la même chose que ce que les collègues d'une autre entreprise sous-traitante de l'automobile, Rencast, appartenant au même groupe qu'eux, ont obtenu. Ils ne comprennent pas pourquoi il y aurait "deux poids, deux mesures".
Chez Nortel, ce n'est pas exactement la même chose. Les cadres et salariés de l'entreprise sont en région parisienne, et auront probablement plus de chances de retrouver un emploi que les New Fabris à Châtellerault. Et ce n'est qu'après les échos de la presse relatant l'exemple des New Fabris qu'ils ont décidé de mettre en scène une menace similaire pour attirer l'attention des médias et obtenir la tenue d'une réunion.
Le rôle des médias est important ?
Oui. Dans les deux séquences d'actions et de séquestrations de mars-avril et depuis dix jours, les médias ont joué un rôle très important. Les salariés les instrumentalisent afin de modifier le rapport de forces. Ils ont compris qu'il fallait du spectaculaire pour qu'on parle d'eux. Ce qui n'est pas nouveau, si on se rappelle la lutte des Cellatex en 2000 dans les Ardennes.
Les représentants syndicaux sont présents dans ces luttes, mais les confédérations sont discrètes. Sont-elles débordées ?
Manifestement, les confédérations renvoient sur les fédérations professionnelles, et semblent mal à l'aise. Les délégués syndicaux, les représentants du personnel sont présents dans ces conflits, et tentent de contrôler la situation.
Au niveau national, les syndicats sont mal à l'aise, parce qu'en revendiquant des primes de licenciement, extralégales, plus importantes, les salariés vont à l'encontre de ce que les syndicats prônent traditionnellement : la sauvegarde des emplois, le reclassement. Dans le même temps, ils ne peuvent pas condamner ces revendications, plutôt réalistes et soutenues par leurs délégués sur le terrain.
Dans ces conflits, les salariés disent :"Si les patrons veulent fermer la boîte, qu'ils le fassent mais qu'ils payent un maximum." Ils ont intégré que l'emploi était perdu, et ils veulent s'assurer pour un avenir incertain. En clair, ils veulent des sous pour vivre, et pas des grands discours sur le reclassement ou la formation professionnelle. Pour eux, ces injonctions au changement invalident leur expérience professionnelle, nient la qualité de leur travail, et même, pour certains, leur raison d'être.
Ces conflits sont isolés. Peuvent-ils trouver des relais dans les actions prônées par l'intersyndicale qui réunit les huit grandes organisations de salariés ?
Ce type de conflit est par nature local, réactif. Les salariés sont dos au mur, ils n'ont aucune perspective et ne se posent pas la question de modifier la politique économique du gouvernement, l'un des objectifs de l'intersyndicale. Celle-ci s'est heurtée à un mur, et n'a pas réussi à infléchir la politique du gouvernement. Peut-être les syndicats n'ont-ils pas assez montré leurs muscles ? Ils ont réussi d'énormes manifestations, mais les ont tellement espacées qu'ils n'ont pas entretenu l'espérance d'une modification de la situation. Comment inverser la tendance ? C'est la question que doivent résoudre les syndicats, en offrant des perspectives collectives, en proposant un autre mode de développement économique.
Le discours sur la "bonne santé du dialogue social" est-il pertinent ?
On n'arrête pas de mettre en scène un dialogue social idéalisé, où le conflit ne s'exprimerait pas. Or conflit et négociation ne sont pas forcément antagonistes, et la plupart des luttes actuelles visent justement à obtenir de nouvelles négociations. Il est illusoire de prôner, en toutes circonstances, le dialogue à froid, en niant l'existence de rapports de force. Devant tant de licenciements, il serait plus inquiétant que personne ne proteste.
Propos recueillis par Rémi Barroux Article paru dans l'édition du 02.08.09.
AFP/ALAIN JOCARD
Une ancienne salariée de New Fabris en larmes à l'issue de l'assemblée générale de vendredi 31 juillet qui a entériné la fin du mouvement en échange d'une prime de 12 000 euros.
A Châtellerault, l'amertume et la résignation des salariés de New Fabris
LE MONDE | 01.08.09 | 14h15 • Mis à jour le 01.08.09 | 18h39
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Châtellerault (Vienne) Envoyée spéciale
Acrochées aux grilles de l'usine de New Fabris de Châtellerault (Vienne), des paires de chaussures de sécurité remplies de fleurs fanées se balancent au vent, symbole dérisoire d'une mort sociale annoncée. Vendredi 31 juillet, "Fabris c'est fini". En cette fin de matinée, la petite cinquantaine d'ouvriers qui ont passé la nuit dans l'usine ne se font plus d'illusions sur l'issue de la journée, mais espèrent encore que le prix de leur "dignité" dépassera les 11 000 euros brut d'indemnité supra-légale, arrachée à leurs principaux clients, Renault et PSA.
Carrure de déménageur, Dominique Brugier, 38 ans et "huit ans de boîte", ne se lasse pas de montrer son usine. Une dernière fois. "Le robot tout neuf qui a servi trois semaines", "les 300 machines", "les 22 000 m2 de l'atelier" où flottent encore çà et là, au détour des travées, les odeurs d'huile et de métal froid. "Il y avait du savoir-faire, les Fabris c'était des bosseurs". "12 000 euros net ?" La rumeur enfle, ce serait la dernière proposition du ministre de l'industrie, Christian Estrosi. On est loin des 30 000 euros demandés par les salariés. "Partir comme ça, ça fait mal au coeur." Françoise Daget, 56 ans est une des rares ouvrières de Fabris. La gorge nouée, elle se rappelle comme beaucoup "qu'ici il y a eu jusqu'à 750 salariés dans les années 1990". Belle réussite alors que cette entreprise, créée en 1947 par les deux frères Fabris, Eugène et Quentin.
"TÊTE HAUTE"
Leur atelier de 32 m2 avait prospéré jusqu'à devenir, il y a moins de dix ans, le deuxième groupe européen d'usinage automobile. Une époque révolue, celle d'avant la crise, d'avant les rachats à répétition et les plans sociaux en cascade, cinq entre 2003 et 2007, et la fermeture sous le dernier repreneur, le groupe italien Zen. Depuis l'annonce, le 16 juin, de la mise en liquidation judiciaire, Françoise est venue tous les jours. Fidèle à ses horaires de travail (5 heures/13 heures). Mais après plus d'un mois et demi de lutte et une menace de faire sauter l'usine, la fatigue et le désarroi se lisent sur son visage.
" Vous pouvez être fiers de vous. On pourra se balader à Châtellerault, dans les rues de France et de Navarre avec la tête haute. On ne se sera pas fait virer comme des merdes." Guy Eyermann, délégué CGT et leader du mouvement prend la parole avant le vote à bulletin secret. A 13 h 30, le couperet tombe dans un silence glacial. Beaucoup de salariés cachent leur émotion derrière des lunettes teintées. Sur les 235 votants, 204 ont accepté le protocole de fin de conflit et la prime de départ de 12 000 euros, nette de toutes cotisations, impositions ou prélèvements.
"BESOIN DE ME VIDER LA TÊTE"
Chaque salarié aura aussi droit au Contrat de transition professionnelle, (CTP) un dispositif de reclassement qui permet de conserver 95 % de son salaire net pendant douze mois, et de bénéficier d'une aide à la recherche d'emploi. 259 Fabris sur 366 y ont déjà souscrit, sans illusion.
Le bassin de Châtellerault enchaîne depuis de longs mois les annonces de plans sociaux et de chômage partiel. 2 400 emplois seraient menacés à terme. Sur la zone industrielle nord, à deux pas de l'usine Fabris, 180 licenciements sont prévus chez Valeo, 76 chez Magnetti-Marelli, deux équipementiers automobiles, 84 chez Isoroy, une entreprise de bois, presque autant chez Fenwick, fabricant d'engins de levage. Se reconvertir ? Noël, dit Nono, préfère en rire. "Quand je me suis présenté à l'entretien du CTP, on m'a dit : "Si vous voulez, il y a une place de boucher après-demain dans une grande surface." Après trente ans dans la sidérurgie, entendre ça !" D'autres s'accrochent à un projet, une envie. "Je vais peut-être voir du côté de tout ce qui est énergie renouvelable, réfléchit Jean-François Laterrière, 48 ans et une formation d'électricien. Mais avant, j'ai besoin de me vider la tête."
Dans le réfectoire, le dernier "apéro" touche à sa fin. On se remémore les bons moments, on se promet de rester en contact, on se dit qu'il faut tenir et que des jours meilleurs reviendront. Certains pleurent, aussitôt réconfortés à grand renfort d'accolades. Patrice, 52 ans et 22 ans de travail de nuit, est retourné à l'atelier pour prendre quelques photos " en souvenir".
Benoît essuie une larme. Bravache ce matin, il a tenu à mettre son tee-shirt noir, celui qui "avait fait rigoler les copains de l'atelier, la première fois qu'il l'avait porté". Sur le devant, une simple inscription en lettres blanches : "Bosser tue".
Catherine Rollot