de Antigone le Ven 19 Juin 2009 19:07
J'ai passé une partie du début des années 80 à me farcir les ouvrages des éditions Champ Libre. La liquidation de ces bouquins à bas prix m'avait offert l'occasion de me pencher sur le situationnisme à un moment où je me détachais de l'ultra-gauche conseilliste.
Le situationnisme est trop systématiquement associé à Debord, et ce serait une erreur d'accréditer la personnalisation (non figurative) que la bourgeoisie est parvenue a en faire. Sa vie, sa dépression (?), quelle importance, vu qu'il n'est jamais passé chez Drucker...
Debord a tenu à être le dernier des mohicans.
Il a mis en oeuvre une stratégie personnelle intellectuelle qui tendait à transcender l'apport même de son mouvement. Il a fait tout ce qu'il fallait faire pour que l'intelligentsia dont il faisait partie, toujours curieuse de nouvelles théories (surtout celles qui apportaient une interprétation déviante du marxisme), se reconnaisse en lui et le présente comme une légende. En se cachant des médias, il a alimenté à dessein son propre mythe. Il faut dire qu'à l'époque, pour gagner la direction intellectuelle et morale de la classe dominante, il y avait la concurrence de Sartre, Lacan, Foucault, Barthes, Marcuse...
Le situationnisme n'est donc pas réductible à un ou deux auteurs (Debord et Vaneigem) comme on chercherait à nous le faire croire. C'est un mouvement de pensée qui a traduit des convergences avec des avant-gardes artistiques, les architectes visionnaires, mais aussi et surtout avec des individus qui ont su exprimer par la théorie une manière d'envisager la société à partir d'une critique de certaines valeurs que la politique finissait à peine d'intégrer à la fin des années 60, l'idéologie, l'anti-capitalisme, la modernité...
Le situationnisme s'est distingué du marxisme par le fait que le rôle de l'avant-garde ne consistait plus à aller vers les masses pour les diriger. Les membres de l'IS étaient convaincus que les conditions de la révolution sociale allaient amener le prolétarait à (tout simplement) confirmer leur théorie. Cette idée de subversion qui se suffisait à elle-même, sans qu'elle ait besoin d'être nécessairement partagée, nous apparait à travers le style formalisé d'un discours dont on peut juger la lecture à juste raison abstraite et hautaine, mais qui, malgré tout, ne doit pas nous amener à en occulter la pensée globale.
Ce qui est emmerdant dans l'étude de ce mouvement, c'est ce tri et ce va-et-vient permanent que nous devons nous efforcer de faire entre ce qui est à prendre et ce qui est à laisser... et qui nous oblige à ajouter "mais" chaque fois qu'on en extrait une idée.
Le situationnisme a permis d'ouvrir une réflexion sur l'effondrement du monde pris comme société et comme civilisation... mais il s'est articulé autour de la vision dominante à l'époque, la critique de l'économie telle qu'elle était fournie par le marxisme et dont il n'a proposé qu'une actualisation.
Ses textes se sont inscrits dans une période de forte croissance où l'émergence de la marchandise dans le mode de vie contemporain, agissant en profondeur sur les rapports sociaux, avait largement débordé de la banale question du développement des forces productives. C'est ce qui leur ont donné à la fois leur acuité mais aussi leur limite... et c'est normal, car on ne peut échapper à l'imprégnation de son temps.
Malgré tout, le situationnisme a permis d'ouvrir des pistes, et c'est en cela qu'il est encore moderne.
Ce n'est pas parce qu'aujourd'hui la bourgeoisie se plait à mettre en avant une lecture du situationnisme qui l'arrange, qu'il faudrait jeter à la poubelle des travaux théoriques qui ont marqué l'histoire de l'IS de 1957 à 1972. Toutefois l'analyse de la réificaton et la critique en terme de réappropriation de la vie qui en ont été faites dans les années 80 par des groupes/revues post-situs comme La Banquise, Os Cangaceiros ou d'autres plus éphémères (auxquels j'ai participé), ont aujourd'hui plus d'intérêt et sont bien plus d'actualité que les radotages fumeux de Debord.
Il sera toujours intéressant de les faire découvrir un jour à des plus jeunes qui. je l'espère, sauront en faire une critique pertinente.
Ni rouge, ni noir. Révolutionnaire sans drapeau.
L'Autonomie, ça devrait ressembler à ça