de leo le Jeu 30 Avr 2009 15:17
A propos de “Podemos”, Luco dit, à juste titre, que « la question de la destruction de l'état est "contournée"».
Oui, mais quelle est la lutte qui aujourd’hui ne contourne pas, n’évite pas la question de l’Etat ?
Dans tout ce qu’on peut voir, lire, participer, il s’agit toujours de combattre des politiques de l’Etat à un moment donné, sur tel ou tel aspect, donc de contester plutôt un gouvernement et ce qu’il fait que l’Etat en tant que tel, Etat dont ce gouvernement a la charge à un moment donné.
Et que disent les zapatistes ? Et Holloway ? Et certaines communautés indiennes rurales de Bolivie où il s’agit plus de faire sécession que de détruire l’Etat. Et chez les anars et assimilés, tous les partisans des expériences alternatives, communautaires, affinitaires, expérimentales… ? Ils butent sur la question de l'Etat, ils se “trompent” sans doute. Je dirais en parallèle qu’ils sont dans un excès de réalisme radical. Pour autant, cela n’en fait pas des “ennemis” mais des gens avec lesquels il doit être possible de se dialectiser sans renier ce que nous pensons de l’Etat et de sa nécessaire disparition (entre autre sujet).
Sur l’OCL là-dedans, je ne sais pas et ne peux parler à sa place.
Une hypothèse : dans le fait de relayer cette information, c’est peut-être plus la démarche que le contenu qui la motive.
Moi je trouve ça pas mal de pouvoir financer une publication (“Crisi”) tirée à 200 000 exemplaires en catalan, distribuée gratis à une population qui, comprenant cette langue, ne dépasse pas les 8 ou 9 millions de personnes (en incluant le Pays valencien et les Baléares) : faites le rapport.
Enfin, être solidaire d’un combat, ce n’est pas nécessairement être d’accord avec tous les termes de celui-ci. Sauf à rester entre soi.
J’ai connu des camarades de l’OCL se solidariser avec des gens dont il ne partageaient pas la moitié des idées. Simplement il y a parfois des actes, des manières d’être qui en disent plus et mieux que les mots.
La seule question qui me semble importante c’est : est-ce qu’autour d’Enric Duran ils vont rester à quelques dizaines à s’agiter ou parvenir à s’élargir ? Comment s’articule cette lutte avec d’autres, depuis la création toute récente d’“assemblées de chômeurs” dans pas mal de villes à la proposition d’organiser une “grève générale” à partir d’organisations et mouvements très minoritaires (petits syndicats alternatifs, anarcho-syndicalistes, organisations sociales locales, extrême gauche) ?
Enfin, dans l’Etat espagnol, il y a une certaine richesse des expériences “alternatives”, notamment les squats (okupas) beaucoup plus nombreux qu’en France y compris en zones rurales (en Navarre et Aragon surtout à ma connaissance) dont les contenus sont souvent assez intéressants car il y abordent souvent des questions de production et d’environnement au sens large (social).
Quand tu dis que l’OCL a généralement « une stratégie plus “classique” de confrontation avec l'appareil d'état à partir des luttes de classe, des luttes concrètes..., » je ne sais pas quoi dire à part essayer de faire comprendre qu’il y a à l'OCL de cela (du classique) et aussi autre chose, à la fois des luttes concrètes (dans leur concrétude comme dirait l’autre) et des questions de fond peut-être moins concrètes en terme de lutte collective immédiate.
Je ne peux que faire 3 remarques ou plutôt une remarque en 3 points.
J’ai connu (et participé à) une OCL à la fois :
1) très “classiste”, très chatouilleuse là-dessus, d’un “anti-capitalisme” à fleur de peau, sans concession, particulièrement à une période (les années 1980-2000) où l’on nous expliquait qu’il fallait faire surtout de l’anti-fascisme (certes affublé du qualificatif de “radical”), organiser des concerts de rock “alternatif” et boire de la bière et où le capitalisme était devenu un gros mot, auquel il fallait préférer le libéralisme ( et l’anti-Le Pen bien sûr ) et donc des alliances pour le moins douteuses pour le combattre. Période où la lutte des classes a été remplacée, grâce à la gauche au pouvoir ( !) par la thématique de l’ “exclusion” (le “in” et le “out”) et le retour en force d’une vision caritative et chrétienne de la pauvreté (Restos du cœurs, DAL, Abbé Pierre...).
Luttes de classes sur lesquelles toute une réflexion a eu lieu, à partir de l’évaluation de la rupture de la fin des années 70 sur un certain régime d’accumulation (les "30 glorieuses" pour faire vite), l'inauguration d'un nouveau cycle de “contre-offensive” de la bourgeoisie et donc une réévaluation des analyses sur les luttes de boîtes, notamment sur la nécessaire dimension interprofessionnelle et même au-delà ; sur l’articulation luttes de boîtes / luttes sur le territoire, renvoyant à ce que l’on peut qualifier de démarche “globaliste”, d’autant plus que les anciens paradigmes de la “centralité ouvrière” en vigueur jusqu’aux années 60 voire 70 n’avaient déjà plus aucune validité stratégique ou même simplement axiomatique.
2) très branchée sur l’internationalisme et les luttes de libération nationale, avec, par rapport au “mouvement” anar, des positions assez réalistes, tranchées et originales sur la question de l’appartenance, sur la référence au territoire, sur l’idée de communautés humaines concrètes (sinon, c'est la "communauté humaine" qui n'existe pas). Du Pays Basque à la Kanaky, tout un travail de réflexion, d’analyse a été fourni et qui a rencontré un certain écho chez pas mal de gens (libertaires ou non), et qui a aussi suscité des critiques voire des polémiques chez d’autres. Juste un point rapide là-dessus. Quand, par rapport à la crise sociale actuelle, plein de syndicalistes (et, au-delà, tous ceux/celles qui rêvent d’une grève générale) demandent la création d’un “LKP” en métropole, ont-ils une seule fois réfléchi au fait que celui-ci était le produit d’une situation particulière, d’un territoire où une bonne partie de la population partage un sentiment d’appartenance extrêmement marqué (et pas parce que c’est tropical, ni parce qu’ils sont presque tous noirs ou que c’est une île !) et que ce sentiment d’appartenance découle directement de la domination coloniale passée et présente et pas de la stricte domination capitaliste ou étatique. Quand en Corse, comme en Guadeloupe, le premier syndicat (en terme de voix aux élections) est indépendantiste, idem au Pays basque espagnol… il y a bien des moments où la question de "classe" rencontre la notion de "peuple".
3) très critique du productivisme à une époque où pratiquement personne dans le courant anar/libertaire ne s’en préoccupait, à part des gens de Lyon qui avaient bossé sur les textes de F. Partant puis sur ceux de Murray Bookchin (« Une société à refaire », ACL). Pour avoir participé à la rédaction de quelques textes, je peux témoigner que dès la fin des années 70, à partir de la lutte anti-nucléaire (manif de Creys-Malville, puis surtout lutte de Plogoff et d’autres ensuite) s’est engagé une réflexion critique sur le “développement des forces productives”, le contenu de la production, la question de la croissance, du “progrès”, de ce que l’on appelle les richesses. Réflexions que l’on a pu retrouver sur la question “paysanne”, à l’intersection de la critique du productivisme et de la dimension territoriale (et donc parfois “nationale”) de la lutte. Et qui dit, territoire, dit immédiatement politique car le politique est un « espace » qui peut coïncider avec l’espace « géopolitique » du territoire, du « pays ». Mais ça c’est un autre débat possible sur ce qu’il peut être qualifier sous le nom de “politique” comme est très politique, et non sociale, la critique du productivisme, du nucléaire, des modes de production et de consommation, des industries d’armements comme la politique des transports (TGV, voies rapides…), du publisexisme comme du marché de la “sécurité” ou de la “santé” ou de l’“entertainment ” qui, comme tout marché (toute “demande”) est toujours fabriqué par une “offre” préalable.
Je ne sais pas si tout cela forme une stratégie “classique”. J’y vois plutôt quelque chose qui sort assez de l’ordinaire, quelque chose d’assez hétérodoxe et qui sans doute peut expliquer une certaine absence ou difficulté de “lisibilité”.
Généralement et historiquement les “classistes”, arrimés à une histoire du mouvement ouvrier et donc au développement des “forces productives” qui n’est autre que celui du capitalisme, ne sont guère intéressés pas l’écologie, la question du “progrès”, les critiques sur les modes de consommation et les valeurs d’usage de biens produits, les usages de la science, etc. bref une critique du capitalisme pour d’autres raisons que la seule exploitation de la force de travail. Les “écolos” sensibles aux questions de progrès, de croissance, d’épuisement des ressources, sont très rarement réceptifs aux luttes sociales et à leurs capacités éventuellement transformatrices (il y a même parmi eux de fieffés élitistes et franchement réacs sur ces questions). Quant aux luttes de libération nationales, on y trouve de tout, depuis des composantes “ouvrières” ou populaires jusqu’aux notables qui visent l’accession au pouvoir, depuis les partisans de la globalisation financière et de ses retombées (par ex. le tout tourisme) jusqu’à ceux qui réfléchissent à d’autres voies d’une économie la plus autosuffisante possible et respectueuse d’un certain nombre de critère sociaux, ou culturels ou environnementaux.
Je ne sais si tout cela est vraiment « en rupture avec les positions de l'OCL ». Il y a quelque mois, Courant Alternatif a publié un article sur un projet de lieu de vie dans le sud du Périgord, porté par ses futurs habitants (une dizaine de futurs retraités, essentiellement des femmes), comme alternative aux maisons de retraite. Une coopérative d’habitat, sur un terrain de 2 ha, à l’orée d’un village, sur des principes d’autogestion, d’égalité, d’entraide et de solidarité, avec espace privatif pour chacun-e de 50 m2 et des parties communes, buanderie, salles de réunion, atelier, bibliothèque, potager… et un ensemble de constructions réalisées sur des bases écolos, avec un système d’emprunt collectif et avec la mise en commun de la charge de remboursement.
Ce n’est pas la révolution en Dordogne et le capitalisme ne tremble pas sur ces bases ni là ni ailleurs. Et pourtant cela existe, au moins comme projet, comme alternative au ghetto-mourroir de la maison de retraite. Courant Alternatif en a parlé. A-t-il bien fait ? D’un point de vue révolutionnaire, peut-être pas : ce n’est après tout qu’une manière de s’aménager des espaces dans les marges du système, de contourner l’Etat et en plus en osant demander des subventions aux pouvoirs publics. En tout cas, cet article, cette information a intéressé plusieurs personnes de mon entourage qui, à la cinquantaine bien tassée, se demandent, quelque peu anxieux et interrogatifs, quel sera leur avenir quand on refuse la perte d’autonomie que représente toute prise en charge et la peur, l’absurdité d’une solitude et de la désocialisation que le « troisième âge » semble inaugurer fatalement.
Pour finir, juste un point qui me semble important et qui est une question ouverte, une interrogation.
Je ne pense pas qu’il y ait aujourd’hui un schéma unique pour un quelconque “processus révolutionnaire”. Il n’y a pas de “modèle”.
Quant à ce qui se désigne couramment par “alternatives” sociales et/ou politiques, il n’y a pas de voie toute désignée, ça se saurait.
Il y a eu, il y a, il y aura des luttes et expériences diversifiées qu’elles soient dans (et contre) le système ou qu’elles visent à y échapper et créer quelque chose d’autre sur ses marges. Elles pourront peut-être s’ignorer ou se connaître et ne pas se comprendre ou au contraire trouver des points de jonction et d’articulation. Elles pourront croître ou refluer, gagner ou perdre.
Le capitalisme étend son influence sur tous les aspects de la vie, pas seulement au travail. Il est assez logique qu’il suscite autant de refus, de résistances, de rebellions. Depuis les arrêts de travail dans les entreprises jusqu’à l’occupation de logements vides et disponibles, depuis les bagarres pour conserver ici un bureau de poste, là un arrêt de train, ailleurs un service hospitalier jusqu’aux projets de lieux alternatifs comme des coopératives d’habitat pour personnes âgées ou autres, c’est cette multiplicité et la diversité qui fait la force des mouvements de résistance, mouvements, luttes, expériences qui pourraient bien, à force de colères accumulées, de manières plus ou moins coordonnées mais assurément transversales, décider de passer à la contre-offensive.
Et là cela devient encore plus intéressant.