Errico MALATESTA: Ecrits Choisis

[Lehning]

On dit que le rôle du gouvernement est actuellement de défendre le capitalisme, mais qu'une fois le capitalisme aboli, il représenterait et gérerait alors les intérêts de tous. C'est une erreur. D'abord, le capitalisme ne pourra être détruit que lorsque les travailleurs, ayant chassé le gouvernement, prendront possession de la richesse sociale et organiseront la production et la consommation dans l'intérêt de tous, et dans leur propre intérêt, sans rien attendre d'un gouvernement qui ne serait pas capable de réaliser cela, même s'il le voulait.

[Lehning]

Bien plus: si le capitalisme était détruit et qu'on laisse subsister un gouvernement, ce dernier créerait de nouveau le capitalisme en concédant toutes sortes de privilèges. Comme il ne pourrait pas contenter tout le monde, il aurait besoin d'une classe économiquement puissante qui l'appuierait, en échange de la protection légale et matérielle qu'il lui fournirait.

[Lehning]

On ne peut, par conséquent, abolir le privilège et établir solidement et définitivement la liberté et l'égalité sociale qu'en abolissant le gouvernement - non pas tel ou tel gouvernement, mais le gouvernement en tant qu'institution.

[Lehning]

Mais il faut le consentement de l'ensemble de la population, comme pour tous les faits d'intérêt général, et plus encore que pour tout autre fait d'intérêt général. C'est pourquoi nous devons nous efforcer de convaincre les gens que le gouvernement est inutile et nocif, et qu'on peut vivre mieux sans gouvernement.

[Lehning]

La seule propagande est impuissante à convaincre tout le monde, nous l'avons déjà dit plus d'une fois. Et si nous voulions nous limiter à faire de la propagande contre le gouvernement, en attendant, sans rien faire d'autre, le jour où les gens seront convaincus qu'il est possible et utile d'abolir complètement toute espèce de gouvernement, ce jour ne viendrait jamais.

[Lehning]

En faisant toujours de la propagande contre toute espèce de gouvernement et en réclamant toujours la liberté intégrale, nous devons favoriser toutes les luttes pour les libertés partielles, parce que nous sommes persuadés que c'est en luttant qu'on apprend à lutter et que, quand on commence à goûter à un peu de liberté, on finit par la vouloir toute entière.
Nous devons toujours être avec le peuple et faire en sorte qu'il veuille au moins quelque chose, si nous ne réussissons pas à faire qu'il veuille beaucoup, nous devons faire en sorte qu'il apprenne à vouloir le conquérir lui-même et qu'il n'ait que haine et mépris pour quiconque est au gouvernement ou veut y aller.

[Lehning]

Par les lois, le gouvernement a aujourd'hui le pouvoir de régir la vie sociale, d'augmenter ou de restreindre les libertés des citoyens. Ne pouvant pas encore lui arracher ce pouvoir, nous devons chercher à l'amoindrir et à l'obliger à en user de la façon la moins nocive possible. Mais cela, nous devons le faire en étant toujours en dehors du gouvernement et contre lui, en faisant pression sur lui par l'agitation de la rue, en menaçant de prendre de force ce qu'on réclame. Nous ne devons jamais accepter de fonction législative, qu'elle qu'elle soit, générale ou locale, parce qu'ainsi nous diminuerions l'efficacité de notre action et trahirions l'avenir de notre cause.

[Lehning]

La lutte contre le gouvernement est, en définitive, une lutte physique et matérielle.

[Lehning]

Le gouvernement fait la loi. Il doit donc disposer, pour imposer la loi, d'une force matérielle (armée, police), sinon n'obéiraient que ceux qui le voudraient et la loi cesserait d'en être une pour devenir une simple série de propositions que tous seraient libres d'accepter ou de refuser. Les gouvernements ont donc cette force et s'en servent pour pouvoir fortifier leur domination par des lois et favoriser les intérêts des classes privilégiées, en opprimant et en exploitant les travailleurs.

[Lehning]

La seule limite à l'oppression du gouvernement, c'est la force que le peuple se montre capable de lui opposer. Le conflit peut être ouvert ou latent, mais il y a toujours conflit: car le gouvernement ne tient pas compte du mécontentement et de la résistance du peuple, jusqu'à ce qu'il sente le danger d'insurrection.

[Lehning]

Quand le peuple se soumet docilement à la loi, et quand la protestation est faible et platonique, le gouvernement en prend à son aise sans se soucier des besoins populaires ; mais quand les protestations sont vives, insistantes, menaçantes, le gouvernement cède, ou encore réprime, selon qu'il se sent plus ou moins inspiré. Mais on en vient toujours à l'insurrection parce que, si le gouvernement ne cède pas, le peuple finit par se révolter ; et si le gouvernement cède, le peuple prend confiance en lui-même et veut toujours plus, jusqu'à ce que l'incompatibilité entre liberté et autorité devienne évidente et qu'éclate le conflit violent.

[Lehning]

Il faut donc se préparer moralement et matériellement pour que la victoire soit au peuple quand éclatera la lutte violente.

[Lehning]

Ce qui est le plus efficace pour l'émancipation populaire, c'est la victoire de l'insurrection, parce qu'alors, ayant secoué le joug, le peuple devient libre de se donner les institutions qu'il croit être les meilleures et que le fossé entre les lois, toujours en retard, et le degré de civilisation auquel la masse de la population est arrivée, est franchi d'un seul coup. L'insurrection détermine la révolution, c'est-à-dire le passage à l'acte, rapidement, des forces latentes accumulées pendant l'évolution précédente.

[Lehning]

Tout dépend de ce que le peuple est capable de vouloir.

[Lehning]

Inconscient des causes véritables de ses maux, le peuple a toujours voulu trop peu dans les insurrections passées... et il a obtenu trop peu.

[Lehning]

Que voudra-t-il dans la prochaine insurrection ?

[Lehning]

Cela dépend en partie de notre propagande et de l'énergie que nous saurons déployer.

[Lehning]

Nous devons pousser le peuple à exproprier les propriétaires, à mettre en commun les biens et à organiser lui-même la vie sociale, par le biais d'associations librement consenties, sans attendre les ordres de qui que ce soit, tout corps constitué qui, sous un nom ou sous un autre (constituante, dictature, etc.) s'arrogerait, même à titre provisoire, le droit de faire la loi et d'imposer aux autres sa propre volonté par la force.

[Lehning]

Et si la masse du peuple ne répond pas à notre appel, voilà ce que nous devons faire -au nom du droit qui est le nôtre d'être libres même si les autres veulent rester esclaves et pour l'efficacité de l'exemple- traduire nous-mêmes en actes le plus que nous pourrons nos idées ; ne pas reconnaître le nouveau gouvernement ; maintenir toujours vivace la résistance ; et faire que, là où nos idées seront accueillies avec sympathie, les gens se constituent en communautés anarchistes, qu'ils repoussent toute ingérence du gouvernement, qu'ils établissent avec les autres localités des rapports libres et qu'ils se donnent les moyens d'y vivre comme ils l'entendent.

[Lehning]

Nous devons surtout nous opposer, par tous les moyens, à ce que se reconstituent la police et l'armée et saisir cette occasion propice pour pousser les travailleurs des localités non anarchistes à profiter de l'absence des forces de répression pour imposer ces exigences plus grandes qu'ils nous appartient de les pousser à avoir.