de frigouret le Sam 12 Mai 2018 18:22
Très bien Rocker
Bibliothèque Anarchiste
Titre: Une lecture de Nationalisme et culture de Rudolf Rocker
Auteur·e: Alaluska
Sujets: culture, démocratie, Etat, fascisme, Hegel, Hobbes, libéralisme, Marchiavel, matérialisme historique, nationalisme, Réforme, religion, Révolution Française, Rousseau, Rudolph Rocker
Source: Consulté le 31 août 2016 de non-fides.fr
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Alaluska
Une lecture de Nationalisme et culture de Rudolf Rocker
Critique du matérialisme historique
Politique et religion
Généalogie
Machiavel
La Réforme
Hobbes
Libéralisme et démocratie
Rousseau, la Révolution Française
Hegel
Nationalisme - État - Fascisme
Analyse : homme - machine, nationalisme - culture
Nationalism and Culture, 1937, Los Angeles, Rocker Publications Committee. Le livre devait paraître en allemand quand le nazisme prit le pouvoir et l’exil forcé de Rudolf Rocker conduisit son manuscrit jusqu’aux État Unis.
Ouvrage complexe et vaste, publié pour la première fois en Italie en 1960 en deux volumes, toutes les références ici renvoient à l’édition italienne Nazionalismo e Cultura, Vol 1 et 2, Edizioni della Rivista Anarchismo, Catania 1977.
Comme dans tout ouvrage vaste et dense, les thèses ici présentées sont multiples et s’enchaînent les unes dans les autres. Je ne prétends pas ici développer toute l’étendue des sujets traités par Rocker, mais plutôt tracer le parcours d’un fil que j’ai vu se dérouler à travers ses pages. C’est un parcours qui rebondit de l’histoire à la philosophie, par le prisme de la sensibilité anarchiste particulière à l’auteur.
Je vais ici essayer de développer une perspective qui découle de son ouvrage, en suivant le déroulement des idées de Rocker. Non un résumé partiel, mais plutôt une lecture.
Critique du matérialisme historique
Au début de son ouvrage, Rocker pose clairement le point de vue qu’il adoptera pour analyser la question au centre de son essai : les principes fondamentaux du pouvoir et leur rapport à l’Histoire.
Il identifie les causes centrales du déroulement de l’ Histoire dans les désirs et volontés humaines, dans la volonté de puissance propre aux hommes. Les intentions humaines, propositions, envies et finalités déterminent prioritairement les événements sociaux, et les volontés humaines, comme toute idée de finalité, sont liées à une question de foi.
Rocker dénonce l’insuffisance du déterminisme économique [matérialisme historique] dans l’explication des phénomènes sociaux. L’erreur du matérialisme scientifique serait de mettre sur le même plan les causes des phénomènes sociaux et les causes des événements mécaniques de la nature. En trouvant l’explication de tout phénomène historique dans les conditions de production économique, le matérialisme historique donne à l’histoire un sens déterminé. Les actions et événements sociaux ne suivent pas des lois scientifiques comme les phénomènes naturels, qui pourtant affectent les hommes. Quant on voit les événements historiques comme une séquence nécessaire, dit Rocker, on sacrifie le futur au passé (p.26). Conscient de l’importance des facteurs économiques et matériels dans la possibilité des actions humaines, son regard demeure cependant critique vis-à-vis du matérialisme historique. Pour Rocker, la volonté de puissance naissant des individus et des petits groupes est en fait la plus puissante force conductrice de l’histoire (p.27).
C’est sur cette base que Rocker s’appuie pour éclaircir les concepts de Nationalisme et de Culture, identifiés comme les deux emblèmes du développement de la société humaine. Si le nationalisme synthétise effectivement la nouvelle religion politique moderne, la culture représente pour Rocker la force de l’imagination et la diversité humaine qui, seules, peuvent sortir l’humanité de l’esclavage, lui donnant la liberté.
Pour comprendre ce qu’est le Nationalisme, Rocker fait une généalogie des principes dont il se compose, et passe en revue les auteurs qui ont dans l’histoire contribué à forger ce concept.
Politique et religion
Tout ce qui est politique a pour Rocker ses racines dans des concepts religieux. La religion explicite le sentiment de dépendance de l’homme envers des puissances supérieures. La peur de Dieu, que l’auteur considère comme le préliminaire nécessaire à la soumission volontaire, constitue le fondement du système de domination. La politique est toujours religion car elle s’appuie sur la conscience religieuse des hommes pour exercer son pouvoir.[1]
Le pouvoir dirige selon un principe d’autorité basé sur l’image divine, que ce soit Dieu personnifié, ou un autre Esprit du temps, ce principe d’autorité tend toujours à être absolu, parce qu’animé par une volonté de puissance qui vise à la totalité. La condition d’existence de tout système de pouvoir est de séparer le peuple des détenteurs de privilèges, en laissant ainsi apparaître la condition sociale de chaque homme, déterminant qui est maître ou esclave, comme chose naturelle, comme reçue de Dieu. Chaque politique du pouvoir a en effet eu jusqu’ici pour but d’ancrer chez les hommes la foi dans un destin inévitable, mécanique, sanctifié. L’acceptation de ce destin naturel (déjà présent chez Platon et Aristote) sépare les hommes en supérieurs et en inférieurs : cela justifie les divisions sociales, (classes, castes, races), et produit la foi dans l’existence de races et de nationalités supérieures et d’autres élues, conditions indispensables au maintien de l’ordre et de la soumission.
Le pouvoir politique aspire à l’uniformité, cherchant à homologuer toute forme d’activité humaine. Il agit dans un sens destructif, en encastrant les phénomènes de la vie sociale dans le corps unique des lois. Au contraire, la culture se base sur la diversité et la variété des activités humaines, elle est flottante, elle n’a jamais été crée par les États ou les dominants. La culture naît du libre accord entre les hommes, de l’échange ; le pouvoir est dans les mains d’individus ou de petits groupes. Il en résulte une opposition permanente entre pouvoir et culture, à la grandeur de l’un correspond la faiblesse de l’autre (p.75).[2]
Généalogie
En s’appuyant autant sur des événements de l’histoire que sur l’exposé des idées de certains philosophes qui ont particulièrement marqué l’évolution politique et culturelle de l’Europe et des Amériques, Rocker remonte aux racines de l’État démocratique moderne, toujours en réfléchissant sur les rapports qui se structurent entre « l’individu » et la collectivité, la communauté, les formes que la société prend, la gestion collective des exigences, mais aussi des désirs et volontés humaines.
Machiavel
Machiavel, dans Le Prince, a mené la raison d’État au delà de toute question éthique. En politique il n’y a pas de place pour la morale : pour ce qui relève des problèmes de gestion du pouvoir, tout moyen nécessaire est justifié. La Renaissance se présente pour Rocker comme le premier moment révolutionnaire dans l’histoire de l’Europe, où la solidarité de la communauté s’effondre sous les intérêts économiques divergents entre individus et petits groupes d’individus.
Ce passage est représentatif pour Rocker de la dissolution de la communauté qui, quand elle est véritable, s’appuie sur le libre échange et le libre accord entre les gens, mais qui s’effondre, confrontée à toute forme de souveraineté. Machiavel aura synthétisé la naissance de la foi dans le grand homme, l’homme-patron, l’individu fort, le héros. C’est ainsi que le peuple devient la foule, fidèle à l’homme-patron qui crée le destin de tous. Ainsi Rocker dévoile la matrice commune de l’appareil de pouvoir étatique et de l’idée abstraite de nation. Machiavel n’a pas laissé tomber la religion, fortement conscient de son rôle essentiel dans la mise en place de toute forme de système de pouvoir. Il va plutôt travailler à élever à la forme divine les institutions d’État. La religion devient ici un instrumentum regni.
La Réforme
Avec la Réforme le pouvoir papal s’effondre, ainsi que l’unité européenne de l’humanité chrétienne, en laissant place à la séparation de l’Europe en plusieurs Nations. Si le protestantisme de son côté a aidé à la libération de la conscience des hommes du joug de l’Église, ce fut pour la placer sous le joug de l’État. Il a réalisé ce que Hegel appellera plus tard la « conciliation entre la religion et le droit », en aidant à déplacer le principe d’autorité du champ religieux, vers celui du politique. Le droit se transforme ainsi en une révélation divine, et le césaro-papisme se réveille avec une nouvelle apparence et une nouvelle vie.
Le rapport entre l’homme et la communauté demeure la question centrale de l’ouvrage, ainsi que les différentes formes de société qui se modèlent durant le développement historique de l’Europe. Les hommes dans leur ensemble sont considérés comme des individus soumis à des nécessités majeures, en dialogue constant avec les tendances différentes, variées et imprévisibles de chaque individu. La réflexion menant aux formes collectives de cette réponse, elle vise d’un côté la libre association, de l’autre la souveraineté, la soumission, la dépendance.
Hobbes
Hobbes trouve l’essence du contrat social dans la peur. Peur des autres menant à l’inexorable pouvoir d’État. Pour le philosophe anglais, l’État représente la fin de la guerre de tous contre tous, qui va permettre de lier ensemble les hommes sous les mêmes lois, toutes fruit de la volonté d’État, qui est la seule véritable loi. Parce que la volonté d’État s’identifie à la conscience publique, plus importante que toute conscience privée. Pour Hobbes, la foi dans l’État est religion, foi dans son pouvoir de diriger le destin des hommes dans le bon sens : il s’agit d’une même forme de souveraineté, qui implique la soumission des hommes et de leurs objectifs à la raison d’État.
En suivant le déroulement de la pensée de Rocker, qui ne croit pas suffisantes les raisons économiques pour justifier la mise en place des États comme de tout phénomène historique, il est d’autant plus intéressant de comprendre comment non seulement l’État existe, mais aussi comment sa mise en place s’est appuyée sur l’adhésion volontaire et, au final, sur la volonté sinon de tous les individus, du moins de celle des foules.
Pourtant, les dangers d’une telle soumission avaient déjà été révélés de l’autre coté de l’océan. Thomas Paine avait déjà parlé de la société comme fruit des besoins des hommes, et avait mis en garde contre les périls de la tyrannie de la majorité ; et Godwin avait déjà réfléchi au problème central de la société, partie de l’essence même de l’État, et non dans aucune de ses formes.
Libéralisme et démocratie
Rocker pose une opposition nette entre la pensée libérale et la démocratie. Dans le libéralisme , selon lui, l’individu demeure central et l’environnement social est censé promouvoir au mieux le développement naturel des différentes personnalités humaines. Le libéralisme se base sur la vieille sagesse de Protagoras, pour qui « l’homme est la mesure de toutes choses » (p.147). Ainsi vue, la société est un processus organique résultant des nécessités humaines, et se base sur des libres associations entre les hommes, visant leur meilleur développement, mais qui perdent leurs rôles au moment-même où elles accomplissent leur but. Le point de départ est l’homme, et les moyens qu’il se donne pour mieux vivre en découlent.
L’esprit de la démocratie est au contraire un esprit collectif, le peuple, la communauté. Ici l’homme n’est qu’une partie du groupe, soit de la communauté, du peuple ou de la nation. Une volonté est formalisée, une manière d’être à laquelle il faut s’adapter, la volonté commune (ou de la nation). L’individu est sacrifié au citoyen, la raison individuelle à la volonté générale (p.162). L’homme ici devient une machine à régler, à bien formater, machine censée accomplir le rôle qui lui est assigné par la volonté commune : s’adapter afin de devenir le modèle du citoyen.