de Lehning le Mer 21 Déc 2016 21:41
Grâce à la présence de Voline le groupe se fortifia. Il était international avec des Italiens comme François Fiore Del Conte et sa compagne Lybia, Tony Peduto, des Espagnols, Francisco Botey-Badosa, San Clemente, Jaime Mariano, des Français dont Maurasse l'instituteur [L'instituteur a joué un rôle important dans le groupe libertaire clandestin de Marseille, cependant son identité n'a pas été retrouvée malgré nos recherches.], Julia et Etienne Chauvet, Jacques Serra, un Tchèque, Joseph Sperck et un russe, Voline. Les réunions se tenaient chez Arru, dans une pièce qui servait à la fois d'entrepôt, de lieu de couchage pour les personnes pourchassées et d'officine de faux papiers. La propagande du groupe, sera faite sous l'intitulé unificateur de "Fédération internationale syndicaliste révolutionnaire" et recommande comme moyen la grève générale révolutionnaire pour remplacer une société basée sur l'exploitation de l'homme par l'homme, par l'entraide universelle. [André Arru, témoignage, Les anarchistes dans la Résistance, CIRA de Marseille, n° 21-22, vol. 1, dans Itinéraire n° 13, Voline. Francisco Botey-Badosa, témoignage, Les anarchistes dans la Résistance, vol. 2, p. 1, Pascal Bedos, Les anarchistes français de 1939 à 1945, dans Increvables anarchistes, n° 7 et pp. 76-81, Sylvie Knoerr-Saulière et Francis Kaigre, Jean-René Saulière dit André Arru, un individualiste solidaire (1911-1999), CIRA de Marseille 2004.] Le problème des rapports avec la Résistance officielle se posa au groupe de Marseille comme à celui de Paris comme on le verra plus loin. D'après Arru, bien que "l'instituteur" faisait partie d'un réseau, le reste du groupe, fidèle aux positions anarchistes du "Ni Thorez ni De Gaulle", s'est tenu à l'écart de la Résistance. Cependant Jean Roumilhac, Julien Henri, Jean Marestan qui participèrent à la Résistance sur Marseille et sa région rapportent avoir pris contact avec le groupe anarchiste de cette ville. [Le Maitron et Les anarchistes dans la Résistance, vol. 2, op. cit.] De plus Francisco Botey-Badosa et San Clemente participeront à la reconstruction du M.L.E. sur Marseille. [Francisco Botey-Badosa, Les anarchistes dans la Résistance, vol. 2, note 2, p. 9.] En juillet 1940, aura lieu une assemblée en zone Sud à Agen où Aristide Lapeyre fut désigné pour prendre la responsabilité du mouvement de résistance pour Bordeaux Sud-Ouest, en liaison avec les militants espagnols. Encore mobilisé, Aristide Lapeyre revient à Bordeaux pour y organiser, avec l'aide des membres du groupe d'action "Liberté" [Les responsables du groupe d'action Liberté de Bordeaux furent Aristide Lapeyre et, à la suite de son arrestation, François Miller. Cependant on n'a pas réussi à identifier d'autres membres.], "un service de correspondance avec la zone Sud", c'est-à-dire une filière de passage de la ligne de démarcation et de la frontière espagnole. Dans ce cadre, René Saulière "était chargé des relations" du groupe de Bordeaux "avec l'extérieur (Paris, Marseille, Toulouse, Pamiers, Foix...)" [Document rédigé par Aristide Lapeyre, Archives du CIRA de Marseille, voir les fac-similés, dans Les anarchistes dans la Résistance, vol. 1, pp. 51-53.] Pour continuer ses contacts avec les militants de la zone Sud, développer le mouvement et ensuite préparer le congrès clandestin, André Arru devait se déplacer. Pendant ses absences, l'atelier resta ouvert grâce à Armand Maurasse, puis à Etienne Chauvet. Lors de ses "voyages", il rencontra plusieurs fois Aristide Lapeyre soit à Bordeaux, à Agen ou Toulouse. Dès le début, celui-ci avait organisé, pour des camarades juifs, deux chaînes de passage de la ligne de démarcation, l'une en Dordogne et l'autre dans le Lot-et-Garonne. En décembre 1940, ils étudieront en commun la parution d'une feuille clandestine ronéotypée Spartacus, qui fut diffusée dans les deux zones jusqu'à la fin de la guerre. En octobre 1941, Aristide Lapeyre est arrêté comme otage, puis transféré au camp de Pichey où il est détenu pendant un an. André Arru viendra alors à Bordeaux pour trouver un responsable remplaçant pour le groupe d'action Liberté. Ce sera François Miller. A Agen, André Arru fit une rencontre capitale, celle du compagnon Julien Noël, dit Roméo, qui lui fit connaître l'ami graveur qui fabriqua les douze tampons pour les faux papiers, l'amena chez Pierre Besnard et le présenta à Toulouse aux imprimeurs Antoine et Henri Lion. [Henri et Antoine Lion, imprimeurs à Toulouse, rue Croix-Baragnon, travaillaient activement pour la Résistance, le mouvement Combat, le groupe Liberté de Joseph Ester, pour les anarchistes, le groupe de Marseille, et Pierre Besnard. Voir, Attestation de Joseph Ester, Les anarchistes dans la Résistance, vol. 1 et interview dans Itinéraire, n° 13, Voline, note 5, p. 78.] C'est aussi à Toulouse qu'il rencontra des militants comme René et Marcelle Clavé, les frères Charles et Maurice Laisant, Alphonse et Paule Tricheux, puis Etienne Guillemot un restaurateur chez qui se déroulaient les réunions et le chansonnier Clovis. En plus de ces trois villes, le groupe de Marseille avait des relations avec Beaucaire, Nîmes, Lyon, Montluçon, Clermont-Ferrand, Montpellier, Foix, Villeneuve-sur-Lot, et même Paris où Arru avait pris contact avec entre autres, Laurent, Toublet et Henri Bouyé. Dès décembre 1941, une activité assez importante sera menée par le groupe d'Arru: un tract signé "Les anarchistes révolutionnaires" sera diffusé sur Bordeaux, un tract en double page intitulé Aux travailleurs des bras et de la pensée sera distribué dans les boîtes aux lettres ou affiché ; une affiche (31x24) contre le fascisme et la dictature sera collée sur Marseille en 1942. La brochure de 40 pages, Les coupables, sera imprimée début 1943 ; le journal La Raison (12 pages) sortira en juin 1943 ; l'affiche Mort aux Vaches devait être collée le 3 août 1943. Chacun de ces documents a été tiré à 1000 exemplaires ou plus. Le tract, A tous les travailleurs de la pensée et des bras, signé par la Fédération internationale syndicaliste révolutionnaire (FISR) est daté de 1943 et sera tiré entre 3000 à 5000 exemplaires. Les tracts, les affiches et la brochure seront rédigés par Arru, mis au point et corrigés par Voline, discutés en réunion, imprimés comme toute la production du groupe par les frères Lion à Toulouse. Pour le journal La Raison, chaque rubrique a eu son auteur: "syndicalisme", l'instit ; "histoire", San Clemente ; "La forêt de Katyn", André Arru ; "Cette fois, c'en est fini", Voline ; "La raison de la Raison", Voline et Arru. Quant à la brochure Les Coupables, Arru la présenta à Pierre Besnard qui demeurait à Bon-Encontre, à 6 km d'Agen lors de la première rencontre importante dans le Sud. En effet, autour de Besnard et Arru, cinq à six militants se retrouvèrent pour discuter de la réalisation de cette brochure. Ce dernier a voulu ajouter la dernière partie, le schéma de l'organisation sociale de demain.
A son retour à Marseille, Voline pris connaissance de cet ajout et fut furieux car l'ensemble paraissait peu convaincant. Après relecture, il fut décidé de le faire imprimer. [André Arru interview, Itinéraire, n° 13, Voline, p. 78 et Annexe 4 dans Sylvie Knoerr-Saulière et Francis Kaigre, Jean-René Saulière dit André Arru, un individualiste solidaire (1911-1999), CIRA de Marseille, 2004, p. 287.] Parallèlement à ces activités spécifiquement libertaires, Arru s'occupait également de la fabrication et de la falsification des papiers d'identité qu'il procurait aux personnes en danger, traquées par les autorités et les polices vichystes et/ou allemandes, et plus spécialement les juifs. [Francisco Botey-Badosa, témoignage dans Les anarchistes dans la Résistance, vol. 2, p. 8.] A Villeneuve-sur-Lot, il fit la connaissance, par l'intermédiaire de François Miller du groupe d'action Liberté de Bordeaux, de François Deluret. [A ce sujet François Deluret témoigne: "Peu de temps après son arrivée, Miller me présenta sur les lieux même de mon travail professionnel, un de ses anciens camarades de Bordeaux qui avait "émigré" à Marseille. Cet "inconnu" de moi avait déclaré qu'il parcourait tout le Sud. Ainsi la veille il était à Agen et l'après-midi de ce même jour il serait dans le Gers. Il m'expliquait que sous le couvert d'une firme commerciale, son véritable but était de lancer un mouvement de regroupement de camarades de nos idées qui depuis la guerre, étaient isolés. [...] Dès ce premier contact, je pouvais l'assurer que notre groupe serait favorable à un tel regroupement puisque nous le voulions unanimement. Ce visiteur c'était André Arru." Voir René Bianco, Les anarchistes et la Résistance, vol. 2, p. 135.] Celui-ci était l'animateur du Groupe d'études sociales "Elisée Reclus".
Un groupe autonome qui avant guerre était proche de la LICP (Ligue internationale des combattants de la paix), ainsi que de Sébastien Faure et Aristide Lapeyre. A la suite de la fermeture d'un camp de réfugiés espagnols proche, le groupe se trouva sérieusement renforcé par la présence d'anciens responsables de la CNT-FAI qui restaient des militants actifs du mouvement libertaire espagnol clandestin en exil. Le groupe fut favorable à l'idée d'un regroupement des composantes libertaires. Peu de temps après, en novembre 1942, la ligne de démarcation fut supprimée et comme François Deluret était cheminot, cela lui donna la possibilité de se déplacer sans éveiller les soupçons. Il fut décidé qu'il servirait alors d'agent de liaison entre le mouvement libertaire de la zone sud et celui de Paris. Il partit alors prendre conseil auprès d'Aristide Lapeyre à Bordeaux.
Celui-ci venait de sortir de son internement au camp de Pichey et le groupe de Bordeaux avait été disloqué par la répression de la police allemande. En effet, bien qu'au sud, Bordeaux était en zone occupée. Il était alors complètement isolé et lorsque Deluret vient à parler de regroupement, il trouva cette "entreprise prématurée et hasardeuse". A Bordeaux, il n'y avait rien à faire, il conseilla à son camarade et ami d'aller à Paris voir Henri Bouyé, Julien Toublet et Fernand Planche à Billancourt. Il partit ensuite à Paris avec, dans sa mallette, la brochure d'Arru, Les Coupables. Il rencontra en premier Bouyé qui fut très favorable au regroupement proposé par Arru, avec qui il était déjà en liaison. Ensuite, ce fut la rencontre avec Toublet qui était "réticent à cause de la brochure", mais il le mit cependant en contact avec Louis Laurent. Ce dernier connaissait de nombreux camarades et fut d'une aide efficace.
Quant à Planche à Billancourt, il était très surveillé et ne pouvait agir. A ce premier séjour à Paris, il resta avec l'un et l'autre des responsables parisiens et acquit "la certitude qu'ils feraient un bon travail". Par la suite, il s'ensuivit plusieurs voyages et séjours. [François Deluret, témoignage dans Les anarchistes et la Résistance, vol. 2, pp. 135-136.] En novembre 1942, pendant une entrevue de quelques responsables libertaires, deux jours après la libération d'Aristide Lapeyre, il fut décidé qu'individuellement les militants libertaires entretiendraient des rapports avec les réseaux de la Résistance mais sans engager les groupes eux-mêmes. C'est ainsi que la Résistance clandestine anarchiste fournira son aide et ses renseignements à la Résistance officielle. André Arru servira, pendant l'année 1943 et après son évasion de la prison d'Aix en juillet 1944, d'agent de liaison entre les différents maquis espagnols de l'Ariège, le groupe Ponzon-Vidal du réseau Pat O'Leary puis groupe Liberté de Joseph Ester, du Lot et Garonne, le groupe Santos et du Lot avec un membre des FFI, Molins Jusnel qui habitait à Montpellier. [Certificats du bataillon F.F.I. Roche, groupe Santos, Attestation de Joseph Ester du réseau Pat et groupe Liberté et document rédigé par Aristide Lapeyre, archives du CIRA de Marseille, voir les fac-similés, dans Les anarchistes dans la Résistance, vol. 1, pp. 43 et 53.] En 1943, le groupe de Marseille accepta les propositions d'Alphonse Tricheux, d'organiser le congrès chez lui. Sa maison située à la périphérie de Toulouse, servait de lieu de contact et de rencontres aux illégaux de toutes nuances. Elle était spacieuse, avec autour un grand morceau de terrain où il pratiquait l'élevage. C'est dans cette fermette que se tient le 19 et 20 juillet 1943 un "mini congrès" clandestin. A cette réunion étaient présentes, d'après Arru, de quinze à vingt personnes: Tricheux et sa compagne Paule, plusieurs délégués (groupes et individuels), de Toulouse dont Maurice Laisant, de Foix, le camarade Noël d'Agen, François Deluret de Villeneuve-sur-Lot, les deux compagnes Alicia et Anna et un compagnon anonyme délégués par Paris, de Marseille, Voline, Arru et San Clemente et deux observateurs de la CNT-FAI dont Joseph Ester. Il y avait aussi des lettres de participation provenant de Thiers, Clermont-Ferrand, Lyon, etc.
"Les discussions furent tant théoriques que pratiques. Il ne pouvait en être différemment à cette époque où nous nous confrontions quotidiennement aux antifascistes. Fallait-il s'associer à eux ou rester à contre-courant ? La question était souvent angoissante sur le terrain."
Photos: Francisco Botey-Badosa ; Etienne Chauvet ; Aristide Lapeyre avec André Arru:
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