Un regard noir

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Re: Un regard noir

Messagede Lehning le Dim 11 Déc 2016 21:17

Dans l'Ajisme, Suzie Chevet et May Picqueray

En 1940, le CLAJ (Centre laïque des auberges de jeunesse) est dissous et le gouvernement de Vichy crée à sa place les "Auberges françaises de jeunesse". A cette organisation, adhèrent cependant les militants des mouvements dissous et, très vite, les AJ deviendront un centre de résistance développant des thèmes tout aussi peu vichystes que la gestion directe, l'internationalisme, la laïcité, la mixité. De nombreux ajistes, parmi lesquels des militants anarchistes, passeront d'ailleurs de cette résistance des idées à la résistance armée, notamment au moment de la lutte contre le Service du travail obligatoire.
[Roland Biard, Dictionnaire de l'extrême gauche, éd Belfond, les Auberges de Jeunesse, p. 47.]

Photos: Suzie Chevet ; May Picqueray:
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Messagede Lehning le Lun 12 Déc 2016 01:07

A leur sujet, on peut rappeler le rôle joué par Suzy Chevet.
Responsable des auberges de jeunesse de Saint-Malo, elle fut révoquée et assignée avec sa fille dans cette ville.
Elle rentra en contact avec Pepito Rosell du Réseau Robur, qui avait pour mission de créer dans la région Ouest, les bases d'une résistance libertaire. Après avoir mis sa fille en sûreté, elle se montra très active, mais sous haute surveillance, sachant sa situation précaire. Elle se rendit dans l'île anglo-normande de Jersey où elle organisa une filière d'évasion. Le but était de faciliter l'évasion des camps de travail de Jersey et de Guernesey d'un maximum de compagnons pour leur faire rejoindre par la suite la Résistance. Arrêtée par la Gestapo en 1942, elle fut transférée et mise en résidence surveillée à Angers. Elle réussit à s'évader et gagna Lorient. Sous une nouvelle identité, elle entra dans les bureaux du STO et, jusqu'à la Libération, put renseigner utilement la Résistance et la jeunesse réfractaire locale.
[Suzy Chevet fut la compagne de Maurice Joyeux qu'elle rencontra en 1945 ; Voir Le Maitron et Dans la Résistance l'apport du mouvement libertaire, un entretien avec Pepito Rosell, Increvables anarchistes, n° 7, 2000.]

Photos: Suzy Chevet ; Maurice Joyeux:
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Messagede Lehning le Mer 21 Déc 2016 16:47

Une autre femme dont on a déjà parlé, doit être signalée par son parcours atypique, c'est May Picqueray. [Marie-Jeanne Picqueray dit May, née le 8 juillet 1898, a été secrétaire administrative de la Fédération des Métaux en 1922 et assista, en juin et juillet de la même année, au premier congrès de la CGT-U, tenu à Saint-Etienne et fut déléguée au II° congrès de l'Internationale syndicale rouge à Moscou en novembre 1922. Elle fut aussi la secrétaire d'Emma Goldman à Saint-Tropez, pendant trois ans jusqu'en 1926. Pendant la guerre d'Espagne, elle travailla pour diverses œuvres de bienfaisance. Après la guerre, elle devint correctrice et membre du syndicat des correcteurs à partir de 1945. Elle fonda les "Amis de Louis Lecoin" et continuera sa lutte pour l'objection de conscience dans le mensuel le Réfractaire de 1974 à 1983. Elle a écrit ses mémoires: May la réfractaire, éd. Atelier Marcel Jullian et éd. Le Libertaire, 2003.] En juin 1940, à Toulouse, elle s'occupa pour le compte des Quakers, des camps de concentration français en zone "libre", en particulier ceux de Noé et du Vernet. Elle obtient la libération de Nicolas Lazarevitch et permet à Mollie Steimer et Senya Flechine de quitter le camp de Gurs pour se réfugier au Mexique. Elle favorisa alors plusieurs évasions, puis suspectée, elle se rendra à Paris. Entrée comme correctrice à l'imprimerie Alkan, elle fabriqua de manière indépendante des faux papiers pour des évadés ou des résistants de divers groupements. Pour éviter le STO, son amie Thérèse qui parlait l'allemand, se fit engager dans le bureau de la censure allemande. May venait tous les jours rendre visite à son amie, malgré sa "répugnance pour les porteurs de brassards à croix gammée", et dans son bureau, elle faisait la plupart des faux papiers et cachait en toute impunité les tampons. Elle était aussi en relation avec le groupe de Henri Bouyé.

Dans ses mémoires, elle écrit:

"J'entrais en relations avec divers camarades appartenant à des réseaux de Résistance. On se rendait des services, échangeait des papiers, mais je n'ai jamais voulu adhérer à aucun d'eux. Je voulais être libre, prendre mes décisions et mes responsabilités moi-même. Je crois que c'est cela qui m'a sauvée, alors que tant d'hommes et de femmes ont été arrêtés et déportés."
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Messagede Lehning le Mer 21 Déc 2016 17:08

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Messagede Lehning le Mer 21 Déc 2016 17:28

Mémorial

De ces militants qui se consacrèrent à la lutte clandestine, certains ne purent échapper à la répression des nazis, comme par exemple: Georges Gourdin, mort au camp d'Elbruck près de Nordhausen ; Marcel Bonvalet mort à Ravenbruck ; Jules Le Gall, mort à Buchenwald ; Raoul Colin, mort en déportation ; Pierre Ruff, dit Epsilon, militant à l'UA qui fut interné en octobre 1942 et décéda en déportation ; François Le Levé, déporté au camp de Neuengamme, mort d'épuisement lors de son retour en 1945 ; Régis Messac, déporté au camp de Natzviller, puis de Gross-Rosen et de Dora, où il meurt en 1945 ; André, Félix, Ernest Pelcot, fondateur du groupe d'études sociales d'Asnières, déporté à Buchenwald le 14 mai 1943, puis à Dora, où il est mort le 13 mars 1944 ; Raoul, Eugène Héro, déporté et mort à Buchenwald ; Auguste Rivollier, dit Philibert, déporté le 15 juillet 1944 à Neuengamme où il mourut d'épuisement le 20 juin 1945 ; Henri et Antoine Lion furent déportés et moururent à Mauthausen ; ou Henri Cottin qui tomba sous les balles de la Gestapo au cours d'une mission de sabotage ; Mombiola, des jeunesses libertaires, mort au combat [Voir Le Maitron, Dictionnaire du mouvement ouvrier, op. cit., ou R. Bianco, Les anarchistes dans la Résistance, vol 2 bulletin du CIRA de Marseille.] ; Robert Douin, fusillé le 6 juin 1944 à la prison de Caen à l'âge de 53 ans. Des anarchistes déportés en Allemagne, André Respaut et Pierre Raffin, dit Odéon, ont été les seuls signalés de retour du camp de Buchenwald dans la presse libertaire. André Respaut jouera un rôle dans la reconstruction de la FA sur Narbonne.
[André Respaut, voir note 66.]

Photos: Georges Gourdin ; Pierre Ruff ; Régis Messac:
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Messagede Lehning le Mer 21 Déc 2016 17:51

Photos: Henri Lion ; André Respaut:
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Messagede Lehning le Mer 21 Déc 2016 18:05

Le mouvement de résistance libertaire clandestin

Henri Bouyé écrit:

"Dès 1941-début 1942, et indépendamment des activités clandestines menées individuellement ou par petits groupes dans le domaine de la solidarité et de l'entraide: mise à l'abri des recherches policières pour les plus menacés -insoumis, juifs et d'autres-, fabrication des fausses cartes d'alimentation, assistance de camarades déjà poursuivis..., très vite est né l'espoir, tant en zone nord qu'en zone sud, de voir se réaliser un regroupement, se constituer une organisation fédéraliste des anarchistes effectivement structurée. Cela avec la volonté bien affirmée de ne pas revoir l'éparpillement ni les entreprises souvent fantaisistes d'avant 1940."
[Henri Bouyé, "Les origines de la Fédération anarchiste", le Monde libertaire, n° 834, juillet 1991.]

Le mouvement anarchiste de résistance clandestin français s'organisera à partir de deux pôles, la Zone Sud avec les villes de Bordeaux, Marseille, Toulouse, Villeneuve-sur-Lot et la Zone Nord, essentiellement la région parisienne.

Photo: Henri Bouyé:
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Messagede Lehning le Mer 21 Déc 2016 18:51

En zone sud

En zone "libre", la résistance anarchiste s'organisa autour de Jean-René Saulière, du groupe de Bordeaux. Le 3 septembre 1939, il entra dans la clandestinité. Il restera caché à Bordeaux pendant cinq mois, le temps de se procurer et de falsifier le livret militaire d'un ami réformé, il changea de nom pour s'appeler désormais Marcel-André Arru. Recherché pour insoumission, il rejoindra Marseille, le 13 février 1940, où après avoir déniché une chambre meublée à l'angle du boulevard Baille et de la rue de Lodi, il deviendra employé gérant d'un petit poste à essence, 46, route nationale à Saint-Loup qui se transformera, par manque de produit pétrolier, en atelier de réparation de cycles. Il entra alors en relation avec un libertaire d'origine italienne, François Fiore Del Conte qui lui donna des adresses de réfugiés dont certains étaient anarchistes. Il se lia ensuite avec des réfugiés libertaires espagnols, comme Francisco Botey-Badosa, San Clemente, Jaime Mariano, dont la plupart habitaient le quartier Saint-Loup. Après sa démobilisation de Syrie, Armand Maurasse, un compagnon d'origine sénégalaise de Bordeaux, viendra le rejoindre chez lui à Marseille. C'est avec lui que débuteront les activités du groupe libertaire clandestin. Tous les deux, ils commenceront à tirer à la gélatine des papillons et des tracts écrits à la main qu'ils allèrent la nuit coller sur les poteaux et les arrêts de tramway. Ainsi, grâce à l'aide d'Armand à l'Atelier, Arru va constituer, "avec beaucoup de passion et de conviction" un groupe spécifiquement anarchiste. Malgré le manque de moyens financiers, il va effectuer ses premiers déplacements aussi bien en zone Sud, sur le Var, puis Nîmes, Lyon, Montpellier, Perpignan, Toulouse, Agen, Foix, que sur Paris, afin d'établir les contacts nécessaires pour constituer le réseau du mouvement de résistance libertaire clandestin. Lors de l'une de leurs premières réunions dans l'arrière-salle de son atelier, l'un des camarades évoqua Voline qui vivait à Marseille et un soir malgré son intimidation, Arru se rendit chez lui, rue Edmond-Rostand. Il lui exposa son projet:

"Je pensais qu'il fallait recréer un mouvement anarchiste nécessairement clandestin, contacter les anciens, unir les tendances, faire de la propagande par tous les moyens possibles, etc. [...] Je suis sorti de cette entrevue, qui a duré deux ou trois heures, réconforté, émerveillé et enchanté. J'avais à l'époque trente ans et Voline un peu plus de soixante. Oui, je trouvais merveilleux que l'on se soit entendu si vite, si bien et si profondément."

Photos: André Arru ; Armand Maurasse ; Voline:
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Messagede Lehning le Mer 21 Déc 2016 21:41

Grâce à la présence de Voline le groupe se fortifia. Il était international avec des Italiens comme François Fiore Del Conte et sa compagne Lybia, Tony Peduto, des Espagnols, Francisco Botey-Badosa, San Clemente, Jaime Mariano, des Français dont Maurasse l'instituteur [L'instituteur a joué un rôle important dans le groupe libertaire clandestin de Marseille, cependant son identité n'a pas été retrouvée malgré nos recherches.], Julia et Etienne Chauvet, Jacques Serra, un Tchèque, Joseph Sperck et un russe, Voline. Les réunions se tenaient chez Arru, dans une pièce qui servait à la fois d'entrepôt, de lieu de couchage pour les personnes pourchassées et d'officine de faux papiers. La propagande du groupe, sera faite sous l'intitulé unificateur de "Fédération internationale syndicaliste révolutionnaire" et recommande comme moyen la grève générale révolutionnaire pour remplacer une société basée sur l'exploitation de l'homme par l'homme, par l'entraide universelle. [André Arru, témoignage, Les anarchistes dans la Résistance, CIRA de Marseille, n° 21-22, vol. 1, dans Itinéraire n° 13, Voline. Francisco Botey-Badosa, témoignage, Les anarchistes dans la Résistance, vol. 2, p. 1, Pascal Bedos, Les anarchistes français de 1939 à 1945, dans Increvables anarchistes, n° 7 et pp. 76-81, Sylvie Knoerr-Saulière et Francis Kaigre, Jean-René Saulière dit André Arru, un individualiste solidaire (1911-1999), CIRA de Marseille 2004.] Le problème des rapports avec la Résistance officielle se posa au groupe de Marseille comme à celui de Paris comme on le verra plus loin. D'après Arru, bien que "l'instituteur" faisait partie d'un réseau, le reste du groupe, fidèle aux positions anarchistes du "Ni Thorez ni De Gaulle", s'est tenu à l'écart de la Résistance. Cependant Jean Roumilhac, Julien Henri, Jean Marestan qui participèrent à la Résistance sur Marseille et sa région rapportent avoir pris contact avec le groupe anarchiste de cette ville. [Le Maitron et Les anarchistes dans la Résistance, vol. 2, op. cit.] De plus Francisco Botey-Badosa et San Clemente participeront à la reconstruction du M.L.E. sur Marseille. [Francisco Botey-Badosa, Les anarchistes dans la Résistance, vol. 2, note 2, p. 9.] En juillet 1940, aura lieu une assemblée en zone Sud à Agen où Aristide Lapeyre fut désigné pour prendre la responsabilité du mouvement de résistance pour Bordeaux Sud-Ouest, en liaison avec les militants espagnols. Encore mobilisé, Aristide Lapeyre revient à Bordeaux pour y organiser, avec l'aide des membres du groupe d'action "Liberté" [Les responsables du groupe d'action Liberté de Bordeaux furent Aristide Lapeyre et, à la suite de son arrestation, François Miller. Cependant on n'a pas réussi à identifier d'autres membres.], "un service de correspondance avec la zone Sud", c'est-à-dire une filière de passage de la ligne de démarcation et de la frontière espagnole. Dans ce cadre, René Saulière "était chargé des relations" du groupe de Bordeaux "avec l'extérieur (Paris, Marseille, Toulouse, Pamiers, Foix...)" [Document rédigé par Aristide Lapeyre, Archives du CIRA de Marseille, voir les fac-similés, dans Les anarchistes dans la Résistance, vol. 1, pp. 51-53.] Pour continuer ses contacts avec les militants de la zone Sud, développer le mouvement et ensuite préparer le congrès clandestin, André Arru devait se déplacer. Pendant ses absences, l'atelier resta ouvert grâce à Armand Maurasse, puis à Etienne Chauvet. Lors de ses "voyages", il rencontra plusieurs fois Aristide Lapeyre soit à Bordeaux, à Agen ou Toulouse. Dès le début, celui-ci avait organisé, pour des camarades juifs, deux chaînes de passage de la ligne de démarcation, l'une en Dordogne et l'autre dans le Lot-et-Garonne. En décembre 1940, ils étudieront en commun la parution d'une feuille clandestine ronéotypée Spartacus, qui fut diffusée dans les deux zones jusqu'à la fin de la guerre. En octobre 1941, Aristide Lapeyre est arrêté comme otage, puis transféré au camp de Pichey où il est détenu pendant un an. André Arru viendra alors à Bordeaux pour trouver un responsable remplaçant pour le groupe d'action Liberté. Ce sera François Miller. A Agen, André Arru fit une rencontre capitale, celle du compagnon Julien Noël, dit Roméo, qui lui fit connaître l'ami graveur qui fabriqua les douze tampons pour les faux papiers, l'amena chez Pierre Besnard et le présenta à Toulouse aux imprimeurs Antoine et Henri Lion. [Henri et Antoine Lion, imprimeurs à Toulouse, rue Croix-Baragnon, travaillaient activement pour la Résistance, le mouvement Combat, le groupe Liberté de Joseph Ester, pour les anarchistes, le groupe de Marseille, et Pierre Besnard. Voir, Attestation de Joseph Ester, Les anarchistes dans la Résistance, vol. 1 et interview dans Itinéraire, n° 13, Voline, note 5, p. 78.] C'est aussi à Toulouse qu'il rencontra des militants comme René et Marcelle Clavé, les frères Charles et Maurice Laisant, Alphonse et Paule Tricheux, puis Etienne Guillemot un restaurateur chez qui se déroulaient les réunions et le chansonnier Clovis. En plus de ces trois villes, le groupe de Marseille avait des relations avec Beaucaire, Nîmes, Lyon, Montluçon, Clermont-Ferrand, Montpellier, Foix, Villeneuve-sur-Lot, et même Paris où Arru avait pris contact avec entre autres, Laurent, Toublet et Henri Bouyé. Dès décembre 1941, une activité assez importante sera menée par le groupe d'Arru: un tract signé "Les anarchistes révolutionnaires" sera diffusé sur Bordeaux, un tract en double page intitulé Aux travailleurs des bras et de la pensée sera distribué dans les boîtes aux lettres ou affiché ; une affiche (31x24) contre le fascisme et la dictature sera collée sur Marseille en 1942. La brochure de 40 pages, Les coupables, sera imprimée début 1943 ; le journal La Raison (12 pages) sortira en juin 1943 ; l'affiche Mort aux Vaches devait être collée le 3 août 1943. Chacun de ces documents a été tiré à 1000 exemplaires ou plus. Le tract, A tous les travailleurs de la pensée et des bras, signé par la Fédération internationale syndicaliste révolutionnaire (FISR) est daté de 1943 et sera tiré entre 3000 à 5000 exemplaires. Les tracts, les affiches et la brochure seront rédigés par Arru, mis au point et corrigés par Voline, discutés en réunion, imprimés comme toute la production du groupe par les frères Lion à Toulouse. Pour le journal La Raison, chaque rubrique a eu son auteur: "syndicalisme", l'instit ; "histoire", San Clemente ; "La forêt de Katyn", André Arru ; "Cette fois, c'en est fini", Voline ; "La raison de la Raison", Voline et Arru. Quant à la brochure Les Coupables, Arru la présenta à Pierre Besnard qui demeurait à Bon-Encontre, à 6 km d'Agen lors de la première rencontre importante dans le Sud. En effet, autour de Besnard et Arru, cinq à six militants se retrouvèrent pour discuter de la réalisation de cette brochure. Ce dernier a voulu ajouter la dernière partie, le schéma de l'organisation sociale de demain.
A son retour à Marseille, Voline pris connaissance de cet ajout et fut furieux car l'ensemble paraissait peu convaincant. Après relecture, il fut décidé de le faire imprimer. [André Arru interview, Itinéraire, n° 13, Voline, p. 78 et Annexe 4 dans Sylvie Knoerr-Saulière et Francis Kaigre, Jean-René Saulière dit André Arru, un individualiste solidaire (1911-1999), CIRA de Marseille, 2004, p. 287.] Parallèlement à ces activités spécifiquement libertaires, Arru s'occupait également de la fabrication et de la falsification des papiers d'identité qu'il procurait aux personnes en danger, traquées par les autorités et les polices vichystes et/ou allemandes, et plus spécialement les juifs. [Francisco Botey-Badosa, témoignage dans Les anarchistes dans la Résistance, vol. 2, p. 8.] A Villeneuve-sur-Lot, il fit la connaissance, par l'intermédiaire de François Miller du groupe d'action Liberté de Bordeaux, de François Deluret. [A ce sujet François Deluret témoigne: "Peu de temps après son arrivée, Miller me présenta sur les lieux même de mon travail professionnel, un de ses anciens camarades de Bordeaux qui avait "émigré" à Marseille. Cet "inconnu" de moi avait déclaré qu'il parcourait tout le Sud. Ainsi la veille il était à Agen et l'après-midi de ce même jour il serait dans le Gers. Il m'expliquait que sous le couvert d'une firme commerciale, son véritable but était de lancer un mouvement de regroupement de camarades de nos idées qui depuis la guerre, étaient isolés. [...] Dès ce premier contact, je pouvais l'assurer que notre groupe serait favorable à un tel regroupement puisque nous le voulions unanimement. Ce visiteur c'était André Arru." Voir René Bianco, Les anarchistes et la Résistance, vol. 2, p. 135.] Celui-ci était l'animateur du Groupe d'études sociales "Elisée Reclus".
Un groupe autonome qui avant guerre était proche de la LICP (Ligue internationale des combattants de la paix), ainsi que de Sébastien Faure et Aristide Lapeyre. A la suite de la fermeture d'un camp de réfugiés espagnols proche, le groupe se trouva sérieusement renforcé par la présence d'anciens responsables de la CNT-FAI qui restaient des militants actifs du mouvement libertaire espagnol clandestin en exil. Le groupe fut favorable à l'idée d'un regroupement des composantes libertaires. Peu de temps après, en novembre 1942, la ligne de démarcation fut supprimée et comme François Deluret était cheminot, cela lui donna la possibilité de se déplacer sans éveiller les soupçons. Il fut décidé qu'il servirait alors d'agent de liaison entre le mouvement libertaire de la zone sud et celui de Paris. Il partit alors prendre conseil auprès d'Aristide Lapeyre à Bordeaux.
Celui-ci venait de sortir de son internement au camp de Pichey et le groupe de Bordeaux avait été disloqué par la répression de la police allemande. En effet, bien qu'au sud, Bordeaux était en zone occupée. Il était alors complètement isolé et lorsque Deluret vient à parler de regroupement, il trouva cette "entreprise prématurée et hasardeuse". A Bordeaux, il n'y avait rien à faire, il conseilla à son camarade et ami d'aller à Paris voir Henri Bouyé, Julien Toublet et Fernand Planche à Billancourt. Il partit ensuite à Paris avec, dans sa mallette, la brochure d'Arru, Les Coupables. Il rencontra en premier Bouyé qui fut très favorable au regroupement proposé par Arru, avec qui il était déjà en liaison. Ensuite, ce fut la rencontre avec Toublet qui était "réticent à cause de la brochure", mais il le mit cependant en contact avec Louis Laurent. Ce dernier connaissait de nombreux camarades et fut d'une aide efficace.
Quant à Planche à Billancourt, il était très surveillé et ne pouvait agir. A ce premier séjour à Paris, il resta avec l'un et l'autre des responsables parisiens et acquit "la certitude qu'ils feraient un bon travail". Par la suite, il s'ensuivit plusieurs voyages et séjours. [François Deluret, témoignage dans Les anarchistes et la Résistance, vol. 2, pp. 135-136.] En novembre 1942, pendant une entrevue de quelques responsables libertaires, deux jours après la libération d'Aristide Lapeyre, il fut décidé qu'individuellement les militants libertaires entretiendraient des rapports avec les réseaux de la Résistance mais sans engager les groupes eux-mêmes. C'est ainsi que la Résistance clandestine anarchiste fournira son aide et ses renseignements à la Résistance officielle. André Arru servira, pendant l'année 1943 et après son évasion de la prison d'Aix en juillet 1944, d'agent de liaison entre les différents maquis espagnols de l'Ariège, le groupe Ponzon-Vidal du réseau Pat O'Leary puis groupe Liberté de Joseph Ester, du Lot et Garonne, le groupe Santos et du Lot avec un membre des FFI, Molins Jusnel qui habitait à Montpellier. [Certificats du bataillon F.F.I. Roche, groupe Santos, Attestation de Joseph Ester du réseau Pat et groupe Liberté et document rédigé par Aristide Lapeyre, archives du CIRA de Marseille, voir les fac-similés, dans Les anarchistes dans la Résistance, vol. 1, pp. 43 et 53.] En 1943, le groupe de Marseille accepta les propositions d'Alphonse Tricheux, d'organiser le congrès chez lui. Sa maison située à la périphérie de Toulouse, servait de lieu de contact et de rencontres aux illégaux de toutes nuances. Elle était spacieuse, avec autour un grand morceau de terrain où il pratiquait l'élevage. C'est dans cette fermette que se tient le 19 et 20 juillet 1943 un "mini congrès" clandestin. A cette réunion étaient présentes, d'après Arru, de quinze à vingt personnes: Tricheux et sa compagne Paule, plusieurs délégués (groupes et individuels), de Toulouse dont Maurice Laisant, de Foix, le camarade Noël d'Agen, François Deluret de Villeneuve-sur-Lot, les deux compagnes Alicia et Anna et un compagnon anonyme délégués par Paris, de Marseille, Voline, Arru et San Clemente et deux observateurs de la CNT-FAI dont Joseph Ester. Il y avait aussi des lettres de participation provenant de Thiers, Clermont-Ferrand, Lyon, etc.

"Les discussions furent tant théoriques que pratiques. Il ne pouvait en être différemment à cette époque où nous nous confrontions quotidiennement aux antifascistes. Fallait-il s'associer à eux ou rester à contre-courant ? La question était souvent angoissante sur le terrain."

Photos: Francisco Botey-Badosa ; Etienne Chauvet ; Aristide Lapeyre avec André Arru:
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Messagede Lehning le Mer 21 Déc 2016 23:36

Photo: Alphonse Tricheux:
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Re: Un regard noir

Messagede Lehning le Mer 21 Déc 2016 23:57

Photos: Julien Toublet ; Maurice Laisant:
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Re: Un regard noir

Messagede Lehning le Lun 9 Jan 2017 21:36

Malgré certaines divergences entre eux, le "congrès" se passa bien. Le texte de Bouyé fut adopté. [Cependant une anecdote intéressante est à relater: l'une des mandatées de Paris déclara qu'"au lendemain de la guerre, il faudra que les anarchistes soient réalistes, il faut qu'ils se montrent et n'hésitent pas à se présenter aux élections." Alors Arru et Voline ont sursauté. Voline la stoppa en lui expliquant qu'elle était en train de s'"engager sur une pente savonneuse". Les autres délégués se sont demandés pour quelle raison, les Parisiens avaient envoyé ces deux personnes. Ils apprirent plus tard, que les deux déléguées parisiennes se trouvaient peu de temps avant dans un mouvement trotskiste dont elles venaient d'être chassées pour manque de discipline militante. Elles ont pris leurs bagages, se sont renseignées et sont venues chez les anarchistes, au groupe de Paris. On leur a dit "vous tombez bien, vous êtes libres, on vous envoie comme déléguées au congrès international de Toulouse". Quand elles sont arrivées au mini-congrès, les mandatés présents ont été stupéfaits de leurs positions personnelles qui étaient fortement teintées de trotskisme. Voir, Maurice Laisant, Regard sur le mouvement libertaire 1938-1972, supplément n° 7, éd. du Libertaire, mars 1995.] Le 3 août 1943, alors qu'il travaillait à la préparation du numéro 2 de La Raison, Arru fut arrêté à Marseille, par la police française, en compagnie de Julia et Chauvet. Ils sont interrogés pendant cinq jours, sans brutalités. Julia fut écrouée à la prison des Présentines ; puis, quelque temps après, malade, elle fut transférée aux consignés de l'hôpital de la Conception. Le groupe Elisée Reclus de Villeneuve-sur-Lot, informé de leurs arrestations par le camarade Noël d'Agen, forma le projet de les faire évader. Un camarade espagnol, Escolas, partit alors pour Marseille où il participa à une réunion de la CNT clandestine et en profita pour s'informer et repérer l'emplacement de la prison. Deux autres militants de Villeneuve-sur-Lot, dont François Deluret, vinrent également à Marseille pour essayer de mettre sur pied une évasion avec l'aide des militants locaux, notamment Armand Maurasse. Cependant les polices allemande et française étaient en alerte, le groupe de Marseille s'était disloqué, l'entreprise ne put être menée à bien. [René Bianco, Les anarchistes et la Résistance, vol. 2, note p. 138.] Arru et Chauvet furent incarcérés à la prison Chave, d'abord avec les droits communs, puis après réclamation avec les politiques, gaullistes et communistes. Les uns comme les autres ne leur pardonnèrent pas leur antipatriotisme et lors de l'évasion organisée au cours de la nuit du 22 au 23 mars 1944, par le groupe Franc du Mouvement de libération nationale, le responsable communiste leur refusa d'ouvrir leur cellule.
Transférés à la prison d'Aix-en-Provence, ils s'en évaderont grâce à une action montée par les détenus communistes et les membres des Francs-tireurs-partisans (FTP) au cours de la nuit du 24 au 25 avril 1944. Après un mois dans le maquis non-combattant, Chauvet partit dans le Vaucluse et Arru, qui prendra alors l'identité d'André Suchet, rejoindra Julia chez un ami de Lorgues dans le Var. [Voir Sylvie Knoerr-Saulière et Francis Kaigre, Jean-René Saulière dit André Arru, un individualiste solidaire (1911-1999), CIRA de Marseille, 2004, pp. 48-53 pour avoir plus de détails sur les circonstances de son arrestation et de son évasion.] Fin juin, ils gagnent Toulouse chez les Clavé. Dès la libération de la ville en août 1944, Arru et Maurice Laisant, réalisèrent et diffusèrent un tract pour rassembler anarchistes et anarcho-syndicalistes, intitulé Manifeste des groupes libertaires à tendance anarcho-syndicalistes de la région toulousaine. Ce texte est en décalage avec la réalité de la situation politique. Comme l'écrit Jaime Padros, militant de la CNT-E, dans les Cahiers du Socialisme libertaire, n° 43 d'avril 1959:

"Après y avoir proclamé l'idée de liberté et de Paix, nos camarades se déclaraient fidèles au passé syndicaliste des Pelloutier, Pouget, etc... défendaient les principes de la charte d'Amiens, et affirmaient la nécessité de la création de coopératives de production ainsi que "la remise en main de l'organisation syndicale de la direction économique, intérieure et extérieure du pays". Ce qui nous paraissait puéril tant que la classe ouvrière ne sera pas évoluée, socialement du moins."

Photos: Voline ; André Arru:
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Re: Un regard noir

Messagede Lehning le Mar 10 Jan 2017 22:29

De plus, le manifeste demande la modification de statuts de la CGT afin de pouvoir faire adhérer les professions libérales.
Le plus surprenant est son orientation politique qui, derrière le discours révolutionnaire théorique, avance un mot d'ordre étonnant: "Le but n'est point la prédominance d'une idée, d'une classe, d'un parti, d'un clan, d'un bureau mais, pour tous, d'une rationnelle et méthodique organisation de vie", qui dans le contexte de l'époque semble indirectement apporter un soutien à la mise en place du gouvernement gaulliste. En septembre, René Saulière, sous le nom de André Suchet, devient secrétaire des Jeunesses syndicalistes révolutionnaires de la Haute-Garonne. Aussitôt, un groupe libertaire fut monté sur Toulouse. Il animera puis sera secrétaire de la Fédération locale des groupes anarchistes et, pendant trois mois, il fut aussi le secrétaire adjoint du Syndicat des employés du commerce, poste qu'il abandonnera pour remettre en marche la SIA (Solidarité internationale antifasciste). Le mouvement espagnol et la CNT-E ( Confederacion nacional del trabajo de Espana ) représentés par Joseph Ester, proposa à André Arru de réorganiser, fin 1944, la SIA.
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Messagede Lehning le Sam 14 Jan 2017 19:31

Dans son témoignage, Arru précise:

"J'acceptais d'autant mieux que j'y voyais, en plus de la propagande à faire, une nouvelle possibilité d'union entre anars espagnols réfugiés et les anars français. Additionner les qualités des deux mouvements aux caractères complémentaires, m'a souvent fait rêver ! Les réveils sont presque toujours assez douloureux."

Photo: André Arru:
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Re: Un regard noir

Messagede Lehning le Sam 14 Jan 2017 20:40

Il en deviendra le secrétaire général et Laisant le trésorier.
Pour lancer la SIA, il organisa un meeting dans un cinéma du centre de Toulouse auquel étaient présents le maire Badiou, le commissaire de la République Jean Cassou, un représentant du MLE, le secrétaire des syndicats de Haute-Garonne, Clape pour la CNT/FAI en exil, Umberto Marzocchi pour le mouvement anarchiste italien, Mirande et Martin pour les anarchistes français. Tout ce monde magnifia l'anti-fascisme, la liberté retrouvée et les militants espagnols persuadés de la chute de Franco dès la capitulation de l'Allemagne se croyaient de retour en terre ibérique.
[André Arru, interview Itinéraire, n° 13, Voline p. 80, Les anarchistes dans la Résistance, vol. 1, p. 34, Sylvie Knoerr-Saulière et Francis Kaigre, Jean-René Saulière dit André Arru, un individualiste solidaire (1911-1999), CIRA de Marseille, 2004, p. 55 et "Joseph Ester, fac-similé "Attestation", Les anarchistes dans la Résistance, vol. 1, p. 43.]

Photos: André Arru ; Maurice Laisant:
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Messagede Lehning le Dim 15 Jan 2017 16:13

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Messagede Lehning le Dim 5 Fév 2017 20:28

Dans la région parisienne

Dans la région parisienne, sans tenir compte des premières tentatives mort-nées que l'on a signalé autour d'anciens militants de l'UA en 1940 et celle faite sans plus de succès autour de François Carpentier, André Senez et d'anciens militants de la FCL en septembre 1940, le mouvement libertaire s'organisa ensuite autour d'Henri Bouyé. [Témoignage de André Senez, Les anarchistes dans la Résistance, vol. 2, p. 85: "Je revois quelques camarades à Paris chez un camarade ex F.C.L. de 1933 et ayant rejoint l'UA lors de la réunification. Carpentier assiste à cette réunion nous étions à peu près une dizaine de camarades." Il s'agit de François Charles Carpentier, ancien membre de la FCL et de l'UA, compagnon de Louis Mercier, vétéran de la guerre d'Espagne, appartenant aux groupes anarchistes d'usine adhérents au Cercle syndicaliste lutte de classes, qui rejoindra ensuite Louis Lecoin dans les Restaurants communautaires.] En 1939, à la déclaration de la guerre, Henri Bouyé sera mobilisé et réussira à se faire réformer. Sous l'Occupation il entra en clandestinité et se déplaça sous le nom d'Henri Duval, puis fin 1943 sous celui d'André Vigne. Il installa, à Paris, avenue de la République, un magasin de fleurs tenu par sa compagne. Le va-et-vient des clients était sensé masquer la réalité des activités occultes surtout à partir du moment où l'occupation allemande fut effective. La Gestapo viendra plusieurs fois au magasin. Ses "visites" se passeront bien, mais chaque fois avec la peur au ventre. Car dans la cave se trouvait le matériel pour fabriquer les faux papiers et des personnes cachées en instance de passer clandestinement notamment en Espagne. L'arrière-boutique a aussi servi à la clandestinité. Il fallait préparer les repas. Parfois, dix personnes se retrouvent à table et Henri ramenait souvent un ou deux convives pour manger. Ainsi plusieurs dizaines de juifs ont eu la vie sauve par la filière Henri Duval. Les faux papiers étaient des cartes d'identité, familiale, alimentaire, etc. Pour plus de discrétion ces documents étaient transportés dans une valise par sa compagne. Henri, lui, assura la liaison entre les nombreux militants restés en région parisienne. [Témoignage de Henri Bouyé, Les anarchistes dans la Résistance, vol. 2, pp. 103-116, Bertale, "Hommage à Henri Bouyé", le Monde libertaire, n° 1174, octobre 1999 et Interview 1997.] Il rencontra de nombreux militants parisiens qui s'étaient mis en sommeil pendant ces temps de répression accrue. En particulier Maurice Laisant qui jouera un rôle important au sein de la Fédération anarchiste. Celui-ci vivait alors avec sa compagne à Paris et partageait son appartement avec Joseph Briand et Alice. Il s'était lié d'amitié avec Louis Louvet, l'animateur, avant guerre, des Causeries populaires et sa compagne Simone Larcher. Dans son témoignage, il raconte:

"Au bureau où je travaille, "Paris-Echiquier", je reçois la visite d'Henri Bouyé qui opère un regroupement des anarchistes en région parisienne, mon nom lui a été fourni -peut-être par Louvet- et je lui donne mon accord. Cependant celui-ci restera sans effet, car, pour des raisons familiales, je rejoins, le 21 novembre 1942, les miens à Toulouse."

Photos: Henri Bouyé ; Simone Larcher ; Louis Louvet:
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bouye_henri.jpg
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Re: Un regard noir

Messagede Lehning le Dim 5 Fév 2017 21:14

Photo: François Charles Carpentier (1er à gauche)
Celui au milieu est Mayol et celui à droite est Rappoport.
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Re: Un regard noir

Messagede Lehning le Mer 8 Fév 2017 20:26

Il y rencontrera par la suite André Arru. Henri Bouyé avec Gilberte Dawas, Louis Laurent et Julien Toublet sont les initiateurs du mouvement libertaire de résistance en région parisienne. Celui-ci comprenait d'une part un regroupement "libertaire": UA, FAF, Jeunesse libertaire et, d'autre part, un regroupement anarcho-syndicaliste entre lesquels Louis Laurent servait de lien. La branche syndicale fut animée par Constant Couanault dit Constant du syndicat de la chaussure et par Julien Toublet. Mobilisé comme infirmier dans un hôpital divisionnaire mobile, Julien Toublet partagea le tragique destin des troupes françaises qui, après avoir pénétré en Belgique, durent se retirer en catastrophe lors de l'offensive allemande de mai 1940 pour être finalement encerclées dans la poche de Dunkerque. Evacué en Angleterre et immédiatement rapatrié vers la Normandie, il réussit à quitter son unité lorsque celle-ci fut faite prisonnière et à regagner Paris sans dommage. Au cours des années d'occupation, afin de trouver des moyens de subsistance et d'échapper aux réquisitions allemandes, il constitua avec des membres de sa famille et quelques camarades une coopérative ouvrière de production de bijouterie: Art et technique appliqués. Après avoir eu une attitude ambiguë par rapport à "la Charte du travail", Julien Toublet organisa, sous le nom de Jean Thersant, une filière pour cacher les militants menacés et fournir des faux papiers. [Toublet Julien, "Un itinéraire syndicaliste révolutionnaire" dans Alternative syndicaliste, n° 4, 1993, pp. 42-43.] Sur Paris, des rencontres et de véritables réunions clandestines se multiplièrent dès la fin 1941, début 1942. C'est d'abord dans le bureau du Syndicat de la CGT des employés et travailleurs fleuristes, au quatrième étage de la Bourse du travail à Paris, puis en particulier dans celui des monteurs électriciens, dont le secrétaire était Cané, ou encore le bureau de Louis Laurent et les salles du Syndicat des commis d'agents de change, rue Saint-Marc, où Gilberte Dawas était secrétaire administrative, et enfin chez Jean-Louis Lefevre dans le 11° arrondissement, que se tiendront, sous prétexte de syndicalisme, la plupart des rencontres anarchistes qui préparèrent la réorganisation du mouvement libertaire français. Autour d'Henri Bouyé, dit Duval, ou Vigne de la FAF, les militants les plus actifs sont Julien Toublet, dit Jean Thersant, de la CGT-SR, Louis Laurent de la FAF et de la CGT-SR, Georges Vincey de la FAF, André Senez de la FAF, Gilberte Dawas des Jeunesses libertaires (FNJL), Georges Gourdin de l'UA, des JAC et de la Fédération des techniciens de la CGT, Constant Couanault, et Edouard Rotot de la CGT-SR, Gilberte de Puytorac, Renée Lamberet, Louis Giraud, Jean-Louis Lefevre, Emile Babouot, Corcheron, deux jeunes femmes Alicia et Anna et plus tard, en 1944, Louis Louvet de la Fédération des jeunes anarchistes autonomes (FJAA) et du Syndicat des correcteurs et Jules Goirand, dit Transcoserp, un ancien de la centurie Sébastien Faure. Il y avait aussi parmi eux des anciens ajistes regroupés sous le nom de "Routiers" qui faisaient des sorties camping. [Voir le Maitron et Les Anarchistes dans la Résistance, vol. 2.] L'activité du groupe fut surtout la propagande et la contre information grâce à l'édition de deux bulletins: l'un d'agitation, intitulé Action, et le second de réflexion, nommé Problèmes, dont le principal rédacteur était Voline, réfugié en zone sud. Louis Louvet précise dans A Contre Courant, n° 3, d'avril 1952:

"Des camarades se sont rencontrés, ont décidé de faire "quelque chose", et c'est ainsi qu'a pris corps ce que certains ont appelé la "résistance libertaire". Tout au moins sur le plan parisien, car il y eut des activités différentes à Marseille, dans la région de Vichy, Saint-Etienne, Lyon avec lesquelles Paris établit un contact précaire."

Photos: Georges Vincey ; Georges Gourdin ; Renée Lamberet:
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Re: Un regard noir

Messagede Lehning le Ven 24 Fév 2017 19:34

La liaison avec la partie non occupée de la France était organisée, comme on l'a vu, par Jean-René Saulière, dit Arru, alors à Marseille avec l'aide de François Deluret du groupe Elisée Reclus de Villeneuve-sur-Lot, qui effectuera plusieurs voyages et séjours à Paris et dans la région parisienne puis en zone Sud par Henri Bouyé. Les Espagnols du MLE acceptèrent de collaborer et désignèrent pour les représenter Olegario Pachon. Edouard Rotot, du syndicat des métaux, avait la responsabilité d'un travail de contact et de propagande dans les usines. Il va sans dire que les actions de solidarité se poursuivaient, tant avec la Résistance qu'avec les camarades victimes des persécutions racistes. Une filière qui permettait à ceux qui le désiraient de rejoindre le maquis et diverses possibilités de "planquer" des camarades, notamment dans des chantiers du bâtiment, fut mise au point. Lorsque se posa le problème de savoir si ce groupe de résistance anarchiste allait rejoindre la Résistance officielle, Julien Toublet bien que minoritaire prit la position contre ; il souhaitait que le groupe demeure indépendant, effectue un travail politique et d'organisation, évite de rechercher des martyrs. La position majoritaire défendue par Henri Bouyé, était, comme il l'a expliqué, la suivante:

"Il y a lieu de préciser qu'au cours de la période clandestine, nous ne nous sommes jamais intégrés à un mouvement de Résistance officielle quel qu'il fût, mais nous avons eu des relations excellentes, suivies, souvent fraternelles, avec des responsables (le plus souvent socialistes ou socialisants) qui l'avaient rejointe, ce qui permit aux uns et aux autres de précieux échanges de services dans la dangereuse situation du moment."

Photos: André Arru ; Olegario Pachon:
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