de Lehning le Lun 9 Mai 2016 18:43
D'autres pacifistes intégraux, qui avaient acquis auprès de la mouvance anarchiste et libertaire, de la renommée et même parfois une certaine communion d'idées, vont franchir le pas vers la collaboration. Ce fut le cas de Robert Jospin, militant socialiste, pacifiste et de forte sensibilité libertaire qui pendant l'Occupation, a adhéré à "la Ligue de la pensée française" (LPF) aux côtés des "Aliniens", Alain Château, René Gérin et Camille Planche. Cette organisation hostile à Déat, était, par contre, proche de Pierre Laval. Par ses relations, il aida quelques résistants et en 1942, il subira une perquisition et une courte arrestation. Puis nommé conseiller municipal de Meudon par Vichy début 1944, il collabora à la rédaction du journal pro-nazi Germinal, ce qui lui valu son exclusion du parti socialiste à la Libération. Quant à René Gérin, l'un des rédacteurs en chef de l'organe hebdomadaire des Combattants de la Paix, Le Barrage, qui avait refusé la Légion d'Honneur, en tant qu'objecteur de conscience, sa participation à la LPF ne l'empêchera pas de collaborer, en plus, comme critique littéraire, à L'Oeuvre, l'organe vichyste de Déat de 1940 à 1944. A ce titre il fut condamné à la Libération à huit ans de travaux forcés, dix ans d'interdiction de séjour et à l'indignité nationale à vie. Par la suite grâce à une campagne de protestation et des mesures de clémence sa peine fut réduite à trois ans. [Robert Jospin fut le père du premier ministre socialiste Lionel Jospin. Voir Jean-Pierre Biondi, La Mêlée des pacifistes, 1914-1945, la grande dérive, éd. Maisonneuve & Larose, 2000, pp. 130-131 et Louis Louvet, René Gérin: un procès de la Libération, 2° éd. augmentée de La Justice enferrée supplément aux Cahiers de Contre-Courant, n° 54, octobre 1954.] Quant à Georges Pioch, en tant que membre du comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA), il avait signé le tract "Paix immédiate". Mais, devant les poursuites judiciaires, il se rétractera. Attitude qui lui fut reprochée par Nicolas Faucier dans son livre sur le pacifisme. Ensuite, il passa à la presse de collaboration, où il tiendra notamment la chronique artistique de L'Oeuvre jusqu'en 1942. Dénoncé comme juif et franc-maçon à partir de 1941, il fut forcé de se retirer de la vie journalistique.
Il y eut aussi Marcelle Capy, une célèbre propagandiste pacifiste qui collabora à L'Oeuvre. Un Félicien Challaye, militant anticolonialiste, pacifiste, membre de la LICP et du CVIA où il a conjugué ses efforts avec ceux d'Alexandre et d'Emery pour faire prévaloir l'idée de "paix sans aucune réserve" ; il publia en 1933, l'opuscule Pour la paix désarmée même face à Hitler et fut signataire du tract "Paix immédiate" ; puis il va soutenir le régime de Vichy et la politique de collaboration en écrivant dans les journaux comme L'Atelier de 1943 à 1944 et dans Germinal en 1944, sans cesser de se référer au Jauressisme, à Zola et au socialisme de jeunesse de Péguy. Il y eût aussi Paul Léon Emery, animateur du CVIA, membre de l'UD CGT de Lyon, rédacteur à L'Ecole émancipée, qui fut l'"un des rares intellectuels proches du milieu ouvrier et libertaire lyonnais". Il avait la particularité d'être anticommuniste, pour le rapprochement franco-allemand et d'un courant ultra-pacifiste de la CGT.
Il s'engagea dans les milieux actifs de la collaboration, devient l'un des animateurs de l'Ecole des cadres de la Légion des combattants Allevard en Isère, à l'origine d'une doctrine de la Révolution nationale cherchant à fonder les bases de l'ordre nouveau sur les philosophies de Proudhon et Auguste Comte. Il écrira à l'hebdomadaire Germinal lancé en mars 1944 sous la direction de l'ex-socialiste Claude Jamet. Lors de l'exécution par la Résistance à Lyon de Jeanne Chevenard, membre de la collaboration syndicale, il constatait que "toute une partie de la jeunesse n'est plus qu'une hideuse canaille pour laquelle un système bien compris de travaux forcés serait le seul traitement curatif concevable." [Nicolas Faucier, Pacifisme et Antimilitarisme dans l'entre-deux-guerres (1919-1939), éd. Spartacus, 1983 et Jean-Pierre Biondi, La Mêlée des pacifistes, 1914-1945, la grande dérive, éd. Maisonneuve & Larose, 2000, pp. 130-131.] Enfin citons le cas de Robert Tourly, directeur de La Patrie humaine, signataire du tract "Paix immédiate" qui devint secrétaire de rédaction du Matin, journal de Bunau-Varilla devenu pro-nazi jusqu'en 1942. Il entra ensuite au Secours national, en 1943, par l'intermédiaire de son ami Sirolle, et occupa le poste de chef de division à l'Entraide d'hiver. Il fera rentrer son ami Roger Monclin dans les restaurants communautaires où il fut envoyé pour trouver du ravitaillement dans la région de Chinon.
[Roger Monclin, manuscrit inédit: "Quelque part... ailleurs", dans Anarchistes dans la Résistance, vol. 2, 1985, p. 140.]
Photo: Robert Jospin:
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