de Lehning le Mar 15 Mar 2016 20:37
En 1940, Louis Bertin fonda dans la zone Sud l'hebdomadaire Au Travail qui réunira de nombreux responsables de la CGT parmi lesquels des proches du milieu libertaire comme Jeanne Chevenard ou Georges Lefranc, en complet accord avec ce grand projet social de Vichy. La mouvance "parisienne" ou "politique" se prononce pour la collaboration avec le nazisme. Elle regroupait, autour du journal l'Atelier qui sera publié à partir du 7 décembre 1940, des anciens de la CGT, dont Georges Dumoulin, qui fut anarcho-syndicaliste, un proche de Monatte, Francis Delaisi, un ancien syndicaliste révolutionnaire qui fut responsable de la culture économique du monde prolétarien dans La Vie ouvrière, ainsi que des "néo-pacifistes" autour de Ludovic Zoretti, Georges Souliès et Guy Lemonnier. La plupart de ces militants venant surtout de la SFIO vont participer sans réserve au syndicalisme collaborateur et certains deviendront au sein du Parti populaire français (PPF) et surtout du Rassemblement national populaire (RNP) des "nazis français". On y rencontra aussi quelques militants anarchistes, syndicalistes révolutionnaires, pacifistes ou au passé libertaire, dont certains furent abusés par la Charte du travail et ses quelques aspects néo-proudhoniens. [Tous les syndicats nationaux ont été dissous par Vichy en août 1940 et la Charte du travail appliquée à partir d'octobre 1941. Avec la Charte du travail le gouvernement de Vichy prétendait ouvrir une ère nouvelle dans les relations sociales. Cette Charte institue une organisation corporative du travail avec la fin des syndicats. Les corporations sont des organes publics dont le but était de réaliser sur le lieu du travail une unité organique entre patrons et ouvriers. Elle a pour volonté de rompre avec l'affrontement des classes qui est censé avoir mené la France à sa perte et de privilégier la solidarité sociale. En réalité, la prise en main de ces structures par le patronat, les cadres, les cols blancs confortera, sous le couvert du corporatisme, l'inégalité sociale et économique. Voir le Maitron et Jean-Pierre Biondi, La Mêlée des pacifistes, 1914-1945, la grande dérive, éd. Maisonneuve & Larose, 2000, pp. 121-124.] Certains se feront surtout berner par les thèses du RNP, les discours et les articles de L'Oeuvre émis par Marcel Déat et sa clique, parmi laquelle des syndicalistes pacifistes comme Georges Albertini et Georges Lefranc. D'abord, il y eût le planisme qui, dans son objectif "de réaliser un régime intermédiaire entre l'économie capitaliste et l'économie communautaire", contenait "en germe, le national-socialisme, puisqu'il faisait reposer l'unité nationale sur la justice". Cette union a-classiste de l'ensemble des catégories sociales était placée sous la bannière de Proudhon. Barthélémy Montagnon dans Néo-socialisme ? fait appel "au vieux socialisme français de Saint-Simon et de Proudhon", à "la vraie tradition du socialisme français". Pour les militants du RNP, il s'agissait, à l'heure de la collaboration, par leur plate-forme de rassemblement, de "faire passer notre pays de l'atomisation à l'organisation" d'un "socialisme nouveau": un "socialisme national", un "socialisme communautaire", qui renonce au parlementarisme, "l'instrument le plus redoutable, parce que le plus caché, de la domination de la ploutocratie". Ainsi naîtra à la place du "socialisme revendicatif" d'antan, le "socialisme constructif" de la "révolution nationale", cette révolution qui, les hommes de Déat ne cessent de le répéter, reste encore à faire. Ces thèmes "néos" sont repris par les hommes du PPF, par Loustau et par Doriot, qui veulent intégrer le prolétariat à la communauté nationale. Et certains de nos militants se laisseront aller au chant des sirènes, à l'appel aux hommes nouveaux, à la collectivité contre l'individu, à l'ardeur révolutionnaire de Déat, de Doriot, de Barthélémy Montagnon, de Ludovic Zoretti, de Gabriel Lafaye et de tant d'autres militants de cette gauche néo-socialiste qui croyaient alors leur heure arrivée. Le RNP se proposait de dépasser les vieilles oppositions. "Il ne s'agit pas de savoir d'où l'on vient, mais où l'on va", dira Déat dans le premier numéro de son bulletin, le 6 juin 1942 ; et Georges Albertini proclamera huit jours plus tard dans le titre de son article du Le National populaire, "Ni gauche, ni droite". [Zeev Sternhell, Ni gauche ni droite, l'idéologie fasciste en France, éd. Complexe, pp. 282-285, J. Guionnet, "Où sont les socialistes", Le National populaire, n° 31 du 30 janvier 1943, L. Rebeix, Socialismes et socialistes, ibid., n° 99, 10 juin 1944, Marcel Déat, Le Discours du chef, ibid., n° 94, 6 mai 1944 et Vers le parti unique, ibid., n° 1, 6 juin 1942 et G. Albertini, Ni gauche, ni droite, ibid., n° 2, 13 juin 1942.] Les partisans de Déat et du courant Syndicat de Belin appuieront les efforts en vue de l'application de la Charte du travail mais ils n'avaient pas attendu son lancement pour avoir recours à l'idée d'un renouveau syndicaliste. L'application de cette Charte du travail sera de la responsabilité de Hubert Lagardelle qui deviendra secrétaire d'Etat au Travail du deuxième ministère Laval en avril 1942. On doit rappeler que Hubert Lagardelle avait été, avant 1914, un militant socialiste et le théoricien du "socialisme ouvrier", inspiré du syndicalisme révolutionnaire qui s'exprimait alors dans l'excellente revue Mouvement socialiste dont il était le directeur et à laquelle collaboraient alors Griffuelhes, le secrétaire de la CGT et Georges Sorel.
Mais celui-ci deviendra, en 1926, membre du faisceau de Georges Valois, puis, dans les années trente, il jouera le rôle d'intermédiaire entre Laval et Mussolini et, acquis au fascisme, il sera l'un des spécialistes du syndicalisme corporatif.
Photos: Georges Dumoulin ; Georges Lefranc:
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