de Lehning le Lun 22 Fév 2016 19:39
Toujours en août 1939, afin d'étudier le problème de la guerre, s'est tenu autour d'Aristide Lapeyre et du groupe bordelais de la FAF, une assemblée du mouvement libertaire de Bordeaux Sud-ouest qui anticipa la "défaite" et "l'instauration du fascisme en France". Paradoxalement, "liberté fut laissée à chacun d'agir selon ses convenances" alors qu'"une commission fut nommée dans le but de préparer la lutte".
René Saulière (le futur André Arru) "se proposa pour organiser un réseau de <vigilance> en liaison avec les anarchistes espagnols que les militants bordelais avaient fait sortir des camps de concentration français", et de "maintenir le contact entre les responsables du mouvement libertaire bordelais jusqu'à la débâcle" et refusa de ce fait "de répondre à l'appel de sa classe". Ce qui fut accepté par l'assemblée à l'unanimité. [Aristide Lapeyre, "Rapport sur l'activité de René Saulière dit André Arru, pendant la Guerre et l'Occupation", 1946, dans Les Anarchistes et la Résistance, vol. 1 (n° 21, 22), Bulletin du CIRA de Marseille, 1984, p. 51.] Nous verrons par la suite que ce fait a de l'importance. Le dernier numéro du Libertaire paraît le 31 août, à la veille de l'invasion de la Pologne. La rédaction, malgré les difficultés et la censure affirmait sa volonté de poursuivre la publication dans un éditorial intitulé crânement:
"Le Libertaire continue !" En réalité, le centre de liaison contre la guerre et l'union sacrée, dans lequel l'UA était engagé, a disparu. Dès la mobilisation de 1939, la mouvance libertaire va se désagréger. Pour le militant, sa survie quotidienne devint sa principale préoccupation. Les transports et les communications étaient perturbés, la surveillance policière de plus en plus oppressante, les sentences plus sévères. Il y eut des arrestations. De nombreux anarchistes furent arrêtés par la police, dès la mobilisation, sur la base de la "liste" S, celle des subversifs à arrêter en cas de trouble grave. Ce qui fut le cas par exemple de Lucien Huart et Lucien Haussard, militants bien connus de l'UA et de la SIA. [May Picqueray, May la réfractaire, op. cit., p. 174 et David Berry, "Le mouvement anarchiste français (1939-45)", revue Dissidences, 2003, op. cit., p. 45.
Lucien Huard (dit parfois Louis Huard) était un militant anarcho-syndicaliste. Il fut membre de la CGT-SR en 1926 et en fut exclu pour son opposition à Pierre Besnard. En 1929, il fut proche de l'AFA qu'animait Sébastien Faure ; puis membre de l'UA, il collabora au Libertaire en 1936, 37 et 39 ainsi qu'à la SIA dont il fut le délégué à la propagande.
Lucien Haussard, est né en 1893 et mort en 1969 après avoir été le premier trésorier de la Fédération anarchiste reconstituée en 1918, il fut un membre important de l'UA. En 1922, il fut le secrétaire international de l'UA universelle. En 1923, il fut responsable administratif du Libertaire et fonda et administra L'Idée anarchiste qui va comprendre 13 numéros, puis il devient gérant et remplacera le Dr Pierrot à la revue Plus loin. Après avoir interrompu ses activités pour raison de santé en 1930, il revient à l'UA en 1936 où il collabora au Libertaire jusqu'en 1939, ainsi qu'à la SIA dont il fut le délégué.] Nous verrons que de nombreux militants surveillés pour leurs activités antérieures seront victimes de la répression et connaîtront des périodes d'incarcération pour toute la durée de l'occupation et parfois même au-delà. Pour comprendre l'ambiance de ces derniers temps, il suffit de suivre Cortvrint Charles, dit Louis Mercier-Vega, à Marseille:
"Les organisations étaient bloquées, vidées de leur contenu par la mobilisation, paralysées par la surveillance policière. Les quelques locaux encore ouverts étaient connus et évités comme des pièges. Seuls quelques vieux, ceux qui avaient dépassé l'âge de la territoriale, venaient balayer les pièces désertes, ramasser les rares lettres et empiler les publications qui continuaient d'arriver de l'étranger et que plus personne ne venait parcourir [...] Il était encore possible de circuler de jour à condition de banaliser le vêtement ou le langage et de posséder une pièce d'identité présentable, un livret militaire d'une classe non encore appelée.
Mais dès la nuit tombée, le black-out transformait les règles du jeu et toute silhouette devenait dangereuse pour le chasseur comme pour le gibier. L'action collective, les mouvements, les groupes de quartier ou d'usine, les publications, tout cela était effacé. Les dimensions du combat s'étaient brusquement réduites. Tout militant misait sa liberté dans l'immédiat, plus d'un jouait sa peau à échéance."
[Le Libertaire (1917-1956), le n° 668, 31 août 1939 et Louis Mercier-Vega, La Chevauchée anonyme, éd. Noir, Genève, 1978, pp. 13, 14.]
Photos: Lucien Haussard ; André Arru:
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