de Lehning le Mar 29 Déc 2015 21:00
En effet comme l'a démontré Jean Maîtron, la pensée anarchiste française est restée ouverte à tous les courants d'idées. Ainsi, "le refus d'accepter l'autorité sous quelque forme que se soit", en particulier la confusion entre les notions de pouvoir et de domination, le "ni doctrine, ni parti" provoqua un "manque de cohésion doctrinale". Chacun resta libre de la réorganiser selon ses propres réflexions ou les idées à la mode du moment. Ce phénomène, apparu à la suite du terrorisme anarchiste du XIX° siècle, d'abord avec le syndicalisme, les "milieux libres", fut suivi par la pratique de l'illégalisme. Il en résulta de nombreuses "déviations". Celle des individualistes, scientistes et présentéistes intransigeants groupés autour du journal L'Anarchie qui par leurs critiques du syndicalisme et de l'ouvriérisme parfois lumineux quand elle dénonçait l'aliénation du salariat, l'était beaucoup moins lorsqu'ils niaient la notion de "classe sociale" au profit de l'individu. Cela contribuera à faire oublier ou condamner, par des militants anarchistes de milieux différents, la notion de lutte de classes. Il y eut aussi les néo-malthusiens avec la question de la population, l'éducationnisme avec son enseignement intégral, le coopératisme perçu par certains comme un compromis avec le capitalisme, les groupements naturiens avec leurs critiques de la civilisation et parfois leur primitivisme, les végétariens, les végétaliens, l'antimilitarisme, le pacifisme ; toute une multitude de courants et de tendances qui provoquèrent la dispersion et la stagnation de l'anarchisme français.
[Sur la notion de pouvoir, voir l'article de Amadeo Bertolo, "Pouvoir, autorité, domination" dans Le Pouvoir et sa négation, éd. A.C.L., 1984. L'historien italien Nico Berti dans son texte L'Anarchisme dans l'Histoire, mais contre l'Histoire, n'est pas d'accord avec Jean Maîtron lorsqu'il définit l'anti-militarisme, l'éducation anti-autoritaire, les expériences de communes libres, etc., comme "la dispersion en tendances", l'imputant au "manque de cohésion doctrinale de l'anarchisme", pour lui "c'est la manifestation d'une constante homogène à l'intérieur des manifestations pluralistes de l'anarchisme. Celle-ci marquent et confirment justement les limites de superposition "autoritaire" entre mouvement spécifique et classes exploitées, en ce sens que le premier n'impose pas aux secondes un schéma préconstitué -comme c'est le cas, par exemple pour le marxisme- mais en exprime précisément les multiples tendances pour autant que celles-ci sont historiquement révolutionnaires. Mais comme pour être telles ces tendances doivent émerger de façon spontanée et libre, c'est-à-dire de manière autonome. Il y a une coïncidence entre celles-ci et l'anarchisme: coïncidence pratique et théorique parce que ce dernier est également, comme on le sait, pluralité et autonomie." L'approche de Berti n'infirme pas le fait que lorsque la caractéristique d'une tendance prend le pas sur l'anarchisme lui-même ou perd son caractère révolutionnaire, cette tendance ne fait plus partie de l'anarchisme.]
Photo: Nico Berti:
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