de l'étrangère le Lun 20 Juil 2015 08:45
Non, l’Afrique n’a pas besoin des riches pour se nourrir
Publié le 11 juillet 2015 par Gilles Fumey dans Éducation/Enquêtes/Le Monde à chaud | 5 commentaires
Les riches (européens et américains) ont beau jeu de se draper dans leurs habits humanitaires en se posant comme ceux qui doivent nourrir neuf milliards d’hommes. Ils se trompent. Ceux qui relaient les injonctions dont nous inondent la FNSEA, l’INRA et tous ceux qui défendent le modèle productiviste et industriel sont coupables d’entretenir de fausses idées : non, l’Afrique n’a pas besoin de nous pour se nourrir.
Il y a déjà trente ans, le Nigérian Godfrey Nzamujo crée le centre Songhaï, à Porto Novo alors capitale du Bénin. Petit-fils d’esclaves américains, Nzamujo s’est formé en biologie en Californie avant de revenir sur la terre de ses ancêtres, en pleine guerre du Biafra. Proche du père Lebret, il devient dominicain et s’installe au Bénin. Songhaï ? Oui, un nom qui rappelle ce puissant empire africain du 15e siècle allant du Nigeria au Mali et dont Gao était la capitale et qui s’est effondré au 16e siècle. Le centre Songhaï signe une démarche agroécologique pour se débarrasser des engrais venus des pays riches, coûtant trop cher. Pour améliorer la formation, la fabrication des outils, la circulation des produits agricoles jusqu’aux marchés des villes. Et, finalement, lutter contre la concurrence des produits importés qui désespère les producteurs locaux.
Nzamujo fonde une école polytechnique, dédiée à la ruralité et à l’agriculture. Dans la plupart des pays africains, l’enseignement agricole n’existe pas, poussant des millions de jeunes vers le secteur informel. L’école aujourd’hui est installée sur un campus de plus de 20 ha, accueille 1000 étudiants et vingt fois plus de visiteurs.
Que voient-ils ? Des apprentis qui épandent des micro-organismes pour fixer l’azote de l’air, des sels minéraux et de la fumure animale ou végétale. Les rendements sont excellents : 2 à 3 t pour le soja, 3 à 5 t pour le maïs ! Mais ce n’est pas tout : les producteurs pratiquent l’économie circulaire avec enclos pour les volailles, les porcs, viviers de poissons, tous nourris avec des résidus de transformation végétale comme le tourteau d’huile de palme ou le son de riz. Les déchets de l’abattage, les eaux grasses usées et filtrées par des plantes comme les jacinthes sont utilisés comme nourriture animale ou déchets organiques produisant du biogaz pour la cuisine.
Les machines sont entretenues et louées par des ateliers appartenant à Songhaï. La rizerie industrielle, l’usine de conditionnement d’eau (6000 bouteilles l’heure), la récupération des plastiques pour la production d’emballages, tout cela se fait en économie circulaire, sans aucune subvention de l’État béninois et de l’étranger. La vente des produits agricoles ou industriels rapporte jusqu’à 43% des recettes de Songhaï en 2013. Songhaï est ainsi devenu un gros village avec un hôtel, une piscine, un cybercafé, le tout finançant la formation.
Plus de 3000 personnes ont été formées à Songhaï depuis 1989, à raison d’un coût allant de la gratuité pour les Béninois à 260 euros par mois pour les autres (compter 30 mois pour une formation complète, mais selon le niveau, trois mois peuvent suffire).
Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, en visite à Songhaï a félicité ceux qui ont eu « cette initiative pour réduire la pauvreté », en plaidant pour sa duplication dans d’autres régions de l’Afrique subsaharienne. Loin des échos des tribunes occidentales où les productivistes veulent écouler leurs surplus et chercher des débouchés.
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Pour en savoir plus : Songhaï