Ma guerre d'Espagne - Sygmunt Stein

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Ma guerre d'Espagne - Sygmunt Stein

Messagede vroum le Dim 20 Mai 2012 07:47

Ma guerre d'Espagne
Brigades internationales : la fin d'un mythe
Sygmunt Stein


Image

http://www.seuil.com/livre-9782021039320.htm

Traduit par Marina Alexeeva-Antipov

Date de parution 03/05/2012

Biographies-Témoignages

272 pages - 19 € TTC


Pour beaucoup, le mythe des Brigades internationales reste aujourd’hui encore intact. Et pourtant, derrière l’aventure héroïque de milliers de volontaires venus de tous les pays au secours de la République espagnole, se cache une autre vérité, déconcertante et douloureuse, que révèle ce témoignage sauvé de l’oubli.

Sygmunt Stein, militant communiste juif en Tchécoslovaquie, bouleversé par les procès de Moscou qui ébranlent sa foi révolutionnaire, va chercher en Espagne l’étincelle qui ranimera ses idéaux. Mais arrivé à Albacete, siège des Brigades internationales, il se voit nommé commissaire de la propagande, poste où il découvre jour après jour l’étendue de l’imposture stalinienne. Très vite, la réalité s’impose à lui : « La Russie craignait d’avoir une république démocratique victorieuse en Europe occidentale, et sabotait pour cette raison le duel sanglant entre les forces démocratiques et le fascisme. » Tout ce qu’il croyait combattre dans le fascisme, à commencer par l’antisémitisme, il le retrouve dans son propre camp. La déception est à la mesure de l’espoir qui l’avait mené en Espagne : immense. Affecté par la suite à la compagnie juive Botwin, il sera envoyé au front pour servir de chair à canon.

Des exécutions arbitraires du « boucher d’Albacete », André Marty, aux banquets orgiaques des commissaires politiques, en passant par les impostures de la propagande soviétique, Sygmunt Stein dénonce violemment dans son livre, écrit en yiddish dans les années 1950, et resté inédit en français, la légende dorée des Brigades internationales.



Traduit du yiddish par Marina Alexeeva-Antipov



Une autre face des Brigades internationales

http://guerres-et-conflits.over-blog.com/20-index.html

Nouvel ouvrage sur la guerre d'Espagne et les Brigades internationales, les "vraies", celles qui furent engagées du côté républicain. Le texte de ce militant juif communiste, volontaire aux côtés des républicains espagnols, avait été publié en yiddish en 1956 et n'avait alors reçu qu'une diffusion confidentielle. L'édition d'une traduction française mérite donc d'être soulignée, car remettre en cause un "dogme" de l'historiographie communiste est toujours un challenge. Sa fille, dans une ultime note biographique, se souvient : "Il avait très vite pris conscience que le PC se souciait davantage de régler leur compte aux révolutionnaire que de battre les fascistes. Souvent, il avait à coeur de me parler des crimes de Staline. Visiblement, il voulait me transmettre 'son Espagne'".

En 27 chapitres denses, le livre nous emmène du départ de Tchécoslovaquie pour l'Espagne ("Les procès de Moscou m'ébranlèrent. Comment etait-ce possible ? Zinoviev, le bras droit de lénine ?") via Paris. Affecté après son arrivée à Albacète, quartier général des Brigades internationales, non à une unité combattante mais à la section de propagande, afin "de maintenir le moral des brigadistes", il est contraint de participer au travail de la censure. Cette situation particulière (et la confiance -pourtant mêlée de soupçons permanents- des cadres dirigeants) permet à Stein, qui dispose d'un laisser-passer, de circuler en de nombreux points (et même à des heures de couvre-feu) alors que ses camarades sont soumis à un régime beaucoup plus strict. Il peut rencontrer beaucoup de monde, de tous les grades et dans tous les types d'unités. Intérieurement, il se révolte rapidement devant le mépris dans lequel les responsables communistes tiennent les simples volontaires : "Combien de déceptions, de sang des camarades innocents, versés inutilement ! ... Je compte lever le voile et présenter ces Brigades pour ce qu'elles étaient en réalité". Son témoignage, qui inspire le plus grand respect pour les simples combattants souvent sacrifiés, est accablant dans tous les domaines relevant du commandement supérieur : manipulations de la presse et désinformation systématique paraissent évidentes. On découvre l'intégration dans les unités sur le front de "liquidateurs" communistes, tuant d'une balle dans le dos les "camarades" qui commencent à dénoncer le système. Dans ce registre, André Marty (l'ancien mutin de la mer Noire devenu responsable du PCF et membre français de la direction de l'internationale communiste, surnommé "le boucher d'Albacète") se distingue tout particulièrement. Stein lui consacre de nombreuses lignes à partir de la page 86 : exécutions sommaires ("Je ne me souviens pas d'une seule rencontre entre camarades où le nom de cet assassin détraqué ne fut évoqué") ; beuveries et orgies organisées pour compromettre les autres dirigeants ("Tout ce beau monde continua de s'empiffrer et de s'imbiber d'alcool jusqu'au petit matin, alors même que l'Espagne républicaine subissait les affres de la faim ... C'était un excellent moyen de s'assurer la loyauté de ces 'chefs' et de ces bureaucrates") ; terreur et mensonges. Tout est bon, tout y passe. Après avoir évoqué la figure de la Pasionaria et ses séjours en France et à l'arrière, il rejoint une unité combattante. Il consacre les derniers chapitres à raconter des exemples de plus en plus nombreux d'antisémitisme à l'encontre des volontaires juifs polonais appartenant pourtant à la première génération des militants communistes et décrit à la fin de son livre la disparition au combat de la compagnie Botwin.

Dans sa postface, Jean-Jacques Marie posent les questions méthodologiques indispensables, relatives à la crédibilité qu'il convient d'accorder à ce témoignage. Après avoir croisé ce récit avec ceux d'autres témoins, sa conclusion est claire : ""Les souvenirs de Stein sont le long cri de colère d'un homme révolté, qui se sent trompé et trahi. Sa déception est à la mesure de son enthousiasme initial, mais il ne sombre pas dans l'aigreur ... Il exagère peut-être, mais ne fabule pas"

Un ouvrage désormais indispensable dans toute bibliographie sur la guerre d'Espagne ou le mouvement communiste international.
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Re: Ma guerre d'Espagne - Sygmunt Stein

Messagede vroum le Dim 20 Mai 2012 07:48

je vais l'acheter je vous en dirais plus plus tard
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Re: Ma guerre d'Espagne - Sygmunt Stein

Messagede bajotierra le Dim 20 Mai 2012 11:24

salut ,

je l'ai lu , c'est un témoignage vraiment intéréssant d'un cadre juif du komintern , volontaire dans les brigades internationales , qui dénoncera clairement les pratiques criminelles des stalininiens et en particulier celle de andré marty , pratiques que les politicards style DGs ont voulu derniérement occultre, et y compris su ce forum, avec un hommage ridicule a une de ses comparses ( lise london )

c'est sa premiére traduction en français , tu m'étonnes ...
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Re: Ma guerre d'Espagne - Sygmunt Stein

Messagede rastanar le Dim 20 Mai 2012 16:55

Ah ben je vais le lire aussi !. :wink:
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Re: Ma guerre d'Espagne - Sygmunt Stein

Messagede Cheïtanov le Jeu 24 Mai 2012 22:29

Merci, ça a l'air super intéressant, j'essaierai de le choper...

J'ai trouvé dans notre biblio un livre mythique que je viens de commencer : "Etat des lieux... et la politique bordel ?" de l'OCL...
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Re: Ma guerre d'Espagne - Sygmunt Stein

Messagede vroum le Dim 2 Sep 2012 11:54

Ma guerre d’Espagne (Brigades internationales : la fin d’un mythe. Postface de Jean-Jacques Marie)

http://www.fondation-besnard.org/articl ... ticle=1644

Stein Sygmunt Ma guerre d’Espagne (Brigades internationales : la fin d’un mythe. Postface de Jean-Jacques Marie), Paris, Seuil, 2012, 268 p. 19 euros.

Difficile d’écrire ses mémoires quand on est usé, aussi mentalement que physiquement, par la vie d’exilé. Je le comprends à travers les témoignages, brefs et sporadiques, assez contradictoires de mon père.

Et (dans les deux cas) le léninisme soviétique en est la cause. En particulier pour Sygmunt puisqu’il était fonctionnaire du Parti, par déduction à partir de la courte biographie de sa fille, entre 1920 et 1938 (en Pologne, puis en Tchécoslovaquie et ensuite en Espagne), de l’âge de 21 ans à 39 ans, donc sans aucune formation professionnelle et, également, sans avoir créé de couple durable.

À mon avis, c’est le rendu de l’atmosphère dans les hautes sphères du PC polonais et dans l’organisation des Brigades internationales qui est important. Je vais énumérer à la fin de ce texte les confusions qui pourraient le rendre suspect.

L’essentiel, le moteur à faire fonctionner des centaines de fonctionnaires zélés, est un dévouement décérébré, une obéissance robotisée. C’est la fidèle reproduction de l’armée, du clergé et des administrations hiérarchiques capitalistes.

La différence se trouve dans la mentalité médiévale en plein XX siècle inhérente au léninisme. Évidemment, les engrenages du capitalisme se sont constitués au fil du temps, du disciplinement des individus, en les brisant et en piétinant leurs attaches extérieures à leur fonction.

La hiérarchie léniniste, forgée, organisée par Vladimir Ilitch lui-même grâce à la création du 20 décembre 1917 de la Tchéka, a dû effectuer en quelques années le labeur de la hiérarchie capitaliste. L’écrasement de l’individu, son décervelage, sa robotisation ont été obtenus par le même élément -en partie mental, en partie magique- qu’aux origines du capitalisme : la déviance spirituelle, idéologique. Cet écart hors de la norme a été brillamment organisé par les juges de l’Inquisition (invention française au XII contre les cathares, amélioré en Espagne). Lénine a réinventé cette organisation (sans vraiment l’améliorer, puisque les inquisiteurs faisaient attendre parfois quelques années avant d’accepter la nomination d’une personne à une charge, voir la vie du poète Góngora au XVI siècle, et que les léninistes mettaient n’importe qui du moment qu’il était au Parti, d’où bien des échecs techniques) avec l’invention du petit bourgeois, soit espion blanc, soit anarchiste, kronstatdien, membre de l’Opposition ouvrière, etc.).

Lénine et ses admirateurs, comme ceux du capitalisme de 2012 achoppent sur le même problème des dissidents, des pestiférés qui dévoilent leurs combines. D’où cette constatation de 1928 : Trotski, Zinoviev, Kamenev et tutti quanti, une fois installés au pouvoir, n’auraient-ils pas appliqué la même politique despotique insensée contre ceux qui n’ont fait qu’ouvrir la bouche ? N’y-a-t’il pas dans la conscience de l’opposition actuelle autant de fautes grandes et petites que celles qu’elles collectionnaient il n’y a pas encore si longtemps ? Si un coup de théâtre de l’histoire faisait que les trotskistes tuent les staliniens du Kremlin et qu’ils prennent le pouvoir, ne reverrait-on pas le même cirque ? La pratique soviétique abandonnerait-elle le favoritisme, la création de laquais, la paperasse, la censure, les emprisonnements et les exécutions ? Tout cela serait comme avant et chacun le sait.

La dictature bolchevique vue par les anarchistes dix ans de pouvoir bolchevique, Большевистская диктатура на свете на анахизма (десят лет советской власты, Paris, 1928, 141 p. ; édition de l’organisation des anarcho-communistes russes Delo Truda et de la fédération des groupes anarcho-communistes d’Amérique du nord et du Canada. (http://www.fondation-besnard.org/article.php3%20?id_article=496).

À ce propos, la question évidente à poser, d’autant plus que la citation précédente vient du groupe de Makhno et d’Archinov, si décrié par certains anarchistes comme Max Nettlau, est si les anarchistes ne sont pas capables de « réinventer », comme Lénine et ses camarades, les capitalistes et leurs associés, une « pensée unique » et une chasse aux pestiférés ?

Un texte de Max Nettlau de 1934 (http://www.fondation-besnard.org/article.php3%20?id_article=1614) le démontre amplement, sans compter les pratiques de calomnies aussi expéditives (le cinqpointisme) que celles des léninistes de tout poil d’une partie de la CNT-AIT d’Espagne à une époque (http://www.fondation-besnard.org/article.php3%20?id_article=760). L’absence de structure hiérarchique fait que le mal est circonscrit, les multiples discussions sont aussi un antidote efficace.

Une autre question est fondamentale : Sygmunt ne nous donne-t’il pas le stade ultime de l’hystérie léniniste ? Khroutchev, Gorbatchov, le PC russe actuel et les PC des autres pays (à l’exception de ceux continuant à imposer le « socialisme réel) ne sont-ils pas les garants d’erreurs à ne plus recommencer ?

Deux exemples m’amènent à répondre non.

À la fin des années 1970, sauf erreur de mémoire, étant en Bulgarie en famille, j’ai offert, par l’intermédiaire de sa mère, un cadeau (un stylo à plume de marque occidentale) à une cousine de fait, travaillant dans les services secrets (la chimiste Olga Daskalova, la fille du menuisier du quartier Nadejda à Sofia, Kiril Daskalov, qui fit le premier bureau de Georges Dimitrov quand il revint en Bulgarie en 1944, après une quinzaine d’années en URSS). Plus tard, dans les années 1980, puis de sa bouche en 1992, j’ai su que son supérieur, un soviétique, remarqua aussitôt que son stylo venait d’un pays capitaliste et la pria de surveiller ses contacts avec des citoyens de l’Ouest (une bonne remarque car il y avait une flopée de produits capitalistes sur le marché bulgare, par le Korekom -boutique vendant en dollars- et les robes Dior, mais pas de stylos).

Les tentatives récentes et constantes des léninistes de réécrire l’histoire, toujours de façon manipulatrice et à leur avantage, leur incapacité d’analyser le léninisme et d’en tirer des conséquences pratiques, les affrontements physiques entre groupes léninistes en Argentine, par exemple, sont des preuves tangibles que l’obscurantisme demeure.

Pour revenir à Sygmunt, il s’approche des causes, mais ne les décèlent pas. Je compris que le travail des propagandistes était non seulement d’influencer... mais aussi d’empêcher les cerveaux humains de fonctionner (p. 67). Je sentais la crasse de la morale communiste me salir aussi (p. 112).

On constate chez Sygmunt sa “ lâcheté ” ou son incapacité à casser le cordon ombilical léniniste et à revenir au Bund ou à passer dans le milieu yiddish petit bourgeois des USA ou de l’Argentine. Il propose indirectement une clé qui semble authentique. Je ressentais aussi à cet instant une sorte de frisson mystique. Il y a 450 ans, la réaction espagnole avait chassé les habitants juifs de ces terres. Maintenant, des siècles plus tard, un petit groupe d’arrière-petits-enfants de ces Juifs revenait pour régler les comptes avec leurs tortionnaires d’autrefois (p. 228).

Sygmunt réussit grâce à son militantisme yiddish athée non sioniste, alors pratiquement seul le PC offrait cette possibilité en Europe, à créer un couple. Et c’est son épouse qui coupa le cordon avec le PC et employa son mari dans la petite entreprise de confection qu’elle avait créée à Paris à la Libération.

Quant aux confusions gênantes, elles sont géographiques (Saragosse, p. 207, qui n’a jamais été dans la zone républicaine, au lieu de Lérida, vraisemblablement) et déformatives (les armes soviétiques à Albacete étaient sans doute des antiquités, mais les photos et les témoignages surabondent sur l’aviation soviétique, les tanquistes soviétiques, les artilleurs, sous mariniers, etc.).

La postface de Jean-Jacques Marie reprend les parties historiquement discutables en offrant des sources certaines. Mais il s’en tient là, c’est bien dommage.

Frank, 30.08.12.
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Re: Ma guerre d'Espagne - Sygmunt Stein

Messagede vroum le Mer 13 Fév 2013 13:36

Une chronique d'un bouquin que j'ai bien apprécié :

BRIGADES INTERNATIONALES
L’INSTRUMENT DES ASSASSINS LES PLUS FÉROCES DE L’HISTOIRE


http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article577

Elles en ont fait rêver du monde, les Brigades internationales… Encensées comme la fine fleur de l’antifascisme et de la solidarité internationale ouvrière, leur réalité a été bien différente et bien à l’encontre des motivations de la majorité de ceux qui s’y sont engagés.

Lorsqu’il s’engage dans les Brigades internationales, Sygmunt Stein est un cadre communiste aguerri, un de ces nombreux militants qui ne vivent que pour le « Parti ». Certes, le procès « des 16 » vient de faire sonner dans son esprit une première note discordante [1], mais pas assez pour remettre en cause son stalinisme. En rejoignant ce qu’il pense être un combat antifasciste, il espère ressourcer son bolchevisme. Stein ne connaît pratiquement rien de l’Espagne et guère plus de l’anarchosyndicalisme qui y imprègne la majeure part des couches populaires actives. Une telle ignorance explique des approximations, des incompréhensions et un vide sidéral pour tout ce qui touche à la Révolution espagnole. Ainsi, les mots « collectivité » ou « socialisation » n’apparaissent même pas. Stein est passé à côté de la principale révolution autogestionnaire de l’histoire sans même s’en rendre compte. Il ignore également tout du soulèvement populaire du 19 juillet 36 et va jusqu’à attribuer le début de la résistance contre le franquisme au général Miaja et aux décrets du ministère de la Défense.

Certes, il a rencontré des anarchistes, ils étaient vraiment trop nombreux en Espagne pour qu’il en soit autrement. Mais, en dehors du cas d’un anarchiste allemand, dénommé Franz [2], il en parle vraiment sans sympathie. Les allusions qu’il fait à la CNT se résument pratiquement à la gestion d’un bordel à Barcelone et au cas d’un chauffeur de taxi qui le laisse en plan – non sans raison reconnaît-il – dans cette ville. Tout juste observe-t-il que les matelots du cargo qui le transporte sont majoritairement de la CNT. Mais, quand il voit de nombreux « bandeaux noir et rouge » il les décrit comme portant « une tête de mort » ( !!!). Manifestement, pour tout ce qui concerne la révolution libertaire, Stein est reparti d’Espagne comme il y était entré : sans rien comprendre. A sa décharge, il faut souligner qu’il n’a vécu qu’entouré de cadres communistes et qu’il ne parlait pas espagnol [3]. Et pourtant, pourtant, malgré ces lacunes qui pourraient paraître rédhibitoires, ce livre présente un intérêt majeur. En effet, si Stein n’a pu saisir l’essence de la situation espagnole, il a parfaitement analysé le rôle du parti communiste. Intellectuel marxiste, expert en fonctionnement du parti, fondamentalement honnête, il disposait pour cela de toutes les « clefs » nécessaires. Stein apporte ainsi une confirmation irréfutable à ce que tout le monde devrait savoir : non seulement les communistes ont anéanti la Révolution mais ils ont aussi, volontairement, coulé la République. Son témoignage est d’une force et d’une valeur exceptionnelles car ses informations sortent du ventre même de la bête.

Et pourtant, pourtant, malgré ces lacunes qui pourraient paraître rédhibitoires, ce livre présente un intérêt majeur. En effet, si Stein n’a pu saisir l’essence de la situation espagnole, il a parfaitement analysé le rôle du parti communiste. Intellectuel marxiste, expert en fonctionnement du parti, fondamentalement honnête, il disposait pour cela de toutes les « clefs » nécessaires. Stein apporte ainsi une confirmation irréfutable à ce que tout le monde devrait savoir : non seulement les communistes ont anéanti la Révolution mais ils ont aussi, volontairement, coulé la République. Son témoignage est d’une force et d’une valeur exceptionnelles car ses informations sortent du ventre même de la bête.

Stein, nous l’avons dit, a été un cadre communiste. Il y croyait. Il aurait probablement été un « pur et dur » s’il n’avait eu ce que les communistes considèrent comme une grave faiblesse : une tendance certaine à penser par soimême. Au départ choyé par son parti, nommé commissaire politique, responsable d’une section de propagande à Albacete – centre nerveux des Brigades internationales – il est au coeur de la machinerie perverse mise en place par les staliniens pour prendre le contrôle des Brigades internationales et briser tout élan révolutionnaire dans celles-ci et hors de celles-ci. Et là, il voit tout. Son témoignage est celui de sa dessillation jour après jour. Il pointe les crimes du parti communiste. La dénonciation calomnieuse des meilleurs militants qui précède de peu leur meurtre [4]. La liste est longue. Il décrit aussi les liquidations en masse et la conduite volontairement désastreuse de la guerre. L’anéantissement du bataillon Botwin en un seul combat par exemple [5]. Et l’exploitation politique de tout, le mensonge permanent, le retournement de la vérité. Ainsi, les victimes non consentantes du bataillon Botwin deviennent-elles des combattants mythiques (ce qui permet de « faire cracher au bassinet » toute la communauté juive) et le nom des militants abattus par le parti sert à galvaniser les foules communistes auxquelles on annonce une mort héroïque face aux fascistes. A quoi s’ajoutent les fausses lettres de soutien adressées au PC par les prétendus pères des victimes. Une ambiance glauque. La crainte, l’anxiété suintant de partout.

Premières victimes de cette machine à détruire, les idéalistes venus combattre le fascisme dans les Brigades. Ils comprennent petit à petit qu’ils sont englués dans un piège, qu’ils participent à une manipulation criminelle sans précédent. Même les petits leaders du moment ne sont pas à l’abri. A Moscou, il y a des procès, à Albacete, des balles dans la nuque au fond d’une cave. A tout moment, les purges peuvent survenir. Elles sont méthodiquement en préparation, les unes après les autres. Le parti fait régner la terreur partout où il prend le pouvoir. C’est sa méthode de management. Exemple typique de la brute sanguinaire un temps aux manettes : André Marty. L’ancien mutin de la Mer Noire, devenu par la suite dirigeant respectable du parti communiste français, restera dans l’histoire pour ce qu’il a été : le « boucher d’Albacete ».

LE BOUCHER D’ALBACETE

Son seul nom provoquait une épouvante contagieuse dans les rangs des Brigades. Les militants communistes les plus aguerris tremblaient devant lui, car cet assassin était capable de loger publiquement une balle en plein cœur à qui lui déplaisait ou de faire fusiller par ses gendarmes des groupes entiers de combattants parmi les plus valeureux. Stein rapporte des exemples accablants. Autre personnalité de l’époque : Dolores Ibarruri, dite « la Pasionaria ». Si Marty était une brute sanguinaire, Ibarruri était avant tout une imbécile. Pratiquement analphabète, inculte à un point inimaginable – au point qu’elle croyait que les Juifs avaient disparus aux temps bibliques [6].

Autre grand mensonge dénoncé avec vigueur par Stein : l’aide soviétique. Stein montre que l’URSS, loin de servir la république espagnole s’est servie d’elle. A la fois pour les besoins de sa propagande (une façon de contrebalancer l’effet déplorable des procès soviétiques) mais aussi financièrement (en vendant fort cher aux Espagnols des produits – militaires ou alimentaires – totalement hors d’usage). Le lecteur trouvera dans ces pages de multiples exemples vécus.

A l’heure du bilan, que reste-t-il des Brigades internationales ? Son expérience en profondeur conduit Stein à reprend à son compte l’analyse que fait Franz (l’anarchiste allemand cité plus haut) : « Je ne pense pas que ceux qui sont venus rejoindre les brigades internationales avaient de mauvaises intentions. Nombre d’entre eux étaient des idéalistes authentiques. Mais à quoi bon leur idéalisme ? Vous êtes tous devenus ici les instruments des assassins les plus féroces de l’histoire ».

Francesito

RÉFÉRENCES : Sygmunt Stein, Ma guerre d’Espagne. Brigades internationales : la fin d’un mythe. Traduit du yiddish par Marina Alexeeva- Antipov, préface de Jean-Jacques Marie, Éditions du Seuil, mai 2012, 266 pages

[1] En juin 1936, 16 hauts dignitaires communistes historiques, dont Zinoviev (membre du Komintern) et Kaminski (chef de l’Etat soviétique), furent jugés et condamnés à mort sur l’ordre de Staline pour avoir formé un supposé « bloc terroriste contre-révolutionnaire trotskozinoviéviste ».

[2] Probablement parce que Stein, qui parlait entre autres langues l’allemand, put avoir un échange direct avec lui

[3] Les quelques mots retranscrits de l’espagnol se ressentent de cette méconnaissance (« camarados » pour « camaradas », « camiro » au lieu de « comer », « judios » pour « judias »).

[4] Curieusement, alors qu’il rapporte comment le parti « traitait » les militants soupçonnés de la moindre déviation et qu’il connaît parfaitement les méthodes employées, Stein, quand il fait allusion à l’assassinat de Durruti ne fait pas le lien avec l’hypothèse la plus probable : son assassinat par le parti communiste.

[5] Le parti avait obligé les brigadistes de ce bataillon composé de militants juifs à monter les mains nues (au sens littéral du terme) à l’assaut des lignes fascistes suréquipées.

[6] Cette affirmation d’Ibarruri faite au correspondant des journaux Folks-tsaytung de Varsovie et Der Emes de Moscou est à proprement parler sidérante. Faut-il rappeler qu’un moteur fondamental de l’hitlérisme au pouvoir en Allemagne – et fortement engagé aux côtés de Franco – était l’extermination des Juifs ?]– c’était la porte-parole du PC. Stein explique comment le parti lança cet être insignifiant sur le marché politique : avec les méthodes utilisées pour fabriquer une vedette du Top 50. Elle avait en effet les qualités pour : « … très belle, avec ses grands yeux enflammés,..., un nez droit, bien dessiné, les lèvres pleines et sensuelles et une épaisse chevelure noire. Elle avait, de plus, une voix métallique qui tonnait et déferlait comme une tempête » et pratiquement rien dans la tête mais une forte poitrine qu’elle découvrait en partie au moment crucial de ses discours. De quoi la transformer en bête de scène à condition que quelqu’un lui écrive ses « lyrics », ce dont le parti se chargeait[[Si Stein explique le « comment », il n’explique pas le « pourquoi ». Pourquoi en effet, un parti aussi machiste que le PCE choisit-il une (belle) femme pour le représenter ? Cela alors que le PC soviétique, les autres PC, le Komintern n’en avaient aucune à un niveau aussi élevé (et qu’ils avaient laissé assassiner sans scrupule une des rares femmes connues du mouvement communiste de l’époque, Rosa Luxembourg). A l’évidence, c’est que le PC voulait faire pièce à l’influence profonde dans la population espagnole de Federica Montseny militante de la CNT et de la FAI. De fait, Ibarruri a été construite comme une anti-Montseny. La première est pulpeuse et sensuelle alors que l’autre ne joue vraiment pas de sa féminité. Elle est intellectuellement creuse alors que la seconde est cultivée, spirituelle, intelligente. Ibarruri, qui répète en boucle les slogans du parti, est incapable de la moindre critique sur elle-même et sur son parti, alors que Montseny, qui restera une militante anarchosyndicaliste jusqu’à son dernier souffle, fait très rapidement la critique publique de sa participation au gouvernement.
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Re: Ma guerre d'Espagne - Sygmunt Stein

Messagede vroum le Jeu 18 Avr 2013 09:28

Dans le dernier "Anarchosyndicalisme", une réaction à l'article précédent : http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article593

A PROPOS D’UNE PREFACE :
DES BRIGADES INTERNATIONALES A LA MAKHNOCHINA


Ayant reçu le dernier « Anarchosyndicalisme ! » (n° 133 de février-mars 2013) cet après-midi, je l’ai feuilleté et je me suis arrêté, en page 14, sur la critique du livre « Ma guerre d’Espagne. Brigades internationales : le fin d’un mythe », ouvrage post-facé par un certain Jean-Jacques Marie. Il se trouve que j’ai récemment lu un ouvrage de ce dernier, paru voici quelques années sous le titre « La guerre civile russe, 1 91 7-1 922 » (mars 2005, éditions Autrement).

Je vous adresse quelques considérations que cet ouvrage m’a inspiré. Pour l’essentiel, ce dernier n’est constitué que d’une série de collages de témoignages des uns et des autres (grossièrement parlant des « rouges » et des « blancs ») sur les aspects les plus sordides de la guerre civile – ce qui n’est pas très utile, mais pourquoi pas ! Ce qui m’a indigné, c’est le « traitement » réservé à Makhno. Par exemple, à la page 102, un « rouge » déclare « Les makhnovistes n’ayant ni mécanicien ni pilote incendient les appareils. Puis commence une bacchanale de pillage : les soldats makhnovistes dévastent les magasins, les entrepôts, les riches appartements. Un groupe dans sa fureur met le feu à plusieurs bâtiments. Le Grand Bazar est entièrement pillé. Le Comité révolutionnaire bolchévique essaie de convaincre les makhnovistes de procéder à une réquisition ordonnée des biens et des vivres, un makhnoviste lui répond : Nous sommes partisans du slogan De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que le lien entre les exactions supposées et l’affirmation idéologique, que je fais volontiers mienne, ne saute pas aux yeux ! Tout au contraire. Mais l’auteur se garde bien de relever la contradiction pourtant patente dans le témoignage qu’il cite.

Après les propos assassins des « rouges » contre les makhnovistes notre professeur d’histoire (c’est le métier du dit Marie) fait monter à l’assaut les blancs pour achever la besogne. Page 149, il en cite un affirmant que Makhno « pillait, brûlait et tuait ». Sans commentaire. On croirait lire Marie- Antoinette à propos de la Révolution française. L’auteur lui-même y va de sa rengaine et affirme, page 151, que « Makhno n’aime ni la ville, juste bonne à ses yeux à être pillée, ni les citadins, et encore moins les bourgeois qu’il rançonne ». Aucune référence ne vient garantir cette affirmation sur le goût immodéré de Makhno pour la campagne. Ces affirmations étant livrées telles quelles, le lecteur est indirectement prié de les prendre pour argent comptant. Même si c’est de la fausse monnaie. La littérature anti-makhnovistes est une vieille tradition, qu’elle soit rouge ou blanche. Le fait que Makhno soit attaqué des deux côtés, autant par les partisans du tzar historique que par ceux du tzar rouge qui prit sa suite s’explique parfaitement : les makhnovistes s’étaient élevés contre toutes les dictatures.

Mais qu’aujourd’hui un livre continue à charrier des rumeurs d’antisémitisme et de banditisme à l’encontre de Makhno alors que toutes les clarifications à ce sujet sont depuis longtemps très largement accessibles, est inacceptable. Mais faut-il s’en étonner ? Présenté comme un « spécialiste de l’Union soviétique communiste », l’auteur, si l’on en croit sa bibliographie me semble surtout être un chantre du trotskisme.

Jean-Jacques Marie en effet est l’animateur du « Centre d’études et de recherches sur les mouvements trotskistes et révolutionnaires internationaux » constitué à partir des archives de l’OCI, ancêtre de l’actuel Parti des travailleurs (voir Rouge du 31 octobre 2002).

Le rôle de Trotski pendant la révolution russe fut d’éliminer physiquement, souvent après les avoir utilisés, ceux qui ne se soumettaient pas à la dictature bolchévique (Socialistes révolutionnaires, maximalistes, communistes libres, activistes des Soviets d’ouvriers, de marins ou de paysans). Le crime de masse a été une spécialité de Trotski. L’écrasement des révolutionnaires de Kronstadt est un symbole emblématique.

Pour en revenir à Nestor Makhno, plusieurs ouvrages (à commencer par ceux de Makhno lui-même) font le point sur ces questions. Un des plus intéressants est l’oeuvre de Voline « La Révolution Inconnue ». Voline qui a été pendant la révolution russe rédacteur du journal de l’Union de propagande anarcho-syndicaliste de Pétrograd, puis membre de section de culture et d’éducation de l’armée insurrectionnelle makhnovistes, avant d’être arrêté par l’Armée rouge – commandée par Trotsky- est un des meilleurs historiens de cette période. Lui-même juif, il lave Makhno de tout soupçon d’antisémitisme. Pour en savoir plus, le plus simple est de se reporter au remarquable ouvrage de synthèse d’Alexandre Skirda « Nestor Makhno, le cosaque libertaire, 1888- 1934 » aux éditions de Paris.

P.M.

Note de la rédaction d’Anarchosyndicalisme !

Comme nous l’avons souligné en le présentant, « Ma guerre d’Espagne » n’est pas le témoignage d’un libertaire tout au contraire. C’est celui de quelqu’un (Sygmunt Stein) qui, au moment des faits, était un stalinien pur jus. Le témoignage ne nous en a paru que plus intéressant, malgré son insondable méconnaissance du mouvement libertaire en général et de la CNT en particulier. En effet, le témoignage qu’il apporte sur la machine à écraser la révolution espagnole que fut le mouvement communiste dirigé par Moscou (avec en particulier son utilisation monstrueuse des brigades internationales) résulte d’un « vécu de l’intérieur » absolument irrécusable. C’est là tout son intérêt. Ce n’est pas pour rien que sa publication a été si tardive en France, pays où abondent les historiens pro-communistes de tout poil. Par honnêteté intellectuelle, nous avons mentionné le postfacier, même si la dite postface n’apporte rien du tout. Nous remercions notre lecteur d’avoir apporté ses précisions et nous encourageons tous nos lecteurs à prendre leur plume pour nous faire part de leurs avis !
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Re: Ma guerre d'Espagne - Sygmunt Stein

Messagede Cheïtanov le Jeu 18 Avr 2013 10:00

Je voulais le poster, merci Vroum !
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Re: Ma guerre d'Espagne - Sygmunt Stein

Messagede René le Dim 21 Avr 2013 09:51

Lorsque j'étais jeune, il y a 40 ans, il y avait beaucoup de militants de la CNT d'Espagne. Leur discours sur les brigades internationales était invariables: militairement elles ne servaient à rien. «Ce qui nous fallait, c'était des ARMES!», disaient-ils.

Si des anarchistes français ont pu vivre avec le mythe des brigades internationales, c'est qu'il y avait un réel problème de transmission de la mémoire.

Il est vrai que ces gars-là n'étaient pas des champions, question communication. Mais en même temps, il fallait savoir les écouter.
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