le feuilleton de l'été 2011

le feuilleton de l'été 2011

Messagede Denis le Dim 21 Aoû 2011 19:40

Notre poto Michel , qui s'occupe de l'émission "le mélange sur Radio-Libertaire le dimanche après-midi"

est parti en Inde, pour un temps indéterminé, et à chaque fois qu'il trouve une borne Internet, il nous narre ses aventures


le 28 Juillet 2011

Cela fait bien des années que j'ai du prendre un vol pour Delhi (ou Bombay) avec escale, sur une compagnie autre que Air India ou Air France. Air France est maintenant hors de prix et Air India n'avait plus de places disponible avant l'automne. Obligé de faire ce voyage maintenant, mousson et tout, j'ai du me rabattre sur Gulf Air, dont j'avais déjà apprécié l'hospitalité lors de mon premier voyage en Inde en 1997.
Bon, un Airbus c'est un Airbus, et la couleur des sièges et de l'empennage ne change rien aux charmes particuliers de la classe touriste: les sièges sont petit, y a pas trop de place pour mes grandes jambes, et le voisin est très près, trop près souvent. Quant au repas, vous connaissez tous les repas en avion, c'est pas terrib', et tout est servi à la fois sur un plateau par de charmantes dames en uniformes de plus ou moins bon gout. Ici, chez Gulf Air, elles ont de jolies coiffes qui sont censées couvrir leurs cheveux (de houris, c'est bien connu) mais qui ne couvrent pas grand chose.
Arrivé à Bahrain, le 38° d'un crépuscule ultra humide a tout de suite mis l'ambiance. Je passe vite fait sur l'immense duty-free où il y a même des voitures en vente, un personnel pléthorique, et deux ambassades de l'Empire du Mal, un McDonald's et un Starbucks dont je me suis tenu bien à l'écart.
Beaucoup de messieurs en robe blanche et keffieh tout blanc ou rouge et blanc, beaucoup de dames plus ou moins voilées, ou tout de noir vêtues. Moive perso, et contrairement à la bien-pensance occidentales (comme si on était bien placé, derrière nos siècles de crimes et monstruosités à travers le monde, pour donner des leçons de moralité libératrice aux autres), les femmes voilées ne me posent aucuns problème éthiques ou philosophiques, surtout chez elles dans les émirats: laissons les donc se « dévoiler » quand elles auront décider de le faire elles mêmes, sans les affubler de notre inconcevable hypocrisie BHLienne!
Les malheureuses, c’est tout ce qui leur faut, avoir notre ultra-droite raciste bien mijotée façon Finkelkraut, sainte Caroline Fourest et Philippe Val pour leur enlever le voile! De force, bien sûr, et par La Loi Répubikaine, cette belle Loi qui nous a tant donné à nous autres aux belles valeurs franco-franchouille que le monde entier nous envie!!!
Deuxième service chez Gulf Air deux heures plus tard, l'étape vers Delhi. Et c'est là que la chance m'a sourit: lorsque j'ai présenté ma carte d'embarquement, la charmante dame asiatique m'a dit qu'elle me changeait de siège pour me mettre en classe affaire!!!
Délices et orgues, pour la première fois de ma vie, j'allais voyager en privilégié. Et quel privilège: boisson à gogo (vous me connaissez, j'ai profité au delà du raisonnab'), repas servi individuellement par Ali le chef de cabine et sa délicieuse assistante Filipino, et pas tout à la fois je vous prille, d'abord une salade indienne avec okra, et légumes exotiques non identifié dans un chutney à la menthe, suivi d'un curry de poisson à la goannaise, le tout arrosé à volonté d'un excellent Chablis qui m'a rendu quatre visites pendant et après le repas, et qui changeait un peu du vin blanc sud-africain de la classe touriste! Tout ça assis dans un grand et large siège avec un bon mètre entre moi et le siège de devant! Grou et regrou!!!!
La seule ombre au tableau étant le jeune franco-indien d'une douzaine d'année assis à coté de moi, et qui s'est rué sur le sac à vomi après à peine une heure vol. Un garçon bien sensible il semblerait vu que le vol était à ce moment là d'un soyeux on ne peut plus fluide sans le moindre accout. Mais ça n'a pas duré et il s'est endormi rapidos, me laissant tranquille avec mon Chablis.
Je sais une chose sans le moindre doute à propos de l'Inde et des choses indiennes, c'est qu'il ne faut jamais se fier aux apparences. Ainsi, à Roissy, je me suis trouvé au milieu d'une grande famille indienne. Ah, comme c'est sympathiques, ils rentrent au pays après quelques vacances en France, me dis-je en regardant les mamans en sari et les djeunz habillés.... en uniforme djeunz international (casquettes amérikaine, jeans taille-super-basse, sweat Abercrombie and Fitch,… un festival d'originalité et d'indépendance d'esprit...C'est pour les garçon, évidemment, les filles montrant quelques qualités stylistiques en salwar kameez et escarpins du meilleurs effet). Et tout d'un coup, l'un d'entre eux s'adresse à haute voix à un de ses copains en .... zyva pur jus dans le texte, vernaculaire 9-3 à tous les étages. Du coup je subreptice les étiquettes de leurs sacs et valises et je vois qu'ils sont français et vont tous à Pondichéry, et donc je subodore une famille de la rue du faubourgs Saint-Denis partant en vacance au pays voir les cousins que les djeunz français de la famille n'ont probablement jamais vu. C'est beau.
Après deux heures de vol, on a quitté la moiteur extrême du Golfe persique et on commence à sentir les turbulences de la mousson sur la mer d'Arabie. L'Airbus A-320 bouge et bouge de plus en plus. Heureusement, mon jeune et sensible voisin dort profondément, appréciant l'oubli des choses du siècle et de la nausée du jour dans les bras accueillants du sieur Morphée!
Allez, un cinquième Chablis, et à tout à l'heure!!
Arrivé à Delhi avec vingt minutes d'avance, c'est à 5h45 en pleine nuit que j'arrive au Rak International Hotel, au fond d'une allée sombre et potentiellement dangereuse: bouses et crottes de chiens errants (il y en a partout, sales bêtes!). Le préposé est en place derrière son bureau et peu après, je suis dans une chambre pour quatre, histoire de dormir jusqu'à midi, heure à laquelle ma chambre réservée sera dispo.
Plus tard dans l'après midi, je retrouve Satyen dans son quartier du sud de Delhi, Greater Kailash, un coin sympa classes-moyennes supérieures ("nouvelle petite bourgeoisie intellectuelle" dixit Bourdieu et Jean Pierre Garnier chez nous), plein de jolies maisons, jardins et verdures. En fait, la partie sud de Delhi, "New" Delhi pour la plupart, est des plus agréables avec ses grandes avenues ombragées et fleuries. Il n'y a que Paharganj et "Old" Delhi (on oubliera les bidonvilles et autres horreurs urbano-indiennes) qui soit typiquement chaotiques, poussièreux, sale et pollué je vous dis pas!
Après plusieurs Tuborg dans un pub du coin, on est allé chez lui ou son fils Dhruv et sa femme Archana nous attendaient. Je me suis retrouvé "uncle Michel" pour la soirée et mon "neveu" Dhruv (huit ans) m'a raconté ses dernières aventures: plus de karaté, remplacé par le tennis, Wii, Harry Potter... La kulture internationale va bien, merci!!!

Puis on est ressorti vers les 22h pour aller dans un restaurant Kashmiri qui n'avait pas encore ouvert mais qui avait invité Satyen, lui aussi Kashmiri, pour un essai gastronomique. Pas de menu, mais seulement des "épinards" aux piments délicieux, et des boulettes de moutons hachés dans une sauce relevée rouge et fort gouteuse, le tout avec riz et chapatis. Vers les minuits, retour à l'hôtel via rickshaw (200 roupies, 30 minutes dans des rue désetes, c'est très grand Delhi et les gens se couchen tôt) ou la clim, la télé et une douche réparatrice m'attendait.
Ce matin jeudi, le Michel dégouline à qui mieux mieux, ce qui est étrange d'ailleurs, ne me rappellant pas avoir eu ces réactions à d'autres époques ou le thermomètres était monté bien plus haut. L'age, peut-être??

Demain, Jan Shatabdi (c'est un train) pour Amritsar au Punjab, avec le Temple d'Or des Sikhs!
Denis
 

Re: le feuilleton de l'été 2011

Messagede Denis le Dim 21 Aoû 2011 19:41

Le 3 Août 2011:

De Delhi à Amritsar!

En prenant le Shatabdi Express pour Amritsar, je pensais, j’espérais laisser une grande partie de l’humidité derrière moi: pas de chance, c’est pire. Le consensus indo-touristique est le même, c’est la pire mousson depuis des années, pas par rapport à la pluie, je n’en ai pratiquement pas vu, mais à cause de la chaleur et de l’humidité. Surtout l’humidité. J’étais à Delhi en avril 2009, la saison caniculaire en Inde (avril-mai-juin) et le mercure avait tapé les 50°, mais 50° sec ce qui était relativement supportable. Ici, les 35° avec 100% d’humidité le sont nettement moins. Euphémisme. Bon, encore une semaine et à nous les montagnes du Cachemire!
J’avais prévu de monter vers le nord à partir d’Amritsar en passant par Dalhousie, une « hill station » mis en place par les anglais qui supporte mal le soleil et la chaleur, regardez sur les plages, mais j’ai fait connaissance d’un groupe de musicien qui jouent dans un club ici à Delhi ce soir. Ils jouent ce qu’on appelait il y a bien longtemps du « jazz-rock fusion », style Mahavishnu Orchestra, mais avec un excellent joueur de tabla et un virtuose du violon à cinq cordes formé à la musique carnatique, histoire de donner un coté « world » à la chose. J’ai passé deux heures à une de leur répétition la semaine dernière, et j’ai décidé de revenir à Delhi les voir! Il partent après en tournée en Corée du sud, et ont déjà joué en Europe. Ce serait bien de les voir à Paris.
A Amritsar, bel hôtel moderne, Hotel Indus, un peu chère mais propre et avec clim’ plus connexion internet filaire (pas de radiation WiFi!) de belle facture, offert aux clients. Merci à eux!
Amritsar, c’est la « capitale » des Sikhs, une « religion » et principe moral fondée au 16ème siècle en réaction négative à l’hindouisme et au contrôle de tout par les brahmines. Inutile de dire qu’ils ont été persécutés par tout le monde, des mogholes de l’affreux Aurangzeb, en passant par les anglais pour qui la persécution des autres n’a pas de secret, et par l’état indien d’Indira Gandhi. Maintenant, ça va mieux, mais bon, y a des subtilités qui m’échappent.
Leur vie spirituelle tourne autour du Temple d’Or, merveilleux bâtiment rectangulaire recouvert d’or (certains disent de cuivre) au milieu d’un plan d’eau sacrée d’une centaine de mètres de coté. J’ai envisagé de prendre le pont qui conduit à l’intérieur du temple où les prêtres chantent les textes sacrés toute la journée, mais la taille de la foule et la canicule détrempante qui régnait m’ont fait rester sur la berge.
Pas plus mal d’ailleurs, la vue y est merveilleuse, au milieu des gens, tous têtes voilées, hommes et femmes, les pied nus que l’ont doit laver dans de petits bassins prévus à cet effet à l’entrée.
Ecrasé de chaleur, j’avais ouvert ma chemise et déambulait tranquillement l’appareil photo en batterie, quand un garde en turban et grande barbe noire portant une belle lance au bout bien pointu m’a demandé gentiment et avec le sourire de bien vouloir me reboutonner. Je lui ai montré les gars en pagne qui se baignaient à moitié à poil un peu partout dans l’eau sacrée, mais il n’a pas eu l’air de comprendre ma vision logico-occidentale de la chose. Eux c’est eux, et moi je boutonne ma chemise. Bon, c’est fait.
Pas de baksheesh, pas de marchandage, tout est gratuit y comprit les repas (végétariens) offert aux pèlerins. De l’aube à tard dans la nuit, les foules défilent, se prosternent, prient, se baignent, font la sieste sous une galerie à colonnes qui fait le tour du complexe, prennent des photos, et… causent dans leur téléphones mobiles. J’ai remarqué beaucoup de iPhone et Samsung Galaxy dernier cri, comme quoi on peut faire mystique ET consommation hi-tech occidentale sans sourciller!

Le lendemain, je voulais aller à la frontière pakistanaise pour assister à la « cérémonie » militaro-loufoque de la fermeture de la frontière pour la nuit, avec pas de l’oie extrême à l’anglaise et grands claquements de semelles de soldats-soldates en uniforme kakis et couvre-chefs en tissus façon crête plissée rouge et jaune d’une bonne trentaine de centimètres de haut, exhortations patriotique de la foule en délire par un « MC » non seulement en civil, mais en survèt’ blanc!!! Même chose coté pakistanais, mais les couleurs sont plus noirs et vert que rouge et kaki.
Imaginez un demi-stade avec gradins des deux cotés de la route qui relie Amritsar à Lahore, divisé en différentes sections pour: le tout-venant indiens, hommes et femmes séparées (histoire de protéger les dames des pincements de fesses et tripotages en tout genre de la part de mâles indiens aussi frustres que frustrés); VIP indiens; VVIP indiens (si, si, ça existe, Very Very Important Persons); et touristes étrangers. Même chose encore coté pakistanais, j’imagine, quoique le peu d’attrait touristique du pays ces derniers temps devrait avoir rendu inutile la présence d’une section spéciale pour les routards et autres voyageurs étrangers. Pour des raisons d’organisation et de géopolitique, je n’ai vu de la représentation pakistanaise que la descente des drapeaux et quelques pas de danse aussi martiaux qu’impressionnant.
Les indiens ont commencé avec des femmes portant chacune un drapeau, faisant des aller-retour en courant d’un bout de la rue jusqu’à la barrière frontalière sous les acclamations de la foule en délire. Puis les soldats du « Border Security Force » nous ont gratifié de pas-de-l’oie du plus bel effet, à l’agressivité contenue mais plus qu’évidente.
Le charme de l’affaire c’est son coté martialo-surréaliste, avec patriotisme débridé des deux cotés de la frontière, musique pas seulement militaire mais pop/disco/patriotique (je sais, c’est difficile à concevoir, mais essayez…) et les danses qui vont avec (seuls les filles dansaient, si les boys avaient participer, ça les aurait beaucoup trop chauffé pour garder un décorum militaire, après tout)), mais je ne pouvais pas m’empêcher d’y voir une tentative de rapprochement entre les deux « frères ennemis » comme le veut la formule médiatique en vogue. Rapprochement bien court et léger, soit, mais quand même une bonne chose quand on pense que les deux ont beaucoup de Bombes à radiations, et qu’ils n’ont pas été loin de s’en servir en 1999, lors de leur dernière guerre…
Le gentil hôtelier m’avait dit que pour 800 roupies (une douzaine d’euros) j’aurais droit à un taxi climatisé perso pour moi tout seul, avec visite d’un temple de Durga multi centenaire avant la frontière, suivi d’un autre temple à la fin. J’ai dis banco!
Mais voilà, ce que dit le patron samedi n’est pas nécessairement la même chose que le sous-fifre va te vendre en fait le lendemain: pas de temple, et arrivé à la frontière avec deux heures d’avance.
Et c’est là que j’ai failli mourir.
Il faut comprendre que le concept « d’attendre son tour et y aller gentiment avec toute la courtoisie requise envers les autres dans la même file d’attente » est totalement étranger à l’Indien. Ici, c’est « chacun pour soi, moi d’abord, vite, vite, vite j’y vais, pousse toi et fuck you ».
Donc nous voilà quelque milliers de personnes à attendre que les grilles s’ouvrent. Quand je dis ’les’ grilles, c’est LA grille d’un passage d’un mètre cinquante qui s’est ouvert finalement, plus d’une heure avant la cérémonie.
Je vous laisse imaginer la situation quand plusieurs milliers de fous poussent pour passer par une petite porte devant laquelle se trouve de grosses pierre et bout de ciment qui sont censés ralentir l’avance de la foule, mais ne servent qu’à faire tomber ceux qui ne les voit pas, c’est-à-dire tout le monde.
Comme je connais mes indiens assez bien, je ne suis pas rester à l’arrière poliment, mais je me suis débrouillé pour être quasiment au dixième rang devant la porte, au milieu de dames en sari portant bébés et jeunes enfant dans leurs bras. Dés l’ouverture de la grille, c’est le chaos. Tout le monde pousse, les gens sont écrasés les uns contre les autres, certains tombent et sont rattrapés in extremis par leur voisins. C’est-ce qui m’arrive, écrasé contre une dame et son bébé que je retiens à un moment: si elle tombe c’en est fini pour elle et son enfant. Moi-même, je dois ma vie à un voisin que je ne connaitrais jamais qui me prend par le bras au moment je suis sur le point de perdre l’équilibre. Les dames hurlent de peur et de douleur, j’en vois qui saignent, les enfants sont paniqués, écrasés, ignorés…
Et puis je passe, et tout devient calme et les gens autour de moi sourient et avancent vers les gradins comme si rien ne s’était passé. Et je redeviens VIP en tant qu’étranger, j’ai droit à une entrée spéciale, on me mène à mon gradin, et comme je suis parmi les premiers, je suis tout en haut: bien pour avoir une vue plongeante, mauvais pour voir ce qui se passe à la ligne de démarcation et ce que font les pakistanais.
Donc, je n’ai pas vu les temples prévus, suis arrivé inutilement trop tôt puisqu’il aurait suffit d’arriver à la dernière minute pour éviter la foule et la mort, et me retrouver en bas au premier rang pour tout bien voir.
Plainte de Polizzi à l’hôtel en rentrant demandant à payer moins, vu que j’ai failli mourir, que j’ai mal vu ce pourquoi j’étais venu, qu’il n’y a pas eu les temples qu‘ont m‘avait dit, etc., … mais tiens, fume, la visite des temple était cadeau de la direction, donc aucune obligation, et puis après tout je suis vivant, donc tout va bien…
Bon, il ne me l’a pas dit comme ça, mais vous voyez le genre. Du coup, j’ai coupé court et suis retourné à Delhi le lendemain, après être passé au Temple d’Or le soir histoire de me plaindre en haut lieu et demandé aux mânes de gourous Sikhs de punir les méchants qui m’ont fait mal. On verra à la prochaine réincarnation si mes complaintes ont eu de l’effet. J’y crois pas trop, faudra que j’en parle à mon pote Shiva qui à de l’influence, même chez les Sikhs on me dit…
Le lendemain, le Pashim Express met huit heure à rejoindre Delhi, me coute plus cher que le Shatabdi de l’aller pour un service moins complet. Mais bon, y avait la clim’…!
Denis
 

Re: le feuilleton de l'été 2011

Messagede Denis le Dim 21 Aoû 2011 19:43

le 21 Août 2011:

Amarnath Yatra



Quand j'ai dit à mon ami Satyen, qui vit à Delhi, que je serai dans son coin fin juillet, il m’a aussitôt demander de venir avec lui au Cachemire pour participer au derniers jours de l’Amarnath Yatra.

« Quoice? » lui demandais-je.

Il s’agit d’un pèlerinage à pied dans les montagnes du Cachemire (à dos de petit chevaux Kashmiri dans notre cas) vers la grotte d’Amarnath, 36 kms plus haut en partant d’un patelin appelé Chandanwari, le tout en trois jours de chevauchée.

Je n’ai jamais fait de cheval de ma vie!

C’est dans cette grotte, il y a Oh! bien longtemps, que Shiva a expliqué à sa bien-aimée Parvati les secrets de l’immortalité. Les dieux à cette époque étant mortels, voilà une information qui valait son pesant de cardamone! Il se forme tous les ans dans cette grotte un lingam de glace opalescente qui fait forte impression sur les croyants, le lingam étant la représentation symbolique de Shiva et de son pénis dans des rites de fertilité plus vieux que l'antique, qui...etc. etc... Vu la taille de certains lingam, on serait tenté de penser que madame Parvati était une femme comblée! Les pèlerins s’y déplacent par centaines de milliers, pour se baigner dans la présence divine!

Est-ce leur haleine enfiévrée emplissant la caverne, ou un autre de ces dérangement climatique qui font le charme de notre monde moderne? toujours est-il que le lingam a fondu, ce qui a fait titré un journal indien que « Shiva était retourné à Kailash « , sa demeure officielle!

Le Yatra commence pour les plus exaltés à Srinagar, continu après d’autres étapes vers Pahalgam, puis Chandanwari, le lac de Sheshnag à plus de 3000 mètres, un dernier endroit dont j’ai oublié le nom, puis enfin la grotte sacrée à quelques 3900 mètres! Le yatra dure deux bon mois et nous y étions pour la fin.

Un des aspect fondamentaux de la cloture du Yatra est la présence de la massue de Shiva, objet sacré s’il en est, et du super-Sâdhu chargé de la garde de cet attribut fondamental du dieu. Le « Trishul » est également présent, le trident représentant la trinité hindou Brahma-Vishnou-Shiva. Mais c’est la massue que tout le monde attend. En fait, y en avait deux???!!

Comme Satyen demandait à un des Sâdhus pourquoi l’objet avait l’air si... neuf considérant qu’il devait avoir plusieurs millénaires au compteur, il lui fut répondu que la couche d’argent le recouvrant était renouvelée tous les ans, ceci expliquant cela.
Satyen et moi ayant pris moult photos du Grand Sâdhu et de la massue exposée dans un petit temple multiséculaire de Pahalgam, nous avons établi une sorte de complicité avec lui. Bon, Satyen est complètement baigné dans tout cela, moive c’est la montagne et l’exotisme. Toujours est-il que nous l’avons revu plusieurs fois pendant l’aventure, qu’il nous a reconnu à chaque fois, et nous faisait sourire et petit signe de complicité, au grand dam des dévots qui se demandait qui était cet indien et ce « firangui » (étranger) qui avait droit à tout cela!

C’est à Chandanwari au dessus de Pahalgam que nous avons monté notre belle tente de trekkers entre le parking de taxi et un beau torrent, devant une des écuries abritant les chevaux. Quand je dis ‘écurie’, comprenez un espace recouvert de paille et de crottin, avec une espèce de bâche montée sur des piquets et accrochée aux branches environnantes, histoire de protéger les bestiaux. Il y a des milliers de ces petits chevaux dans ce coin du Cachemire pour transporter gens et marchandises, et je me suis rendu compte que les chevaux, à part faire ce que veulent leurs maitres, ne font que manger et chier. La région est recouverte de crottin qui font le régal de nuées de mouches omniprésentes. Voilà qui retire un petit peu du plaisir des superbes montagnes autour de nous, mais bon, foin de nos délicatesses parisiennes, un petit ‘chai masala’ ou un thé Kashmiri, et tout va mieux.

Nous avons loué trois chevaux, un pour chacun de nous et l’autre pour les marchandises. Inclus dans le prix sont les deux guides, là pour nous aider, faire la cuisine, s’occuper des chevaux, et... me rassurer. Ils ont une tente également qui leur sert d’abri ainsi que de réserve et de cuisine.
Après un repas de dal et riz, salade et pain Kashmiri, le temps fraichissant après le coucher du chaud soleil du jour, j’ai pu inaugurer le beau sac de couchage acheté à Delhi la semaine précédente. L’endormissement fut rapide, sans faire appel au clapotis réparateur du torrent voisin: l’ami Satyen ronfle comme un Airbus enrhumé, et les boules Quiès sont de rigueur!

Vers les deux heures, je suis réveillé par le léger crépitement d’une ondée passagère, et me laissant bercer par le bruits des gouttes sur la toile, je me laisse emporter vers des souvenirs de jeunesse, camping en famille à St. Palais sur mer. D’ailleurs, la dernière fois que j’ai fais du camping, Alain Poher venait de finir son premier intérim, c’est vous dire!
Et puis je sent une gouttelette sur ma joue. Quel réalisme, ces rêves quand même.... Coupé court par Satyen, assis sur son duvet et qui me dit quelque chose que je n’entend pas because boule Quiès! Je les enlève et je comprend tout: le clapotis des gouttelettes sur la toile de tente qui m’avait tant charmé est en fait un déluge Himalayen balistique qui se rit de notre igloo de nylon. Ça fuit de partout tout autour, le long de la jointure à une vingtaine de centimètres du sol. Bientôt, nos sac de couchages se transforme en cité lacustre sans pilotis! Enfin, Satyen surtout, la légère pente du terrain le mettant dans la partie basse et c’est lui qui fait îlot au milieu du lac!

Panique à bord!

Dehors, le parking est vide et l’unique projecteur qui éclairait l’ensemble se met à crachouiller, explose et s’éteint. Ténèbres!

Et c’est là que nos deux guides, nos deux héros, se mettent en action, méritant en un soir les milles roupies (18 euros environ) de pourliche que je leur ait lâché à la fin. On sort de la tente, les sacs de couchage ruisselant sous le bras, un parapluie m’attend et nos deux gars nous dirigent vers une cabane à l’entrée du parking: c’est le bureau des taxi. Aubaine la porte n‘est pas fermée à clé. Les deux pièces sont entièrement vides, sèches et propres, sans l‘odeur d‘urinoir sauvage auquel on eut pu s‘attendre. Dans un état second, pour ne pas dire tierce, je vois Nazir, notre guide-en-chef me montrer une couverture au sol, où il me dit de m’allonger. Lui et son pote improvise un cache fenêtre (il n’y a pas de vitres) pour bloquer le vent et la pluie, il nous font du thé chaud avec le réchaud au kérosène au milieu de la pièce.
La seul lumière est une bougie posé sur le bidon de kérosène. J’en fait la remarque à Nazir vu que dans mon esprit une bougie allumée sur un bidon d’essence, euh, ... vous m’suivez...?? Pas lui, par contre. « No problem », il me dit de l’air du gars qui fait ça tout le temps, mais comme le bidon est à coté de la flamme du réchaud, une p’tite bougie, hein, ça peut pas faire bien mal...??! Et comme nous nous sommes tous servi de la flamme du réchaud poussée à fond pour nous réchauffer et faire sécher ce qu’on pouvait, je plonge sans état d’âme dans cette nonchalance indienne probablement illégale dans nos belles contrées, réglementées j’en suis sûr par une Agence Nationale de Sécurité sur les Feux de Kérosène dans les Cabanes de Montagne!
Tasses en main et mouillette de pain kashmiri dans l’autre, c'est là que mes deux gars sortent, laissant Satyen et moi seuls. A ce moment là, toutes nos affaires sont dans la cabane, il n’y manque plus que les deux tentes et j’arrive à m’endormir, à moitié sur la couverture (celle qui est sur le dos du cheval, en dessous la selle...!), à moitié sur le sol en béton. Il doit être près de quatre heure du matin. Deux heures plus tard, on me réveille, il ne pleut plus, tout est empaqueté et prêt au départ. Les deux guides et Satyen, conscients de mon grand âge et de la faiblesse qui va avec ont tout fait et m‘ont laissé dormir. J‘aime beaucoup ce genre d‘initiative!

Et on part. Le chemin de montagne que nous suivons avec les pèlerins, qui à pied, qui à cheval comme nous, change tous les quelques mètres: sections assez plates et aménagées, suivi de montées abruptes sur rochers arrondies de tailles différents sur lesquels même les poneys Kashmiri trébuchent de temps en temps, suivi d’escaliers séculaires taillées dans la roche antique. Un peu plus loin, le chemin devient un torrent, puis un à-plat de petites caillasses. A gauche, ou à droite suivant le cours du zigzag, c’est précipice de quelques mètres ou carrément gouffre sans fin vers la rivière loin la bas!!! Inutile de vous dire que le Polizzi balise bien fort quand le cheval trébuche et glisse alors qu’il passe à dix centimètres du trou. Mais bon, Shiva veille au grain, et Nazir connait son parcours, et ses bestiaux ont l’habitude, donc tout va bien! Inutile de vous dire que les paysages sont somptueux, à couper le souffle, sidérant, ajoutez ici votre superlatif préféré...

On monte, on monte et les arbres disparaissent, les « Parchment Tree » les derniers. Satyen m’explique que les fibres de ces arbres servaient à fabriquer les parchemins et autres sortes de ‘papier’ dont on se servait jadis avant internet.
Le lac de Sheshnag, notre deuxième étape (et qui allait s’avérer être la dernière) est à 3500 mètre d’altitude, d’un bleu métallique mélangé à du turquoise tout à fait extraordinaire. C’est là que Shiva a placé son premier gardien, le serpent Sheshnag, pour dissuader quiconque de monter vers la grotte où les secrets vont être révélés à Madame. En plus, il y a sur la parti amont du lac un grand espace herbeux parcouru de ruisseaux, ou paissent de nombreux chevaux. Un torrent alimente le lac, et en remontant son parcours on arrive à l’impressionnant glacier à la source de tout cela. Au moins un glacier qui à l’air d’avoir la santé. Parce que les glaciers tout chétifs, qui diminuent chaque année jusqu’à disparaitre j’en ai vu plus d’un ici au Cachemire ou dans l’Himachal voisin. On devrait montrer tout ça à cet abruti multi-diplômé de Claude Allègre qui est un des rares « scientifique » à encore nier les changement climatiques et leurs causes humaines. Faut dire que quand on est de pseudo « gôche » et que la seule recette que l’on ait pour résoudre les problèmes de l’humanité aujourd‘hui, c’est « croissance, croissance, croissance », on comprend bien que ces dures réalités écologiques sont gênantes pour le plan de carrière. Et dire que ce khon à été ministre (avec le succès que l‘ont sait)... Pauvre France, pauvre monde!

Mais revenons à notre lac de Sheshnag et ses environs. L’armée indienne, omniprésente et en grand nombre partout au Cachemire, a établi un grand camp pour les pèlerins. Comme on y était à trois jours de la fin du Yatra, il y avait peu de monde, et il commençait à être démantelé. Mais il avait abrité jusqu’a six cent mille personnes un mois plus tôt!!
On y arrive donc en milieu d’après midi, il ne pleut pas et un p’tit soleil réchauffe le campement, nous permettant de faire sécher sacs de couchage, tentes et le reste. Les choses s’améliorent, dirait-on. On dine d’un curry de légumes (végétariens, s’il vous plait, quand Shiva est dans la place), riz , salade (tomates, concombre, onions, citrons), chappattis, et puis c’est coucouche-panier parce que à cette altitude dans un campement provisoire en plein ramadan dans un pèlerinage hindou, y pas lerche de bar et de « nightlife » si vous voyez c’que j’veux dire?!

Vous croyez à la répétition historique, vous? Vers les deux heures, le doux crépitement des goutelinettes sur la tente se fait entendre à travers mes boules Quiès (j’fais pas de pub, mais c’est ce que j’utilise en Inde pour cacher tout ce qui empêche de dormir, genre dizaines de chiens qui communiquent entre eux façon 101 dalmatiens qui cherchent Cruella toute la nuit!), mais là je sais! Et c’est la nuit dernière ‘redux’ avec pluie torrentielle et fuites partout. Sauf que là, pas de cabane où se réfugier, donc ce sont nous deux héros qui nous abritent dans leur tente à l’ancienne avec une bâche supplémentaire trouée, mais qui ne fuit pas. J’ai beaucoup aimé le contraste, surtout après dans la vallée au sec: d’un coté la tente ‘canadienne’ rudimentaire faite de récup’ de nos deux guides qui ne fuit pas, de l’autre la tente en dôme hi-tech de trekkers ‘made-in-j’sais pas où ‘ qui manque de nous noyer!?

Au matin, comme Satyen a eu la bonne idée de tomber malade (mal des montagnes, gastro, coup d’froid?????), j’en profite pour suggérer une retraite tactique vers le bas. Je suis très sorry de louper mon rancart avec Shiva dans sa grotte, mais bon, faut être réaliste: tout est trempé, il pleut, la haut il fera encore plus froid et plus mouillé, et on devra camper dans l’eau et peut-être dans la neige!
Alors c’est décidé, on redescend. Et sous la pluie, et quel pluie, on chevauche comme des guerriers mouillés. Le gentil anorak acheté à Delhi quand il faisait 38°/200% d’humidité prend tout son sens. Le Gore-tex Coréen fait son office, coupe le vent, tue la pluie, réchauffe Polizzi, mais il ne descend qu’à la ceinture, alors le gros jean informe Pantashop destiné à être abandonné en Inde à la fdin du voyage tel un Médor en juillet sur une aire de repos de l’A7, se transforme en maillot de bain. Les anciens se rappelleront comment on était censé aller se baigner en mer avec son jeans Levi’s (y en avait pas d’autre, à l’époque), puis le laisser sécher sur soi pour obtenir l’effet moulant près-du-corp désiré. Bon, j’vous préviens tout de suite, ça marche pas avec Pantashop. Une loque informe et trempée, j’avais en chevauchant la bête!

A un moment, un chemin rocailleux et ruisselant nous a obligé à démonter et à faire du chemin à pied. Au début, j’ai tenté de sauter de roche en pierre, pour échapper au torrent de boue qui s’était invité sur le chemin, mais l’effort était vain. Et c’est donc avec de l’eau jusqu’au cheville que nous sommes allé retrouver les chevaux plus bas. Quand je « de l’eau », il faut garder à l’esprit où nous sommes et sa composition. c’est donc dans un mélange à part égale d’eau, de boue et de crottin liquide dans lequel je patauge en pensant à Shiva et à un hôtel chauffé avec douche brulante.

Finalement on revient à Chandanwari où nous attend le chauffeur de l’hôtel MilkyWay à Aru (Recommandée, malgré les mouches).
Mais voilà, la pluie qui nous a accompagné pendant la descente à fait son ouvrage en bas, et la route vers Aru et notre havre de grâce a été coupé par un éboulis. C’est donc dans un autre hôtel à Pahalgam que nous avons du attendre une nuit supplémentaire la douche chaude réparatrice et les vêtements secs.


Ah, ce que j’fais pas pour mon pote Shiva!!!
Denis
 

Re: le feuilleton de l'été 2011

Messagede Denis le Lun 29 Aoû 2011 20:33

Bon, faut espérer que Michel va revenir sain et sauf de son aventure en Inde !

je n'ai pas de nouvelles en tout cas !

:peredodu:
Denis
 

Re: le feuilleton de l'été 2011

Messagede Denis le Ven 2 Sep 2011 17:54

le revoilou ->

le 2 septembre 2011


Après les désagréments montagnards du Yatra, quel bonheur d’être à Srinagar sur un ‘houseboat’ du lac Nigeen, à se prélasser sur le gaillard d’arrière (ou d‘avant, je ne suis pas sûr, moi qui ai mal au cœur sur les bateaux-mouches), une bière à la main et ce que vous aimez fumer dans l’autre. Le soleil se couche, dans l’or, le violet et l’incarnat si vous avez de la chance, ou derrière de méchants nuages gris , si pas...
Le moment est quasi-magique. De petits oiseaux aquatiques pépient et plongent pour leur diners devant mes yeux parisiens ébahies. Idem pour des oiseaux de proies qui plongent d’une bonne vingtaine de mètres pour s’attraper des truites au bleu au beurre normand, je vous dis pas! De loin en loin, quelques Shikaras, les barques traditionnels, passent dans un sillon aquatique qui dérange à peine les oiseaux. Le calme est on ne peut plus « zen », si vous me permettez cette expression française en ce lieu si musulman. Le clapotis contre la coque me berce vers des lendemains meilleurs.
Et puis ça commence!
Le soleil se couche, et c’est l’heure de l’Azan, l’appel à la prière des musulmans. Le « Allahu Akhbar » retentit en face de moi, un peu vers la gauche du lac entouré de montagnes, et sous le fort moghole sur la colline. Je trouve les psalmodies de l’imam parfaites au coucher de soleil. Moi l’athée parigot suis alors transporté vers des rêves orientalistes aussi politiquement incorrectes que plaisant à l’oreille.
Et puis vient un autre chant, vers la droite celui là... Je reconnais un « Allahu Akbar » mais les paroles semblent différentes. Peut-être l’accent, ou la voix de l’imam? Le temps que mon analyse cartésienne de la chose passe les vitesses, trois puis quatre puis huit « Allahu Akbar » retentissent tout partout devant et derrière et à gauche et à droite de mes oreilles perdues! Mon Ourdou étant un peu rouillé, certaines subtilités du Azan m’échappent, mais bon je reconnais qu’ils ne disent pas tous la même chose. Il y a des chants en solo et en chœur, des sermons parlés, d’autres chantés (??), et ça continue et ça augmente, personne ne chante la même chose en unisson dans la même clef et la cacophonie devient sublime et j’attend Pierre Henri et son copain Schaeffer pour me composer la Symphonie Concrète pour un Imam Seul Qui ne l’Est Plus. Différents textes, mélodies particulières, paroles mystérieuses, tout s’enchevêtre, se mélange, les mélodies s’annulent et réapparaissent ailleurs... Inutile d’essayer de comprendre, je coule dans un monde autre et tout va bien.
Je demande à Bashir sur la berge s’il s’agit ici de dix ou vingt mosquées qui parlent à Allah en même temps? Je pensais voir large, mais il me dit beaucoup plus.
Il s’agit donc de dizaines d’Azan qui retentissent dans la soirée voluptueuse de Srinagar. Sans aucun ensemble, avec le décalage qui fait le surréel, avec la mixture mélodique qui choquent nos oreilles et l'harmonie qui surprend, avec l’inhabituel qui nous envoie vers l’étrange.


Je suis tombé amoureux en moins de dix secondes à Leh au Ladakh. Elle était évidement tibétaine, debout devant la porte d'un restaurant vantant les mérites de cette gastronomie. J'étais dans le taxi m'emmenant à mon hôtel après les affres du voyage Srinagar-Kargill-Leh, en bus d'Etat de la Jammu & Kargill Road Transportation Authority, ou un truc de ce genre. Au moment où nous sommes passés devant sa gargote dans la partie basse de Leh, il y eu regards qui se croisent par la fenêtre ouverte, échanges silencieux de promesses indicible à l'intérieur de son sourire de nymphe himalayenne, un sourire éclatant qui me fit exploser en tant de morceaux d'incrédulité: était-ce possible??!
En un instant, je savais que je reviendrai le lendemain la demander en mariage, elle la patronne (??!) de ce temple culinaire dont je deviendrai derechef le manager la semaine suivante, partageant avec elle les délices et la croix de tenir un bizness en Inde, y compris dans une région ‘semi-autonome‘!
Le lendemain juste avant l'heure du déjeuner, je redescend vers la "ville basse". Comment lui dire?
De but en blanc, "Miss, je vous love très beaucoup, I want vous marier là demain matin, it is voulu by the dieux, même les vôtres...."; ou alors plus suave, plus blasé, plus indirect, plus tu-m'plairais-bien-mais-je-suis-si-las-des-choses-du-siècle-ça-doit-être-l'altitude...; il y a aussi l'angle ethno-anthropo-freudo lui demandant comment elle arrive à sublimer par la cuisine, les momos, les soupes aux pates, tout ses refoulements inhérents à la condition de réfugiée bouddhiste chez Shiva, alors que les méchants chinois du Id lui opprime le lama à qui mieux mieux. A ce moment je sort la botte du passeport français, lui offrant par notre union magique non seulement sa part de sarkozie, mais également la possibilité d'ouvrir un monastère tibétain chez nous avec de vrais morceaux de lama dedans, ces choses y étant très à la mode branchouille et rapportant prou, comme vous le savez!...
Pendant que je songe et fantasme ces moments Perette-et-son-Pot-de-Lait-Tibétain, je marche, et je marche sous un soleil d'altitude qui m'enchauffe sous mon chapeau d'explorateur. Mais où diantre est la mignotte? Et pourquoi toute ces boutiquettes ont-elles tant de rideaux de fer tirés? Je reconnais un grand panneau « engagez-vous, rengagez-vous » de l’armée indienne, mais l’ai-je vu la veille avant ou après son sourire? Et est-ce à droite ou à gauche?
Partout, il y a un air de dimanche à Montauban, les montagnes et trois milles mètres en plus. Tout est fermé, et pour cause, c’est dimanche.
Merdasse, purulence et abomination, le restaurant est fermé, et ma belle est en weekend!
Adieu buffles, chèvres des montagnes et soupes gentuk, c’est l’jour du seigneur qui fait la nique à bouddha!
Ce qui en dit long sur la pénétration de nos avancés occidentales et de nos valeurs lumineuses: le Ladakh est bouddhiste à Leh et dans l’est vers la Chine, musulman dans l’ouest à Kargill. Ici et là, quelques ‘mandirs’ hindous sont plus ou moins abandonnés dans la désolation. A Leh, sous le palais royal qui ressemble au Potala de Lhassa et les stupas qui sont partout, l’Azan retentit cinq fois par jour à la Jami Masjid, la grande mosquée! La seule présence du jésus est une vieille mission Moravienne. Ce sont eux qui ont établit officiellement l’orthographe de la ville capitale, Leh! On peut facilement imaginer que se sont nos bons missionnaires eurocentristes qui ont imposé le jour du seigneur comme congés hebdomadaire il ya cent ans et plus! Bien sûr, à notre époque de capitalisme néolibéral globalisé, les marchés doivent se mettre au rythme de Wall street et de la City, même les marchés ladakhi, les bazars indiens et les restaurants tibétains du bout des montagnes! C’est dimanche pout tout le monde!
Deux jours plus tard, adios Leh, hello Manali, et la fin des rêves de restaurateur à trois mille cinq cent mètres du Polizzi en vadrouille. Plus de rêves décadents de stupre tantrique et encore moins d’Everest tumescent au service d’une déesse tibétaine à l’allure de luronne des alpages.
D’ailleurs, pourquoi n’aurait-il pas s’agit d’une touriste japonaise ou coréenne, sortant du restaurant où la patronne, enduite de beurre rance because ça pince la nuit, lui aurait concocté une merveille de p’tit plat qui rend heureux et vous fais sourire à la première personne que vous voyez en sortant du resto!
On se console comme on peut!


En Inde, on marchande. C’est un art, entend-on. Concernant le « touriste occidental », le marchand qui le voit arriver, sa pensée est multiple: « je fais la culbute trois fois, ou cinq, ou dix? ». Quand tu sais ça, tu veux essayer de ramener les deux cent roupies que te demande le gars du rickshaw pour faire cinq kilomètres, plus près des quarante ou cinquante que va payer l’autochtone. Mais même si tu arrive à l’avoir pour cent vingt, ce sera après tractations sans fin, prise de tête en trois langues, après avoir retirer du- et remis les bagages dans- le rickshaw et avoir fait monter le ton jusqu’au gros mots.... pour, in fine, payer deux euros au lieu de trois euros vingt.
Quand ça m’arrive, c’est à dire souvent, histoire de jouer aussi un peu, je lui offre cent cinquante roupies, avec en prime mon sourire des tropiques et mon clin d’œil à Shiva, et roule ma poule, on est parti!
En arrivant à Manali, après vingt heures sur les routes de haute montagne du Ladakh dans des conditions épouvantables, je descend de la « Tata Sumo » en zombie. Tant mieux pour moi, je connais l’endroit et j’ai une résa au Tourist Nest à Old Manali. Mon nouveau camarade de calvaire, un catalan du nom de Bruno, sort à son tour, zombie pareil. Lui n’a rien prévu. Comme par hasard, un rabatteur l’interpelle avec une offre dans un hôtel avoisinant pour une chambre avec eau chaude pour deux cent roupies, toujours trois euros vingt. Je me dit in petto, une langue que je parle couramment, « En période de haute saison touristique, malgré la mousson, où les touristes occidentaux et indiens sont légion, deux cent roupies pour une chambre telle qu’elle est décrite, c’est une affaire! Ou alors le rabatteur n’a pas jugé bon de parler de bouge fétide et pestilentiel, où l’eau chaude et sa buée servent à l’élevage d’insectes et de reptiles non répertoriés dans les codex de nos académies ». A peine ai-je fini ma phrase interne, que Bruno, en mode marchandage-automatique, lui offre cent roupies d’un ton aussi final que définitif. Air effaré du gus himalayen qui lui dit que non, c’est pas possible, vous n’y pensez pas, c’est un prix fixe, c’est deux cent, à prendre ou à laisser...
Bruno reste sur cent roupies, l’autre sur ses deux cent et ça fait quelques tours, et finalement, Bruno s’en va vers sa chambre à deux cent roupies, chambre qu’il m’a décrite comme tout à fait correc’ le lendemain. Il y a même passé une nuit de plus!
Au Tourist Nest, j’ai payé cinq cent roupies sans marchander.
Comme quoi, c’est un art!
Denis
 

Re: le feuilleton de l'été 2011

Messagede Denis le Jeu 6 Oct 2011 18:49

OUF ! >

Je suis rentré le 19 septembre, mais il me reste toute une histoire écrite là bas, et ce serait dommage de la perdre. Voici donc la première partie, la seconde concerne le Rajasthan, et il faut que je la finisse!


Il y a 374 kms entre Leh au Ladakh et Manali dans l'Himachal Pradesh. En 'jeep' c'est censé prendre 17 heures en partant à minuit et en arrivant en début de soirée. Les bus le font en deux jours, avec étapes en altitude. Altitude est le mot clé, ici: plusieurs passes de haute montagne s’offrent à nos yeux ébahis. Deux à plus de quatre mille mètres, une qui pointe à plus de quatre mille huit, et le sommet, le haut du haut, « Taglang La » à cinq mille trois cent mètres et des poussières, le deuxième col routier le plus haut’ d’Inde, et dans le top cinq mondial!
Inutile de vous dire que la route aussi est superlative. Quelques kilomètres (hectomètres??) de goudron sans trop de trous sont suivis de destructions boueuses ou rocailleuses (grosses, les rocailles dans leurs trous!!), et souvent les deux. Y a du roulis et du tangage autant que dans les Rugissants, la chaleur et la poussière en plus. On a beau être à quatre mille mètres, y cogne dur l’astre du jour, et à onze dans la ’jeep’, je vous dis pas... Et oui, onze à bord, douze si on compte le p’tit bébé, ce qui veut dire qu’on est deux sur le siège passager à l’avant. Au début, je l’ai partagé avec un jeune espagnol assez costaud, ce qui veut dire qu’il était en parti sur le siège et en parti sur le changement de vitesse. Pas trop grave sur autoroute, mais en montagne d’Himalaya où tu dois changer de vitesse tous les cinquante mètres, pendant 17 heures, ça devient lassant. Rapidement, le chauffeur fait tourner les passagers et je me retrouve avec un indien de petit gabarit qui s’installe l’air tout heureux d’être au premier rang! Moi, tout content, je crois avoir fait la bonne affaire, encore certain d’avoir le bon siège près de la fenêtre pour prendre plein de photos.
Donc, on part vers minuit, et je comprends vite que je ne pourrai pas dormir: trop de cahots, trop près de mon nouveau copain de voyage à côté de moi sur mon siège qui est aussi le sien, impossibilité de bouger et de détendre la machine..., au mieux j’ai somnolé quelques minutes par ci par là.
Et c’est en sortant d’une de ces somnolences que je m’aperçois que c’est l’aube. La petite aube, l'heure du loup, la lumière étant des plus faibles. Et c’est dans cet état entre éveil de zombie et demi-sommeil onirique que je vois devant moi, au fur et à mesure que la lumière augmente, un paysage de montagnes martiennes. Imaginez une étendue de terre brun-rouge très plate d’un kilomètre de large, bordé de pics enneigés là tout de suite à portée de la main, éclairés tout en rose par le soleil qui monte, qui monte...
Il n’y a pas de route, juste des traces de pneus que not’ chauffeur suit sur la terre rouge. Ça dure un certain temps, me semble-t-il, mais je suis bien trop hypnotisé par le paysage pour consulter le chrono. Et à un moment, ça s'élargit, les montagnes s'éloignent, et on commence à descendre. Ce n’est que beaucoup plus tard et plus loin que l’on m’a dit qu’il s’agissait de la passe de Taglang La et de ses cinq mille trois cent mètres d'altitude. Je voulais absolument voir ça, et même si mes conditions d’éveil laissaient à désirer, j’ai pu voir un paysage inconnu dans nos contrées et respirer sans soucis cet air aussi mince que pur. Enfin, pur, on était en « Tata Sumo » diésel et il y en avait d‘autres qui sont passés par là, alors il devait bien y avoir quelques particules pour pourrir les cimes. Mais bon, je ne vais pas pinailler après avoir vu ÇA!
Les vallées arides entourées de pics entre gris et marrons et couronnés de blanc se sont succédées à plus de quatre mille mètres pendant des heures.
Une autre constante, ce sont les bases militaires. Au Cachemire, c’est pour surveiller les militants islamistes et le Pakistan voisin, au Ladakh ce sont les chinois qui font peur. Pratiquement tous les Kashmiri-Ladakhi m’ont parlé de l’avancée des chinois, à raison de quelques mètres de temps en temps, suffisant pour qu’ils aient « annexé » de facto un gros bout du Ladakh. Attention, tout ça se passe à des cinq-six mille mètres et plus, il ne s’agit pas de prises de villes avec installation d’usines chinoises et d’implantation sauvage d’hypermarchés Carrefour-China. Quoiqu’il en soit, on me dit que l’Inde, fidèle à son image « Peace and Love » (ce qui n’ait bien qu'une image, la société indienne étant excessivement violente), laisse faire, regarde, recule, attend, recule encore, et laisse faire de nouveau, au grand dam de l’Indien moyen qui aimerait bien un peu plus de ‘cojones‘: « Après tout, à quoi ça sert d’être champion du monde de cricket si les chinois, qui n’y jouent pas, nous dament le wicket loin la bas dans les confins!?? »

Plus on descend vers le sud mais en restant bien haut, et plus ça verdit. On voit des glaciers, des rivières et des torrents partout, souvent en travers de la ‘route’. Les arbres reviennent, les fleurs aussi, et dans les deux milles mètres et quelques de l’Himachal, c’est à nouveau l’été des alpages qui nous accueillent!
Pas pour longtemps. Arrivé à la passe de Rohtang La qui marque d'une certaine façon la séparation entre le Ladakh et l'Himachal, et le retour en pays de mousson où il pleut, c’est là qu’on voit qu’il a plu beaucoup. Nous voilà donc à environ quatre mille mètres, dans les nuages et la pluie, entre camions et autocars, le tout patinant et glissant et s'enfonçant dans près de cinquante centimètres de boue gluante à souhait. J'avais tout simplement présumé qu'une "Tata Sumo", avec un nom pareil, était un 4X4 de forte puissance: rien du tout, c'est propulsion deux roues, et ça patine et n'avance pas comme les copains/copines autour de nous. Mais notre chauffeur avec dix-huit heures de route dans les jambes et une forte envie de rentrer dormir fait ce qu'il faut, et on avance, et on dépasse les autres, et bientôt ce sont les troupeaux de chèvres qui nous entourent et nous poussent vers la vallée.
Après une bonne semaine de relaxation à Manali, puis retour à Delhi pour un autre concert de Mrigya, j'arrive à Jaipur un soir d'orage. Le rickshaw-wallah qui m'attend m'offre ses services pour visiter la ville le lendemain. Pourquoi pas, lui ou un autre, la belle affaire... Une chose en emmenant une autre, il me fait le lendemain une proposition tout à fait intéressante: pour une somme rondelette, j'ai droit à un chauffeur avec voiture climatisée pour dix jours de vadrouille à travers le Rajasthan. Les hôtels sont compris dans le forfait avec p'tit dèj', ils ont tous l’air très bien, et j'ai l'option de demander détours ici et arrêt prolongé là. De Jaipur à Bîkaner, puis Jaisalmer, de Jodhpur à Udaipur avec arrêt obligée à Ranakpur pour y revisiter l’extraordinaire et sublime grand temple Jaïn, de cinq siècle d’âge, une merveille ineffable tout en marbre sculpté avec une délicatesse inouïe. Il y a plus d‘une centaine de colonnes soutenant l’édifice, chacune ouvragée différemment avec une finesse qui vous laisse pantois. Et après deux jours sur les berges du lac Pichola, ce sera Pushkar et Ajmer avec une autre visite à l’imposante ruine de l’immense forteresse de Chittoor. Et enfin retour à Jaipur pour le petit saut vers Delhi et le grand saut vers la Sarkozie!
Mais, c’est encore à venir.
Denis
 


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