En Israel aussi ..
Reportage
En Israël, un cousin du burkini pour les juives orthodoxes
La mode dite «pudique» a fait un bond, ces dernières années, dans le pays. A la plage, cela se traduit par des vêtements proches de ceux portés par les musulmanes très pratiquantes. Mais on ne les voit pas puisque les juifs religieux se baignent dans des espaces séparés, préservés des regards extérieurs.
Trentre-quatre degrés à l’ombre ce dimanche sur les plages de Tel-Aviv. Avec un taux d’humidité tournant autour des 70%, on se croirait presqu’à l’orée d’une forêt tropicale. A côté de la «hof hametsitsim» (la « plage des voyeurs») où les ados venaient, dans le courant des années 1960-70, observer les premières Israéliennes à oser se baigner topless, une sorte d’enclos protégé par de hautes murailles s’enfonçant dans l’eau. C’est la plage séparée, celle où les juifs religieux viennent se baigner à l’abri des regards extérieurs. Le dimanche, le mardi et le jeudi sont réservés aux hommes, le reste du temps aux femmes et aux enfants en bas âge. Et pas question de se tromper, l’entrée est filtrée.
Ces juifs pratiquants respectent les règles de la «tsniout» (la «pudeur» ou «modestie») qui est censée guider la conduite de chacun d’entre eux et qui interdit à des personnes de sexes différents de frayer ensemble en position allanguie s’ils ne sont pas mariés. Appliquée aux femmes, la «tenue modeste» se concrétise par le port d’un «kissouï roch» (couvre-chef) masquant la chevelure. Selon le degré de religiosité de la personne, il peut s’agir d’un chapeau en forme de tarte à la crème, d’un béret, voire d’un turban. L’important étant qu’il masque bien cette toison capillaire symbole de volupté. Quant aux vêtements, ils cachent bien ce qu’il faut cacher. Les robes, les jupes et les chasubles plus ou moins longues mais toujours au-dessous du genou. Les jeunes filles célibataires portent cependant des vêtements qui ne couvrent pas la tête, puisqu’il faut bien trouver un futur mari…
«Nous, c’est nous, eux, c’est eux»
Des burkinis portés par des musulmanes, on en voit beaucoup sur les plages israéliennes et personne n’y trouve à redire. En revanche, les juives portant des vêtements de bain «pudiques» sont invisibles, puisqu’elles restent confinées entre elles. «Ne confondez surtout pas la "tsniout" avec le burkini des musulmans. Nous, c’est nous, eux, c’est eux», lâche un rabbin francophone de Netanya désireux de rester anonyme «pour ne pas ajouter à la polémique en cours» : «Les juifs, ne sont pas prosélytes. Ils ne cherchent pas à convertir à tout prix et par la force comme l’islam. Chez nous, les comportements et l’habillement "modestes" expriment le respect de Dieu. Ceux qui les adoptent démontrent qu’ils veulent se consacrer à l’essentiel.»
Ces dernières années, la mode dite «pudique» s’est en tout cas développée de manière exponentielle en Israël. De Bnei Brak, la grande ville ultra-orthodoxe située au nord-est de Tel-Aviv, en passant par les quartiers religieux de Jérusalem et le centre de Netanya, la station balnéaire la plus francophone d’Israël, on trouve des dizaines de magasins consacrés à la «tsniout». Pour tous les goûts et tous les styles. Au sein de la diaspora, quelques créatrices telles Mimi Hecht et Mushky Notik sont d’ailleurs devenues des stars de la mode «pudique». Elles sont aussi incontournables qu’Alber Elbaz ou Jean-Paul Gaultier pour la haute couture française.
Basés à Jérusalem, à New-York, à Montréal ou à Paris, des sites internet proposent désormais de la mode «pudique» à tous les prix et pour tous les usages. Y compris différents modèles de tenues de plage : l’ «intégral» est l’exacte copie du burkini tant décrié des musulmanes, d’autres gardent le cou dégagé. Interviewée la semaine dernière par l’Agence télégraphique juive (ATJ), la fondatrice de l’une de ces entreprises (une ultra-orthodoxe mère de neuf enfants) a d’ailleurs estimé que la polémique française sur le burkini «est la meilleure des publicités pour les maillots de bain pudiques». Et que son business, qui se porte déjà très bien comme cela, va en bénéficier.
Chanteuse en short éjectée
Jusqu’à ces derniers jours, ceux qui respectent la «tsniout» et les laïcs ont toujours bien cohabité en Israël. Mais les temps changent. Le 26 août sur la plage d’Ashdod, des partisans de la «modestie» ont obligé les organisateurs d’un festival local à éjecter de la scène la chanteuse Hanna Goor qui se produisait vêtue d’un short ultracourt et d’un soutien-gorge cachant péniblement son opulente poitrine. Il n’en a pas fallu davantage pour qu’un nouveau point de friction se développe entre laïcs et religieux. Et que des politiciens tentent, comme en France, de surfer sur la vague en prenant des positions clivantes. Figure de l'aile droite du Likoud, la ministre de la Culture et des Sports, Miri Regev, a en effet promis d’édicter des «règles de modestie» obligatoires pour les artistes dont les spectacles bénéficient de subventions de l'Etat.
Nissim Behar à Tel-Aviv