«Elle aimait ça...»

[Nico37]

Tiburcio, esclave à Senlis «Elle aimait ça...»
Un couple de diplomates vient d'être condamné à de la prison ferme pour avoir fait trimer une Dominicaine pour 300 euros par mois. Un cas édifiant de «servitude domestique»

Elle était assise dans une rue de Chantilly, en fin d'après-midi, le 24 septembre dernier. C'est une mère de famille qui l'a trouvée en allant chercher sa fille à sa leçon de piano : «J'ai vu cette dame de petite taille avec une grosse valise. Elle avait l'air inoffensive : je l'ai conduite à la gendarmerie.» Tiburcio a 38 ans et est esclave, au sens moderne. Elle a quitté la République dominicaine trois mois plus tôt avec «Madame et Monsieur».
Parfois, lorsque certains ambassadeurs sont mutés ou après le déménagement de grandes familles étrangères, un voisin appelle la police parisienne : «Venez vite, la rue est pleine de petites domestiques.» Au ministère de l'Immigration, on connaît ces dossiers-là : «Elles sont traitées comme des meubles, amenées puis abandonnées sur place. Certaines ne savent même pas dans quel pays elles se trouvent.» Olivier Brisson, avocat, pensait d'ailleurs «tomber surtout sur ce genre de cas» quand le Comité contre l'Esclavage moderne s'est monté, en 1994. Brisson raconte sa surprise : les diplomates ne représentent que 25% des employeurs, selon les rares statistiques. En fait, le phénomène touche tout le monde, les pauvres comme les riches. Et les Français aussi : un kiosquier, l'héritier d'un grand éditeur, un chauffeur de taxi ou même une femme de ménage.
Dans l'affaire Tiburcio, Monsieur et Madame sont français tous les deux. Début décembre, devant le tribunal correctionnel de Senlis, ils soutiennent à Jacques Rousseau, le président, que Tiburcio ne travaillait pas chez eux. Ou plutôt pas vraiment. Madame : «Elle donnait un coup de main dans une ambiance familiale, c'est tout.» Monsieur : «Il m'est arrivé de lui dire que c'était mal balayé.» Le président : «Donc elle balayait ?» Monsieur : «En fait, elle se levait à 7 heures, lavait sa chambre, la salle de bains puis les autres pièces. On ne le lui demandait pas : elle aimait ça, c'était plus fort qu'elle.» A Saint-Domingue, Monsieur et Madame étaient en poste pour une grande société. Ils ont la cinquantaine, maison et voiture de fonction, du personnel, dont Tiburcio, qui fait le ménage pour 154 euros par mois. «Là-bas, c'est légal», dit Madame. Au bout de quatre ans, Monsieur et Madame changent de poste. Monsieur doit aussi être opéré d'un cancer. Ils décident de passer quelque temps dans leur appartement du côté de Chantilly. Tiburcio viendra les aider. Ils en ont parlé au consul, qui a donné un visa de tourisme. Le président : «Ici, vous la payez 300 euros. Vous pensez que c'est suffisant ?» Madame : «On avait payé le billet d'avion, le visa. Elle était logée et nourrie. J'ai dû lui acheter des vêtements. Je l'ai sortie voir la tour Eiffel. Elle avait un matelas en latex et même l'eau chaude.» Le président : «Chez vos proches, elle fait du repassage, 11 euros pour quatre heures.» Madame : «C'est elle qui s'est proposée, elle s'ennuyait.» Le président : «Elle dit que vous, Monsieur, l'avez battue, et que ça n'avait pas l'air de vous gêner, Madame. Un certificat médical atteste de coups.» Monsieur : «Jamais !» Madame : «Mon mari n'est pas violent. Il a juste une voix qui porte. Les latinos, il faut leur parler mielleux, sinon ils nous trouvent froids.» Le président : «Si tout se passait si bien, pourquoi s'est-elle enfuie ?»


A la gendarmerie de Chantilly, la plainte de Tiburcio a été enregistrée. C'est une chance rare. «Les policiers connaissent peu cette infraction : ils pensent voir une bonne qui se plaint du patron», dit un travailleur social du département. La servitude domestique touche surtout des femmes, souvent très jeunes, vivant recluses, redoutant autant que leur prison un monde extérieur dont elles ne savent rien, pas même la langue. «Des fantômes», dit un policier. Généralement révélée par des voisins, leur situation leur ouvre le droit à un titre de séjour. Nul ne le sait, ou presque. Alors ce petit peuple en servitude glisse d'un enfermement à un autre, vers les camps de rétention, d'où les femmes sont expulsées sans que nul n'ait rien su de leur histoire. Tiburcio est retournée volontairement en République dominicaine avant le procès. «La peur», dit-elle.
Devant le tribunal de Senlis, l'avocate de Monsieur et Madame explique les avoir rencontrés en garde à vue. «On m'a dit : Oh là là, ce sont des esclavagistes. Pas du tout ! Il y avait un rapport de confiance entre eux, sinon pourquoi Tiburcio les aurait-elle suivis ?» L'avocate plaide qu'elle avait le droit de sortir ou de téléphoner. Madame a été condamnée à dix mois de prison dont trois ferme, et Monsieur à douze mois dont cinq ferme. En 2005, la Cour européenne des Droits de l'Homme avait estimé que la France manquait à ses obligations, et depuis la législation a été renforcée pour lutter plus efficacement contre la «servitude». «Mais les peines sont en général réduites en appel, dit Sophia Lakhdar, du Comité contre l'Esclavage moderne, qui était partie civile. Les sanctions restent souvent indolores.» A la gendarmerie, Madame avait dit : «Je voulais que Tiburcio reste un peu et puis rentre chez elle. J'ai été idiote. Elle
voulait nous faire chanter. Elle nous a bien eus.»

Célestine, 32 ans, esclave malgache, a aussi été défendue par le Comité contre l'Escalvage moderne. Composée d'une centaine de bénévoles, cette association a été fondée en 1994. Elle porte secours aux personnes victimes d'esclavages en les hébergeant, en les aidant à exercer une action en justice et en facilitant leur réinsertion sociale.

Florence Aubenas Le Nouvel Observateur

[Vilaine bureaucrate]

interessant.

[RickRoll]

Au départ, je pensais que ce serait une histoire de viol, d'après le titre.

Mais c'est presque aussi sordide.