de Pierre-Joseph le Jeu 18 Mai 2017 20:19
Le talon de fer en marche,
ou le débat de l'entre-deux-tours.
Pendant près de trois heures, durant lesquelles les journalistes sont peu intervenus, Le Pen a décliné son programme, sans surprises, on le connaissait déjà. Elle a aussi, c'est plus surprenant, critiqué avec perspicacité celui de Macron.
De son côté, Macron a pris ces critiques de haut et y a répondu par le mépris, des insultes et des mensonges. Sur les quatre grands thèmes abordés, aucun point du programme de Le Pen n'a été critiqué sérieusement. Aucun et pour causes :
1) Sur la casse des droits sociaux, les critiques de Le Pen sont fondées. L'idéologie de Macron ne l'est pas.
2) Sur la sécurité, le programme de Macron est bien plus extrême que celui de Le Pen, avec notamment la création d'une police d'état, le réarmement et le pouvoir judiciaire donné à des policiers qui deviennent juges et bourreaux et qui peuvent frapper, même pour des délits imaginaires qui n'ont pas encore été commis.
3) Sur l'euro, on est surpris par le creux et les multiples erreurs du discours de quelqu'un qui a quand même été banquier d'affaire et ministre de l'économie. Il ne trouve rien à répondre à Le Pen, si ce n'est, on le verra, une pluie de mensonges.
4) Sur l'école, on est frappé par le peu de cas que Macron accorde à la question de l'éducation. Il ne dit pas un mot sur les idées de Le Pen, il développe, sans aucun état d'âme, son projet d'une école où l'on n'éduque pas mais on soumet aux intérêts des entreprises.
Chapitre I : La casse des droits sociaux.
Le ton est donné dès le départ, il ne variera pas. Le Pen attaque Macron sur son projet économique, ses « choix cyniques », ses « arguments honteux », sa « froideur de banquier d'affaire ». C'est justement avec toute sa froideur de banquier d'affaire, avec un mépris et une arrogance infinie, que Macron prend la parole, non pas pour lui répondre, mais pour l'insulter, d'emblée, et lui cracher tout son mépris :
« Vous n'êtes pas la candidate de l'esprit de finesse […] Continuez votre logorrhée ! »
Alors, Le Pen continue, elle alimente ses critiques, qui sont loin d'être infondées, malgré ce que Macron prétend. Lui, continue à la mépriser, à la prendre de haut, à jouer au technocrate qui connaît tous les dossiers mieux que les autres. Mais quand il se moque d'elle, il se moque surtout de nous.
Par exemple, quand Le Pen l'accuse d'avoir laissé vendre SFR à l'étranger, il répond qu'il n'était pas encore ministre. C'est vrai, si on le prend au pied de la lettre et qu'on prend les gens pour des imbéciles : il n'était pas ministre, mais il était secrétaire général adjoint de la présidence de la république où, selon tous les observateurs, il jouait bien plus que son rôle d'adjoint. C'est notamment là qu'il a concocté le CICE, parmi foule d'idées du même tonneau. S'il avait voulu que le gouvernement fasse quelque chose pour que le capital de SFR reste en France, il aurait eu toute son attention, il avait les manettes dans les mains. Le problème est qu'il y est absolument opposé.
Pour lui, l'état ne doit exercer aucun contrôle sur les capitaux, son rôle doit se borner à protéger leurs propriétaires, en matant les mouvements sociaux, par la force, pour maintenir la loi économique, c'est à dire le privilège de propriété. La sécurité sociale ? C'est du défaitisme ! C'est pour les perdants ! Lui, il est pour « l'esprit de conquête français », qu'il oppose à « l'esprit de défaite », il le répétera plusieurs fois, tout au long de ce faux débat. Il est du côté des gagnants et les gagnants n'ont pas besoin de protection sociale.
« Quand vous avez un groupe privé qui est détenu par des capitaux privés... »
Il ne termine pas sa phrase dont, selon lui, la conclusion s'impose : La propriété est au dessus de toute autre considération donc, si un groupe est privé, et qu'il appartient à des capitaux privés, alors les propriétaires en font ce qu'ils veulent, et tant pis si les gens en crèvent, tant pis si la planète en crève !
Macron se pose en arbitre, en détenteur de LA vérité et en juge des relations que chacun entretiendrait avec elle :
« Vous avez un rapport à la vérité qui n'est pas le bon, mais c'est le propre de toutes les extrêmes. »
Il y a donc, d'un côté, le camp du bien, le sien; de l'autre, le camp du mal, celui des extrêmes. Cette phrase est importante parce qu'il met tous ses adversaires, toutes les vérités qui le dérangent, ou avec lesquelles il n'a pas de très bon rapports, dans un même sac. Il dit bien TOUTES les extrêmes. Dans ce débat, il ne s'adresse donc pas seulement à Le Pen et à son électorat, il s'adresse aussi à nous, à tous ceux qui ne partagent pas sa vision des choses, son dogme étroit du privilège absolu de la propriété devant toute autre considération humaine ou environnementale, avec la même arrogance, le même mépris, la même violence que contre ceux qu'il fait passer pour des nazis.
Certes, Le Pen le pousse dans ses retranchements, elle a assez bien décrit son programme économique de « guerre de tous contre tous », en commençant par son bilan désastreux de ministre et de conseiller à la présidence, sans rien épargner, et en dénonçant l'inhumanité de son idéologie de dérégulation sociale totale, notamment la suppression du code du travail :
« C'est ça votre projet: les gros mangent les petits, la loi du plus fort. »
Elle ne va pas jusqu'à lui expliquer que la catastrophe sociale est la conséquence des privilèges économiques et non des droits sociaux, que c'est donc la propriété qu'il faut combattre et non les quelques droits sociaux que le peuple a pu obtenir pour limiter ses effets. Cependant, elle pointe quand même l'absurdité du discours de Macron:
« Vous partez du principe que c'est le code du travail qui crée le chômage. »
Macron confirme sans aucun état d'âme. Credo quia absurdum. C'est le jésuite ou le psychopathe qui ressort: il ne s'agit pas pour lui de se confronter avec la vérité mais, rappelez-vous, d'avoir de bons rapports avec elle! Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, encore moins à entendre. En fait, pour lui, les vérités qui vont à l'encontre du dogme doivent être niées, combattues, amalgamées, tant que possible, à des idées extrémistes ou mieux, nazies.
Il se moque de Le Pen parce qu'elle a fait des selfies avec les employés de Whirlpool sur un parking. Il prétend, lui, avoir parlé sérieusement avec leurs représentants, mais affirme, juste après, que l'idée de nationaliser l'usine pour sauver les emplois serait hilarante:
« La nationalisation de Whirlpool? Mais c'est à se tenir les côtes! »
J'imagine mal les employés de Whirlpool se tordre de rire à l'idée de sauver leur emploi. Il n'y a vraiment que les banquiers d'affaire qui peuvent rire de tels drames et personne n'est assez cynique pour rire avec eux. Personne.
Chapitre II : La sécurité.
Le sujet de la deuxième heure est la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Le Pen se croit imbattable sur ce terrain et commence par se moquer d'une maladresse de Macron, quelques jours plus tôt, qui déclarait ne pas avoir de projet antiterroriste. Mais son revirement sur le sujet est total :
« Le terrorisme et la menace terroriste, c'est la priorité des prochaines années. La priorité. »
Macron décline alors tranquillement son projet de violation des droits les plus élémentaires, si bien que même Le Pen finit estomaquée. Il réussit à ringardiser le projet sécuritaire du FN, qui ne serait que « de la poudre de perlimpinpin. » Il est vrai que ce programme est usé jusqu'à la moelle, tant il a été pillé par les gouvernements successifs depuis des décennies. Le dernier pillage en date, la déchéance de nationalité, n'a pas eu le succès escompté. Macron le sait et reste prudent sur le sujet. Il fait semblant de s'y opposer avant de finalement lâcher :
« Il faut renforcer, en effet, les choses et, pour certains, les expulser. »
Il rejette le projet de Le Pen de renforcer les douanes qu'il juge incompétentes en matière de lutte contre le terrorisme. Il préfère, lui, des moyens plus radicaux et annonce la création d'une nouvelle police d'état:
« Je veux reconstituer les forces de renseignement. Le renseignement territorial a été démantelé. L'effort de renseignement doit être fait sur le territoire et partout avec un lien renforcé sur le renseignement cyber, c'est à dire sur internet, et pour coordonner cela au mieux, pour prévenir plutôt que guérir, je créerai une task force, une cellule, auprès du président de la république »
Le bruit des bottes en marche ne s'arrête pas en si bon chemin. Au prétexte du climat de violence qui se généralise dans les manifestations, il annonce aussi le réarmement de la police et de la gendarmerie. Avec quelles armes qu'ils n'auraient pas déjà ? Il n'en dit rien. Peut-être les grenades offensives, avec lesquelles Rémi Fraisse a été assassiné et qui ont été provisoirement retirées de l'arsenal répressif ?
« On l'a encore vu avec les CRS qui ont été lâchement attaqués par des militants d'extrême-gauche, qui ont été gravement brûlés et auxquels je pense ce soir. On a besoin d'équiper comme il se doit nos forces de l'ordre, que ce soit les forces d'intervention ou les forces de sécurité quotidienne »
Et ce n'est pas fini ! Macron ne s'arrête pas à cet autoritarisme déjà usé, qui n'est pas sans rappeler celui de Sarkozy, il le pousse bien plus loin encore. Il annonce qu'il donnera le pouvoir judiciaire, directement, aux policiers qui seront donc juges et bourreaux :
« Je veux créer une police de sécurité quotidienne, qui connaît le terrain, qui est déployée sur le terrain, en permanence, qui utilise, justement, ses nouveaux moyens et à laquelle je donne deux pouvoirs, qui aujourd'hui n'existent pas, qui sont décisifs à mes yeux : un pouvoir d'amende, d'abord, […] avec, si l'amende n'est pas réglée, à ce moment là, une vrai procédure pénale avec des contraintes...»
Le deuxième pouvoir de cette police surarmée, cumulant pouvoir judiciaire et répressif, sera de brutaliser des jeunes et des moins jeunes, avant même qu'ils ne commettent des délits, donc de punir des gens pour des crimes ou des délits qu'ils n'ont pas commis mais que cette nouvelle police aura imaginé :
«... Et la possibilité, également, d'éloigner les jeunes, avant même le délit du territoire. Lorsqu'il y a des jeunes, ou moins jeunes, des bandes, qui créent des troubles, près de la gare, en bas de l'immeuble, qu'on connaît, qu'on a identifié […], il faut que les forces de police puissent les enjoindre de ne pas rester là. »
On croit rêver. Même Le Pen n'en croît pas ses oreilles ! Elle répète : « Sans juges ! Sans juge ! »
Avant de conclure :
« C'est un peu juste n'importe quoi ce que vous êtes en train de nous raconter ! C'est juste impossible à mettre en œuvre !»
Pourvu qu'elle est raison ! Macron vient d'annoncer un programme digne des pires dictateurs de l'histoire, très tranquillement, avec, c'est le pire, le soutien, comme en 1940, de la quasi totalité des partis politiques et syndicats. À l'époque, les partis et les syndicats avaient l'excuse de la domination militaire de l'Allemagne nazie. Aujourd'hui, leur excuse c'est d'être manipulés par la peur du FN, c'est leur manque de discernement : ils portent le fascisme au pouvoir, pour lutter contre le fascisme... Heureusement, que le peuple, mieux avisé, ne les a pas écoutés, puisque son premier choix a été de ne voter ni pour l'un ni pour l'autre (*). Il avait déjà dit non au référendum en 2005, il a encore dit non à Macron le 7 mai, il lui dira encore non, de façon plus nette encore, lors des législatives de juin.
« Je veux que notre justice soit intraitable et c'est pour ça, qu'avec moi, toute peine prononcée sera exécutée.»
Une justice intraitable, c'est une justice qui ne négocie pas. Hors, le principe de la justice, c'est, justement, la négociation, c'est de peser les arguments de la défense et ceux de l'accusation, c'est de prendre en compte tous les points de vue, de chercher à les concilier, c'est la recherche de l'équilibre. Macron a pour objectif de détruire complètement cette idée de justice et d'y substituer l'inquisition : il veut imposer sa vérité et éliminer toute contestation, sans aucune négociation, par la force, brutalement, bestialement.
Chapitre III : L'euro.
Le Pen avance sa critique de l'euro, ainsi que sa volonté d'en sortir pour retrouver une souveraineté monétaire :
« L'euro, c'est la monnaie des banquiers mais ce n'est pas la monnaie du peuple.»
Macron tente de mettre à mal cette critique en la prenant de haut et en jouant aux experts mais pas un seul, de tous les arguments qu'il avance, ne résiste deux secondes à l'analyse, ce n'est qu'une pluie de mensonges :
« Une grande entreprise ne pourra pas payer en euro d'un côté et payer ses salariés de l'autre en francs, c'est n'importe quoi ! »
Toutes les monnaies sont convertibles entre elles, même quand le change est illégal, il y a un marché noir. Donc rien n'empêche d'acheter dans une monnaie et de revendre ou payer dans une autre. C'est, d'ailleurs, exactement ce qu'il se passe partout dans le monde où la monnaie internationale est le dollar. Le pétrole, notamment, s'achète en dollars et se revend, dans chaque pays, dans la monnaie nationale. C'est vrai que c'est n'importe quoi car cela donne un pouvoir invraisemblable à ceux qui émettent ces dollars, mais c'est ainsi que les choses fonctionnent dans le monde, c'est ainsi qu'elles fonctionneront tant qu'il y aura de l'argent...
« Il y a beaucoup de pays qui s'en sortent très bien dans l'euro. »
Le Pen pense à l'Allemagne et lui demande s'il y en a d'autres. « De nombreux autres », prétend-il, sans préciser lesquels... On peut, effectivement, y ajouter les Pays-Bas, le Luxembourg et l'Autriche mais après... C'est beaucoup plus compliqué ! Il y a, surtout, beaucoup de pays qui ne s'en sortent pas, à commencer par la Grèce, l'Irlande, le Portugal, l'Espagne, l'Italie et la France, où le peuple subit des politiques d'austérité toujours plus drastiques, pour rentrer dans des critères dont il n'a jamais voulu.
« Au début des années 1990, quand il y avait la vrai guerre des monnaies, que la France n'était pas encore entrée dans une convergence, en particulier, avec l'Allemagne, il y avait plus de chômeurs qu'aujourd'hui, la France ne se portait pas mieux »
On découvre là que Macron est aussi nul en histoire, qu'en géographie ou qu'en économie ! La convergence économique avec l'Allemagne a commencé bien avant les années 1990. Il y a notamment eu le traité de Rome en 1957... Ce n'est que l'histoire de l'union monétaire qui commence en 1990 avec l'abolition du contrôle des capitaux entre les états membres. Quant au nombre de chômeurs, selon l'INSEE, dont les chiffres sont systématiquement plus bas que ceux de Pôle Emploi, il était de 1 995 000 en 1990 contre 2 783 000 fin 2016, soit une hausse de 39,5%. On
ne peut donc certainement pas dire, de ce point de vue là, que l'union monétaire ait été une réussite !
« Je ne veux pas du contrôle de capitaux, ce sera la panique bancaire. Et le projet, c'est l'affaiblissement de notre industrie »
Tous les économistes aujourd'hui le reconnaissent : pas de contrôles sur les capitaux, cela veut dire une finance entièrement dédiée à la spéculation et, effectivement, à terme, la mort de l'industrie. Ce qui est à peine croyable, c'est que Macron reconnaît, sans aucun équivoque, sans aucun complexe, sans aucune pudeur, que sont objectif est bien de détruire l'industrie !
Chapitre IV : L'école
Dernier sujet abordé rapidement, l'école. Le Pen développe sa vision de l'éducation, qui se décline autour de la méritocratie, son programme est connu de longue date. Macron, lui, ne parle pas d'éducation. Ce qu'il veut, c'est une école soumise aux entreprises, dès le collège. Son objectif n'est pas d'éduquer mais d'imposer l'esprit de compétition, dès le plus jeune âge, il veut que le capital remplisse tous les recoins de la vie et envahisse, y compris, quelque chose d’aussi nécessaire et personnel que l’éducation. Ici, c’est notre qualité d’être humain qu'il viole, car le seul objectif de son école est la formation de travailleurs dociles et corvéables à merci :
« A la fin du collège, comme à la fin du lycée, on doit mettre davantage les entreprises, les formations universitaires, ce que l'on appelle le post-baccalauréat, présent dans l'entreprise, pour expliquer quels sont les débouchés.
[...]
L'apprentissage est indispensable. Il faut en simplifier les règles, il faut le rapprocher de celles et ceux qui embauchent, c'est à dire les branches professionnelles, pour définir les formations et l'organisation. »
Conclusion :
Évidemment ce débat n'en aura pas été un. Ce dialogue de sourds se termine par quelques promesses, de part et d'autre, pour améliorer la prise en charge du handicap, suivies, comme durant tout le reste du débat, de quelques dernières critiques contre quelques dernières insultes.
Macron s'est donc beaucoup dévoilé dans cette confrontation avec Le Pen et tout ce qu'il a dit est très inquiétant pour l'avenir. S'il est resté, pendant toute la campagne, le plus flou et le plus creux possible sur le contenu de son projet présidentiel, afin de ratisser le plus large possible, avec un discours commercial, voire publicitaire, il a opté, lors de ce débat présidentiel, pour une stratégie exactement inverse : il a tout déballé, en espérant déstabiliser son adversaire par le choc et en espérant que les français qui l'écoutent n'en retiennent et n'en comprennent que le moins possible. Quoi qu'il en soit, à l'issue de ce débat, ils ne pourront plus dire qu'ils ne savaient pas...
(*) A l'issue du second tour des élections présidentielles, 52 221 100 français sont en âge de voter (d'après la dernière enquête INSEE de janvier 2017).
20 743 128 ont voté pour Macron et 10 638 475 pour Le Pen. (chiffres officiels du conseil constitutionnel).
Il y a donc 52 221 100 – 20 743 128 – 10 638 475 = 20 839 497 français qui n'ont voté ni Le Pen ni Macron, ce qui en fait le groupe le plus représentatif.