Nationalisme et Culture de Rocker

Espace de débats sur l'anarchisme

Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede bajotierra le Sam 6 Fév 2016 16:01

Voici en introduction une courte critique de cet ouvrage parue dans le journal de la CNT- AIT
http://www.cntaittoulouse.lautre.net/sp ... article789

Nationalisme et Culture


"Contrairement à l’idée propagée par presque tous les politiciens (et qui, reconnaissons-le, est devenue dominante dans la population), il n’existe strictement aucun rapport positif entre Nationalisme et Culture. Au contraire, le nationalisme s’oppose à la culture et vice-versa. Rudolph Rocker en fait la démonstration avec brio dans « Nationalisme et Culture », un ouvrage de plus de 600 pages qui n’a pas reçu encore en France la diffusion qu’il mérite.
Au fil des chapitres, à l’aide de centaines de références (et au risque de paraître fouillis) Rocker aborde de multiples domaines. Philosophie, linguistique, biologie, sociologie, ethnologie, architecture,… sont analysés pour conclure que, partout, la Culture est une transformation, produite par un brassage universel de l’activité intellectuelle, un processus que Goethe qualifiait de « libre et générale coopération » entre les individus.
A contrario, toute institution qui impose aux êtres humains une relation de dépendance à un imaginaire indépassable, à un cadre de référence sacralisé, s’oppose à ce processus. C’est le cas des religions et des nationalismes (dont les régionalismes ne sont qu’une des formes). Les barrières mentales et physiques qu’ils dressent imposent autoritairement une sclérose à la pensée. Tout l’inverse de la Culture. Car le processus culturel n’est ni imperméable ni immuable, il est mouvement. Il ne respecte rien, ni les croyances les plus profondes ni les traditions séculaires. Toutes ces représentations fixistes, qui ont été rebaptisées « cultures » par la grâce du relativisme postmoderne, ne sont en réalité que des carcans qui, en se voulant pérennes et « purs » (de la contamination étrangère…) s’opposent au processus culturel universel. Rocker le démontre : seul un esprit Libre est un esprit créatif. Bref, il n’y a pas de Culture sans Liberté.

Un exemple de la façon dont Rocker utilise son érudition pour en extraire la substantifique moelle qu’il nous fait partager, se trouve dans la vingtaine de pages (501 à 524) du chapitre 24 dans lesquelles il montre, à l’aide d’un résumé de l’histoire des sciences d’Aristarque de Samos à Einstein en passant par Darwin, comment le processus des découvertes a constamment été en butte au Pouvoir tant religieux que politique et comment il ne triomphe que par la force de volonté des individus de tous horizons, déterminés à le défendre avec courage. Cette dynamique démontre également qu’il n’existe pas de création intellectuelle originale. Toute création si géniale soit-elle bénéficie de découvertes antérieures, faites un peu partout dans le monde à différentes époques ! De ce point de vue, on peut même dire que la réflexion générale que développe Rocker précède celle du philosophe des sciences Thomas Kuhn expliquant dans son célèbre ouvrage « Structure des révolutions scientifiques » (1962), que tout changement de paradigme scientifique provoque, en retour, une rupture du cadre institutionnel de ce paradigme.
Lire « Nationalisme et Culture », c’est comprendre que l’essence de l’anarchisme consiste à se situer clairement du côté de la Culture dans son conflit permanent avec le Pouvoir, à se placer en dehors des institutions, à refuser tout compromis avec elles. C’est ainsi qu’historiquement l’humanité a triomphé de la barbarie. "



« Nationalisme et Culture » est le fruit d'un long et patient travail de Rudolf ROCKER (1873-1958), qui fut le rédacteur de la « Déclaration de principes de l'AIT » reconstituée en 1923. La première édition de « Nationalisme et Culture », publiée en anglais en 1937, fut saluée comme une œuvre importante par Thomas Mann, Bertrand Russel et Albert Einstein. Il a fallu attendre 2008 pour qu'en paraisse une édition française grâce la volonté des Editions Libertaires et CNT-RP (Vignoles). Qu'ils en soient remerciés.
« Nationalisme et Culture » (672 pages) peut être commandé chez votre libraire (référence ISBN : 978-2-914980-69-2) ou aux Editions Libertaires, 35 allée de l’Angle Chaucre, 17 190 Saint-Georges-d’Oléron au tarif de 20 € + 3,85 € de frais de port.""
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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede Lehning le Sam 6 Fév 2016 23:00

Bonsoir !

Très bien, çà me semble un assez bon résumé de ce bouquin magistral. Qui est difficile à résumer tant il est dense. J'ai mis 2 ou 3 ans pour le lire et tenter de le digérer peu ou prou et je crois même me souvenir que c'est moi qui t'en avais parlé Bajotierra.

Je considère cet ouvrage comme l'1 des + intéressants que j'ai lu. (et j'en ais lu pas mal) C'est un pavé !
(Mais j'attends encore 1 pavé encore + énorme de Rudolf Rocker: ses Mémoires. + de 1000 pages. Ecrites en tout petit. Et toujours pas traduit en français.).

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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede frigouret le Dim 7 Fév 2016 13:00

Sur le site non fides sous le titre" Une lecture de nationalisme et culture" on trouve un bon condensé du bouquin, a afficher sur le forum je pense ( yo, no puedo).

Sur le site " opuscules.fr" on trouve l'intro d'un texte " libéralisme, anarchie et démocratie" , je trouve cette intro intéressante mais malheureusement la suite et en format pdf ( non accessible pour un tel entrée de gamme) donc cela m'intéresse si une bonne âme désireuse de combattre la discrimination informatique pouvait aussi l'afficher.
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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede bajotierra le Mar 23 Fév 2016 19:19

longue citation de Rocker dans l'intro des "cahiers de psychologie politique"

Résumons ce propos dans un dernier mot de l'anarchiste allemand Rudolf Rocker (1873-1958) qui dit : « L'anarchisme n'est pas une solution brevetée pour tous les problèmes humains, ni une utopie ou un ordre social parfait, ainsi qu'il a souvent été appelé, puisqu'il rejette en principe tout schéma et concept absolus. Il ne croit en aucune vérité absolue, ou but final défini pour le développement humain, mais dans la perfectibilité illimitée des arrangements sociaux et des conditions de vie humaines, qui sont toujours tirées vers de plus hautes formes d'expression, et auxquels pour cette raison on ne peut assigner aucune fin déterminée ni poser aucun but fixé. Le pire crime de n'importe quel type d'État est justement qu'il essaye toujours de forcer la riche diversité de la vie sociale à des formes définies, et de l'ajuster à une forme particulière qui ne permet pas de perspective plus large, et considère les états précédents comme terminés »


http://lodel.irevues.inist.fr/cahiersps ... hp?id=3175
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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede frigouret le Sam 27 Fév 2016 08:43

Bon et bien justement si ce n'est l'État qui doit définir les formes de la vie sociale il n"y a pas d'autres issues que de les laisser jaillir librement et spontanément de l'action des individus.
Si on réfléchit à ça deux minutes on conclut au rejet du communisme comme norme générale .
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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede Lehning le Sam 27 Fév 2016 18:57

Bonsoir !

A part qu'en disant çà, on fait l'impasse sur le communisme libertaire, pas du tout étatiste.

Si c'est évidemment pour (ré)instaurer du communisme d'Etat ou marxiste, ce n'est pas intéressant. Tout comme ses avatars léninistes, castristes ou maoïstes, etc.

Je l'ai toujours dit et je le pense toujours: je n'aime pas l'association du mot "communisme" avec celui d'anarchisme. L'anarchisme se suffit à lui-même, au moins idéologiquement.

Mais un courant important des anars se définit, se revendique "communistes libertaires". Ce n'est pas ma stratégie primordiale pour arriver à l'anarchisme (à cause notamment de la connotation du mot "communisme") ; j'ai toujours préféré simplement et tout court juste dire que je suis anarchiste.

Bien sûr, on comprend les réticences de Frigouret au communisme en général (ce que je partage), et apparemment même au communisme libertaire. (là, je ne suis + d'accord).
Mais, de toutes façons, Frigouret n'est-il pas plutôt une sorte, in fine, d'individualiste libertarien ? Ca semble sauter aux yeux et une évidence.

Maintenant, pour en revenir au thème fort intéressant de ce topic, il me semble clair que "Nationalisme et Culture" de Rudolf Rocker est l'un des + intéressants et denses bouquins anarchistes jamais écrit !

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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede frigouret le Mer 24 Aoû 2016 07:37

http://comedieus.blogspot.fr/2013/05/ru ... e.html?m=1

En fait rudolf m'est profondément sympathique.
Je vous invite à consulter les autres articles de ce blog.

A noter que le capitalisme que combat rocker est ce qu'il appelle le capitalisme monopolistique et non la propriété individuelle.
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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede frigouret le Sam 27 Aoû 2016 11:56

http://www.opuscules.fr/liberalisme-ana ... emocratie/

Ce lien est un commentaire critique du bouquin de Rocker, je dis critique car le site qui le produit est plutôt de sensibilité démocrate, néanmoins je trouve l'étude érudite et perspicace.
On trouvera aussi en note une évocation de l' evolution de la pensée de Rocker après guerre.

Il a fallut atendre 2008 pour trouver une traduction française du bouquin (70 ans!!!!!!!!) c'est dire si l'anarchisme conçu comme " l'executeur testamentaire du libéralisme classique" à été étouffé.
Ceci dit la traduction offerte par la CNT me paraît excellente.
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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede Lehning le Dim 28 Aoû 2016 01:55

Bonsoir !

Voui, il a fallu attendre 70 ans pour qu'une traduction en français soit autorisée.
On attend toujours d'ailleurs pour ce qui concerne les Mémoires de Rudolf Rocker. (un autre pavé encore + énorme).
Ca bloque du côté de Munich apparemment.

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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede frigouret le Dim 28 Aoû 2016 07:49

Humm après une rapide recherche il paraît qu'une traduction française attendait depuis 1954 de trouver un éditeur.

J'ai plutôt tendance à penser qu'une partie du patrimoine anarchiste a été laissé aux oubliettes car elle ne correspond pas à la ligne officielle des orgas françaises.
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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede frigouret le Mar 30 Aoû 2016 12:22

bajotierra a écrit:longue citation de Rocker dans l'intro des "cahiers de psychologie politique"

Résumons ce propos dans un dernier mot de l'anarchiste allemand Rudolf Rocker (1873-1958) qui dit : « L'anarchisme n'est pas une solution brevetée pour tous les problèmes humains, ni une utopie ou un ordre social parfait, ainsi qu'il a souvent été appelé, puisqu'il rejette en principe tout schéma et concept absolus. Il ne croit en aucune vérité absolue, ou but final défini pour le développement humain, mais dans la perfectibilité illimitée des arrangements sociaux et des conditions de vie humaines, qui sont toujours tirées vers de plus hautes formes d'expression, et auxquels pour cette raison on ne peut assigner aucune fin déterminée ni poser aucun but fixé. Le pire crime de n'importe quel type d'État est justement qu'il essaye toujours de forcer la riche diversité de la vie sociale à des formes définies, et de l'ajuster à une forme particulière qui ne permet pas de perspective plus large, et considère les états précédents comme terminés »


http://lodel.irevues.inist.fr/cahiersps ... hp?id=3175


Voilà par exemple un thème exemplaire sur la filiation des idées libérales et anarchistes.
L'ordre spontané est développé d'abord par les liberaux ( les lumières écossaises, Mandeville, la fable des abeilles touça, touça ). Puis c'est "l'anarchie c'est l'ordre moins le pouvoir" de proudhon ( ou bakounine? ) , puis au XXème siècle donc Rocker , mais encore Hayek chez les liberaux radicaux.

J'ai la très forte impression que la pensée de Rocker n'a pas du tout marqué ce qu'est la CNT-AIT d'aujourd'hui bien plutôt son contraire et que les thèses constructivistes, planistes et le discours férocement anti libéral sont reines .
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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede frigouret le Jeu 1 Sep 2016 11:04

http://www.non-fides.fr/?Une-lecture-de-Nationalisme-et

Non fides a produit un résumé des principaux thèmes du bouquin de Rocker, une bonne approche.

http://acontretemps.org/spip.php?article163
Une biographie de Rocker résumée de ses mémoires.

https://en.m.wikipedia.org/wiki/Pioneer ... an_Freedom

Sur le wikipedia en anglais un article sur un bouquin de Rocker (1949), où il cherche les penseurs de la liberté sur le nouveau continent. Fidèle à sa thèse il y associe les grands liberaux américain ( Paine) et les anarchistes individualistes ( Tucker).

Si on cherche les continuateurs de la philosophie de Rocker je vois bien Carson par exemple.
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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede Lehning le Jeu 8 Sep 2016 01:59

Bonsoir !

Je pense qu'il ne faut quand même pas pousser Mémé dans les orties comme cherche à le faire Frigouret.
Certes, Rudolf Rocker n'est pas le théoricien et penseur anar le + connu mais je dirais qu'il n'y a, à ma connaissance, aucun "veto" ou pensée négative envers lui, dans la galaxie anarchiste française du moins.
Et où il est le + célèbre et estimé, c'est dans la sphère anarcho-syndicaliste. D'ailleurs à juste titre, pour tout ce qu'il a fait dans ce milieu. (et notamment pour l'AIT).

Tout comme Arthur Lehning (au hasard^^) ou d'autres anars non francophones ou français, Rudolf Rocker est bien trop méconnu par les anars français à mes yeux et je trouve çà dommage car je trouve ces anars hyper-intéressants. Pour tout ce qu'ils ont fait, leurs parcours, leur itinéraire, etc.
Je les vois comme des mecs vraiment sincères, des purs anarchistes, qui voulaient véritablement changer le monde et non pas comme bon nombre de bla-blateurs(ses) contemporains ou antérieurs bien + frileux(ses) par rapport.

Rudolf Rocker était 1 des grands, très grands de l'anarchisme. Un incontournable.

Maintenant, qu'il soit récupéré par les totos de Non Fides and co, voire par les anarcaps, c'est certainement fâcheux et problématique quelque peu. Je dirais même que çà semble craindre...

Mais tout semble, en ces temps de confusion de crasse ignorance, tellement "fuir" que -+ grand-chose ne m'étonne même le + improbable-

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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede frigouret le Mer 9 Juin 2021 16:52

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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede Lehning le Mer 9 Juin 2021 18:46

Bonjour !

Ce sont des vidéos en anglais (un peu dommage...) d'un site apparemment libertarien :roll: et avec, comme bien souvent, cette thèse comme quoi Rocker était proche du libéralisme originel, voire que l'anarchisme, c'est presque du libéralisme^^
Même si je ne nie pas éventuellement certains points communs (sur la notion de liberté notamment).

Un jour peut-être (mais pas avant 3 ans) je retranscrirais ici le bouquin "Nationalisme et Culture" de Rocker.
Ainsi, çà éclaircira peut-être notamment ce vieux débat entre libéralisme et anarchisme.

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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede frigouret le Mer 9 Juin 2021 20:10

http://acontretemps.org/spip.php?article165


Après la catastrophe : le révisionnisme libertaire
Qu’il nous soit permis de citer ici une opinion somme toute assez significative de l’état d’esprit qui prévalait chez les libertaires allemands au sortir de la catastrophe que représenta la guerre. Elle est d’Eugen Brenner, ouvrier peintre et anarcho-syndicaliste. « Ils me font pitié, déclarait-il, tous ceux qui ne savent pas encore que la démocratie est une forme de société dans laquelle, pour des individus libertaires, il est possible de vivre, et la dictature une forme dans laquelle cela est impossible. Soit ils ont vécu sur la Lune ; soit ils n’ont connu ni les camps de concentration, les caves de la Gestapo ou les prisons nazies, ni la cruelle émigration, ni les caves du Guépéou. Aujourd’hui, je suis prêt à défendre, les armes à la main, la démocratie soi-disant capitaliste contre tout agresseur, qu’il soit de droite ou de gauche. » [36]

L’après-guerre venue sur la défaite du régime nazi, l’ « impérialisme rouge » constitue, désormais, pour Rocker, le principal danger qui menace la paix mondiale. Convaincu que l’histoire risque de se répéter, il est persuadé que l’URSS, en empêchant la démilitarisation générale des peuples, succède au Reich allemand comme bastion de la réaction. Pour lui, c’est à l’humanité tout entière de tirer les leçons du passé et d’en finir avec la funeste politique d’hégémonie des États, tâche indispensable si elle veut éviter que se produise un nouveau cataclysme mondial, à dimension probablement nucléaire cette fois [37].

Dès lors, une conviction s’ancre en lui : il faut sortir de l’ornière du mouvement ouvrier. Pour Rocker, en effet, le temps de la conquête des usines par les ouvriers est définitivement révolu. Comme l’écrit, en 1946, un de ses correspondants, l’anarchisme doit désormais dépasser la « vision prolétarienne du monde » qu’il incarne pour devenir un « humanisme ou libéralisme révolutionnaire » [38]. En l’espace de quelques décennies, entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, l’héritage d’un siècle et demi de libéralisme a été mis à sac. À l’avenir, pense alors Rocker, il faudra redoubler d’efforts pour ré-enraciner les idées de liberté et de dignité humaines au sein des masses populaires, ce qui prendra, estime-t-il, sans doute plusieurs générations. Prenant ses distances avec la théorie kropotkinienne, il n’est plus question pour lui, comme au début des années 1920, d’éveiller les consciences, mais de les éduquer, voire de les rééduquer. Dans ces conditions, poursuit-il, le mouvement libertaire doit devenir le gardien de la tradition libérale, ce qui impose de repenser fondamentalement l’anarcho-syndicalisme classique. De l’AIT, écrit Rocker à Helmut Rüdiger au début des années 1950, « il ne reste plus que le nom, et ce qu’il faudrait envisager à l’avenir, c’est une internationale libertaire sur une base beaucoup plus large » [39].

Dans le prolongement d’une série d’articles parus, à la fin des années 1920, dans le Fanal d’Erich Mühsam, où il avait examiné les « problèmes actuels de l’anarchisme », Rocker remet maintenant en question la doctrine anarcho-syndicaliste elle-même, et en particulier la perspective d’un socialisme libertaire fondé sur les syndicats : « Il faut rejeter la croyance en un système économique unitaire parce qu’un tel système tuerait l’économie […]. Ce qui a réellement fait la grandeur de la pensée socialiste, ça n’a jamais été de chercher à donner une forme unitaire à l’économie, mais de lui donner un fondement éthique qui vise à répartir aussi équitablement que possible les produits du travail. » [40]

Dans la même veine, il s’en prend aux « fanatiques de l’unité à tout prix » – parmi lesquels il range la CGT d’avant 1914 –, qui « croient pouvoir tout ramener à une norme unique avec leur rouleau compresseur, alors qu’en réalité ils détruisent tout ce qu’il y a d’organique, en en faisant une insipide bouillie » ; ces unitaires à tout prix oublieraient que « la réaction commence toujours là où on essaie de ramener la vie à une certaine norme » [41]. Malgré le ton général de ses remarques et les exemples qu’il choisit, il n’est pas douteux que Rocker se livre, alors, à un réexamen largement autocritique. Si l’organisation continue, à ses yeux, d’être une nécessité, il insiste désormais sur le fait qu’elle peut aussi représenter un réel danger d’étouffement de l’esprit et de l’initiative de ses membres [42]. Transposant ici à toute forme d’organisation ouvrière – et non plus seulement au socialisme autoritaire – la critique appliquée au centralisme politique, qu’on retrouve pleinement développée dans Nationalisme et culture, Rocker y voit une force tendanciellement mécanique qui incline toujours, tout comme l’État, à ne plus respecter les lois de la vie. Même s’il ne renie pas – ni ne reniera jamais – ses positions du début des années 1920, il pose les jalons d’une critique radicale de l’anarcho-syndicalisme, que va développer, dans toutes ses implications, son ami Rüdiger. En voulant se doter d’une forme d’organisation et d’une pratique adéquates puisées, au tournant du siècle, dans le syndicalisme révolutionnaire français, le mouvement libertaire se serait imprégné, au passage, de la théorie fataliste de la lutte des classes et d’une conception naïve de la révolution, aux forts relents millénaristes et jacobins. De là découlerait, selon Rüdiger, une croyance – infondée, mais largement répandue chez les anarchistes – à la révolution comme « panacée universelle » devant mettre fin, d’un seul coup, aux souffrances de l’humanité par l’action de classe et la syndicalisation de la société [43].

Désormais, Rocker pense l’émancipation d’après-guerre en des termes forts différents. Ainsi, il incite, par exemple, les anarchistes à envisager la création d’une « fédération mondiale des peuples libres », peuples eux-mêmes organisés sur le principe fédéraliste, qui se substituerait aux États autoritaires, centralisateurs et nationalistes. Dans son projet, il accorde un rôle déterminant à l’Allemagne et à l’Europe. À l’Allemagne parce qu’elle a perdu toute souveraineté étatique en 1945 et que, « pays du milieu », elle pourrait devenir le pivot d’une « fédération des peuples européens » ; à l’Europe parce qu’elle doit s’unifier sur le plan économique si elle veut venir à bout des problèmes que pose la reconstruction.

« Désormais c’est à l’aune du projet de fédération européenne qu’on doit mesurer l’intérêt de tout mouvement social et de toute proposition visant à transformer les conditions actuelles. » [44]

Pour Rocker, la situation de l’Allemagne en 1945 permet aux libertaires de reprendre l’initiative. Ainsi, dans une brochure éditée deux ans plus tard par la SAC suédoise et préfacée par Rüdiger, il se propose de définir des champs d’intervention concrète dans l’Allemagne vaincue. Ce texte donne une image assez fidèle de son anarchisme révisé. Un anarchisme fortement teinté de libéralisme, plus pragmatique, plus « constructif » ; une pensée, en somme, qui reste attachée à la perspective anarchiste tout en rejetant les luttes de classes et la révolutionnarité.

Rocker invite, par exemple, les rescapés de la FAUD à intervenir au niveau municipal pour mettre en pratique, dans le cadre de la reconstruction du pays, les principes fédéralistes du socialisme libertaire. Il leur recommande, par ailleurs, d’adhérer aux syndicats renaissants – qu’il pense plus ouverts aux expériences de la FAUD – dans le but de les inciter à prendre en charge la réorganisation et la gestion de la production. Pour lui, les luttes salariales doivent désormais passer au second plan. Œuvrant à la « destruction de l’économie de profit et à la transformation de la vie sociale par une répartition équitable des produits du travail », le mouvement coopératif constitue, à ses yeux, un autre terrain d’activité à ne pas délaisser [45]. Et c’est sur ces trois piliers (municipalités, syndicats et coopératives) que Rocker fait reposer l’ordre social nouveau, première étape vers la « fédération des peuples européens », qui doit préfigurer cette « fédération mondiale des peuples libres » qu’il appelle de ses vœux.

Son programme semble abonder dans le sens des discussions des groupes anarcho-syndicalistes locaux qui se reforment depuis 1945 – au moins pour certains d’entre eux, en particulier à Darmstadt, où Alfred et Grete Leinau organisent plusieurs rencontres qui vont déboucher sur la fondation, en 1947, de la Fédération des socialistes libertaires (FSL). De fait, les activités de la FSL ne vont pas tarder à se limiter à la publication d’une revue purement théorique (Die freie Gesellschaft), au demeurant peu appréciée des militants – surtout en Rhénanie et dans la Ruhr –, qui la trouvent trop molle et trop éloignée des réalités de la vie pour attirer les jeunes travailleurs. À l’Est, s’ils ne se retrouvent pas dans les camps de concentration dont ils viennent à peine de sortir, les anarchistes ont très peu de possibilités d’action au niveau municipal, à moins d’adhérer à un des partis autorisés.

Des voix s’élèvent alors contre la révision doctrinale de Rocker et son approche pragmatique des choses. C’est le cas, en particulier, du Groupe international Bakounine, qui rassemble des anciens collaborateurs de la revue War Commentary et dont le groupe londonien Freedom se charge de diffuser les publications. On lui reproche, et vivement, de verser dans l’opportunisme en mettant les anarchistes allemands sous la coupe du gouvernement militaire d’occupation et en promouvant une forme de capitalisme autogéré au niveau communal. Une violente polémique éclatera même à propos d’Erich Mühsam, dont les deux tendances revendiquent la filiation intellectuelle et politique. Le courant anti-Rocker cherchera, de son côté, à former – sans succès – des organisations unitaires sur le modèle des « blocs anti-autoritaires » qui sont nés spontanément, au milieu des années 1920, du rapprochement des anarchistes, des anarcho-syndicalistes et des communistes de conseils dans quelques villes allemandes.

Dans ses derniers textes, d’inspiration sensiblement proudhonienne, Rocker critiquera tous ceux qui, parmi les anarchistes, lui semblent voir les choses « à travers les verres fumés de la tradition ». Ainsi, indiquera-t-il, le terme de compromis serait devenu un « mot-fétiche » qui déclencherait chez eux d’incontrôlables réactions de peur [46]. En faisant clairement référence au social-démocrate Eduard Bernstein, pour qui il a visiblement de l’estime [47], Rocker est d’avis qu’un « révisionniste », loin de trahir la cause, est un homme qui cherche seulement de nouvelles voies praticables.

« L’anarchisme et l’idée de la liberté en général sont des idées, non pas absolues, mais seulement relatives et partant, elles sont soumises à de continuelles transformations […]. Les idées absolues conduisent toujours au despotisme de la pensée et, là où leurs représentants en ont le pouvoir, au despotisme du fait. » [48]

Cette mise en garde a, pour lui, valeur testamentaire : elle expliquerait pourquoi les révolutionnaires d’hier sont très souvent les réactionnaires d’aujourd’hui.

Gaël CHEPTOU
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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede Lehning le Jeu 10 Juin 2021 09:45

Bonjour !

Article intéressant... notamment à propos des remises en question de Rocker sur le syndicalisme:
Et d'ailleurs, si l'on transpose à l'heure actuelle où l'action principale des syndicats n'est plus vraiment de mettre à bas réellement le capitalisme mais juste de grappiller quelques miettes ; ou de dire qu'on ne pourra changer le monde non pas uniquement grâce au syndicalisme, Rocker (une fois de plus) est plutôt pertinent.

Par contre sa vision européenne me semble un peu naïve et on le voit aujourd'hui avec ce qu'est l'Europe: essentiellement un bloc économique dans le schéma capitaliste.

Ensuite, certes, le libéralisme ou la démocratie sont moins pires que la dictature ou le fascisme.
Pour autant, je pense que le "libéralisme anarchiste" est un oxymore tout comme une "démocratie anarchiste"...
Démocratie ou libéralisme sont bien trop connotés pour être associés à l'anarchisme me semble-t-il.

Salutations Anarchistes !
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Re: Nationalisme et Culture de Rocker

Messagede AlxVtr le Mer 15 Sep 2021 20:27

https://tinder-date-pro.fr/description-tinder-drole/
https://lit-princesse.fr/

Hello!

Je voulais dire que cette thèse comme quoi Rocker était proche du libéralisme originel, voire que l'anarchisme, on est pas loin du liberalisme non ?
Même si je ne nie pas éventuellement certains points communs, par exemple sur la notion de liberté
J'espere un jour retranscrire le bouquin de Rocker "Nationalisme et Culture".

On aura peut-être la réponse au débat anarchisme et liberalisme !

Salutations Anarchistes !
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