Le « Courant syndicaliste révolutionnaire » se fonde sur un amalgame qui au pire est malhonnête, au mieux manipulateur. On en trouve l’illustration involontaire dans un propos de « Lehning », qui tombe dans le piège, et qui pose la question suivante :
« Le CSR est-il toujours sur la ligne du début de sa création (les années 20) sur la question notamment du refus des guerres (le CSR étant une scission de la CGT de Jouhaux après la guerre de 14 ; Jouhaux ayant été, entre autres, pour l'Union sacrée)… »
Il y a là une confusion — que le militant du Courant syndicaliste révolutionnaire ne rectifie pas — avec les Comités syndicalistes révolutionnaires créés en 1919. C’est peut-être une filiation
proclamée, mais elle est parfaitement fictive. Par conséquent demander si le CSR (Courant syndicaliste révolutionnaire) d’aujourd’hui est toujours d’accord avec la ligne des CRS (Comités syndicalistes révolutionnaires) des années 20 n’a pas de sens.
Par ailleurs, quelqu’un sur le forum, a posé la question : « La charte d’Amiens est-elle anti-anarchiste ? »
On ne peut pas dire que la charte d’Amiens soit « anti-anarchiste ». En revanche, les socialistes et les réformistes de l’époque ont très clairement interprété la charte d’Amiens comme une défaite de l’anarchisme.
La charte d’Amiens est un texte de compromis, qui exprime en fait un recul du syndicalisme révolutionnaire : il n’y a rien sur la lutte contre l’État ni sur les illusions du parlementarisme, ni sur l’antimilitarisme. Les thèmes proprement anarchistes ont disparu du document.
En fait, en 1906, le courant réformiste était très puissant dans la CGT, et ses forces s’accroissaient régulièrement. Le courant révolutionnaire restait encore fort, mais par inertie, un peu comme un vélo qui continue de rouler après qu’on ait cessé de pédaler. Peu à peu, le renouvellement des mandats se faisait en faveur des réformistes, et les révolutionnaires perdaient du terrain.
Il faut absolument lire intégralement le procès verbal de ce congrès. C’est un peu fastidieux, mais cela vous met parfaitement dans l’ambiance. On voit que les révolutionnaires sont acculés devant les coups de butoir des réformistes. Alors qu’à l’origine la « neutralité » du mouvement syndical visait à le préserver des tentatives de prise de contrôle par les partis socialistes, le concept de neutralité est dévoyé : l’antiparlementarisme, l’antimilitarisme sont condamnés parce qu’ils sont considérés comme des prises de position politiques, que la « neutralité » du syndicalisme condamne !!! Être antimilitariste, ou antiparlementaire, ce sont des positions politiques ; or la « neutralité » du syndicat impose de ne pas introduire dans la CGT de débats politiques !!!
Voilà la position que défendaient les réformistes, et qui finit par être acceptée.
Si la charte d’Amiens est un texte de compromis entre la direction confédérale syndicaliste révolutionnaire et les courants réformistes montants, c’est un compromis où ce sont les réformistes qui gagnent très largement.
Contrairement à ce qu’on pense, la charte d’Amiens ne préserve pas le mouvement syndical contre les partis, elle accrédite une division du travail entre partis et syndicats qui convient tout à fait aux socialistes : les adversaires de l’anarchisme voyaient clairement dans la charte d’Amiens une défaite de celui-ci. En effet, pour Édouard Vaillant (socialiste, député à partir de 1893), la charte d’Amiens est une
victoire sur les anarchistes ; Victor Renard (dirigeant guesdiste), lui, dira plus trivialement lors du congrès du parti socialiste de Limoges que « les anarchistes qui prédominent à la CGT ont consenti à se mettre une muselière». (Cf. « L’anarchosyndicalisme, l’autre socialisme », Jacky Toublet, Préface à
La Confédération générale du travail d’Émile Pouget, Editions CNT Région parisienne, 1997.)
Il faut absolument lire également le compte rendu des deux congrès socialistes qui ont suivi le congrès d’Amiens. Lors du congrès de Limoges du Parti socialiste (1er-4 novembre 1906), il y a bien sûr quelques mécontents (ceux qui n’ont rien compris et qui trouvent que la CGT est trop « indépendante »), mais la plupart des délégués socialistes (en tout cas ceux qui comptent…) se montrent
absolument enchantés par la résolution d’Amiens.
Édouard Vaillant — celui qui avait dit que la résolution d’Amiens était une victoire sur les anarchistes — déclare à Limoges que
« les membres de la CGT ont montré à Amiens que leur conception s'accordait avec la nôtre beaucoup plus que nous ne le croyions et le congrès d'Amiens a abouti à une conclusion que personne de nous n'eût pu espérer. C'est tout ce que nous pouvions attendre et la décision d'Amiens nous donne entièrement satisfaction. »
On ne peut pas mieux dire.
La charte d’Amiens satisfaisait tellement les socialistes que leur congrès se prononça en faveur de l’« indépendance syndicale » !!! (De justesse, il est vrai : 148 voix pour, 130 voix contre.)
A l'origine, le syndicalisme révolutionnaire se fondait sur l'idée que « rien n'est étranger au syndicat ». Cette idée avait mis nombre d'anarchistes en pétard parce que le syndicalisme se positionnait clairement comme concurrent des organisations politiques, y compris anarchistes. La charte d'Amiens remet tout en question, réintroduisant les partis dans le jeu politique en légitimant la division du travail politique/économique.
Personnellement, je pense que la charte d’Amiens marque le début du déclin du syndicalisme révolutionnaire.
Pour évaluer l’ampleur du compromis accordé aux réformistes par le courant syndicaliste révolutionnaire, il faut savoir que la résolution d’Amiens (qui ne devint « charte d’Amiens » qu’en 1910) fut votée à une
écrasante majorité.