Voline -> la révolution inconnue

Espace de débats sur l'anarchisme

Voline -> la révolution inconnue

Messagede vroum le Mar 24 Fév 2015 00:03

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Cet ouvrage est un devoir de conscience.

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Re: Voline -> la révolution inconnue

Messagede michelbakouninedu83 le Ven 3 Avr 2015 21:56

Souvent oublié, parfois bafoué, Voline... Un monument de la pensée et de l'histoire internationaliste de l'anarchisme qui n'est pas assez enseigné aux jeunes générations.
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Re: Voline -> la révolution inconnue

Messagede leNouveau le Sam 4 Avr 2015 08:23

Est-ce que quelqu'un pourrait expliquer/commenter la Synthèse de Voline
et éventuellement son influence dans le mouvement anarchiste français
et international ?
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Re: Voline -> la révolution inconnue

Messagede vroum le Sam 4 Avr 2015 08:31

Tiens voici le texte La Synthèse de Voline puis sa biographie et enfin un texte de René Berthier sur le contexte historique et une analyse politique.

Voline
La Synthèse Anarchiste
L'Encyclopédie Anarchiste, 1934


On désigne par synthèse anarchiste une tendance qui se fait actuellement jour au sein du mouvement libertaire, cherchant à réconcilier et ensuite à synthétiser les différents courants d'idée qui divisent ce mouvement en plusieurs fractions plus ou moins hostiles les unes aux autres. Il s'agit, au fond, d'unifier, dans une certaine mesure, la théorie et aussi le mouvement anarchistes en un ensemble harmonieux, ordonné, fini. Je dis : dans une certaine mesure car, naturellement, la conception anarchiste ne pourrait, ne devrait jamais devenir rigide, immuable, stagnante. Elle doit rester souple, vivante, riche d'idées et de tendances variées. Mais souplesse ne doit pas signifier confusion. Et, d'autre part, entre immobilité et flottement, il existe un état intermédiaire. C'est précisément cet état intermédiaire que la synthèse anarchiste cherche à préciser, à fixer et à atteindre.

Ce fut surtout en Russie, lors de la révolution de 1917, que la nécessité d'une telle unification, d'une telle synthèse, se fit sentir. Déjà très faible matériellement (peu de militants, pas de bons moyens de propagande, etc.) par rapport à d'autres courants politiques et sociaux, l'anarchisme se vit affaibli encore plus, lors de la révolution russe, par suite des querelles intestines qui le déchiraient. Les anarcho-syndicalistes ne voulaient pas s'entendre avec les anarchistes-communistes et, en même temps, les uns et les autres se disputaient avec les individualistes (sans parler d'autres tendances). Cet état de choses impressionna douloureusement plusieurs camarades de diverses tendances. Persécutés et finalement chassés de la grande Russie par le gouvernement bolcheviste, quelques-uns de ces camarades s'en allèrent militer en Ukraine où l'ambiance politique était plus favorable, et où, d'accord avec quelques camarades ukrainiens, ils décidèrent de créer un mouvement anarchiste unifié, recrutant des militants sérieux et actifs partout où ils se trouvaient, sans distinction de tendance. Le mouvement acquit tout de suite une ampleur et une vigueur exceptionnelles. Pour prendre pied et s'imposer définitivement, il ne lui manquait qu'une chose : une certaine base théorique.

Me sachant un adversaire résolu des querelles néfastes parmi les divers courants de l'anarchisme, sachant aussi que je songeais, comme eux, à la nécessité de les réconcilier, quelques camarades vinrent me chercher dans une petite ville de la Russie centrale où je séjournais, et me proposèrent de partir en Ukraine, de prendre part à la création d'un mouvement unifié, de lui fournir un fond théorique et de développer la thèse dans la presse libertaire.

J'acceptai la proposition. En novembre 1918, le mouvement anarchiste unifié en Ukraine fut définitivement mis en route. Plusieurs groupements se formèrent et envoyèrent leurs délégués à la première conférence constitutive qui créa la Confédération anarchiste de l'Ukraine Nabat (Tocsin en français). Cette conférence élabora et adopta à l'unanimité une Déclaration proclamant les principes fondamentaux du nouvel organisme. Il fut décidé que très prochainement cette brève déclaration de principes serait amplifiée, complétée et commentée dans la presse libertaire. Les événements tempétueux empêchèrent ce travail théorique. La confédération du Nabat dut mener des luttes ininterrompues et acharnées. Bientôt elle fut, à son tour, liquidée par les autorités bolchevistes qui s'installèrent en Ukraine. À part quelques articles de journaux, la Déclaration de la première conférence du Nabat fut et restera le seul exposé de la tendance unifiante (ou synthétisante) dans le mouvement anarchiste russe.

Les trois idées maîtresses qui, d'après la Déclaration, devraient être acceptées par tous les anarchistes sérieux afin d'unifier le mouvement, sont les suivantes.

1. Admission définitive du principe syndicaliste, lequel indique la vraie méthode de la révolution sociale.

2. Admission définitive du principe communiste (libertaire), lequel établit la base d'organisation de la nouvelle société en formation.

3. Admission définitive du principe individualiste, l'émancipation totale et le bonheur de l'individu étant le vrai but de la révolution sociale et de la société nouvelle.

Tout en développant ces idées, la Déclaration tâche de définir nettement la notion de la révolution sociale et de détruire la tendance de certains libertaires cherchant à adapter, l'anarchisme à la soi-disant période transitoire.

Ceci dit, nous préférons, au lieu de reprendre les arguments de la Déclaration, développer nous-mêmes l'argumentation théorique de la synthèse.

La première question à résoudre est celle-ci.

L'existence de divers courants anarchistes ennemis, se disputant entre eux, est-ce un fait positif ou négatif ? La décomposition de l'idée et du mouvement libertaires en plusieurs tendances s'opposant les unes aux autres, favorise-t-elle ou, au contraire, entrave-t-elle les succès de la conception anarchiste ? Si elle est reconnue favorable, toute discussion est inutile. Si, au contraire, elle est considérée comme nuisible, il faut tirer de cet aveu toutes les conclusions nécessaires.

À cette première question, nous répondons ceci.

Au début, lorsque l'idée anarchiste était encore peu développée, confuse, il fut naturel et utile de l'analyser sous tous ses aspects, de la décomposer, d'examiner à fond chacun de ses éléments, de les confronter, de les opposer les uns aux autres, etc. C'est ce qui a été fait. L'anarchisme fut décomposé en plusieurs éléments (ou courants). Ainsi l'ensemble, trop général et vague, fut disséqué, ce qui aida à approfondir, à étudier à fond aussi bien cet ensemble que ces éléments. A cette époque, le démembrement de la conception anarchiste fut donc un fait positif. Diverses personnes s'intéressant à divers courants de l'anarchisme, les détails et l'ensemble y gagnèrent en profondeur et précision. Mais, par la suite, une fois cette première œuvre accomplie, après que les éléments de la pensée anarchiste (communisme, individualisme, syndicalisme) furent tournés et retournés en tous sens, il fallait penser à reconstituer, avec ces éléments bien travaillés, l'ensemble organique d'où ils provenaient. Après une analyse fondamentale, il fallait retourner (sciemment) à la bienfaisante synthèse.

Fait bizarre : on ne pensa plus à cette nécessité. Les personnes qui s'intéressaient à tel élément donné de l'anarchisme, finirent par le substituer à l'ensemble. Naturellement, elles se trouvèrent bientôt en désaccord et, finalement, en conflit avec ceux qui traitaient de la même manière d'autres parcelles de la vérité entière. Ainsi, au lieu d'aborder l'idée de fusionnement des éléments épars (qui, pris séparément, ne pouvaient plus servir à grand chose) en un ensemble organique, les anarchistes entreprirent pour de longues années la tâche stérile d'opposer haineusement leurs courants les uns aux autres. Chacun considérait son courant, sa parcelle pour l'unique vérité et combattait avec acharnement les partisans des autres courants. Ainsi commença, dans les rangs libertaires, ce piétinement sur place, caractérisé par l'aveuglement et l'animosité mutuelle, qui continue jusqu'à nos jours et qui doit être considéré comme nuisible au développement normal de la conception anarchiste.

Notre conclusion est claire. Le démembrement de l'idée anarchiste en plusieurs courants a rempli son rôle. Il n'a plus aucune utilité. Rien ne peut plus le justifier. Il entraîne maintenant le mouvement dans une impasse, il lui cause des préjudices énormes, il n'offre plus ni ne peut offrir rien de positif. La première période celle où l'anarchisme se cherchait, se précisait et se fractionnait fatalement à cette besogne est terminée. Elle appartient au passé. Il est grand temps d'aller plus loin.

Si l'éparpillement de l'anarchisme est actuellement un fait négatif, préjudiciable, il faut chercher à y mettre fin. Il s'agit de se rappeler l'ensemble entier, de recoller les éléments épars, de retrouver, de reconstruire sciemment la synthèse abandonnée.

Une autre question surgit alors : Cette synthèse, est-elle possible actuellement ? Ne serait-elle pas une utopie ? Pourrait-on lui fournir une certaine base théorique ?

Nous répondons : Oui, une synthèse de l'anarchisme (ou, si l'on veut, un anarchisme synthétique) est parfaitement possible. Elle n'est nullement utopique. D'assez fortes raisons d'ordre théorique parlent en sa faveur.

Notons brièvement quelques-unes de ces raisons, les plus importantes, dans leur suite logique.

1. Si l'anarchisme aspire à la vie, s'il escompte un triomphe futur, s'il cherche à devenir un élément organique et permanent de la vie, une de ses forces actives, fécondantes, créatrices, alors il doit chercher à se trouver le plus près possible de la vie, de son essence, de son ultime vérité. Ses bases idéologiques doivent concorder le plus possible avec les éléments fondamentaux de la vie. Il est clair, en effet, que si les idées primordiales de l'anarchisme se trouvaient en contradiction avec les vrais éléments de la vie et de l'évolution, l'anarchisme ne pourrait être vital. Or, qu'est-ce que la vie ? Pourrait-on, en quelque sorte, définir et formuler son essence, saisir et fixer ses traits caractéristiques ? Oui, on peut le faire. Il s'agit, certes, non pas d'une formule scientifique de la vie, B formule qui n'existe pas, B mais d'une définition plus ou moins nette et juste de son essence visible, palpable, concevable. Dans cet ordre d'idée, la vie est, avant tout, une grande synthèse : un ensemble immense et compliqué, ensemble organique et original, de multiples éléments variés.

2. La vie est une synthèse. Quelles sont donc l'essence et l'originalité de cette synthèse ? L'essentiel de la vie est que la plus grande variété de ses éléments qui se trouvent de plus en un mouvement perpétuel réalise en même temps, et aussi perpétuellement, une certaine unité ou, plutôt, un certain équilibre. L'essence de la vie, l'essence de la synthèse sublime, est la tendance constante vers l'équilibre, voire la réalisation constante d'un certain équilibre, dans la plus grande diversité et dans un mouvement perpétuel (notons que l'idée d'un équilibre de certains éléments comme étant l'essence biophysique de la vie se confirme par des expériences scientifiques physico-chimiques).

3. La vie est une synthèse. La vie (l'univers, la nature) est un équilibre (une sorte d'unité) dans la diversité et dans le mouvement (ou, si l'on veut, une diversité et un mouvement en équilibre). Par conséquent, si l'anarchisme désire marcher de pair avec la vie, s'il cherche à être un de ses éléments organiques, s'il aspire à concorder avec elle et aboutir à un vrai résultat, au lieu de se trouver en opposition avec elle pour être finalement rejeté, il doit, lui aussi, sans renoncer à la diversité ni au mouvement, réaliser aussi, et toujours, l'équilibre, la synthèse, l'unité.

Mais il ne suffit pas d'affirmer que l'anarchisme peut être synthétique : il doit l'être. La synthèse de l'anarchisme n'est pas seulement possible, pas seulement souhaitable : elle est indispensable. Tout en conservant la diversité vivante de ses éléments, tout en évitant la stagnation, tout en acceptant le mouvement conditions essentielles de sa vitalité l'anarchisme doit chercher, en même temps, l'équilibre dans cette diversité et ce mouvement même.

La diversité et le mouvement sans équilibre, c'est le chaos. L'équilibre sans diversité ni mouvement, c'est la stagnation, la mort. La diversité et le mouvement en équilibre, telle est la synthèse de la vie. L'anarchisme doit être varié, mouvant et, en même temps, équilibré, synthétique, uni. Dans le cas contraire, il ne sera pas vital.

4. Notons, enfin, que le vrai fond de la diversité et du mouvement de la vie (et partant de la synthèse) est la création, c'est-à-dire la production constante de nouveaux éléments, de nouvelles combinaisons, de nouveaux mouvements, d'un nouvel équilibre. La vie est une diversité créatrice. La vie est un équilibre dans une création ininterrompue. Par conséquent, aucun anarchiste ne pourrait prétendre que son courant est la vérité unique et constante, et que toutes les autres tendances dans l'anarchisme sont des absurdités. Il est, au contraire, absurde qu'un anarchiste se laisse engager dans l'impasse d'une seule petite vérité, la sienne, et qu'il oublie ainsi la grande vérité réelle de la vie : la création perpétuelle de formes nouvelles, de combinaisons nouvelles, d'une synthèse constamment renouvelée.

La synthèse de la vie n'est pas stationnaire : elle crée, elle modifie constamment ses éléments et leurs rapports mutuels.

L'anarchisme cherche à participer, dans les domaines qui lui sont accessibles, aux actes créateurs de la vie.

Par conséquent, il doit être, dans les limites de sa conception, large, tolérant, synthétique, tout en se trouvant en mouvement créateur.

L'anarchiste doit observer attentivement, avec perspicacité, tous les éléments sérieux de la pensée et du mouvement libertaires.

Loin de s'engouffrer dans un seul élément quelconque, il doit chercher l'équilibre et la synthèse de tous ces éléments donnés.

Il doit, de plus, analyser et contrôler constamment sa synthèse, en la comparant avec les éléments de la vie elle-même, afin d'être toujours en harmonie parfaite avec cette dernière. En effet, la vie ne reste pas sur place, elle change. Et, par conséquent, le rôle et les rapports mutuels de divers éléments de la synthèse anarchiste ne resteront pas toujours les mêmes : dans divers cas, ce sera tantôt l'un, tantôt l'autre de ces éléments qui devra être souligné, appuyé, mis en action.

Quelques mots sur la réalisation concrète de la synthèse.

1. Il ne faut jamais oublier que la réalisation de la révolution, que la création des formes nouvelles de la vie incomberont non pas à nous, anarchistes isolés ou groupés idéologiquement, mais aux vastes masses populaires qui, seules, seront à même d'accomplir cette immense tâche destructive et créatrice. Notre rôle, dans cette réalisation, se bornera à celui d'un ferment, d'un élément de concours, de conseil, d'exemple. Quant aux formes dans lesquelles ce processus s'accomplira, nous ne pouvons que les entrevoir très approximativement. Il est d'autant plus déplacé de nous quereller pour des détails, au lieu de nous préparer, d'un élan commun, à l'avenir.

2. Il n'est pas moins déplacé de réduire toute l'immensité de la vie, de la révolution, de la création future, à de petites idées de détail et à des disputes mesquines. Face aux grandes tâches qui nous attendent, il est ridicule, il est honteux de nous occuper de ces mesquineries. Les libertaires devront s'unir sur la base de la synthèse anarchiste. Ils devront créer un mouvement anarchiste uni, entier, vigoureux. Tant qu'ils ne l'auront pas créé, ils resteront en dehors de la vie.

Dans quelles formes concrètes pourrions-nous prévoir la réconciliation, l'unification des anarchistes et, ensuite, la création d'un mouvement libertaire unifié ?

Nous devons souligner, avant tout, que nous ne nous représentons pas cette unification comme un assemblage mécanique des anarchistes de diverses tendances en une sorte de camp bigarré où chacun resterait sur sa position intransigeante. Une telle unification serait non pas une synthèse mais un chaos. Certes, un simple rapprochement amical des anarchistes de diverses tendances et une plus grande tolérance dans leurs rapports mutuels (cessation d'une polémique violente, collaboration dans des publications anarchistes, participation aux mêmes organismes actifs, etc., etc.) seraient un grand pas en avant par rapport à ce qui se passe actuellement dans les rangs libertaires. Mais nous considérons ce rapprochement et cette tolérance comme, seulement, le premier pas vers la création de la vraie synthèse anarchiste et d'un mouvement libertaire unifié. Notre idée de la synthèse et de l'unification va beaucoup plus loin. Elle prévoit quelque chose de plus fondamental, de plus organique.

Nous croyons que l'unification des anarchistes et du mouvement libertaire devra se poursuivre, parallèlement, en deux sens, notamment :

! Il faut commencer immédiatement un travail théorique cherchant à concilier, à combiner, à synthétiser nos diverses idées paraissant, à première vue, hétérogènes. Il est nécessaire de trouver et de formuler dans les divers courants de l'anarchisme, d'une part, tout ce qui doit être considéré comme faux, ne coïncidant pas avec la vérité de la vie et devant être rejeté ; et, d'autre part, tout ce qui doit être constaté comme étant juste, appréciable, admis. Il faut, ensuite, combiner tous ces éléments justes et de valeur, en créant avec eux un ensemble synthétique (c'est surtout dans ce premier travail préparatoire que le rapprochement des anarchistes de diverses tendances et leur tolérance mutuelle pourraient avoir la grande importance d'un premier pas décisif). Et, enfin, cet ensemble devra être accepté par tous les militants sérieux et actifs de l'anarchisme comme base de la formation d'un organisme libertaire uni, dont les membres seront ainsi d'accord sur un ensemble de thèses fondamentales acceptées par tous.

Nous avons déjà cité l'exemple concret d'un tel organisme : la confédération Nabat, en Ukraine. Ajoutons ici à ce que nous avons déjà dit plus haut que l'acceptation par tous les membres du Nabat de certaines thèses communes n'empêchaient nullement les camarades de diverses tendances d'appuyer surtout, dans leur activité et leur propagande, les idées qui leur étaient chères. Ainsi, les uns (les syndicalistes) s'occupaient surtout des problèmes concernant la méthode et l'organisation de la révolution ; les autres (communistes) s'intéressaient de préférence à la base économique de la nouvelle société ; les troisièmes (individualistes) faisaient ressortir spécialement les besoins, la valeur réelle et les aspirations de l'individu. Mais la condition obligatoire d'être accepté au Nabat était l'admission de tous les trois éléments comme parties indispensables de l'ensemble et le renoncement à l'état d'hostilité entre les diverses tendances. Les militants étaient donc unis d'une façon organique, car, tous, ils acceptaient un certain ensemble de thèses fondamentales. C'est ainsi que nous nous représentons l'unification concrète des anarchistes sur la base d'une synthèse des idées libertaires théoriquement établie.

! Simultanément et parallèlement au dit travail théorique, devra se créer l'organisation unifiée sur la base de l'anarchisme compris synthétiquement.

Pour terminer, soulignons encore une fois que nous ne renonçons nullement à la diversité des idées et des courants au sein de l'anarchisme. Mais il y a diversité et diversité. Celle, notamment, qui existe dans nos rangs aujourd'hui est un mal, est un chaos. Nous considérons son maintien comme une très lourde faute. Nous sommes d'avis que la variété de nos idées ne pourra être et ne sera un élément progressif et fécond qu'au sein d'un mouvement commun, d'un organisme uni, édifié sur la base de certaines thèses générales admises par tous les membres et sur l'aspiration à une synthèse.

Ce n'est que dans l'ambiance d'un élan commun, ce n'est que dans les conditions de recherches de thèses justes et de leur acceptation, que nos aspirations, nos discussions et même nos disputes auront de la valeur, seront utiles et fécondes (c'était précisément ainsi au Nabat). Quant aux disputes et aux polémiques entre de petites chapelles prêchant chacune sa vérité unique, elles ne pourront aboutir qu'à la continuation du chaos actuel, des querelles intestines interminables et de la stagnation du mouvement.

Il faut discuter en s'efforçant de trouver l'unité féconde, et non pas d'imposer à tout prix sa vérité contre celle d'autrui. Ce n'est que la discussion du premier genre qui mène à la vérité. Quant à l'autre discussion, elle ne mène qu'à l'hostilité, aux vaines querelles et à la faillite.

Voline


VOLINE [EICHENBAUM, Vsévolod, Mikhailovitch dit]
Né le 11 août 1882 à Tikhvine (Russie) - mort le 18 septembre 1945 - Nabat – Makhnovtschina – FAF - – Petrograd & Ukraine – Paris – USA – Berlin - Marseille (Bouches du Rhône)

http://militants-anarchistes.info/spip.php?article11642

Vsévolod Mikhaïlovitch Eichenbaum naquit dans une famille aisée. Son grand-père était un mathématicien et poète réputé. Son père Michel et sa mère Nadejda Glotova étaient médecins. Ils confièrent leurs enfants à une gouvernante et donnèrent à Vsévolod et à son frère Boris (qui devait devenir un célèbre chroniqueur littéraire, membre de l’Union des écrivains soviétiques) une solide formation. Il effectua ses études secondaires au collège « High School » de Voronej et parlait couramment le français et l’allemand avant d’entrer à l’université.

C’est à la faculté de droit de Saint-Pétersbourg qu’il s’imprégna des idées du mouvement révolutionnaire russe.
En 1901, il rompit avec ses parents et abandonna ses études, alors qu’il allait devenir avocat. Pour vivre, il donna des cours et, parallèlement, anima un cercle d’instruction pour ouvriers. Lorsque éclata la révolution de 1905, comme il l’expliqua dans La Révolution inconnue, il participa à l’insurrection et à la formation du premier soviet, constitué le 10 janvier 1905 pour recueillir des fonds en faveur des victimes de la répression. Il en refusa la présidence, estimant que ce rôle devait être rempli par un ouvrier et non par un intellectuel. Ce fut à cette époque qu’il prit le pseudonyme de Voline. Par la suite, il adhéra au Parti socialiste-révolutionnaire. Il donna au parti l’héritage de son père, considérant que ce bien était la propriété de tous. En 1906, il participa à l’insurrection de Cronstadt. Arrêté pour son activité révolutionnaire, Voline fut emprisonné à la forteresse Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg puis déporté en Sibérie d’où il s’échappa en 1907.

Vsévolod Eichenbaum se réfugia alors en France. Pendant ce premier exil, il fréquenta les cercles anarchistes-communistes et, vers 1911-1912, devint anarchiste. En 1913, il fit partie du Comité d’action international contre la guerre. Risquant une arrestation et l’expulsion, il quitta clandestinement la France pour les États-Unis, s’embarquant le 6 août 1916 à Bordeaux, comme soutier.

Durant son séjour en France, il avait rencontré sa première compagne, Tatiana Solopova, membre du Parti socialiste-révolutionnaire, qui mourut en 1915, avec laquelle il eut deux enfants : Igor, né le 2 septembre 1910, qui fit partie de l’escadrille Normandie-Niemen pendant la Seconde Guerre mondiale, et Georges, né le 22 janvier 1912. Avec sa seconde compagne Anna Grigoriev, il eut quatre enfants : Natacha, née le 15 août 1915, Léo, né le 4 janvier 1917 – ce dernier est resté le plus proche des idées de son père, puisqu’il fut dynamitero dans une colonne anarchiste sur le front de Teruel et qu’il dessina dans Terre Libre –, Alexandre, né le 4 mars 1919, parti lui aussi en Espagne, et Dimitri, né le 30 octobre 1925.

Une fois arrivé aux États-Unis, Vsévolod Eichenbaum fit des conférences sur la Révolution de 1905 et collabora à Goloss Trouda (la Voix du travail), organe de l’Union des ouvriers russes des États-Unis et du Canada, forte de 10 000 adhérents. Puis il rentra en Russie grâce à la Croix-rouge anarchiste, organisée par Rudolf Rocker et Schapiro. Lors de son voyage de retour vers la Russie entre mai et juin 1917, il édita un journal ronéotypé : Poplavok (le Flotteur).

Arrivé en Russie, Voline se rendit à Petrograd. Il géra Goloss Trouda devenu l’organe de l’Union pour la propagande anarcho-syndicaliste. D’abord hebdomadaire, le journal devint quotidien avant d’être interdit par les bolcheviks. Au printemps 1918, Voline condamna violemment le traité de Brest-Litovsk, « coup d’arrêt à la révolution ». Il quitta Pétrograd, démissionna de son poste au journal, en disant « lorsque j’appelle la foule au combat, je dois marcher avec elle », et partit pour le front en compagnie de militants anarchistes afin de lutter contre les armées de Dénikine. De retour du front, il séjourna quelque temps à Moscou. Après avoir refusé un poste de directeur à l’éducation, Voline quitta la capitale pour l’Ukraine, où il savait retrouver sa compagne et ses quatre enfants. Il fonda la Confédération Nabat (le Tocsin), organisation qui regroupait les trois tendances historiques de l’anarchisme (individualisme, communisme et syndicalisme). Le quartier général de l’organisation était situé à Bobrow et Voline travailla au soviet de la ville, gérant les problèmes d’éducation et de culture, ainsi que la rédaction du journal Nabat. Une fois celle-ci transférée à Koursk, Voline s’y rendit et assista aux assises de la Confédération Nabat, le 5 janvier 1919.

Durant l’été 1919, il rejoignit le mouvement makhnoviste et s’occupa dans un premier temps d’éducation, de culture, d’organisation de meetings, de conférences et d’éditions. Il fit quatre cents conférences durant la Révolution russe. En août 1919, il fut nommé président du conseil militaire insurrectionnel. Victime du typhus, il se dirigea vers Moscou pour y être soigné et fut arrêté par la 14e Armée rouge, remis à la Tchéka et emprisonné. Libéré en octobre 1920, grâce à l’accord passé entre Makhno et les bolcheviks, il fut de nouveau emprisonné le 24 décembre 1920 ainsi que l’ensemble des responsables de Nabat, qui devaient tenir leur congrès le jour suivant. Voline commença alors une grève de la faim qui dura dix jours, avec d’autres militants dont Maximov et Flechine. Condamné à mort, il dut sa libération à l’intervention des délégués syndicalistes révolutionnaires venus assister aux travaux préparatoires à la fondation de l’Internationale syndicale rouge.

Finalement banni et expulsé vers l’Allemagne, il fut pris en charge par la section berlinoise de l’Union libre des ouvriers d’Allemagne (FAUD). Courant 1922, Voline participa à la rédaction de la brochure La Répression de l’anarchisme en Russie soviétique. Mettant à profit ses capacités linguistiques, il la traduisit en français, de même qu’il traduisit le livre d’Archinov Histoire du mouvement makhnoviste qu’il préfaça. Il apporta aussi sa collaboration à plusieurs journaux anarchistes français. Dans le Libertaire, il lava Nestor Makhno des accusations d’antisémitisme lancées contre lui par Joseph Kessel dans son roman Les Cœurs purs et, dans la Revue anarchiste, il témoigna sur l’expérience soviétique (articles publiés sous le titre Choses vécues). Pendant son séjour à Berlin, Voline rédigea l’hebdomadaire Rabotchee anarkhist (l’Ouvrier anarchiste), « revue d’expression anarcho-synthésiste ».

En 1925, à la demande de Sébastien Faure, il vint en France et vécut 85 cité-jardin à Gennevilliers (Seine). Il adhéra au Groupe d’études sociales et traduisit le texte d’Archinov, Plateforme d’organisation de quelques anarchistes russes en exil. Ce texte suscita de vives protestations, qui marquèrent le début, dans le mouvement libertaire, d’un débat sur le mode d’organisation devant être adopté. Voline et sept autres militants russes répondirent à ce projet en soulignant les dangers d’avant-gardisme et de « bolchévisation », dans Réponse de quelques anarchistes russes à la plateforme. La Plateforme partait du constat d’échec du mouvement anarchiste. Elle voulait être, au nom de l’efficacité, le groupement de la tendance anarcho-communiste qui, avec une ligne définie, devait créer une homogénéité idéologique et tactique. Elle fut condamnée par la quasi-unanimité des militants importants dans le mouvement anarchiste international. Voline réaffirma la nécessité de la « synthèse », pensant que les querelles de tendances étaient néfastes à l’organisation anarchiste qui avait besoin de l’ensemble de ses courants de pensée : le syndicalisme comme méthode pour la révolution, le communisme comme base d’organisation et l’individualisme comme but de développement personnel. Ces visions devaient s’enrichir mutuellement par le débat. Ce conflit idéologique mit fin à ses relations d’amitié avec Nestor Makhno dont il avait traduit et préfacé les mémoires.

Dans le même temps, Voline collabora à des réalisations de la synthèse anarchiste. Il rédigea plusieurs articles pour l’Encyclopédie anarchiste : Anti-étatisme, Autorité, État, Biologie, Création, Déterminisme, Lutte de classes, Matérialisme historique, Soviet, Nihilisme, Pogrome, Antisémitisme et Synthèse anarchiste. L’article sur la Révolution russe fut repris dans un tiré à part intitulé La Véritable révolution sociale, composé des articles de Sébastien Faure, Victor Méric et L. Barbedette.

En 1934, il rédigea le Fascisme rouge (éditions Pensée et Action), brochure dans laquelle il comparait fascisme et bolchevisme, ces systèmes ayant en commun l’idée « de mener les masses par une « minorité », par un parti politique, un dictateur ». Voline se rapprocha d’André Prudhommeaux et collabora régulièrement à Terre libre en écrivant des articles sur la Russie et la répression dans ce pays. Il rejoignit la Fédération anarchiste de langue française (FAF), fondée à Toulouse les 15 et 16 août 1936. Il anima des groupes : la Synthèse anarchiste et le groupe du IIIe arrondissement de Paris. Il résidait alors 22 square Jean Thébaud à Paris 15ème et figurait sur la liste de vérification de domiciles d’anarchistes en région parisienne.

Lorsque la Révolution espagnole éclata, Voline fit partie des animateurs du Comité de défense du prolétariat espagnol. Ce comité, composé de militants de l’Union anarchiste, de la CGT-SR et de la FAF se scinda, la FAF et la CGT-SR fondant le Comité anarcho-syndicaliste. Alors que Prudhommeaux se rendit à Barcelone pour assurer la publication des sept premiers numéros de l’Espagne antifasciste, Voline géra la version française du journal, qui fut ensuite publié à Paris, puis sous le nom d’Espagne nouvelle à Nîmes, en alternance avec Terre Libre – Voline avait été mandaté par le congrès de Lyon de la FAF de 1937, comme membre du comité de rédaction. La FAF s’attira les reproches des dirigeants de la CNT-FAI pour ses attaques « contre tous les dirigeants de la CNT-FAI qui trahissent notre cause ». Elle se rapprocha de la Fédération ibérique des Jeunesses libertaires et des militants de la FAI critiquant la « collaboration de classes ». En 1938, Voline fit paraître aux Cahiers de Terre libre qui avaient pris le titre Vie et Pensée, une brochure La Révolution est en marche dans laquelle il expliquait que l’Europe connaissait une phase de destruction barbare commencée avec la guerre de 1914 et qui se terminerait par la révolution sociale.

Avec l’invasion nazie, Voline, allait vivre dans des conditions matérielles très difficiles et dut faire face à un triple danger en raison de son militantisme, de ses origines juives et enfin de son appartenance à la Franc-maçonnerie. A Paris, il était membre de la loge Clarté du Grand Orient de France – il avait été initié le 27 janvier 1930 et était devenu maître le 22 mars 1932 – puis de la loge Parfaite-union à Marseille, où il s’était installé entre temps. Dans un rapport de police daté du 17 décembre 1940, il fut soupçonné d’avoir été l’inspirateur d’un tract clandestin intitulé Peuple et signé « Anarchistes révolutionnaires », prenant la défense des juifs et des francs-maçons, tract distribué à Paris en novembre 1940. Toujours selon la police, ce tract avait inquiété les anciens membres de l’Union anarchiste dont Fernand Fortin, qui ne jugeaient « pas le moment favorable à la reprise d’une propagande active » et redoutaient qu’à « la faveur d’une publication clandestine de factums leur échappant, des mesures d’ordre général soient prises à l’égard des anarchistes parisiens » (cf. rapport du 17 décembre 1940).

A partir de décembre 1941, avec André Arru, Voline, dont la deuxième compagne était morte à Aix-en-Provence le 15 décembre 1939, anima à Marseille un groupe anarchiste international composé d’un Tchèque, d’Espagnols, d’Italiens et de Français. Tous deux rédigèrent des tracts et une brochure : Les Coupables, un journal la Raison, ainsi que des affiches : Mort aux vaches et A tous les travailleurs de la pensée et des bras. Cette propagande fut effectuée sous le sigle Fédération internationale syndicaliste-révolutionnaire et, malgré son âge, Voline apporta son concours aux collages et distributions de tracts organisés.

A la Pentecôte 1943, Voline participa avec Arru et Laisant au congrès anarchiste clandestin de Toulouse, puis l’année suivante (octobre 1944), il se rendit à Agen, au congrès de préparation de la future Fédération anarchiste. Bien que malade, il acheva la rédaction de son œuvre majeure : La Révolution inconnue, préfacée par Gustave Franssen et assura la rédaction de quatre brochures intitulées Les Petits cahiers, publiées sous l’égide de la Fédération libertaire Région-Sud. Il était alors hébergé à La Treille (Marseille) par le compagnon espagnol F. Botey

Voline mourut à Paris le 18 septembre 1945, à l’hôpital Laennec, de tuberculose, maladie contractée à la suite de ses emprisonnements. Il fut incinéré au Père-Lachaise en présence de nombreux militants anarchistes.
"Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs." (N. Makhno)
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Re: Voline -> la révolution inconnue

Messagede vroum le Sam 4 Avr 2015 08:36

BERTHIER (René) - À propos des 80 ans de la Révolution Russe
mars 2007
Source: Fédération Anarchiste


La révolution russe provoqua un traumatisme dans le mouvement libertaire international dont, pensons-nous, il ne s’est pas encore remis.

Le soutien que certains anarchistes russes avaient apporté aux bolcheviks était fondé à l’origine sur le rejet par ces derniers de l'héritage parlementariste de la social-démocratie. Il leur avait tout d’abord semblé que c'étaient les bolcheviks qui s'étaient ralliés à leurs positions. Bien que ces illusions furent de courte durée, les libertaires russes continuèrent de soutenir le régime contre les menaces de rétablissement de l’ordre antérieur.

Il y a cependant un contraste curieux entre la rapidité et la pertinence avec laquelle les anarchistes analysèrent la nature du régime, les résolutions du mouvement anarcho-syndicaliste en font foi, et l’absence de réaction organisée et cohérente du mouvement en Russie, alors même que pendant ce temps les libertaires ukrainiens développaient à la fois une lutte armée et des réalisations constructives au niveau de l’organisation économique. Les choses se passent comme si, au sein de l’anarchisme russe, il n’y avait pas eu de relais avec les combats des anarchistes ukrainiens. " Que l’on imagine ce qu’une organisation du type de l’Alliance bakouninienne aurait pu réaliser, dit Alexandre Skirda : adopter un point de vue général, le faire connaître, définir une ligne de conduite pratique et la mettre en oeuvre. " (1)

L’après-révolution russe provoqua, directement ou indirectement, dans le mouvement anarchiste et anarcho-syndicaliste international trois types de réactions.

La synthèse anarchiste

La première fut la " synthèse anarchiste " de Sébastien Faure, reprise par Voline. Constatant les divisions internes, tant théoriques qu’organisationnelles, du mouvement anarchiste en Russie, Voline propose une synthèse des différents courants du mouvement : anarchiste-communiste, anarcho-syndicaliste, individualiste (2). Ces courants sont apparentés et proches les uns des autres, dit Voline, ils n’existent qu'à cause d’un malentendu artificiel. Il faut donc faire une synthèse théorique et philosophique des doctrines sur lesquelles ils reposent, après quoi on pourra en faire la fusion et envisager la structure et les formes précises d’une organisation représentant ces trois tendances.

Le premier commentaire qu’on pourrait faire est que l’approche de Faure et de Voline ressemble fort à de l'éclectisme, c’est-à-dire cette démarche qui consiste à prendre dans diverses doctrines ce qu’elles sont censées avoir de meilleur en laissant le reste, et à en faire un " cocktail ". Cette démarche, que Bakounine attaque férocement chez Victor Cousin, est qualifiée de " plat métaphysique " et de " vinaigrette philosophique ".

Ensuite, une synthèse n’est pas une fusion. Faire la synthèse de plusieurs idées consiste à envisager ce qu’elles ont de commun, d’opposé, et ensuite de dépasser ces concordances et ces oppositions. Une synthèse, c’est quelque chose d’autre, différent en nature, des éléments qui la composent. Si une synthèse des éléments qui composent l’anarchisme était envisageable, on n’aurait pas une adjonction de ces éléments qui cohabiteraient grâce à la " tolérance " qu’ils auraient l’un pour l’autre, mais quelque chose d’essentiellement différent, ce qui n’a jamais été le cas dans les organisations se réclamant de la synthèse.

La plate-forme d’Archinov

Si Archinov ne fut pas le seul à s’interroger sur l'échec du mouvement anarchiste russe, il fut l’un des seuls à tenter d’en tirer les conclusions pratiques. Il fit en tout cas une critique impitoyable du mouvement. Certes, Archinov fait le constat qu'" aucune théorie politico-sociale n’aurait pu se fondre aussi harmonieusement avec l’esprit et l’orientation de la révolution. Les interventions d’orateurs anarchistes en 1917 étaient écoutées avec une confiance et une attention rare par les travailleurs ". Mais, dit-il, " il aurait pu sembler que l’union du potentiel révolutionnaire des ouvriers et des paysans, et de la puissance idéologique et tactique de l’anarchisme, représenterait une force à laquelle rien n’aurait pu s’opposer. Malheureusement, cette fusion n’eut pas lieu. Des anarchistes isolés menèrent parfois une activité révolutionnaire intense au sein des travailleurs, mais il n’y eut pas d’organisation anarchiste de grande ampleur pour mener des actions plus suivies et coordonnées (en dehors de la Confédération du Nabat et de la Makhnovchtchina en Ukraine). Seule une telle organisation aurait pu lier idéologiquement les anarchistes et les millions de travailleurs. " (3)

Malheureusement, dit encore Archinov, les anarchistes se bornèrent pour la plupart à des activités limitées de petits groupes, ils ne sortirent pas de leur coquille groupusculaire, " au lieu de s’orienter vers des actions et des mots d’ordre politiques de masse ". Ils préférèrent " se noyer dans la mer de leurs querelles intestines " et ne tentèrent pas une seule fois " de poser et de résoudre le problème d’une politique et d’une tactique communes de l’anarchisme ". " Par cette carence, ils se condamnèrent à l’inaction et à la stérilité pendant les moments les plus importants de la Révolution sociale ".

Les causes de cet état catastrophique résident dans l'éparpillement du mouvement, la désorganisation, l’absence d’une tactique collective qui ont presque toujours " été érigés en principes chez les anarchistes ". Cette expérience tragique a " mené les masses laborieuses à la défaite ". Les masses laborieuses sont instinctivement attirées par l’anarchisme, " mais elles n'oeuvreront avec le mouvement anarchiste que lorsqu’elles seront convaincues de sa cohérence théorique et organisationnelle ".

Dans un autre texte, Archinov réfute l’idée que seule la répression du pouvoir a empêché l’anarchisme de se développer en Russie. La répression bolchevique ne fut qu’une des causes, l’autre étant " l’absence d’un programme pratique déterminé au lendemain de la révolution " (4).

Réfugié à Berlin, Archinov édite Le Messager anarchiste, en russe, dont sept numéros paraissent entre 1923 et 1924. Makhno et Archinov décident de s’installer à Paris où ils fondent la revue Dielo Trouda. En 1926, ils publient un projet de plate-forme organisationnelle pour une Union générale des anarchistes, connue sous le nom de " plate-forme d’Archinov ", mais qui est l'oeuvre d’un collectif de militants. Toute la production du groupe à l'époque va consister à faire l’analyse critique de l’intervention des anarchistes pendant la révolution et à proposer des solutions, valables non seulement pour la Russie mais aussi pour le mouvement international. La principale raison de l'échec du mouvement anarchiste réside dans " l’absence de principes fermes et d’une pratique organisationnelle conséquente ". C’est pourquoi il est indispensable que soit élaboré un programme homogène et cohérent.

La plate-forme se subdivise en trois parties :

* Une partie générale établissant les principes fondamentaux du communisme libertaire ;
* Une partie constructive concernant les problèmes de la production, de la consommation, de la défense de la révolution;
* Une partie consacrée aux principes généraux de l’organisation anarchiste, la nécessité de la cohérence idéologique, tactique, la responsabilité collective, le fédéralisme, etc.

Malatesta rédigea une Réponse à la plate-forme dans laquelle il déclare que les camarades russes sont " obsédés du succès des bolchevistes dans leur pays ; ils voudraient, à l’instar des bolchevistes, réunir les anarchistes en une sorte d’armée disciplinée qui, sous la direction idéologique et pratique de quelques chefs, marchât, compacte, à l’assaut des régimes actuels et qui, la victoire matérielle obtenue, dirigeât la constitution de la nouvelle société " (5).

Les opposants à la plate-forme font en réalité une confusion. Pour quiconque ne se contente pas d'à-peu-près et de préjugés, et se donne la peine d’entrer dans le système bolchevik pour le comprendre, il n’y a aucune possibilité de l’assimiler aux positions défendues par Archinov et Makhno, quelles que soient les divergences qu’on puisse avoir avec ces militants par ailleurs. Il y a cependant un point de rencontre, qui ne tient pas à la similitude essentielle des deux optiques, mais à la similitude des conditions objectives à partir desquelles ces deux optiques ont été élaborées, c’est-à-dire une société semi-féodale sous-industrialisée. Bolchevisme et " plate-formisme " sont tous deux le produit d’un même environnement, ce qui ne signifie en rien qu’ils sont équivalents, mais signifie à coup sûr qu’ils sont inadéquats à une société industrielle développée et à une classe ouvrière nombreuse et organisée. Il y a de fortes probabilités que le " plate-formisme ", s’il était devenu hégémonique dans la classe ouvrière occidentale, lui aurait fait subir une régression de même ampleur que ne l’a fait le bolchevisme.

Les réponses à la plate-forme

Ce sont essentiellement les principes organisationnels de la plate-forme qui choquèrent les principaux porte-parole du mouvement anarchiste européen, principes pourtant très vaguement exposés. Archinov déclare en effet qu’il " ne peut y avoir de droits sans obligations, comme il ne peut y avoir de décisions sans leur exécution ". Le fait qu’une décision doive être appliquée une fois qu’elle a été collectivement décidée semble être compris comme une atteinte à la liberté et à l’indépendance individuelle. Le principe de la responsabilité collective est férocement attaqué, c’est-à-dire l’idée que chaque militant de l’organisation représente cette organisation dans ses actes et est responsable devant elle, de même que l’organisation est l’expression des militants individuels.

Une relecture attentive de la " plate-forme " ne révèle rien que de très banal pour quiconque est adhérent d’une banale association, rien qui prête à la diabolisation. L’insistance d’Archinov sur le fait que la " plate-forme " était un projet négociable dont certains aspects pouvaient être adaptés aurait pu rassurer les anarchistes de l'époque. L'historien qui s’interrogera sur le rejet de cette plate-forme par le mouvement anarchiste des années 20 devra sans doute examiner de près quelle était la composition sociologique du mouvement à l'époque, à quelle type d’activité il se consacrait, et dans quels milieux. Le militant qui relit ce document aujourd'hui se plaît à se demander pourquoi diable Archinov et Makhno se sont exilés en France plutôt qu’en Espagne (6)...

La démarche d’Archinov apparaît incontestablement comme une réaction de classe d’un militant ouvrier révolutionnaire face à des petits-bourgeois : dans le numéro 23-24 de la revue, il écrit que " les auteurs de la plate-forme partaient du fait de la multiplicité des tendances contradictoires dans l’anarchisme, non pas pour se donner la tâche de les unir en un tout, ce qui est absolument impossible, mais d’effectuer une sélection idéologique et politique des forces homogènes de l’anarchisme et en même temps de se différencier des éléments chaotiques, petits-bourgeois (libéraux) et sans racines de l’anarchisme ".

L’accent mis sur l’aspect " autoritaire ", sur l’essence " bolchevique " de la plate-forme masque son contenu réel. Partisans de la plate-forme et partisans de la synthèse, focalisés sur les divergences qui les opposaient, ont ainsi évité de constater certains points essentiels qui les unit et sont ainsi passés à côté du véritable débat. En somme les désaccords entre partisans de la plate-forme et les partisans de la synthèse sont moins grands que ce qui les unit.

Ainsi, Malatesta reconnaît qu’il est " urgent que les anarchistes s’organisent pour influer sur la marche que suivent les masses dans leur lutte pour les améliorations et l'émancipation " ; il reconnaît également que " la plus grande force de transformation sociale est le mouvement ouvrier (mouvement syndical) " et que " de sa direction dépend, en grande partie, le cours que prendront les événements et le but auquel arrivera la prochaine révolution ". C’est pourquoi " les anarchistes doivent reconnaître l’utilité et l’importance du mouvement syndical, ils doivent en favoriser le développement et en faire un des leviers de leur action ". Mais, dit Malatesta, " ce serait une illusion funeste que de croire, comme beaucoup le font, que le mouvement ouvrier aboutira de lui-même, en vertu de sa nature même, à une telle révolution ". Il en découle " la pressante nécessité d’organisations proprement anarchistes, qui, à l’intérieur comme en dehors des syndicats, luttent pour l’intégrale réalisation de l’anarchisme et cherchent à stériliser tous les germes de corruption et de réaction ".

La plate-forme ne dit rien d’autre. " En unissant les ouvriers sur la base de la production, le syndicalisme révolutionnaire, comme du reste tout groupement professionnel, n’a pas de théorie déterminée ; il n’a pas une conception du monde répondant à toutes les questions sociales et politiques compliquées de la réalité contemporaine. Il reflète toujours l’idéologie de divers groupements politiques, de ceux notamment qui oeuvrent le plus intensément dans ses rangs. " C’est pourquoi les auteurs de la plate-forme estiment que " les anarchistes doivent participer au syndicalisme révolutionnaire comme l’une des formes du mouvement ouvrier révolutionnaire ". " Considérant le syndicalisme révolutionnaire uniquement comme un mouvement professionnel de travailleurs n’ayant pas une théorie sociale et politique déterminée et, par conséquent, étant impuissant à résoudre par lui-même la question sociale, nous estimons que la tâche des anarchistes dans les rangs de ce mouvement consiste à y développer les idées libertaires, à le diriger dans un sens libertaire, afin de le transformer en une armée active de la révolution sociale ".

De leur côté les anarcho-syndicalistes ne niaient pas qu’un mouvement syndical sans doctrine n'était qu’une masse de manoeuvre pour les organisations politiques. Ils proposaient un autre modèle, fondé sur un autre type de rapport entre minorité révolutionnaire et organisation de classe. Ce modèle existait déjà depuis 15 ans en Espagne, et il était en train de se mettre en place en France précisément au même moment où la plate-forme d’Archinov était publiée. Ce modèle était fondé sur le constat que le mouvement anarchiste ne peut avoir une existence de masse que lorsqu’il crée lui-même une organisation de masse.

La réponse syndicale

Des syndicalistes révolutionnaires et des anarcho-syndicalistes contribueront à la formation du parti communiste en France. Certains d’entre eux le quitteront assez rapidement. Monatte, Rosmer et Delagarde seront exclus en décembre 1924. Il faut garder à l’esprit un fait qui a été peu souligné : pour beaucoup, la révolution russe était le prélude à l’extension de la révolution en Europe. Dans cette perspective, soutenir la révolution russe, quel qu’en fût le caractère, était vital. " La révolution cessera bientôt d'être russe pour devenir européenne ", écrit Monatte à Trotski le 13 mars 1920. Tom Mann, un syndicaliste révolutionnaire britannique (et fondateur en 1921 du parti communiste britannique), dira les choses clairement : " Bolchevisme, spartakisme, syndicalisme révolutionnaire, tout cela signifie la même chose sous des noms différents. " Nombre de militants syndicalistes révolutionnaires ne virent pas de différence entre les soviets et les bourses du travail, qui de fait remplissaient le même office : rassembler les travailleurs, et par extension la population laborieuse d’une localité sur des bases interprofessionnelles.

Il y avait, outre l’anti-parlementarisme (7), nombre de similitudes entre les positions du syndicalisme révolutionnaire et celles des bolcheviks, qui expliquent l’adhésion de certains militants au communisme. Ces similitudes seront surtout soulignées par les bolcheviks eux-mêmes, soucieux d’attirer à eux les militants ouvriers les plus actifs. Charbit, Hasfeld, Martinet, Monatte, Monmousseau, Rosmer, Sémard et d’autres en firent partie. Dire, avec Brupbacher, que le syndicalisme révolutionnaire accomplit son suicide est exagéré. Si ces militants ont manqué de discernement, c’est là une chose qu’on peut difficilement leur reprocher. Il reste que ce manque de discernement n'était pas une fatalité : Gaston Leval, se rend à Moscou en 1921 comme délégué adjoint de la C.N.T. espagnole pour prendre part au congrès constitutif de l’Internationale des syndicats rouges. Ce qu’il voit en Russie, il est vrai qu’il ne s’est pas contenté de suivre les parcours fléchés officiels, le persuade que la révolution se dévoie vers une dictature de parti (8). Le rapport qu’il fera au congrès de Saragosse en 1922 persuadera la C.N.T. de ne pas adhérer à l’Internationale syndicale rouge, ce qui évitera à celle-ci le processus de " bolchevisation " subi par d’autres centrales syndicales européennes. En 1922 se constituera, en concurrence de l’Internationale syndicale rouge, l’A.I.T. seconde manière.

On peut dire que c’est l’accélération de l'histoire, consécutive à Octobre, qui a imposé aux différents courants présents dans le mouvement ouvrier de se démarquer clairement. Si on peut regretter que l’anarcho-syndicalisme et le syndicalisme révolutionnaire n’aient pas conservé leur position dominante en France, sur le plan international la situation était très encourageante : l’A.I.T. avait des sections dans 24 pays et regroupait des millions de travailleurs. Son déclin est moins le résultat d’une prétendue inadaptation aux temps nouveaux que la conséquence des massacres de la guerre, du fascisme, du nazisme et du stalinisme.

Après l’assassinat de syndicalistes par des communistes, à la maison des syndicats à Paris, le 11 janvier 1924, des anarcho-syndicalistes et des syndicalistes révolutionnaires s’engagèrent dans la formation d’une nouvelle centrale syndicale, la C.G.T.-S.R. Les Unions départementales de la Somme, de la Gironde, de l’Yonne, du Rhône, la fédération du bâtiment, se groupèrent dans une Union fédérative des syndicats autonomes de France, puis se confédérèrent les 1er et 2 novembre 1926 à Lyon.

La nouvelle organisation conteste l’idée de neutralité syndicale telle qu’elle est affirmée dans la charte d’Amiens, notamment le paragraphe où " le congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander en réciprocité de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors. "

La C.G.T.-S.R. désormais affirme la nécessité, pour le syndicalisme, non seulement de se développer hors des partis politiques, mais contre eux. Cette attitude est en quelque sorte l'écho des conditions d’admission à l’Internationale communiste qui préconisaient la constitution de fractions communistes dans les syndicats afin d’en prendre la direction. La constitution de la C.G.T.-S.R. est incontestablement la réponse de l’anarcho-syndicalisme aux conditions nouvelles créées par le nouveau régime bolchevique ; elle est également le pendant des tentatives faites par la plate-forme d’Archinov d’adapter le mouvement libertaire à ces nouvelles conditions. Il est significatif que la plate-forme d’Archinov et la charte de la C.G.T.-S.R. datent de la même année : les deux documents sont inséparablement liés et devraient être analysés en parallèle, comme deux réponses au même problème.

La charte de Lyon de la C.G.T.-S.R. affirme que le syndicalisme est " le seul mouvement de classe des travailleurs " : " l’opposition fondamentale des buts poursuivis par les partis et les groupements qui ne reconnaissent pas au syndicalisme son rôle essentiel, force également la C.G.T.-S.R. à cesser d’observer à leur égard la neutralité syndicale, jusqu’ici traditionnelle ".

Les documents de constitution de la C.G.T.-S.R. offrent une véritable réflexion sur le contexte de l'époque, notamment sur la crise mondiale qui se prépare, sur la montée du fascisme (ce que ne fait pas la plate-forme d’Archinov), et formulent un véritable programme politique. Avec son comité confédéral national, sa commission administrative, son bureau et ses deux secrétaires, elle devait elle aussi apparaître comme particulièrement " autoritaire " à certains anarchistes.

Une tactique révolutionnaire est esquissée concernant les rapports avec les autres forces révolutionnaires, à la fois dans l’action revendicative quotidienne et en cas de révolution. Un programme revendicatif est proposé, qui s’inscrit à la fois dans le cadre de revendications quotidiennes tout en présentant un caractère de préparation à la transformation sociale. On retrouvera, curieusement, les principaux thèmes, réadaptés évidemment, de ce programme revendicatif dans... le programme de transition de Trotski, dix ans plus tard !

Sur cette période, A. Schapiro écrivit en 1937 : " La grande guerre balaya la charte du neutralisme syndical. Et la scission au sein de la Première internationale entre Marx et Bakounine eut un écho à la distance de presque un demi-siècle dans la scission historiquement inévitable au sein du mouvement ouvrier international d’après-guerre. Contre la politique de l’asservissement du mouvement ouvrier aux exigences de partis politiques dénommés "ouvriers", un nouveau mouvement, basé sur l’action directe des masses en dehors et contre tous les partis politiques, surgissait des cendres encore fumantes de la guerre 1914-1918. L’anarcho-syndicalisme réalisait la seule conjonction de forces et d'éléments capables de garantir à la classe ouvrière et paysanne sa complète indépendance et son droit inéluctable à l’initiative révolutionnaire dans toutes les manifestations d’une lutte sans merci contre le capitalisme et contre l'État, et d’une réédification, sur les ruines des régimes déchus, d’une vie sociale libertaire. "

Le débat reste ouvert sur la question du mode d’intervention des libertaires, qu’ils soient anarcho-syndicalistes ou anarchistes-communistes. L’expérience historique de la social-démocratie et du léninisme a disqualifié ces deux mouvements dans leurs tentatives de proposer une alternative au capitalisme.

Quatre-vingts ans après Octobre, cinquante ans après la charte de la C.G.T.-S.R. et la plate-forme d’Archinov, les circonstances imposent que le mouvement ait une apparition propre, au grand jour, comme alternative à la politique social-démocrate réformiste ou radicalisée, au syndicalisme réformiste, intégré à l'État et dominé par des partis politiques. La révolution de demain ne sera ni la répétition de la révolution russe ni celle de la révolution espagnole. La société capitaliste a subi des transformations qui rendent impossible de telles éventualités. Il n’y a plus de palais d'Hiver à prendre et, d’autre part, il n’y a plus d’organisation révolutionnaire de masse proposant un modèle de société dans lequel le prolétariat se reconnaisse. Bakounine disait que le socialisme " ne trouve une réelle existence que dans l’instinct révolutionnaire éclairé, dans la volonté collective et dans l’organisation propre des masses ouvrières elles-mêmes, et quand cet instinct, cette volonté, cette organisation font défaut, les meilleurs livres du monde ne sont rien que des théories dans le vide, des rêves impuissants. "

Il désigne là les trois directions dans lesquelles les militants révolutionnaires doivent encore aujourd'hui s’orienter.

René Berthier - groupe Février (Paris)

Article paru dans le Monde libertaire hors-série n°9

Notes:

NB : Cette article est composé d’extraits d’un texte réalisé à l’occasion de la semaine sur les 80 ans de la révolution russe sur Radio libertaire et ne peut donc refléter l’intégralité de la réflexion de l’auteur sur le sujet.

(1) Alexandre Skirda, Autonomie individuelle et force collective, Les anarchistes et l’organisation, de Proudhon à nos jours, éditions A.S., 1987.

(2) Dans le débat sur la " synthèse ", l’individualisme disparaît vite par la trappe. Après tout, quel besoin pour un individualiste de s’organiser (sinon pour empêcher ceux qui ne le sont pas de le faire) ? Il n’entre pas dans le cadre de ce travail de développer cette question, mais rappelons que la critique féroce de l’individualisme par Bakounine est en même temps une critique de l’idéologie bourgeoise et de l'État. La liberté individuelle absolue est une notion métaphysique qui ressortit de l’idéalisme. La condamnation absolue, faite par Bakounine, du nihilisme des philosophes post-hégéliens - dont Stirner faisait partie - conduit inévitablement à la question : si Bakounine est anarchiste, Stirner ne l’est pas (et inversement). Dans la doctrine anarchiste, il y a une théorie de l’individu qui est infiniment plus riche que l'" individualisme " de Stirner ; cela ne suffit pas pour dire que l’anarchisme est de l’individualisme ni que Stirner est anarchiste... Le seul fait de nier l’existence de classes sociales et leur antagonisme devrait suffire à disqualifier en tant qu’anarchiste quiconque défendrait ces positions.

(3) " Les 20ctobres ", op. cit. p. 193

(4) " Les problèmes constructifs de la révolution sociale ", 1923, in Les Anarchistes russes et les Soviets, Spartacus, p. 198.

(5) Errico Malatesta, Réponse à la plate-forme - Anarchie et organisation, brochure du groupe 19 Juillet.

(6) Des anarchistes espagnols contactèrent Makhno en 1931 pour qu’il prenne la direction d’une guérilla en Espagne du Nord. Il écrivit en 1932 dans un journal anarchiste russe des États-Unis : " A mon avis, la F.A.I. et la C.N.T. doivent disposer [...] de groupes d’initiative dans chaque village et chaque ville, et ils ne doivent pas craindre de prendre en mains la direction révolutionnaire stratégique, organisationnelle et théorique du mouvement des travailleurs. Il est évident qu’ils devront éviter à cette occasion de s’unir avec des partis politiques en général, et avec les bolcheviks-communistes en particulier, car je suppose que leurs commensaux espagnols seront les dignes émules de leurs maîtres. " Cité par Alexandre Skirda, Les Cosaques de la Liberté, p. 330, éd. JC Lattès.

(7) Lénine se plaignait que la lutte antiparlementaire avait été abandonnée aux anarchistes.

(8) Il rencontre Rosmer, Victor Serge, Marcel Body, Voline (qu’il fait libérer de prison dans des circonstances rocambolesques) Alexandre Schapiro, Emma Goldmann, Alexandre Berckman, mais aussi, du côté bolchevik, Chliapnikoff, Alexandra Kollontaï, Lénine, Trotsky, Boukharine.
"Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs." (N. Makhno)
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