Anarchisme et violence fantasmée

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Anarchisme et violence fantasmée

Messagede vroum le Lun 16 Fév 2015 12:01

Anarchisme et violence fantasmée

http://www.monde-libertaire.fr/non-violence/17539-anarchisme-et-violence-fantasmee

Dernièrement, le pouvoir a lancé une importante campagne médiatique visant à renouveler le clivage déjà existant entre les partisans de la « violence » et les « non-violents », pour utiliser la sémantique médiatique. Nous emploierons ici les termes « violence/non-violence » à des fins pratiques, mais nous ne partageons évidemment pas ces définitions qui ne permettent pas de définir correctement le problème et mériteraient une autre étude. Une vitrine qui tombe, par exemple, ce n’est pas pour nous de la violence. Cette tactique qui ne date pas d’hier ne devrait plus pouvoir fonctionner aujourd’hui, tant cette magouille visant à diviser pour mieux régner devrait être évidente pour tous. Pour nous, militants libertaires, et plus spécialement à la Fédération anarchiste, la diversité tactique inscrite dans nos principes de base est un élément important de notre fonctionnement, qui nous prémunit en partie des tromperies de l’État. Ce principe affirme que l’union des différents modes d’action visant à atteindre un même but, loin de diviser les forces, enrichit le mouvement et le renforce. Cependant, il s’en trouve encore, y compris chez les militants libertaires, pour se laisser avoir par les campagnes médiatiques. Il sera donc intéressant de se demander pourquoi on assiste à une telle opposition au sein du mouvement et comment dépasser ce clivage contre-productif, mais aussi sur quelles bases et de quelles façons passer à l’offensive dans notre situation actuelle.

Une lutte fratricide
Le militant « violent » tout comme le militant « non violent » se livrent à de vertes critiques de leurs modes d’actions respectifs, le premier méprisant souvent l’autre pour son manque de radicalité et le second accusant son camarade de faire le jeu de la répression. Cela n’est pas grave en soi, notre mouvement a toujours été un milieu où s’affrontent des conceptions différentes, et ce n’est pas près de changer. Le problème, c’est que les choses n’en restent pas là. En effet, quand le camarade émeutier peste contre les militants « non violents », il ne fait pas grand mal, personne ou presque ne l’écoute et son discours n’implique que peu de chose. Cependant, une désolidarisation du camarade « non violent » est bien plus grave, car son discours sera facilement récupéré par le pouvoir en place pour renforcer l’ostracisation de ceux qui choisissent l’action directe « violente ». Le respect de la diversité tactique est bien davantage une responsabilité du militant « non violent » que du militant « violent », ce dernier s’exprimant moins ouvertement, pour des raisons que l’on peut comprendre. À charge cependant au militant choisissant la « violence » comme mode d’action de ne pas mettre en danger ceux qui ne choisissent pas cette voie.

Mais pourquoi les camarades qui choisissent la « non-violence » sont-ils si nombreux à se dissocier d’actions plus radicales ? Pour des militants extérieurs au mouvement anarchiste, la réponse est assez simple : matraquage médiatique, croyance en la république, confiance en la justice, appartenance à un parti institutionnel, sont autant d’explications. Mais pourquoi donc certains militants anarchistes voudraient-ils se retrouver en si mauvaise compagnie ? La raison se trouve pour nous dans l’existence de deux façons d’aborder le militantisme anarchiste qui traverse toutes les tendances depuis longtemps déjà ; les révolutionnaires et les évolutionnistes. Les révolutionnaires persistent à vouloir créer les conditions de la rupture avec l’ordre dominant, à graduellement préparer le moment de son renversement, y compris par la force. De leur côté, les évolutionnistes chercheront à acclimater la réalité pour mieux la vivre, à éduquer, en espérant que leurs efforts permettront un jour de supplanter l’ordre établi. Bien des critiques peuvent être formulées à la tendance révolutionnaire, mais il faut reconnaître qu’il est rare que ses tenants se dissocient des actions des évolutionnistes, bien au contraire, ils considèrent simplement le plus souvent que ces efforts sont insuffisants. Ces tenants de l’évolutionnisme se recoupent en grande partie avec les partisans de la non-violence, par conviction ou par tactique. Ces derniers cherchant à se faire accepter par le plus grand nombre, sur des bases politiques qui ne sont pas en rupture directe avec le pouvoir en place (amap, militantisme culturel, etc.). Le problème, c’est que, dans cette quête de respectabilité, ils en viennent à s’attaquer aux modes d’actions qu’ils ne partagent pas pour mieux se faire accepter par les gens qui forment leur base de sympathisants : les non-violents institutionnels, républicains, monsieur-tout-le-monde, le « mouvement social », etc.

Unir le mouvement anarchiste
Nous sommes d’accord qu’il est nécessaire de cesser ces querelles entre violence et non-violence, mais, pour cela, il faut être deux à faire des efforts. Le plus souvent, les dissociations viennent des non-violents, tout comme les lâchages, trahisons, voire dénonciations. Comment pouvons-nous nous entendre si, à la vue d’un camarade masqué ou au bruit d’une vitrine qui tombe, certains de nos camarades poussent des hauts cris, se désolidarisent, puis, pour se donner bonne conscience, relatent quelques « souvenirs de guerre » afin de ne pas passer pour des dissociés. Camarades non violents, montrez donc l’exemple : cessez de vous désolidariser et de pester contre les modes d’action des autres, les camarades responsables seront d’autant plus susceptibles d’entendre vos critiques et vos remarques après coup s’ils ne se sentent pas trahis pas vos agissements.

De leur côté, les partisans de la redécoration de vitrine doivent cesser de traiter les cortèges libertaires comme une zone tampon, d’où attaquer puis disparaître. S’il peut être intéressant de s’en prendre aux symboles de l’État et du capital, aux flics, ou à un cortège ennemi, il n’est cependant pas acceptable qu’une fois les actions accomplies aucune solidarité ne s’exprime vis-à-vis de ceux qui vont en subir les contrecoups : les services d’ordre des organisations libertaires, les non-violents, les personnes ne voulant pas ou ne pouvant pas se battre, et les gens « normaux » qui nous rencontrent pour la première fois. Cela est l’option a minima : si un groupe décide de passer à l’offensive, il doit ensuite en assumer également les conséquences, le gaz et les coups aux côtés des autres camarades en première ligne. Ce n’est pas l’idéal, la meilleure option serait de discuter en amont des formes que doit prendre la manifestation et de se préparer collectivement à attaquer ou à se défendre, mais on ne peut pas toujours y arriver. Cela s’adresse tout particulièrement à une partie de l’autonomie qui traite les manifestations libertaires comme son terrain de jeu, comptant sur la gentillesse des camarades et (sans le dire) sur leur SO pour assumer les charges et la répression. Prenons nos responsabilités, notre mouvement est suffisamment désuni et peu nombreux pour ne pas tomber dans les pièges grossiers qui nous sont tendus.

Repenser l’offensive
La violence dans notre mouvement est en grande partie fantasmée. Du côté des émeutiers, elle consiste plus souvent en une mise en scène de l’attaque contre des cibles symboliques qu’en de réels affrontements. Le plus souvent, forces de l’ordre et émeutiers n’arrivent jamais au contact et « s’affrontent » à coups de bouteilles et de pierres d’un côté et à coups de gaz et autres joyeusetés de l’autre. À ce petit jeu, la police gagne haut la main, que ce soit physiquement, mais aussi politiquement et médiatiquement. D’une part, ils ont moins de risque d’êtres blessés que dans des affrontements à courte distance, et d’autre part ils limitent les matraquages qui leur sont défavorables médiatiquement ; blessures, sang, images de violence. Bien sûr, il arrive qu’ils aillent trop loin, mais, dans ce cas, comme nous l’avons vu dernièrement après la mort de Rémi Fraisse, le rouleau médiatique et la communication gouvernementale sont arrivés à une telle efficacité qu’ils arrivent à éponger la « bavure ». Nous avons été impuissants face à eux.

Il faut donc changer de tactique, y compris quand nous entrons dans une logique d’affrontement, ou d’opposition frontale à l’État, pour pouvoir nous imposer dans l’espace public. Il ne suffit pas d’appeler à porter des casques, cela est inutile, voire contre-productif si ce n’est pas accompagné de matériel offensif et de la coordination collective nécessaire à son utilisation. Nous considérons qu’il faut se préparer collectivement à se protéger, et pas avec une approche individuelle qui nous laisse démunis face à la répression ; moi et mon casque au commissariat. Par ailleurs, nous avons relayé l’appel à venir casqués, mais après réflexion cela nous a posé un problème ; des personnes non militantes sont venues casquées sans savoir ce que cela impliquait et sans réellement se rendre compte du message que cela envoyait à la police. En ce sens, nous trouvons cela un peu irresponsable de notre part. Préparer collectivement notre autodéfense est le premier pas vers des actions de plus grande ampleur, visant des cibles plus importantes, et donc plus risquées. Mais si nous ne sommes même pas capables de mettre en place cette première étape, rien ne sert de discourir sur la révolution. L’autonomie dans toute sa diversité comme les membres d’organisations anarchistes doivent prendre leur responsabilité, nous n’avons pas les moyens d’être divisés. Notre mouvement est faible, et, quoi qu’en disent ceux qui pensent que l’insurrection est pour bientôt, si elle survenait aujourd’hui nous serions incapables d’y trouver une place, et d’autres mouvements mieux préparés nous supplanteraient.

Concrètement, il faut être capable d’acter qu’on se prépare à l’affrontement, de fixer une décision, et surtout de s’y tenir. Respecter les décisions collectives, et les faire respecter, est essentiel pour parvenir à fonctionner ensemble. Cela signifie également qu’il faut être capable d’aller voir ceux qui refusent de s’y tenir, voire de les virer. Il faut préparer collectivement l’autodéfense dans nos initiatives, c’est-à-dire qu’on accepte le risque de se faire charger pour protéger nos camarades qui ne peuvent ou ne veulent pas être pris dans les affrontements. En pratique, il s’agit par exemple, contrairement aux habitudes de certains, de se retrouver à proximité des flics, de ne pas courir aux premiers tirs de gaz et de risquer de prendre des coups. Et, pour réussir, il est illusoire de penser que cela se mettra en place spontanément. Considérer que c’est la responsabilité de tous de s’occuper de l’autodéfense, cela à beau être vrai, dans la pratique cela ne fonctionne pas. Il faut donc former des groupes d’autodéfense structurés avec un référent, un mandat, et se coordonner. Oui, c’est une forme de service d’ordre. Des petits groupes affinitaires sont incapables d’assumer une défense collective d’ampleur en manif, il faut une meilleure coordination et des groupes plus importants.

Soyons capables de nous défendre quand nous apparaissons politiquement. Les attaques de petits groupes affinitaires ont montré leurs limites aussi bien offensivement que défensivement. Être capable de casser trois banques et de lancer quelques cailloux n’a aucune valeur si cela amène à la dislocation totale de notre apparition politique, lanceurs de cailloux compris, c’est une preuve de faiblesse, non de radicalité. Nous ne devrions pas avoir à faire un choix entre une apparition politique et des actions offensives. Il faut se préparer à ces affrontements, tout en permettant à un maximum de personnes de nous rejoindre, et de rester même si elles ne se sentent pas de participer directement. Si nous refusons de nous poser ces questions et ne changeons pas nos façons de faire, ne soyons pas surpris d’être si faibles et si peu nombreux dans nos initiatives.

L. F. 
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