Tout d'abord, je tiens à m'excuser car je pense que beaucoup de thèmes dont je vais parler ont déjà été abordé dans le forum. Mais je recréé quand même un topic car je fais ici une synthèse de ma pensée et de mon cheminement vers les idées libertaires, cheminement encore très jeune et inexpérimenté (j'ai 20 ans).
Pour amener le débat, je vais à la fois expliciter en détails mon cheminement idéologique, et à la fois balancer pas mal de liens en vrac de textes qui font parfois plus d'une vingtaine de pages, ou de noms en vrac. J'en suis désolé, ce sera clairement un peu illisible, mais je ne vois pas comment vraiment exposer mes arguments autrement. Et je ne tiens pas non plus à paraphraser vingt fois des personnes ayant dit des choses mieux que je ne le ferais ici, à plus de minuit, fatigué devant mon écran.
Tout d'abord, j'ai été proche de la galaxie altermondialiste. Cette galaxie a comme force mais aussi comme défaut qu'elle est extrêmement multiforme. Elle va de la gauche du Front de Gauche aux anarchistes autonomes en passant par les trotkystes, elle englobe des marxistes purs jus, des théoriciens du postcolonialisme, des postmodernes, des situationnistes, des autonomes, etc. Au fil du temps, elle a réussi à acquérir une cohérence théorique qui pourrait alors apparaitre comme relativement paradoxale.
Par les luttes altermondialistes, et notamment par la passerelle de l'écologie, je me suis initié au monde de l'anarchisme (lui aussi extrêmement multiforme) et aux idées libertaires. Je me suis mis à fréquenter des mouvements très différents les uns des autres qui organisaient pourtant des mouvements ensemble. Une belle histoire: le "mouvement des mouvements". Figures de proue (Bové), récits mythiques (Seattle), intellectuels fétiches (Bourdieu), et tutti quanti. La renaissance d'un certain militantisme.
Mais, finalement, à vouloir englober des dizaines de mouvements énormes, complexes, et parfois trop différents (voire carrément opposés ?), l'altermondialisme n'était-il pas une impasse ?
Et quels rapports l'anarchisme devait-il lui lier ? Finalement, personne ou presque chez les libertaires ne se revendiquaient de l'alter ou l'antimondialisation (parfois critiquée comme politique spectacle par des situ ou autres) ; pourtant, les libertaires participaient activement à ce "mouvement des mouvement", dans la pratique. Les black bloc sont le symbole médiatique de cette participation extrême.
De là, beaucoup de questions se sont entremêlées dans ma tête. Je me sentais très proches d'un certain socialisme libertaire, voire communisme/marxisme libertaire, pour reprendre Guérin. Bakounine, Goldman, Kroptokine, Chomsky, Serge, Leval, Guérin, etc. J'ai lu pas mal de textes de chacun d'entre eux. Souvent des claques. Encore plus souvent, ces claques étaient prises avec tout le recul possible car je tentais avant tout de transposer ces théories dans mon contexte de pratiques réels encré dans le présent (luttes récentes en rapport avec l'impérialisme, l'immigration, l'altermondialisme, l'écologie, etc).
J'ai eu toute une période où toute lecture était presque bonne à prendre: je sentais que ce tout m'enrichissait. Paradoxalement parfois, mais, finalement, c'était un enrichissement complexe.
Puis j'ai saisit l'idée de synthèse avec Voline, puis je me suis demandé pourquoi les luttes échouaient inlassablement, puis je me suis fasciné pour les utopies réelles ou actions d'autogestions (squat, coopératives, villages autogérés, expériences aux quatre coins du monde, etc), et enfin j'ai lu Maximilien Rubel.
J'ai pas mal cogité sur tout ça, un peu perdu dans cet énorme ensemble complexe.
Je me suis aussi intéressé, un peu en parallèle, avec pas mal de distance mais quand même un regard très complice, au communisme de conseil, à Luxembourg, Mattick, Korsch. Ensuite, je suis arrivé sur Castoriadis, l'autonomie, Lefort.
Bien sur, j'ai 20, je ne m'intéresse pas à tout ça depuis 10 ans, donc c'est surtout des présentations, articles, résumés, extraits choisis, textes rares, réflexions, etc, de et/ou sur ces auteurs que j'ai lu, et pas l'oeuvre complète de chacun. Mais assez quand même pour saisir dans les larges lignes les pensées de chacun, leurs points communs, leurs différences, etc, et pour me lancer des pistes de réflexions visant à enrichir mon idée d'une pratique concrète socialiste révolutionnaire libertaire.
C'est cette idée qui m'obnubilait. Et, à côté de ça, le potentiel énorme de l'altermondialisme, ce "mouvement des mouvements", et pas mal de son corpus théorique. J'étais encore perdu (et je le suis toujours) dans plein de débats qui animent la gauche, plein de ressorts m'échappent, et tout ça me passionne, me fascine presque.
Je réfléchissais constamment ou presque en terme de potentiel révolutionnaire: que la révolution ait lieu en un grand soir, je n'y croyais pas vraiment, qu'elle ait lieu grâce à la multiplication des initiatives, l'idée me plaisait, mais tout ça restait largement incomplet dans ma tête. Il manquait un lien, un pont, pour finir ma construction idéologique. Ce "potentiel révolutionnaire", cette question, aurait pu se formuler ainsi: comment attirer le plus de monde dans "la/les lutte(s)" ? Comment "faire que ça se fasse" ? Comment "changer" ?
Tant de questions naïves, mais finalement concrètes. Tout cela restait extrêmement abstrait. Je me surprenais parfois à me contredire moi-même. Sur encore plein de sujets, j'étais indécis: et je le suis encore. Tout ça était finalement une impasse... comme l'altermondialisme... Eh merde.
Enfin je suis tombé sur une brochure de la CNT sur le SAC et le réformisme libertaire: http://cnt.ait.caen.free.fr/cas/sac_et_ ... rtaire.pdf
Rapidement séduit par cette idée d'un "réformisme libertaire", j'ai tout aussi vite déchanté: les conseils communaux au Venezuela n'empêchait pas la révolution-spectacle (bien que cette dernière ait aussi des aspects positifs, et que des visions telles que celle de George Ciccariello-Maher sont intéressantes), le SAC était un échec, etc, etc.
De là, j'ai découvert les quelques textes "théoriques" des trotkystes de la LCR que sont Philippe Corcuff, Michaël Löwy, Bensaïd, qui osaient conceptualiser une "social-démocratie libertaire".
Là, je fournis des liens, car la notion est plus complexe qu'elle n'y parait:
http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe ... democratie
http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe ... -l-intimit
http://base.socioeco.org/docs/_index103.pdf
http://www.contretemps.eu/interventions ... e-possible
Le débat que je veux ouvrir concerne ce point.
La sorte de synthèse à la Guérin entre marxisme et anarchisme, ne serait-elle pas ici une réappropriation des idées libertaires par des trotkystes convaincus avides de pouvoir ?
Franchement, j'ai envie de dire non. Et même si c'est le cas, ces réflexions ne sont-elles pas enrichissantes ?
Je pars d'un point de vue pragmatique mais non-lâche: quel rapport avec le pouvoir doit entretenir l'anarchisme ?
Si un parti va dans le sens des idéaux libertaires, s'il va aider à propager ses idées, s'il va tolérer l'autogestion, s'il va tolérer la réappropriation des territoires par les communes, les confédérations, les expérimentations sociales, etc, jusqu'à les favoriser, ne serait-il pas positif ?
Attention: je ne parle ici ni de la LCR, ni du NPA, ni du FdG, ni de Podemos, ni de Syriza, qui sont tous autant qu'ils sont des arnaques.
Mais ne serait-il pas imaginable, dans le champ des possibles, un tel parti ? Toute organisation politique est-elle définitivement à bannir, et toute alliance avec les luttes sociales rattachées au syndicalisme classique et au champ politique plus classique est-elle à rejeter ?
Oui, la synthèse de Löwy et cie est très vulgaire dans les traits, en témoigne son dernier livre avec Besancenot qui est sous certains aspects une blague historique.
Mais cette volonté de s'allier me semble hyper productive pour "la lutte" (si le mot veut dire quelque chose: mon but final est juste qu'un autre possible puisse voir le jour, que les conditions d'existence de chacun puissent aller dans un sens moins aliénant et moins difficile à vivre, voir vers quelque chose d'utopique ; mais l'utopie, au XXIème siècle, peut-elle se satisfaire d'elle même ? La question s'est posée à toute époque, mais la domination n'a fait qu'empirer, et ne fait qu'empirer chaque jour, de par l'action de son emprise, toujours plus grande, multiple, et forte...).
Malgré tous ses défauts, le mouvement zapatistes ou néozapatistes au Chiapas, comme le montre Jérôme Baschet, a aussi des choses intéressantes à nous apprendre. L'autonomie et l'auogouvernement peuvent, je pense, passer par une transition social-démocrate hyper-risquée mais qui devrait être hyper contrôlée.
Ce n'est ici qu'une idée, qui me passe par la tête, mais actuellement, quand je vois mon entourage, quand je me promène, je me dis que c'est le seul moyen réel existant, le moyen le plus simple, rapide, et déjà structuré, qui pourrait diffuser les idées libertaires au plus grand nombre. Si on veut avoir un jour l'espoir de titiller rien que de loin une société véritablement libertaire voire anarchiste, je pense que le débat doit pouvoir accepter cette idée, au moins. Personnellement, j'en serais pour.
L'autonomie locale peut être favorisée par le global, qui peut aussi être un outil important en diplomatie, etc.
Cet espoir, avec l'alliance de mouvements sociaux structurés (associations, syndicats, journaux plus "officiels, etc) avec des mouvements sociaux plus spontanés (ZAD, black blocs, luttes anti pub, contre-sommets, etc), qui est au coeur du "mouvement des mouvements", m'a amené longuement à réfléchir à comment formuler pratiquement une synthèse entre socialisme et anarchisme, notamment dans la question de la transition, du pouvoir, de l'état, de l'autonomie, et donc finalement à comprendre que la question première était celle d'une stratégie anarchiste ou libertaire (même si cela peut sembler paradoxale car le "mouvement" devrait être spontané ; mais comme en 36 en espagne la "propagande" syndicaliste ou l'école avec l'alphabétisation a pu jouer ce rôle "moteur", je pense qu'à l'heure d'aujourd'hui -des Anges de la TV Réalité ; du néocolonialisme ; de l'individu néolibéral éclaté, etc-, une stratégie est plus qu'importante - nécessaire).
Peut-être que je fais là fausse route, que je ne suis en fait qu'un marxiste, un trotkyste, ou je ne sais quoi ; pourtant, mon rêve est de voir les idées socialistes libertaires appliquées.
J'essaie juste de réfléchir à la façon la plus PROBABLE d'y arriver. Je lance un débat. Sûrement que je serais seul contre tous. Mais l'anarcho syndicalisme n'est plus aussi fort qu'avant, les idées socialistes libertaires plus au même niveau ni de la sociale démocratie, ni du communisme, mais bien loin derrière, et, finalement, la sociale démocratie néolibérale a prit le dessus à 90 % (l'ensemble des partis politiques quasiment ou totalement suivant les pays). C'est pour cela qu'un nouveau type de sociale démocratie, dite "altermondialiste", tolérant et synthétisant tous ses mouvements, dans un acte strictement libertaire, pourrait je pense être positive. Elle s'inspirerait de pratiques nouvelles et/ou innovantes ou peu utilisées: horizontales, démocratie directe, déprofessionalisation de la politique, tirage au sort, décentralisation maximum mais cohérente, transparence totale, etc, etc. Mais resterait, au moins pour une période dite de "transition", dans le cadre dit "social-démocrate" d'un point de vue altermondialiste.
Le reste (une utopie à grandeur humaine qui verrait le jour comme en Espagne ou autre), ne verra pas le jour avant très longtemps je pense, tant la situation actuelle me semble calamiteuse... Le libertaire y perdra en poétique, mais y gagnera en praxis... Alliance entre un certain réformisme et entre révolutionnaires, forcément paradoxale ? Finalement, peut-être pas...
C'est un point de vue, je peux (et espère peut même ?) me tromper.
Débat lancé.
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Je retiens ce passage de Corcuff, que je prenais avant pour une énorme tête à claque (d'ailleurs, soyons francs, à part ses écrits sur l'idée d'une organisation politique libertaire, je ne retiens presque rien de lui, et il m'énerve très souvent):
"L’anticapitalisme en cours d’émergence, à la différence des « communismes » orthodoxes, ne raisonne pas en termes absolus, mais s’oriente seulement en fonction de l’horizon d’une société non-capitaliste. Or un horizon ce n’est pas le plan d’une société idéale à réaliser, c’est une boussole utile pour enclencher une dynamique de réformes radicales à partir de la société capitaliste elle-même (comme la taxe Tobin, l’interdiction des licenciements boursiers, l’extension d’une double logique des droits individuels et du bien commun par rapport à la sphère du profit, la consolidation des services publics, l’instauration d’un écart maximal des revenus avec la fixation d’un revenue minimum et d’un revenu maximum autorisé, l’annulation de la dette des pays les plus pauvres, etc.). Et cela au moyen d’une démarche expérimentale, pleine de questions et de tâtonnements, se méfiant des certitudes. On marche vers un horizon sans l’atteindre. L’expérimentation, c’est la voie de la démocratie et de la pluralité dans un espace de contradictions et de conflits assumés comme positifs. Pour l’exploration de nouveaux mondes possibles, l’initiative individuelle et collective, distinguée d’un « esprit d’entreprise » exclusivement mercantile, est indispensable. Le jeu des essais et des erreurs innerve des pratiques politiques qui ne peuvent plus compter sur des garanties définitives (comme Dieu, le Progrès ou la Science) mais seulement sur des repères révisables (des valeurs issues de la tradition, des apprentissages nés de l’expérience et des intuitions utopiques). Cette réévaluation de la démarche expérimentale pourrait s’enrichir de la confrontation avec le pragmatisme philosophique et politique d’un philosophe comme l’Américain John Dewey."
Ce "front anticapitaliste expérimental" impulsé par le "mouvement des mouvements" me semble le réservoir révolutionnaire le plus concret actuellement, et pour une longue durée (le reste n'est qu'éclaté par la puissance de l'atomisation néolibérale).
Je préférerais largement n'avoir pas à baisser mon froc, n'avoir pas à être contrôlé par ce qui a de grands risques de devenir une oligarchie ou bureaucratie (mais je pense que de nouvelles formes expérimentales de la démocratie écrasant les conceptions dites libérale ou bourgeoise doivent impérativement être à l'ordre du jour chez un tel projet), mais j'ai l'impression que la situation actuelle ne le permets pas.
Sauf à rêver, poétiquement, d'un anarchisme pur et meilleur, comme j'aimerais le connaitre.
Sauf à rêver d'une insurrection globale alors que la majorité des populations ne connaissent rien à l'anarchisme.
Sauf, finalement, à aller vivre dans une communauté autogérée recluse de la société actuelle, expérience passionnante et ô combien enrichissante et épanouissante je n'en doute pas, mais finalement égoïste et lâche, peut-être plus encore que voter pour que son prochain s'intéresse aux impasses actuelles du consumérisme, de l'individualisme néolibéral, du narcissisme, du spectacle, du capitalisme, etc, etc, etc... (les dominations deviennent chaque jours de plus plus complexes et fortes pour permettre une révolution à la espagne 36, je pense).