Luttes, stratégies: Anarchisme et altermondialisme

Espace de débats sur l'anarchisme

Luttes, stratégies: Anarchisme et altermondialisme

Messagede Bobomb le Mar 6 Jan 2015 02:03

Tout d'abord, je tiens à m'excuser car je pense que beaucoup de thèmes dont je vais parler ont déjà été abordé dans le forum. Mais je recréé quand même un topic car je fais ici une synthèse de ma pensée et de mon cheminement vers les idées libertaires, cheminement encore très jeune et inexpérimenté (j'ai 20 ans).

Pour amener le débat, je vais à la fois expliciter en détails mon cheminement idéologique, et à la fois balancer pas mal de liens en vrac de textes qui font parfois plus d'une vingtaine de pages, ou de noms en vrac. J'en suis désolé, ce sera clairement un peu illisible, mais je ne vois pas comment vraiment exposer mes arguments autrement. Et je ne tiens pas non plus à paraphraser vingt fois des personnes ayant dit des choses mieux que je ne le ferais ici, à plus de minuit, fatigué devant mon écran.

Tout d'abord, j'ai été proche de la galaxie altermondialiste. Cette galaxie a comme force mais aussi comme défaut qu'elle est extrêmement multiforme. Elle va de la gauche du Front de Gauche aux anarchistes autonomes en passant par les trotkystes, elle englobe des marxistes purs jus, des théoriciens du postcolonialisme, des postmodernes, des situationnistes, des autonomes, etc. Au fil du temps, elle a réussi à acquérir une cohérence théorique qui pourrait alors apparaitre comme relativement paradoxale.

Par les luttes altermondialistes, et notamment par la passerelle de l'écologie, je me suis initié au monde de l'anarchisme (lui aussi extrêmement multiforme) et aux idées libertaires. Je me suis mis à fréquenter des mouvements très différents les uns des autres qui organisaient pourtant des mouvements ensemble. Une belle histoire: le "mouvement des mouvements". Figures de proue (Bové), récits mythiques (Seattle), intellectuels fétiches (Bourdieu), et tutti quanti. La renaissance d'un certain militantisme.

Mais, finalement, à vouloir englober des dizaines de mouvements énormes, complexes, et parfois trop différents (voire carrément opposés ?), l'altermondialisme n'était-il pas une impasse ?

Et quels rapports l'anarchisme devait-il lui lier ? Finalement, personne ou presque chez les libertaires ne se revendiquaient de l'alter ou l'antimondialisation (parfois critiquée comme politique spectacle par des situ ou autres) ; pourtant, les libertaires participaient activement à ce "mouvement des mouvement", dans la pratique. Les black bloc sont le symbole médiatique de cette participation extrême.

De là, beaucoup de questions se sont entremêlées dans ma tête. Je me sentais très proches d'un certain socialisme libertaire, voire communisme/marxisme libertaire, pour reprendre Guérin. Bakounine, Goldman, Kroptokine, Chomsky, Serge, Leval, Guérin, etc. J'ai lu pas mal de textes de chacun d'entre eux. Souvent des claques. Encore plus souvent, ces claques étaient prises avec tout le recul possible car je tentais avant tout de transposer ces théories dans mon contexte de pratiques réels encré dans le présent (luttes récentes en rapport avec l'impérialisme, l'immigration, l'altermondialisme, l'écologie, etc).
J'ai eu toute une période où toute lecture était presque bonne à prendre: je sentais que ce tout m'enrichissait. Paradoxalement parfois, mais, finalement, c'était un enrichissement complexe.
Puis j'ai saisit l'idée de synthèse avec Voline, puis je me suis demandé pourquoi les luttes échouaient inlassablement, puis je me suis fasciné pour les utopies réelles ou actions d'autogestions (squat, coopératives, villages autogérés, expériences aux quatre coins du monde, etc), et enfin j'ai lu Maximilien Rubel.

J'ai pas mal cogité sur tout ça, un peu perdu dans cet énorme ensemble complexe.

Je me suis aussi intéressé, un peu en parallèle, avec pas mal de distance mais quand même un regard très complice, au communisme de conseil, à Luxembourg, Mattick, Korsch. Ensuite, je suis arrivé sur Castoriadis, l'autonomie, Lefort.

Bien sur, j'ai 20, je ne m'intéresse pas à tout ça depuis 10 ans, donc c'est surtout des présentations, articles, résumés, extraits choisis, textes rares, réflexions, etc, de et/ou sur ces auteurs que j'ai lu, et pas l'oeuvre complète de chacun. Mais assez quand même pour saisir dans les larges lignes les pensées de chacun, leurs points communs, leurs différences, etc, et pour me lancer des pistes de réflexions visant à enrichir mon idée d'une pratique concrète socialiste révolutionnaire libertaire.

C'est cette idée qui m'obnubilait. Et, à côté de ça, le potentiel énorme de l'altermondialisme, ce "mouvement des mouvements", et pas mal de son corpus théorique. J'étais encore perdu (et je le suis toujours) dans plein de débats qui animent la gauche, plein de ressorts m'échappent, et tout ça me passionne, me fascine presque.

Je réfléchissais constamment ou presque en terme de potentiel révolutionnaire: que la révolution ait lieu en un grand soir, je n'y croyais pas vraiment, qu'elle ait lieu grâce à la multiplication des initiatives, l'idée me plaisait, mais tout ça restait largement incomplet dans ma tête. Il manquait un lien, un pont, pour finir ma construction idéologique. Ce "potentiel révolutionnaire", cette question, aurait pu se formuler ainsi: comment attirer le plus de monde dans "la/les lutte(s)" ? Comment "faire que ça se fasse" ? Comment "changer" ?

Tant de questions naïves, mais finalement concrètes. Tout cela restait extrêmement abstrait. Je me surprenais parfois à me contredire moi-même. Sur encore plein de sujets, j'étais indécis: et je le suis encore. Tout ça était finalement une impasse... comme l'altermondialisme... Eh merde.

Enfin je suis tombé sur une brochure de la CNT sur le SAC et le réformisme libertaire: http://cnt.ait.caen.free.fr/cas/sac_et_ ... rtaire.pdf

Rapidement séduit par cette idée d'un "réformisme libertaire", j'ai tout aussi vite déchanté: les conseils communaux au Venezuela n'empêchait pas la révolution-spectacle (bien que cette dernière ait aussi des aspects positifs, et que des visions telles que celle de George Ciccariello-Maher sont intéressantes), le SAC était un échec, etc, etc.

De là, j'ai découvert les quelques textes "théoriques" des trotkystes de la LCR que sont Philippe Corcuff, Michaël Löwy, Bensaïd, qui osaient conceptualiser une "social-démocratie libertaire".
Là, je fournis des liens, car la notion est plus complexe qu'elle n'y parait:
http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe ... democratie
http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe ... -l-intimit
http://base.socioeco.org/docs/_index103.pdf
http://www.contretemps.eu/interventions ... e-possible

Le débat que je veux ouvrir concerne ce point.

La sorte de synthèse à la Guérin entre marxisme et anarchisme, ne serait-elle pas ici une réappropriation des idées libertaires par des trotkystes convaincus avides de pouvoir ?

Franchement, j'ai envie de dire non. Et même si c'est le cas, ces réflexions ne sont-elles pas enrichissantes ?

Je pars d'un point de vue pragmatique mais non-lâche: quel rapport avec le pouvoir doit entretenir l'anarchisme ?
Si un parti va dans le sens des idéaux libertaires, s'il va aider à propager ses idées, s'il va tolérer l'autogestion, s'il va tolérer la réappropriation des territoires par les communes, les confédérations, les expérimentations sociales, etc, jusqu'à les favoriser, ne serait-il pas positif ?

Attention: je ne parle ici ni de la LCR, ni du NPA, ni du FdG, ni de Podemos, ni de Syriza, qui sont tous autant qu'ils sont des arnaques.
Mais ne serait-il pas imaginable, dans le champ des possibles, un tel parti ? Toute organisation politique est-elle définitivement à bannir, et toute alliance avec les luttes sociales rattachées au syndicalisme classique et au champ politique plus classique est-elle à rejeter ?

Oui, la synthèse de Löwy et cie est très vulgaire dans les traits, en témoigne son dernier livre avec Besancenot qui est sous certains aspects une blague historique.

Mais cette volonté de s'allier me semble hyper productive pour "la lutte" (si le mot veut dire quelque chose: mon but final est juste qu'un autre possible puisse voir le jour, que les conditions d'existence de chacun puissent aller dans un sens moins aliénant et moins difficile à vivre, voir vers quelque chose d'utopique ; mais l'utopie, au XXIème siècle, peut-elle se satisfaire d'elle même ? La question s'est posée à toute époque, mais la domination n'a fait qu'empirer, et ne fait qu'empirer chaque jour, de par l'action de son emprise, toujours plus grande, multiple, et forte...).

Malgré tous ses défauts, le mouvement zapatistes ou néozapatistes au Chiapas, comme le montre Jérôme Baschet, a aussi des choses intéressantes à nous apprendre. L'autonomie et l'auogouvernement peuvent, je pense, passer par une transition social-démocrate hyper-risquée mais qui devrait être hyper contrôlée.

Ce n'est ici qu'une idée, qui me passe par la tête, mais actuellement, quand je vois mon entourage, quand je me promène, je me dis que c'est le seul moyen réel existant, le moyen le plus simple, rapide, et déjà structuré, qui pourrait diffuser les idées libertaires au plus grand nombre. Si on veut avoir un jour l'espoir de titiller rien que de loin une société véritablement libertaire voire anarchiste, je pense que le débat doit pouvoir accepter cette idée, au moins. Personnellement, j'en serais pour.

L'autonomie locale peut être favorisée par le global, qui peut aussi être un outil important en diplomatie, etc.

Cet espoir, avec l'alliance de mouvements sociaux structurés (associations, syndicats, journaux plus "officiels, etc) avec des mouvements sociaux plus spontanés (ZAD, black blocs, luttes anti pub, contre-sommets, etc), qui est au coeur du "mouvement des mouvements", m'a amené longuement à réfléchir à comment formuler pratiquement une synthèse entre socialisme et anarchisme, notamment dans la question de la transition, du pouvoir, de l'état, de l'autonomie, et donc finalement à comprendre que la question première était celle d'une stratégie anarchiste ou libertaire (même si cela peut sembler paradoxale car le "mouvement" devrait être spontané ; mais comme en 36 en espagne la "propagande" syndicaliste ou l'école avec l'alphabétisation a pu jouer ce rôle "moteur", je pense qu'à l'heure d'aujourd'hui -des Anges de la TV Réalité ; du néocolonialisme ; de l'individu néolibéral éclaté, etc-, une stratégie est plus qu'importante - nécessaire).


Peut-être que je fais là fausse route, que je ne suis en fait qu'un marxiste, un trotkyste, ou je ne sais quoi ; pourtant, mon rêve est de voir les idées socialistes libertaires appliquées.

J'essaie juste de réfléchir à la façon la plus PROBABLE d'y arriver. Je lance un débat. Sûrement que je serais seul contre tous. Mais l'anarcho syndicalisme n'est plus aussi fort qu'avant, les idées socialistes libertaires plus au même niveau ni de la sociale démocratie, ni du communisme, mais bien loin derrière, et, finalement, la sociale démocratie néolibérale a prit le dessus à 90 % (l'ensemble des partis politiques quasiment ou totalement suivant les pays). C'est pour cela qu'un nouveau type de sociale démocratie, dite "altermondialiste", tolérant et synthétisant tous ses mouvements, dans un acte strictement libertaire, pourrait je pense être positive. Elle s'inspirerait de pratiques nouvelles et/ou innovantes ou peu utilisées: horizontales, démocratie directe, déprofessionalisation de la politique, tirage au sort, décentralisation maximum mais cohérente, transparence totale, etc, etc. Mais resterait, au moins pour une période dite de "transition", dans le cadre dit "social-démocrate" d'un point de vue altermondialiste.

Le reste (une utopie à grandeur humaine qui verrait le jour comme en Espagne ou autre), ne verra pas le jour avant très longtemps je pense, tant la situation actuelle me semble calamiteuse... Le libertaire y perdra en poétique, mais y gagnera en praxis... Alliance entre un certain réformisme et entre révolutionnaires, forcément paradoxale ? Finalement, peut-être pas...

C'est un point de vue, je peux (et espère peut même ?) me tromper.

Débat lancé.


---

Je retiens ce passage de Corcuff, que je prenais avant pour une énorme tête à claque (d'ailleurs, soyons francs, à part ses écrits sur l'idée d'une organisation politique libertaire, je ne retiens presque rien de lui, et il m'énerve très souvent):

"L’anticapitalisme en cours d’émergence, à la différence des « communismes » orthodoxes, ne raisonne pas en termes absolus, mais s’oriente seulement en fonction de l’horizon d’une société non-capitaliste. Or un horizon ce n’est pas le plan d’une société idéale à réaliser, c’est une boussole utile pour enclencher une dynamique de réformes radicales à partir de la société capitaliste elle-même (comme la taxe Tobin, l’interdiction des licenciements boursiers, l’extension d’une double logique des droits individuels et du bien commun par rapport à la sphère du profit, la consolidation des services publics, l’instauration d’un écart maximal des revenus avec la fixation d’un revenue minimum et d’un revenu maximum autorisé, l’annulation de la dette des pays les plus pauvres, etc.). Et cela au moyen d’une démarche expérimentale, pleine de questions et de tâtonnements, se méfiant des certitudes. On marche vers un horizon sans l’atteindre. L’expérimentation, c’est la voie de la démocratie et de la pluralité dans un espace de contradictions et de conflits assumés comme positifs. Pour l’exploration de nouveaux mondes possibles, l’initiative individuelle et collective, distinguée d’un « esprit d’entreprise » exclusivement mercantile, est indispensable. Le jeu des essais et des erreurs innerve des pratiques politiques qui ne peuvent plus compter sur des garanties définitives (comme Dieu, le Progrès ou la Science) mais seulement sur des repères révisables (des valeurs issues de la tradition, des apprentissages nés de l’expérience et des intuitions utopiques). Cette réévaluation de la démarche expérimentale pourrait s’enrichir de la confrontation avec le pragmatisme philosophique et politique d’un philosophe comme l’Américain John Dewey."

Ce "front anticapitaliste expérimental" impulsé par le "mouvement des mouvements" me semble le réservoir révolutionnaire le plus concret actuellement, et pour une longue durée (le reste n'est qu'éclaté par la puissance de l'atomisation néolibérale).

Je préférerais largement n'avoir pas à baisser mon froc, n'avoir pas à être contrôlé par ce qui a de grands risques de devenir une oligarchie ou bureaucratie (mais je pense que de nouvelles formes expérimentales de la démocratie écrasant les conceptions dites libérale ou bourgeoise doivent impérativement être à l'ordre du jour chez un tel projet), mais j'ai l'impression que la situation actuelle ne le permets pas.

Sauf à rêver, poétiquement, d'un anarchisme pur et meilleur, comme j'aimerais le connaitre.

Sauf à rêver d'une insurrection globale alors que la majorité des populations ne connaissent rien à l'anarchisme.

Sauf, finalement, à aller vivre dans une communauté autogérée recluse de la société actuelle, expérience passionnante et ô combien enrichissante et épanouissante je n'en doute pas, mais finalement égoïste et lâche, peut-être plus encore que voter pour que son prochain s'intéresse aux impasses actuelles du consumérisme, de l'individualisme néolibéral, du narcissisme, du spectacle, du capitalisme, etc, etc, etc... (les dominations deviennent chaque jours de plus plus complexes et fortes pour permettre une révolution à la espagne 36, je pense).
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Re: Luttes, stratégies: Anarchisme et altermondialisme

Messagede Bobomb le Mar 6 Jan 2015 02:04

PS: Ceci n'est en aucun cas un troll marxiste mais un jeune réfléchissant très sincère, qui essaie d'imaginer un futur libertaire probable, et qui en rêve chaque soir... :A:
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Re: Luttes, stratégies: Anarchisme et altermondialisme

Messagede Lehning le Ven 9 Jan 2015 00:01

Bonsoir !

Pas inintéressant tout ça !
Pour info, Philippe Corcuff a rejoint la FA et quitté le NPA.
Il y a donc de l'espoir !^^

Salutations Anarchistes !
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Re: Luttes, stratégies: Anarchisme et altermondialisme

Messagede Bobomb le Ven 9 Jan 2015 15:05

Ouais j'ai vu ça !

Après je ne suis pas un grand fan de Gorcuff en général, mais cette idée "d'organisation politique libertaire" formulée par la "sociale-démocratie libertaire", ça me plait vraiment au fond !

Car sinon, je ne vois pas d'espoir de voir un jour se concrétiser de telles idées dans un futur dit "proche".

Bref, l'arrivée de Gorcuff à la FA a été vivement critiqué car certains ne voient en lui qu'un traitre social démocrate... C'est pour ça aussi que j'ai lancé le débat, je sais que du côté de l'anarchisme les gens n'aiment vraiment pas l'idée, car elle implique de se résigner à entretenir un rapport avec le pouvoir et plus seulement un rapport offensif, mais "complémentaire".

Et dans l'idée, oui, c'est difficile. J'ai mis longtemps à l'accepter. Mais j'essaie d'être pragmatique, et je me rends bien compte que quand je parle de Bakounine aux gens autours de moi, ils ne savent absolument pas qui c'est, alors dur d'aller creuser plus loin avec d'autres auteurs ; et quand je parle d'expérimentations sociales, on me réponds par des termes comme "marginaux", "terroristes", "hippies paumés", etc. Fréquenter les mouvements sociaux et les lieux de luttes c'est très bien, mais il ne faut pas non plus s'y enfermer. La société actuelle est très loin d'un grand bouleversement dans son ensemble. Rejeter en bloc l'idée de la social démocratie me parait alors bien aventureux, alors qu'en plus celle-ci pourrait être positive vis à vis de la propagation des idées libertaires... Bref, le débat est complexe.

Pour l'enrichir, un numéro de Contretemps, revue plutôt axée trotkystes mais parfois très intéressante. Et ce numéro a pour thème exactement cette fusion "marxiste-libertaire" dans un cadre "social démocrate altermondialiste":
http://www.contretemps.eu/sites/default ... s%2006.pdf
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Re: Luttes, stratégies: Anarchisme et altermondialisme

Messagede julien9662 le Dim 11 Jan 2015 14:36

Salut,

Si un parti va dans le sens des idéaux libertaires, s'il va aider à propager ses idées, s'il va tolérer l'autogestion, s'il va tolérer la réappropriation des territoires par les communes, les confédérations, les expérimentations sociales, etc, jusqu'à les favoriser, ne serait-il pas positif ?


C'est je pense une excellente question car fondamentale, qui peut se réduire en : le réformisme est-il opposé à l'idéal révolutionnaire ?

Dans le cas où un tel parti existait, il serait à mon sens contre-productif de le rejeter. Le problème est que si un tel parti n'est pas impossible, il me parait hautement improbable, puisqu'un parti visant le pouvoir (et c'est le cas de la quasi-totalité des partis) se gardera bien de mettre en œuvre les moyens de sa propre destruction.
Ce qu'il conviendrait de faire dans ce cas, ce n'est non pas validé un tel parti au risque d'une éventuelle récupération à des fins qui ne sont pas anarchistes, mais que les anarchistes eux mêmes prennent l'initiative de faire un parti dont l'objectif explicite et revendiqué ne serait pas le pouvoir mais au contraire sa destruction et surtout apporter l'a preuve que son absence est possible, par la réappropriation publique de l'espace local (les mairies donc) et une gestion collective de celui-ci.
Je pense donc que réformisme et révolution ne sont pas opposés (on constate d'ailleurs qu'une telle opposition à toujours conduit à la destruction du mouvement qui s'y emploi) mais au contraire ils sont complémentaires, si bien sûr l'objectif bien compris est partagé par les "deux camps" (ou plutôt les deux facettes de la même pièce).

Voila, j’espère t-avoir apporter une réponse satisfaisante.
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Re: Luttes, stratégies: Anarchisme et altermondialisme

Messagede Bobomb le Lun 12 Jan 2015 19:52

C'est là qu'intervient peut-être un autre question...

Si le réformisme n'est pas forcément opposé à l'idéal révolutionnaire, à partir de quand doit-on "baisser notre froc par le vote" ?
Ne faudrait-il pas choisir au vu des propositions actuelles, la moins pire des configurations politiques qui pourraient favoriser les moins pires conditions matérielles d'existence de vie et désamorcer les multiples aliénations quotidiennes au mieux qu'elle le peut ?

Par là, bien sur je n'entends pas Front de Gauche ou autre, mais pourquoi ne pas lutter pour faire émerger un parti du "mouvements des mouvements", un peu sur l'idée de Podemos mais en plus radical, moins aseptisé, et plus solide à tous les niveaux pour avoir une chance d'être élu ?

Je pense que c'est réalisable.

Ensuite, même si le parti en question ne veut pas mettre fin à l'Etat de lui-même, peut-être que si les aliénations quotidiennes sont moins importantes pour les dominé.es (l'action publique peut avoir des bienfaits concrets: action dans les quartiers dits populaires, réforme en profondeur de la police, meilleure répartition des richesses, sensibilisation aux questions environnementales et parti pris en faveur de l'agro-écologie et de la paysannerie, transition énergétique profonde et économie axée sur l'ESS, réformes profondes de la démocratie qui redeviendrait plus locale, horizontale, et transparente, réforme en profondeur de l'école qui ne serait plus vouée à une éducation à l'entreprise, politique extérieure plus censée, abolition de la publicité, réforme profonde du système carcéral, etc) et que leurs conditions matérielles posent moins de conséquences sociologiques, peut-être que si ces actions parviennent à changer la voie de la crise des valeurs permanente à laquelle on fait face, au moins en partie ; alors peut-être que les thématiques anarchistes prendront de l'ampleur dans la société, ou tout du moins qu'une certaine idée de l'émancipation s'installera dans les idées collectives.

Parce qu'aujourd'hui, on en est très loin.

La politique ne fait plus sens du tout, l'argent est prôné plus que jamais, la lutte des classes presque enterrée sauf dans les bars-tabacs pour chômeurs et dans quelques lieux de luttes, et, actuellement, ce qui fait sens pour les classes dominées c'est leur condition d'existence dans le présent, plus que des débats théoriques qui n'intéressent qu'une minorité à laquelle je fais partie par exemple (ce n'est pas un signe supérieur, loin de là; juste un constat).

Bien sûr, une "réforme en profondeur" de tous nos défauts (le système carcéral, le salariat, la transition énergétique, le productivisme, la police, le culte de l'argent, etc) ne changera pas énormément les choses et encore moins d'un coup ; mais c'est justement parce que je n'arrive plus à croire à un Grand Soir "d'un coup" que je pense que la progression d'un horizon émancipateur est une voie alléchante ; qui peut être productive sur le plan de l'avancée de la "lutte". Et je préfère aussi un citoyennisme qui permettent à tous les dominés d'être moins dominés (c'est à dire ne pas baigner dans les valeurs du dominant dès la naissance, ne pas galèrer au quotidien, ne pas subir le racisme, ne pas subir les dégâts de l'agriculture industrielle, vivre dans un monde qui semble moins "injuste", etc, etc) ; bref, tout un tas d'options qui permettront peut être à un maximum d'acquérir plus facilement une certaine conscience émancipatrice, c'est là l'important, si l'on ne veut pas en rester au stade de la critique théorique je pense.

Au final, je pense qu'en dressant un constat d'urgence, il est peut-être vain de chercher à tout prix à être le plus radical possible et à avoir forcément raison (bien que le débat soit plus que jamais nécessaire, et que bien sûr que tout ce que je dis là ne peut être suffisant à lui-même), tout comme il serait vain de faire croire à une révolution ou une insurrection imminente pour "nourrir les instants de luttes" alors que tout n'est finalement que voeux ; alors faudrait-il plus penser à aller vers un horizon commun - l'émancipation ; quel que soit le moyen et la méthode utilisée.
Et mettre les moyens d'émancipation au pluriel permet sûrement d'élargir le champ des possibles, même si cela doit prendre du temps.

Sinon, ça ne prendra pas de temps, mais ça ne prendra pas tout court.

(Avis personnel bien sûr)
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Re: Luttes, stratégies: Anarchisme et altermondialisme

Messagede julien9662 le Mar 13 Jan 2015 18:12

Si le réformisme n'est pas forcément opposé à l'idéal révolutionnaire, à partir de quand doit-on "baisser notre froc par le vote" ?
Ne faudrait-il pas choisir au vu des propositions actuelles, la moins pire des configurations politiques qui pourraient favoriser les moins pires conditions matérielles d'existence de vie et désamorcer les multiples aliénations quotidiennes au mieux qu'elle le peut ?

Par là, bien sur je n'entends pas Front de Gauche ou autre, mais pourquoi ne pas lutter pour faire émerger un parti du "mouvements des mouvements", un peu sur l'idée de Podemos mais en plus radical, moins aseptisé, et plus solide à tous les niveaux pour avoir une chance d'être élu ?

Je pense que c'est réalisable.

Là il n'y a pas qu'une question..
Déjà je ne suis pas sûr que le terme "baisser notre froc par le vote" soit approprié dans un contexte anarchiste, puisque le vote est largement employé dans ces milieux sous forme de démocratie directe, c'est en revanche l'usage qu'on en fait dans la démocratie représentative qui est décrié, car tout son potentiel d'action concrète y est subtilisé. En cela un parti fait PAR des anarchistes et des altermondialistes pourrait être à mon sens tout à fait acceptable et contribuerait à leur essor (même s'il y a tout de même des différences notables entre les deux).
Je ne pense pas cependant que "s’intégrer" dans un parti parti traditionnel ; qu'il soit le moins pire ou non, puis être d'une quelconque façon bénéfique à ces courants puisque tous sont basés sur ce même système biaisé qu'est la démocratie représentative. Tant qu'aucun chef de parti n'aura fait le choix "d'abdiquer son pouvoir" (si l'on considère qu'ils en ont un) pour se faire exécutif de la volonté de ses membres constitués je n'y croirais pas.
Mais effectivement une initiative de ce genre serait réalisable et tout à fait souhaitable.

Ensuite, à supposer que par chance nous trouvions et élirions un parti qui ferait tout ce que tu as décrit (ce qui parait fort peu probable dès lors que l'on connait le processus par lequel un parti gagne une élection à l'heure actuelle), je ne crois pas que ce qu'il en résultera c'est une volonté d'émancipation, mais plutôt un confort dans la satisfaction d'avoir une "certaine idée de l’émancipation", qui ne sera pas celle défendue par certain des mouvements dont tu parles.

Pour le reste je suis assez d'accord, je ne crois pas non plus au grand soir. Mais plutôt comme disait Moustaki, à la révolution permanente :) .
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Re: Luttes, stratégies: Anarchisme et altermondialisme

Messagede Bobomb le Mar 13 Jan 2015 21:26

Oui tu as raisons, il n'y a pas qu'une question. En fait, je me suis mal formulé.

D'un côté, je propose de choisir le "moins pire" dans la "configuration politique actuelle", de l'autre j'appelle à un nouveau parti du "mouvement des mouvements".

C'est bien cette dernière proposition qu'il faut retenir. Mais là où je voulais en venir, c'est que cette dernière proposition prendrait place dans justement le cadre de la démocratie représentative que dénonce les anarchistes.

Il y a d'énormes différences entre anarchistes et altermondialistes tout comme il y a d'énormes différences entre altermondialistes décroissants, trotkystes, néomarxistes, etc.

Mais tous sont d'accords sur des points d'horizons. Ces points, on peut les résumer hyper grossièrement par les quelques propositions que j'ai esquissées dans mon précédent message, des propositions qui sont toutes réalisables dans le cadre de la démocratie représentative je crois.

Bien sûr, ce passage transitoire par la représentation politique devra au plus vite mettre en place les conditions réelles pour plus de démocratie au sens de plus d'horizontalité, plus de local, plus de transparence, etc, etc. Mais ce passage me semble être une bonne tension entre compromis consensuel et actions dangereuses pour les dominants, ou tout du moins un compromis à la fois réalisable et raisonné.

Le principal débat une fois cette idée acceptée, c'est ce que te soulèves avec raison:

julien9662 a écrit:Ensuite, à supposer que par chance nous trouvions et élirions un parti qui ferait tout ce que tu as décrit (ce qui parait fort peu probable dès lors que l'on connait le processus par lequel un parti gagne une élection à l'heure actuelle), je ne crois pas que ce qu'il en résultera c'est une volonté d'émancipation, mais plutôt un confort dans la satisfaction d'avoir une "certaine idée de l’émancipation", qui ne sera pas celle défendue par certain des mouvements dont tu parles.


Personnellement, je ne le pense pas, pour la simple raison qu'une fois que tout le monde se rendra compte que ce confort est mieux que le reste, le débat se déplacera forcément sur la gauche. Et toutes les thématiques sur le rapport à l'Etat etc resurgiront de milles feux. Ce n'est pas sûr qu'elle l'emporte, mais le pari est lancé ; et je pense que c'est là qu'elles ont le plus de chances de l'emporter ; tout comme je pense préférer "un citoyennisme qui permettent à tous les dominés d'être moins dominés (c'est à dire ne pas baigner dans les valeurs du dominant dès la naissance, ne pas galèrer au quotidien, ne pas subir le racisme, ne pas subir les dégâts de l'agriculture industrielle, vivre dans un monde qui semble moins "injuste", etc, etc) " comme je l'ai dit.

L'autre option est au contraire la destruction du système actuel par le chaos en poussant ce système jusqu'à son paroxysme ; on peut par exemple en voir les traits en Grèce, dans certaines zones d'Espagne (c'est d'ailleurs ce qui s'est produit en 1936), avec toutes les nouvelles initiatives libertaires qui ont pris forme depuis 2008. Mais je pense que cela ne peut en rester qu'à un stade de balbutiement, car d'une part ces mouvements ne sont pas représentatifs de la majorité de la population du pays (et ne le seront jamais par cette stratégie je pense) ; d'autres part ils émergeront d'une façon très spontanée et non-organisée, ce qui a des qualités énormes mais aussi le défaut de ne pas avoir vraiment préparer "la suite" et l'absence de débats théoriques chez l'ensemble de la population, je pense donc que c'est extrêmement bancal pour tenir sur la durée ; enfin la société extérieure ne se laissera pas faire (on l'a vu en Espagne en 38, on le voit même avec les peuples indigènes et en particulier les zapatistes, obligés de garder les armes).

Attention, je ne dis pas: ces initiatives sont extrêmement positives et à saluer, bien sûr. Mais pourquoi une démocratie représentative puis une "démocratie représentative radicalement réformée" "dirigée" par un "parti du mouvement des mouvements" ne pourrait-elle pas s'inscrire en complémentarité de ces initiatives ?

C'est là que le rapport entre Global et Local est très importants. Les ZAD en France, toutes les coopératives, les AMAP, les lieux de vie libertaires (squat, librairie autogérées, bar/cafés autogérés, etc), bien sûr qu'il faut que ça fleurisse !! C'est là le but. Mais ces lieux ne feront que fleurirent de plus en plus dans le cadre d'une société "dirigée par un parti du mouvement des mouvements", je pense.

En fait, j'essaie de prendre en compte la complexification du capitalisme sur ces 40 dernières années, de ses dominations, ses visages, ses hégémonies, etc.
Et je me rends compte qu'à l'heure actuelle, espérer en Europe un changement de masse imminent est clairement irréaliste sauf à rester bloquer dans des locaux militants libertaires.

Par cette proposition, qui s'inscrit clairement dans une optique "transitoire" et qui semble un pari risqué, je voulais quand même essayer de dépasser l'antagonisme "révolution permanente" / "révolution par étapes", qui est plus un débat sur le cadre à défendre (national, international, etc), en particulier avec les réflexions sur l'autonomie et le rapport Global/Local forcément complémentaires.

A moins que tu entendes autre chose que je ne le pense par "révolution permanente" ? (je pensais moi à la définition marxiste)
Bobomb
 
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Re: Luttes, stratégies: Anarchisme et altermondialisme

Messagede julien9662 le Mer 14 Jan 2015 00:15

C'est bien cette dernière proposition qu'il faut retenir. Mais là où je voulais en venir, c'est que cette dernière proposition prendrait place dans justement le cadre de la démocratie représentative que dénonce les anarchistes.

Si c'est un nouveau parti auquel tu appel alors nous sommes d'accords, de plus quoi que nous fassions à l'heure actuel, nous le faisons dans un contexte de démocratie représentative étant donné que c'est elle qui dirige.

Par contre ce que je ne comprends pas si c'est un nouveau parti auquel tu appelles, c'est pourquoi le vouloir sur un mode représentatif ?
Un tel parti fonctionnant sur les méthodes depuis longtemps connu des anarchistes (démocratie directe, fédéralisme, mutualisme, redistribution etc.) permettrais directement l'application de ces idées plutôt que de passer par un hypothétique "état éclairé" (encore une fois peu probable) duquel on devra toujours se débarrasser pour parvenir à notre idéal, ce qui nous fait toujours revenir au même point.
De plus il ne faut pas oublier cet impressionnant pouvoir de corruption dont dispose le système, qui ne manquera pas de l'utiliser allégrement si un quelconque parti tenterait de lui faire de l'ombre. C'est d'ailleurs précisément la raison pour laquelle je dis que réformisme et révolution sont complémentaire, car sans la volonté radicale du révolutionnaire le réformisme se verrais sans doute très vite corrompu, devenant ainsi un ersatz de ce pourquoi il se battait initialement. A l'inverse, sans l'aspect pragmatique du réformisme, (ce qui manque cruellement à l'anarchisme d'ailleurs) la mouvance révolutionnaire est condamné à rester dans la marginalité et donc dans l'impuissance.

Mais pourquoi une démocratie représentative puis une "démocratie représentative radicalement réformée" "dirigée" par un "parti du mouvement des mouvements" ne pourrait-elle pas s'inscrire en complémentarité de ces initiatives ?

En fait tout dépend de l'objectif qu'on en a. Pour certains altermondialistes sans doute cette proposition est elle acceptable, pour un anarchiste en revanche je ne crois pas qu'elle le soit, pour une raison simple :
Accepter d'être représenter c'est accepter de déléguer à quelqu'un d'autre le pouvoir d'agir sur nos vies, et c'est je pense quelque chose de difficilement acceptable pour la plupart des anars ( c'est au moins mon cas mais je ne pense pas rencontrer à cet égard beaucoup de désaccord).

Alors bien sur il serait préférable, quit à avoir un état, d'en avoir un qui s'occupe du peuple plutôt que du profit (en oubliant que c'est utopique), et certainement cela contribuerait à redonner au peuple une certaine "confiance en lui" et en son potentiel d'action, mais cette démarche n'est je pense pas celle d'un anarchiste qui régit lui même les règles qui le concernent.

Pour ce qui est de la révolution permanente peut-être la définition que j'en ai n'est pas formellement exacte. Par la j'entends un état d’esprit, presque une philosophie qui consisterait à faire de la révolution non pas un "grand soir révolutionnaire" mais au contraire la voir dans chacune de nos actions, à petite comme à grande échelle. C'est donc faire le choix de la vivre au quotidien plutôt que de l'attendre passivement ( en prenant le risque de peut être ne la voir jamais).
julien9662
 
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