Le primitivisme contre la révolution

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Re: Le primitivisme contre la révolution

Messagede Specifix le Lun 17 Mar 2014 18:12

Severino a écrit:Désolé, j'ai passé l'âge de …
ça répond à la question de Lehning, je suppose …

Severino a écrit: je sais pas ce que ça veut dire "ne rien branler"
Paroles de branleur ?
Specifix
 
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Re: Le primitivisme contre la révolution

Messagede vroum le Mar 15 Avr 2014 07:54

1933 : des antiproductivistes écrivent à Adolf Hitler

http://www.monde-libertaire.fr/antifasc ... olf-hitler

En 1933, l’Ordre nouveau signe et publie dans sa revue éponyme une « Lettre à Adolf Hitler, chancelier du Reich ». Ce groupe, créé en 1930 à Paris, rassemble de jeunes intellectuels dégoûtés de la démocratie parlementaire mais rebutés par le bolchevisme. Ils déplorent la faillite spirituelle des sociétés modernes, prônent le personnalisme, critiquent le machinisme et ce qu’ils appellent le « productivisme ». L’Ordre nouveau relève de ce courant « non conformiste » qu’a dénommé et analysé Jean-Louis Loubet del Bayle dans un ouvrage séminal 1.

Mais pourquoi écrire à Hitler ? D’autant que toute personne s’intéressant sérieusement à la vie politique ne peut ignorer ce qu’est le national-socialisme à cette époque…

Les premières pages de Mein Kampf (1925) révèlent déjà l’hystérie antijuive de son rédacteur. La brutalité des nazis ne fait aucun doute. Le militant conseilliste Marinus van der Lubbe et l’anarchiste Erich Mühsam ont été arrêtés et torturés après l’incendie du Reichstag (février 1933)… Quant à la nature du fascisme italien au pouvoir depuis une dizaine d’années en Italie, il n’est nul besoin d’épiloguer.

Deux des membres de l’Ordre nouveau – Alexandre Marc (1904-2000) et Denis de Rougemont (1906-1985) – participent aussi au lancement, en 1932, de la revue Esprit animée par le personnaliste catholique Emmanuel Mounier (1905-1950). Avec René Dupuis (1905- ?), autre membre du groupe, ils collaborent également à la revue Plans (1931-1933) qui est animée par Philippe Lamour (1903-1992).

Lamour a été exclu en 1928 du Faisceau, premier parti fasciste français 2. Avec Pierre Winter (1891-1953), il fonde le Parti fasciste révolutionnaire dont la revue Plans constitue en quelque sorte l’organe théorique. Mais les liens entre l’Ordre nouveau et Plans se distendent, en particulier pour des raisons doctrinales. Le réseau de Lamour, qui inclut des personnes comme Le Corbusier, est en effet considéré comme trop technophile et trop moderniste.

En 1935, Arnaud Dandieu (1897-1933), Robert Aron (1898-1975), Claude Chevalley (1909-1984) et René Dupuis participent néanmoins – en tant que représentants de l’Ordre nouveau – au « congrès sur les corporations », organisé en mai à Rome par l’Institut fasciste de la culture, aux côtés de Mounier, Marion et d’autres.

La Lettre à Hitler
Signée par l’Ordre nouveau, par qui, précisément, la « Lettre à Hitler » de 1933 a-t-elle été rédigée ? Dans l’ours du numéro concerné figurent les noms d’Aron, Chevalley, Daniel-Rops, Dupuis, Jardin et Rougemont. Selon l’un des biographes de Rougemont, celui-ci n’aurait cependant pas participé à sa rédaction, qui aurait été l’œuvre d’Alexandre Marc 3. Le nom de Marc n’apparaît pourtant pas dans l’ours. Mais l’une de ses biographies confirme cette hypothèse 4. Quoi qu’il en soit, dans les numéros suivants de l’Ordre nouveau, personne ne proteste, ni ne se déjuge à propos de cette « Lettre à Hitler ». En toute logique, on peut donc considérer que sa teneur est partagée par l’ensemble du groupe.

La critique de « l’économie productiviste » est l’un des aspects qui ressort de la lettre. C’est un leitmotiv du groupe et de sa revue, qui apparaît dès son manifeste éponyme de mars 1931 proclamant : « L’Ordre nouveau, celui de l’homme concret, devra s’édifier sur les trois assises suivantes : a. Personnalisme : primauté de l’homme sur la société ; b. Communisme antiproductiviste : subordination de la production à la consommation ; c. Régionalisme terrien, racial et culturel 5. » La référence positive au communisme va toutefois disparaître rapidement, pour être remplacée par une critique du matérialisme et du marxisme – le second étant alors abusivement confondu avec le premier comme si tout matérialiste était fatalement marxiste. La dimension « raciale » sera également évacuée tandis que le régionalisme connaît un traitement variable. Restent le personnalisme et l’antiproductivisme.

La « Lettre à Hitler » de l’Ordre nouveau est longue : une trentaine de pages. Elle est divisée en trois parties plus l’introduction. Celle-ci prend acte, de façon positive mais aussi interrogative, de l’arrivée au pouvoir de Hitler : « Inutile donc de dire que nous ne sommes pas de ceux qui, dans l’immense aspiration nationale-socialiste, ne voient qu’un déchaînement d’instincts barbares et un exhibitionnisme puéril 6. »

La première partie salue « les victoires national-socialistes » qui ont « mis fin à un mensonge, celui de la démocratie libérale », « contre la dictature occulte de l’économique », qui a permis un retour « au réel, au charnel » : c’est une « œuvre courageuse » qui « a de la grandeur ». La deuxième partie constate en revanche les « défaites national-socialistes », car Hitler ne défend pas vraiment « le spirituel », c’est « un démocrate » qui « adore le travail » – plus précisément quelqu’un qui a « liquidé un régime d’oligarchie parlementaire pour le remplacer par une démocratie césarienne » (sic) – et dont le « nationalisme nie la patrie ». La troisième partie traite des rapports entre la France et l’Allemagne, en réalité entre le groupe de l’Ordre nouveau et la politique nazie.

Un amour antiproductiviste déçu
Cette lettre constitue en fait une déclaration d’amour déçu. Ses auteurs ont cru en certains aspects du national-socialisme. Ils ont pris au premier degré des éléments de son discours, tout en étant confortés par plusieurs caractéristiques de sa politique (le mépris de la démocratie parlementaire, notamment, le culte de la force). Hitler a en effet, selon eux, « senti que dans notre civilisation actuelle la guerre ne résulte pas essentiellement de rivalités politiques ou de questions de minorités, causes fortuites, mais beaucoup plus de l’erreur industrialiste, commune aux capitalistes d’Occident et aux communistes d’URSS » 7. Mais « la question est maintenant pour nous de savoir où vous en êtes ». Autrement dit de savoir si Hitler va appliquer son programme antiproductiviste. Le groupe de l’Ordre nouveau interroge avec insistance : « Votre critique porte-t-elle vraiment contre le point central, l’erreur décisive, le productivisme démesuré d’un capitalisme aux abois ? […] Avec le productivisme, cause profonde de la prolétarisation universelle, avez-vous rompu 8 ? » Or, comme un historien le soulignera à propos du nazisme, « la contradiction entre une idéologie hostile à la technique et l’État industriel moderne, entre le romantisme agraire et une guerre menée par des moyens relevant de la haute technologie n’était pas résolue pour autant. Mais le fascisme ne se souciait pas de résoudre les contradictions : il s’agissait uniquement de les écraser par la violence, de les faire oublier par l’esthétique et la communication de masse » 9. Amers, les auteurs concluent : « Vous avez peut-être fait une révolution, Monsieur le Chancelier, vous n’avez pas fait la révolution 10. » En effet, « vous ne rêvez plus que production réglementée, camps de concentration, travaux forcés à perpétuité pour tout un peuple. Par un chemin détourné, vous ramenez l’homme anxieux, avide de retrouver la noblesse du loisir et de l’activité spontanée, à la caserne productiviste » 11.

Et la suite ?
Chacun jugera du degré de sincérité et de pertinence de cette lettre, et du rapport de l’Ordre nouveau avec le fascisme qui, à l’époque, en a aveuglé plus d’un. Les membres du groupe étaient-ils assez naïfs pour croire dans la volonté antiproductiviste de Hitler ? De fait, les nazis pratiqueront une politique multiforme (construction d’autoroutes, de Volkswagen, de cités nouvelles et d’armement, mais aussi promulgation de lois protégeant les animaux et les paysages, encouragement à l’agriculture biologique, exaltation de la nature sauvage…). Pensaient-ils vraiment que Hitler allait appliquer leur programme ?

Après la guerre, certains regretteront leurs accointances variables avec le fascisme, d’autres non. Tous maintiennent cependant leur optique personnaliste et antiproductiviste qui les amène à soutenir le fédéralisme européen et l’écologisme sous un fond religieux, avoué ou non. Mais cet antiproductivisme continue à se méprendre sur la nature du capitalisme, lequel ne produit pas pour produire, mais pour vendre, ce qui institue ainsi un type de rapport socio-économique et de rapport à la nature.

Dans ces conditions, on comprend mieux comment se situent de nos jours celles et ceux qui en appellent à des « tyrannies bienveillantes » (Hans Jonas), à un « Führer vert » (Rudolf Bahro), à un « gouvernement scientifique planétaire » (Charbonneau) et autres mesures coercitives dictatoriales pour « sauver la planète ». Comprendre et frémir. Car si l’histoire ne se répète pas à l’identique, des erreurs qui ont été faites peuvent être reproduites. Cela est d’autant plus possible que l’écologisme actuel ne puise pas seulement dans le romantisme hippy du « retour à la nature », mais aussi dans les courants plus profonds du naturalisme intégriste et fondamentaliste – au moins chez ses idéologues et ses intellectuels. Et ceux-là sont bien plus puissants que les babacool. Ils ont déjà instillé leur vocabulaire, leurs conceptions et leur stratégie… Le pseudo anticapitalisme et le pseudo antiétatisme peuvent mener à leur contraire s’ils ne sont pas correctement formulés et appliqués. Tout le trajet de l’Ordre nouveau l’a démontré.
Si Hitler a échoué dans le programme antiproductiviste, quid des autres régimes fascistes ? Après la guerre, René Gillouin (1881-1971) souligne que le but du programme de Vichy était de « mettre un terme au règne de l’économique et à son immorale autonomie en subordonnant le facteur argent et même le facteur travail au facteur humain sans tomber pour autant dans les erreurs inverses du collectivisme » 12. Il est vrai que ce conseiller, et intime, de Pétain de 1940 à 1942, dont il a inspiré plusieurs discours, était bien placé pour en parler… Toute ressemblance avec des idées actuelles est-elle fortuite ?

Philippe Pelletier


1. Loubet del Bayle Jean-Louis, Les Non-Conformistes des années 1930, une tentative de renouvellement de la pensée politique française, Paris, Seuil, 1969, 498 p.
2. Le Faisceau est créé en 1925 par Georges Valois (1878-1945), passé du syndicalisme révolutionnaire anarchiste à l’Action française en 1906 où il expose les idées de Proudhon. Valois et Jacques Arthuis (1894-1943), autre ténor du Faisceau, prennent leur distance avec le fascisme mussolinien dès le début de 1928. Ils rentrent dans la Résistance, sont arrêtés et meurent en déportation en Allemagne. Pendant la guerre, Lamour se tient à distance du régime de Vichy et de la Résistance.
3. L’Ordre nouveau, revue mensuelle. 1-5, 15 novembre 1933, p. 3-32. D’après Bruno Ackermann, biographe de Rougemont, cette « lettre » aurait été surtout rédigée par Alexandre Marc et Henri Daniel-Rops. Voir Jacob Jean, Le Retour de l’Ordre nouveau, les métamorphoses d’un fédéralisme européen, Genève, Droz, 2000, 320 p., p. 117.
4. Alexandre Marc, Institut universitaire européen, fiche biographique, p. 5.
5. Loubet del Bayle, op. cit., p. 443.
6. « Lettre à Adolf Hitler, chancelier du Reich », L’Ordre nouveau, 1-5, 1933, p. 3-32, p. 6.
7. Ib., p. 4.
8. Ib., p. 11.
9. Reichel Peter, La Fascination du nazisme, Paris, Odile Jacob, 1997, 464 p., p. 304-305.
10. « Lettre à Adolf Hitler, chancelier du Reich », L’Ordre nouveau, 1-5, 1933, p. 3-32, p. 15.
11. Ib., p. 18.
12. Gillouin René, J’étais l’ami du maréchal Pétain, Paris, Plon, 1966, p. 203. En évoquant le collectivisme, Gillouin fait référence à l’Union soviétique. Mais on peut inclure dans sa conception le collectivisme anarchiste de la Révolution espagnole.
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