Sur l'anarchosyndicalisme

Espace de débats sur l'anarchisme

Sur l'anarchosyndicalisme

Messagede Paul Anton le Jeu 4 Sep 2008 13:22

Quelques remarques sur le présent et l'avenir
Par Les amis de l'A.I.T.

L'Affranchi no 6 (juillet - août 1993)

Se revendiquer de l'anarchosyndicalisme n'est pas chose évidente par les temps qui courent. Peut-être faut-il commencer par définir ce que nous entendons par là. La référence à l'anarchie repose sur l'idée qu'une société vraiment libre ne peut être qu'une société d'hommes libres, sans exploiteurs, sans dirigeants, une société autogérée. La référence au syndicalisme est à mettre en rapport avec une tradition, celle du syndicalisme-révolutionnaire du début du siècle. Nous n'allons pas faire un cours d'histoire ; disons simplement que, puisque ce sont les travailleurs qui font fonctionner la machine capitaliste, nous acceptons l'hypothèse suivant laquelle ils pourraient aussi l'arrêter et la transformer. Nous restons partisans de l'idée qu'une grève générale internationale pourrait venir à bout de ce système. Cette conviction est bien sûr théorique. Si les travailleurs voulaient changer la société, ils le pourraient sans doute. Tout le problème est de reconstruire cette volonté.

Pour nous un véritable syndicat, comme d'autres organisations directement utiles aux exploités (comités de base, de quartiers, de chômeurs...), peut être l'endroit où ceux qui sont journellement exploités apprennent à se prendre en charge, à s'organiser, à lutter. Par anarchosyndicalisme nous entendons un anarchisme social, une forme de résistance, un type d'organisation qui n'existe plus en Suisse. Nous nous différencions donc de certains anarchistes qui pensent qu'il est suffisant de propager des idées par l'écrit, par la parole, ou par des actions exemplaires. Nous ne voulons pas éduquer le peuple, nous voulons qu'il s'éduque lui-même.

L'ACTION NE SE SUFFIT PAS A ELLE-MEME

D'autre part et contrairement à une idée assez répandue, nous ne pensons pas que l'action se suffise à elle-même. Nous nous inscrivons en faux vis-à-vis de toute une tradition qui voudrait que les travailleurs aient les mêmes intérêts, et que les revendications des uns soient favorables aux intérêts des autres. Le capitalisme n'est pas seulement un système de concurrence entre les patrons, il est souvent aussi un système qui produit de la concurrence entre les travailleurs. Nous ne pensons pas que la lutte des classes soit une évidence, un fait de nature. Il ne faut pas négliger le fait que le salarié est aussi consommateur. L'intérêt immédiat, purement matériel, du salarié-consommateur est d'avoir un bon salaire, mais il peut aussi considérer qu'il est préférable que les autres travailleurs, dont il consomme les biens et utilise les services, soient mal payés. Le corporatisme a une base objective. Nous allons prendre un exemple français pour illustrer ce que nous venons de dire, ce cas est bien sûr extensible aux autres pays occidentaux. On a vu dernièrement défiler dans les rues de Paris des ouvrier(ère)s du textile qui protestaient, coude à coude avec leurs patrons, contre les importations de vêtements du sud-est asiatique. On peut toujours expliquer à ces travailleur(euse)s que si leurs collègues du Tiers-monde étaient payé(e)s au même tarif qu'en France la concurrence serait moins rude ; mais il est bien plus simple (et réaliste) pour eux (elles) d'exiger la fermeture de la frontière aux importations. Si l'on poursuit avec cet exemple, on peut aussi affirmer que contrairement aux ouvrier(ère)s du textile, les autres travailleurs français peuvent se dire qu'ils ont tout intérêt à ce que les ouvrier(ères)s du sud-est asiatique soient très mal payé(e)s, cet état de fait leur permettant de remplir leurs armoires de fringues bon marché... On pourrait faire des démonstrations du même style sur les intérêts divergents des fonctionnaires et des contribuables, des paysans et des ouvriers, etc.
Tout cela pour dire que contrairement à ce que l'on a souvent cru, le slogan « prolétaires de tous les pays, unissez-vous !» ne correspond pas à une nécessité objective, mais doit être compris comme une volonté qui transcende les intérêts immédiats des prolétaires. La solidarité entre les exploités de tous les pays et de tous les secteurs ne peut exister qu'en référence à un idéal, à un projet de société, basé sur d'autres principes et d'autres valeurs que la lutte immédiate pour l'amélioration des conditions matérielles.

QUELLE UTOPIE ?

La tradition socialiste a souvent refusé de décrire, ou tout au moins d'entrer dans les détails de ce à quoi pourrait ressembler la société qu'elle appelait de ses vœux. Nous pensons qu'il faut aborder cette question. Nous croyons qu'il est nécessaire de construire une utopie concrète, crédible. Il faut mettre en évidence les problèmes qui se posent lorsque l'on envisage une humanité où aurait disparu l'exploitation de l'homme par l'homme. Cette tentative peut paraître à certains comme complètement absurde, mais nous pensons que la crise que connaît le mouvement ouvrier aujourd'hui est liée à la disparition de ce projet, qu'il s'appelle socialisme, communisme, collectivisme ou anarchie.
A l'origine de ce projet il y avait une exigence qui est toujours la nôtre, c'est celle de l'égalité. L'égalité est un principe qui fait son chemin dans la culture occidentale depuis la révolution française. Actuellement on parle d'égalité des chances, ce qui signifie que chacun devrait avoir la même "chance" de surpasser et dominer les autres... L'idée d'égalité est ainsi complètement dévoyée. Pourtant "à gauche" on marche à fond là-dedans. On lutte pour qu'il y ait autant de femmes que d'hommes aux postes dirigeants, pour qu'un nombre convenable de fil(le)s d'ouvriers arrivent à l'université... Nous, nous concevons l'égalité dans son sens littéral. C'est-à-dire : égalité des revenus quelles que soient les tâches accomplies, la profession exercée, et non une pseudo-égalité des chances qui ne favorise que quelques privilégié(e)s.

LE PRODUCTIVISME : REMEDE A TOUS LES MAUX ?

Les théories économiques modernes partent du postulat que seule une augmentation de la production industrielle peut améliorer les conditions de vie de la majorité. Les libéraux prétendent que seules les sociétés très riches voient diminuer les inégalités. Les socialistes pensent depuis toujours que l'on peut partager la richesse, mais pas la pauvreté. La téléologie marxiste a diffusé l'idée que la société, une fois délivrée du capitalisme, connaîtrait l'abondance et serait libérée de tous ses maux. Souvent, au sein même du mouvement libertaire, on a cru que la science et la technique pourraient répondre à tous les besoins de l'humanité, et qu'une révolution décuplerait les capacités de production de la société. Le moment est venu, nous semble-t-il, de remettre en cause ces prévisions optimistes ; ne serait-ce que parce que les besoins des hommes peuvent être illimités, surtout quand on les stimule en permanence comme le fait le capitalisme.
Et puis le développement industriel a des limites. Nous savons que si, par exemple, les Chinois et les Indiens parvenaient à avoir une voiture pour deux personnes en moyenne, comme en Suisse, nous cesserions immédiatement de voir le soleil tant la pollution serait importante. Alors si nous voulons l'égalité et continuer de voir le soleil, il faudra probablement que nous, occidentaux, renoncions à posséder des voitures, ou en tout cas des véhicules polluants. Ceci pour dire que contrairement à ce que croient encore les marxistes, ce n'est pas le développement industriel capitaliste qui va engendrer les conditions nécessaires à la société sans classes.

DES INDIVIDUS AUTONOMES

C'est là que la composante libertaire de notre projet prend toute son importance. L'exigence de liberté qui est la nôtre ne signifie pas le droit de satisfaire toutes ses pulsions, mais la capacité pour chacun de nous de dominer son existence, de maîtriser sa vie. Or qu'en est-il aujourd'hui ? Quand on a du travail, on exécute ce que l'on nous demande, même si cette activité est inutile ou néfaste. Le travailleur fait ce qu'on lui dit et consomme se qu'il trouve dans les temples modernes que sont les supermarchés. D'autre part la rationalisation capitaliste engendre un chômage de plus en plus massif, marginalisant et privant de dignité de plus en plus de gens.
L'observation des pays de l'ancien bloc de l'Est a montré qu'une société entièrement planifiée ne peut être que totalitaire. Comme le prévoyait déjà Malatesta en 1907, un gouvernement, un parti, prétendant contrôler l'ensemble de la production et de l'administration ne peut engendrer qu'un système encore plus irrationnel que le système libéral. Ne serait-ce que parce que la possibilité de prendre des initiatives est limitée à un groupe encore plus restreint que dans un régime capitaliste.
Le système libéral offre à chacun, en théorie, la liberté d'entreprendre. En pratique seuls ceux qui possèdent de l'argent, du pouvoir, des relations y parviennent. Seule une petite minorité de politiciens, de patrons et de gestionnaires décident de l'avenir de tous. La société se prive ainsi des capacités et de l'enthousiasme de la majorité, qui est exploitée, brimée ou marginalisée.
L'erreur du socialisme autoritaire, tant dans son expression sociale-démocrate que dans son expression léniniste, a été de partir de l'ensemble de la société alors qu'il aurait fallu partir aussi de l'individu. Quand les individus pourront "planifier" leur existence personnelle, une société juste sera possible.
Ce concept d'individu autonome est très important, il a des implications pour les activités quotidiennes et les luttes d'aujourd'hui. Au moment d'évaluer un mouvement, il faut se dire que seules les pratiques où tous les participants se prennent en charge et s'impliquent personnellement, sont constructives. Les organisations dans lesquelles il y a un ou deux bergers et une masse de moutons ne vont pas dans le sens de l'émancipation. C'est pourquoi les organisations que nous souhaitons développer ne devront pas avoir de permanent payé. Un syndicat constitué d'adhérents passifs qui pensent qu'en échange d'une cotisation ils bénéficieront de certaines prestations est pour nous sans intérêt. La lutte contre le pouvoir se vit au quotidien, et en premier lieu au sein de nos organisations.

LA COMMUNE

Un autre principe de notre utopie concrète qui a des implications aujourd'hui est le concept de commune. Le système fédéraliste que les anarchistes appellent de leurs vœux ne s'appuie pas sur l'idée de nation, de région ou de canton, mais en priorité sur celle de commune. Idéalement on imagine que ce sont les villes et les villages qui constitueront la base du système fédéraliste anarchiste. Nous pensons que l'actualité devrait nous amener à renouveler et à approfondir cette approche. A l'heure où Serbie, Croatie, Bosnie... riment avec massacres, viols et purification ethnique, l'image de la ville martyre de Sarajevo où résiste une population multi-ethnique devrait faire réfléchir.
Loin de nous l'idée de partir à la conquête du monde à partir du conseil communal de telle ou telle localité, nous nous situons au niveau de l'utopie, mais nous sommes quand même "réalistes" !
Si l'on souhaite que les rapports marchands, l'argent, disparaisse un jour et que l'administration soit simple et réduite, pour éviter la bureaucratie, il faut partir de l'idée qu'une agglomération devra produire l'essentiel de ce dont elle a besoin. Nous n'entrons pas dans les détails des technologies à développer pour mettre en place de petites unités de production, des nouvelles sources d'énergie (solaire), des réseaux de solidarité et d'échange à développer avec des localités agricoles environnantes ou plus lointaines... Il y a là de quoi faire réfléchir ingénieurs et autres techniciens, géographes, urbanistes, sociologues etc. (avis aux amateurs).
De toute manière il faut partir de l'idée que dans une société anarchiste il n'y aura pas qu'un seul modèle, mais que différentes formes d'organisation seront expérimentées suivant les idées et les traditions locales. Peut-être faut-il dire ici que nous ne partageons pas le fantasme d'une société homogène et sans conflits. Des divergences existeront évidemment (comme elles existent aujourd'hui chez les anarchosyndicalistes) sur les choix à faire en commun. Faudra-t-il favoriser l'art ou le sport ? La recherche médicale ou les transports publics ? Certains collectifs ou individus seront disposés a faire des efforts particuliers pour bénéficier de tel ou tel avantage, alors que d'autres préféreront avoir plus de temps libre, etc. Il s'agit de problèmes qui se posent déjà dans nos sociétés, mais à la différence d'aujourd'hui, ce ne seront plus des critères marchands qui présideront à ces choix, mais des préférences motivées par le respect de l'individu et l'environnement, les ressources disponibles, les penchants et les envies des personnes.

LA VILLE : UN LIEU DE RESISTANCE

La principale leçon que nous pouvons tirer aujourd'hui du postulat communaliste, c'est que la ville doit devenir à la fois un lieu de vie, de travail, de création et de loisir. En devenant un lieu de résistance, la ville redeviendra peu à peu un lieu vivable, où l'on aura envie de faire des choses, et non un endroit que l'on essaie de fuir dès que l'on a deux jours de congés.
Dans cette période où les luttes des travailleurs se raréfient, on sera souvent, par nécessité, amené à privilégier l'organisation sur le plan local. Quand on ne peut pas compter sur la mobilisation de son secteur d'activité sur le plan national, il faut pouvoir s'appuyer sur la solidarité des militants, adhérents et sympathisants appartenant aux différents secteurs d'activités de l'endroit où l'on vit. L'organisation anarchosyndicaliste devrait viser à devenir un lieu où il se passe quelque chose, où l'on peut échanger des informations, nouer des liens, apprendre... En Suisse nous avons découvert que certains squats à vocation culturelle ou sociale jouent un rôle approchant. Parfois un simple journal, qui relie des isolés, peut être le point de départ d'un réseau de solidarité. C'est ce que nous essayons de faire à notre petit niveau avec l'Affranchi.

DES IDEES, DES PRATIQUES

Nos projets sont ambitieux, nos moyens sont limités. Le rapport de force est aujourd'hui très défavorable pour l'ensemble du mouvement ouvrier. Nous ne connaissons pas de recette miracle. Dans ce contexte, il faut avant tout tenir. Il est inutile d'essayer d'occuper le même créneau que les syndicats officiels et autres, en faisant de la surenchère sur les revendications. Nous devons au contraire montrer notre différence, renforcer notre identité.
Avancer des revendications pour l'égalité, contre les hiérarchies salariales, intégrer les revendications des chômeurs, des précaires; aborder aussi des dimensions qui sont, à tort, laissées en marge du monde du travail comme l'écologie, l'anti-militarisme... est essentiel.
Il ne faut pas négliger les thèmes qui mettent en cause la gestion capitaliste, en particulier ce qui est en rapport avec la sécurité du travail, les risques de maladies et d'accidents professionnels, la qualité des produits et prestations que les travailleurs ne peuvent souvent pas assurer par la faute des exigences patronales de rentabilité, etc.
Les échanges d'information, d'expériences, de réflexions, sur le plan international peuvent nous renforcer. Nous avons l'AIT, ce peut être un atout si nous sommes capables d'échanger véritablement. Il ne faut pas hésiter à faire connaître les échecs, les difficultés. Ne pas hésiter à remettre en cause certaines certitudes, à casser certains mythes. Il faut aussi nous dire que nous sommes parmi les seuls aujourd'hui à pratiquer de façon concrète la solidarité internationale, en particulier avec des militants et des travailleurs du Tiers-Monde.
En montrant que derrière toutes nos actions il y a un projet global, nous parviendrons peut-être à regrouper ceux qui partagent en gros ce projet, même si parfois ils n'y "croient" plus. Plus qu'à l'activisme, le moment est à la "revitalisation" des idées, à la réflexion, aux débats. Nous ne sommes pas maîtres de l'avenir, les explosions sociales sont très souvent imprévisibles. Nul ne sait exactement quand, ni comment, ni où, des dynamiques favorables peuvent émerger. Mais nous savons que la colère existe et qu'elle peut à tout moment se manifester. Nous travaillons donc aujourd'hui à donner du sens à ces révoltes potentielles. Même si cela ne peut se mesurer, c'est déjà considérable.

Lausanne, le 26 mai 1993
Paul Anton
 
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Re: Sur l'anarchosyndicalisme

Messagede Paul Anton le Jeu 4 Sep 2008 13:23

L’ANARCHOSYNDICALISME QUESTIONNE
Rappeler “nos évidences”, les grandes lignes de ce que nous pensons, ne suffit pas, et il faut aller plus dans le détail. Voici l’état de notre réflexion sur quelques unes des grandes questions qui agitent le milieu libertaire en ce moment.
Voter, est-ce agir ?
Nous refusons toutes les élections, qu’elles soient politiques ou professionnelles. Car jamais un élu, de quelque bord qu’il soit, n’a à parler ni à décider à notre place. Face au pouvoir des canailles, nous appelons en toutes circonstances à l’abstention.
On nous dit que les élections seraient le moyen pour les opprimés de renverser la situation. Observons tout d’abord que les alternances gouvernementales n’ont rien produit de semblable. Abusivement présenté comme démocratique, le parlementarisme, produit de la délégation de pouvoir, favorise la démission au quotidien, déshabitue les individus de l’exercice du pouvoir politique et favorise les "spécialistes" de la politique et autres nantis. Défendre le parlementarisme, c’est accepter de se soumettre aux résultats des urnes, aux 82 % de suffrages qui ont hissé Chirac sur le pavois, c’est légitimer la politique anti-sociale qui en découle. C’est aussi attendre éternellement la "prochaine" élection pour espérer un changement, et, dans l’attente, continuer à se faire piétiner. C’est transformer la lutte sociale en champ clos de conflits entre fractions parlementaires qui, lorsqu’elles sont minoritaires se présentent comme "la" solution de rechange, avant de continuer toujours la même politique quand elles reprennent le pouvoir. Un mouvement de lutte qui chercherait à s’appuyer sur le parlementarisme ne peut que s’affaiblir et se diviser et oublierait la masse croissante d’exploités qui refuse le jeu électoral et s’abstient consciencieusement à chaque élection.
Si l’électoralisme divise, l’action directe construit au contraire le rapport de force puisque, par définition, elle est l’action collective et sans intermédiaire des opprimés en lutte. L’action directe est la base originelle du syndicalisme, celle qui lui a permis, un temps, de contrer les attaques du capital. Il est grand temps de renvoyer les bureaucrates, les permanents politiques et syndicaux, les "partenaires sociaux", les élus (politiques ou professionnels), les spécialistes du paritarisme (qui participent à la gestion anti-sociale des caisses et de l’administration) aux poubelles de l’histoire.
Nous refusons tous les partis politiques, toutes les chapelles, tous les États et toutes les cliques d’arrivistes et de possédants, qui, au nom de la démocratie, de dieu ou d’un drapeau vivent en parasites sur la misère matérielle et morale qu’ils nous imposent à coups de lois et de milices. A bas l’État, le parlementarisme et les partis politiques !
La violence des masses est-elle contre-révolutionnaire ?
La violence révolutionnaire n’est autre chose que la quantité d’énergie nécessaire à produire une rupture historique. L’étude attentive de l’histoire montre que se sont les mouvements de réaction, et non l’action révolutionnaire, qui produisent la Terreur ou la guerre. Les événements les plus sanglants sont le produit du reflux révolutionnaire et non les causes de son insuccès.
Il est dans l’air du temps de prôner une sorte de "non-violence politiquement correcte", en imputant à l’utilisation de la violence les échecs des différentes luttes révolutionnaires. Et loin d’approfondir les leçons du passé, on s’enfonce de plus en plus dans des raccourcis faciles, imprégnés d’imagerie scolaire. Ces simplifications sont très utiles depuis deux cents ans à tous les réactionnaires qui utilisent la confusion entre la violence de masse et les épisodes de la Terreur.
Pour les anarchosyndicalistes, il est au contraire fondamental de repérer dans l’histoire ces moments de rupture (qu’ils se situent en 1789, 1917 ou 1936) pendant lesquels la population quitte son rôle passif pour passer à l’action [1]. A l’inverse, les épisodes de réaction se caractérisent par le retrait de la scène historique des masses populaires, qui laissent ainsi la place à des fractions politiques. Ces dernières mettent un terme à toute destruction du pouvoir pour, au contraire le reconstruire, le défendre et finalement le conquérir. Le résultat est un mouvement centralisateur, étatique et militariste. Une lecture plus fine de l’histoire montre que se sont ces mouvements de réaction -et non l’action révolutionnaire—, qui produisent la Terreur comme la guerre. Les événements les plus sanglants sont le produit du reflux révolutionnaire (Exemple : la Bataille de l’Ebre, en 1938) et non les causes de son insuccès.
Le discours dominant nous habitue à un concept de violence aussi polyvalent que creux. Est dès lors réputée violente toute action qui ne rentre pas dans le moule de la protestation "citoyenne", du syndicalisme intégré ou des autres formes de contestation politiquement correctes. Globalement, le qualificatif "violent" est essentiellement une étiquette qui permet de stigmatiser l’adversaire. Par ce tour de passe-passe, il n’y a de violence que chez ceux qui contestent le système, tandis que les oppresseurs, qu’ils bombardent une cité, affament la moitié d’un continent ou torturent dans les commissariats et les camps, sont toujours les gardiens du droit et de la justice et finalement de véritables non-violents auxquels rien (si ce n’est une regrettable bavure de temps en temps) ne saurait être reprochée. Les révolutionnaires qui se prennent à singer cette rhétorique nous font assister à un étonnant spectacle et donnent l’impression de chercher à s’excuser de vouloir renverser l’ordre établi.
La révolution libertaire ne peut triompher que par la participation des masses. C’est cette participation, qui détermine le rapport de force. Plus celui-ci est élevé et plus la violence est limitée. C’est donc quand ce rapport de force est élevé (et non quand on est en état de "légitime défense" ou pire, "lorsque la violence est imposée par une provocation", comme on le lit parfois) que les masses peuvent détruire le pouvoir qui les exploite et les domine. Ceux qui prônent la non-violence à ce moment là (quand tout est possible et que la violence peut être très limitée) pour ensuite réfuter la non-violence en période de reflux (par exemple en légitimant alors seulement la "légitime défense"), prouvent simplement deux choses : qu’ils utilisent la non-violence comme concept tactique (et non comme un postulat philosophique qui mériterait d’être discuté autrement) et qu’ils l’utilisent mal. En effet ils sont à rebours de toute la dynamique révolutionnaire, car ils raisonnent en dehors des masses, comme si le mouvement anarchiste devait être coupé d’elles. Certains en arrivent à tant les mépriser (à force de confusion historique et légaliste) qu’ils peuvent tenir des propos, tels que "Les pauvres par eux-mêmes ne peuvent que foutre le bordel" [2], qui constituent la négation même des capacités d’auto-organisation des masses. Ce qui revient à nier la base de la philosophie libertaire.
Cette façon de tourner en rond de pseudo-penseurs provient d’une incapacité à concevoir la société autrement que telle qu’elle existe à ce jour. La question doit donc être posée autrement : Est-ce qu’une société viable, non impuissante, c’est-à-dire capable d’organiser les rapports inter-individuels, ne peut, pour fonctionner, que reproduire éternellement les mêmes rapports de domination ? C’est dans notre capacité à modifier radicalement les rapports que nous vivons actuellement, à penser d’autres formes de société, dans lesquelles le pouvoir appartiendrait à l’ensemble de la collectivité, et non à une classe, ne s’imposerait à personne en permettant à tous de s’impliquer, que réside la réponse. Cette capacité collective, l’humanité la possède, comme de nombreux faits le prouvent, que ce soit l’existence fort ancienne de sociétés sans État [3] ou les pratiques contemporaines des collectivités et assemblées (soviets, conseils, collectivités de 1936..). Les anarchosyndicalistes doivent tout mettre en œuvre pour faciliter, dans les moments de rupture historique qui se produiront, ce basculement, sous peine de voir se reconstituer, une fois de plus, l’État. Car c’est effectivement l’incapacité à produire ce basculement, à abolir les divisions sociales qui, laissant le champ libre à la réaction, est la cause de la reproduction du pouvoir ; et pas, comme on voudrait nous le faire croire, la violence révolutionnaire des masses.
Le syndicalisme doit-il être non-idéologique ?
Tout discours sur les choix de société, que ce choix consiste en un maintien ou un changement, est idéologique. Seule l’idéologie permet de saisir et d’élaborer du sociétal. Tout groupe qui poursuit un but social ou politique est mû par une idéologie, qu’il s’en réclame ouvertement ou qu’elle soit implicite. Le syndicalisme n’échappe pas à la règle. Comme les autres forces sociales, il est à la fois production et producteur d’idéologie.
Quand le "syndicalisme" se prétend non-idéologique il est soit un simple conglomérat d’individus qui n’ont pas grand chose en commun (et qu’un débat un peu profond sur quelque problème sociétal d’envergure ferait exploser), soit un conglomérat de gens qui ont tellement intégré l’idéologie dominante qu’ils ne peuvent plus s’y soustraire et qu’ils se satisfont d’un profil revendicatif (éventuellement d’un "syndicalisme de combat") mais sans remettre en cause le principe même de l’exploitation (comme le font aux USA des syndicats hyper-activistes dans la forme mais hyper-réformistes dans le fond), soit, le plus souvent, une courroie de transmission. Dans ce dernier cas, le syndicat soit disant non-idéologique a subi en fait un travail d’anéantissement théorique de ses options de départ pour le compte d’une autre force (qui pratique dans le syndicat l’entrisme, le noyautage). Le refus affiché de l’idéologie et l’apolitisme sont alors la marque de cette prise en main de l’intérieur. L’expérience sur ce point est ancienne. En France, la "Charte d’Amiens" (1906) qui prétendait aux principes de neutralité, d’apolitisme, d’indépendance et de non-intrusion entre les sphères d’activité du syndicat (revendications salariales immédiates...) et celles des partis (auxquels reviendrait le choix de société et sa future gestion) a assuré successivement le triomphe des réformistes puis des marxistes-léninistes dans le mouvement social.
C’est contre cette conception que s’élève l’anarchosyndicalisme. Celui-ci reconnaît que la société actuelle est façonnée par trois grands types d’ordres : idéologique, politique, économique. La société dans laquelle nous vivons s’organise sur la base de l’exploitation d’une classe sociale et découle de la co-action dans le monde entier de ces trois ordres : économique (capitalisme, quelle qu’en soit la nature juridique), politique (étatisme, quel qu’en soit le régime), idéologique (domination, quelles qu’en soient les variantes), ce qui les rend consubstantiels au système social en vigueur. Ils se corroborent et se pérennisent dans leurs modes et rapports. Dès lors, ne viser à changer, pour des raisons tactiques, qu’un seul des trois ordres est une erreur, car les deux autres ordres travaillent à rétablir continuellement celui qui se trouve momentanément en situation de faiblesse. Choisir un seul angle d’attaque, c’est, on le comprend dès lors, s’engager dans l’impasse du parcellaire et du fragmentaire.

Les syndicats réformistes sont-ils un "mal nécessaire" ?
Nous rejetons le syndicalisme de collaboration de classe, qu’il soit porté par les vieilles centrales (CFDT, CGT, FO) ou par leur progéniture alternative (SUD, UNSA,...) Ce ne sont que les rouages d’un vaste système d’exploitation, de division et de domination. Parce qu’ils cogèrent notre domestication avec l’État et le patronat, ces syndicats réformistes sont aussi le pouvoir. Ils sont nos ennemis de classe. Nous n’avons rien à faire avec eux.
Par leur intégration dans l’État (à travers les commissions administratives paritaires, la participation à la gestion des organismes dits sociaux...) comme par leur collaboration au plus haut niveau avec le patronat (élections prud’homales,...), les unes et les autres ne sont que des rouages d’un vaste système d’exploitation, de division et de domination. Oubliant leur visée transformatrice initiale, les réformistes, pris dans la tactique électorale, oublient le fond car, pour eux, gagner des places dans les institutions est devenu l’essentiel. La tactique a fini par aboutir au tacticisme en détruisant toute la théorie révolutionnaire qu’il pouvait y avoir au départ. Il n’y a plus ni finalité, ni sens, ni principe. Le tacticisme n’est pas la maladie infantile ou sénile du révolutionnaire. C’est sa transmutation. De facto, réformistes anciens et néo-réformistes défendent les institutions, tantôt discrètement, souvent ouvertement, parfois brutalement. Ils s’opposent à la résistance populaire autonome, contraire à leurs buts et intérêts. Ils sabordent toute lutte n’entrant pas dans leur conception étroite. Ils affaiblissent toute riposte efficace aux réactions violentes de la bourgeoisie. Par-là, ils font le jeu des totalitarismes. Ils pérennisent les instruments de la domination bourgeoise, consolident l’appareil étatique (qui sert à manipuler ou à réprimer les prolétaires, les opprimés). En échange, combien nombreux sont ceux qui peuvent obtenir de bonnes places, des privilèges, des revenus !
Les réformistes (sociaux-démocrates, verts, voire communistes) et les néo-réformistes (communistes, trotskistes, issus de divers courants d’extrême-gauche, voire de l’anarchisme) se querellent entre eux, mais, sur le fond, ils visent les mêmes choses. Depuis quelque temps, ils sont plus nombreux à se revendiquer "anarchistes", "libertaires", "municipalistes", "syndicalistes révolutionnaires"... ils tentent une manipulation théorique, historique, sémantique. Ces soi-disant "anarchistes" militent dans des syndicats réformistes (certains y sont même permanents) et préconisent la participation aux élections syndicales. Certains voudraient même nous faire croire qu’au niveau municipal ils pourraient créer des sortes de communes autogérées, libertaires ; prenant vraiment les libertaires pour des imbéciles. Les vrais anarchistes, les vrais révolutionnaires, ne visent pas à conquérir les moyens de la domination mais à les détruire.
L’unité, avec qui ?
Nous avons déjà souligné la contradiction insoluble entre ceux qui poursuivent des problématiques électoralistes et ceux qui veulent pratiquer l’action directe. Leur cohabitation est impossible dans une lutte. Il n’y a rien à discuter. Nous récusons tous les partis politiques, des plus grands aux plus groupusculaires car, par définition, ils aspirent à prendre le pouvoir et donc à exploiter la population. C’est pourquoi, nous affirmons qu’il n’y a aucune possibilité, même ponctuelle, d’accord, d’alliance ou de signature avec eux.
A chaque lutte d’envergure, “la question de l’unité” se pose. On voit tantôt refleurir les cartels d’organisations syndicales (derrière lesquelles pontent le nez les organisations politiques), tantôt les coordinations plus ou moins autoproclamées.
"L’unité syndicale", constitue souvent la 1ère manœuvre de division : loin d’élargir l’action, elle est une étape classique de reprise en main et de contrôle des mouvements de lutte apparus à la base. Ainsi, lors des dernières luttes dans la fonction publique, la reprise en main a consisté pour une grande part à réunir tous les petits mouvements épars sous la houlette de l’encadrement syndical et politique traditionnel. C’est-à-dire à opérer la jonction des forces vives de la lutte avec les professionnels de l’inertie. Notre expérience de terrain nous amène à penser que le plus efficace, c’est de faire l’unité loin des appareils, dans les structures qui regroupent tous les individus (syndiqués ou pas) en accord avec les buts que poursuit la structure en question.
Comment de telles structures doivent-elles fonctionner ? Le mode de fonctionnement vertical (ou hiérarchique) est souvent présenté comme efficace sous prétexte que les débats démocratiques freineraient la prise de décisions. Or, une structuration verticale induit un appareil non-démocratique, des jeux de pouvoir, la quête de bonnes places au détriment des principes, et, finalement l’institutionnalisation. A l’inverse, le mode de fonctionnement horizontal est, à terme, réellement efficace car il implique tous les membres dans les décisions et favorise une connaissance collective des enjeux, empêche ou rend difficile l’instrumentalisation de la lutte à des fins personnelles.
Le fait que chaque membre soit à égalité de droit est réellement démocratique. L’horizontalité permet la mise en réseau des structures de résistance sans qu’aucune ne prive l’autre de ses prérogatives. Elle permet la coordination et l’action collective, favorise l’équilibre du singulier et du pluriel, harmonise l’intérêt particulier et général dans ce qu’il a d’indissociable. Ce choix du fédéralisme offre d’autres avantages en multipliant les centres de décision, il stimule l’empirisme par la multiplication des expériences puis par la sélection des plus adéquates. Il fragilise également l’attaque de l’adversaire car il est plus difficile de soudoyer, corrompre, réprimer, contrôler, manipuler tout un mouvement que quelques personnes.
Nous appelons à la formation de comités de lutte partout où c’est possible, dans les entreprises comme dans tous les lieux de vie, communes, quartiers, lycées, facs,... Nous appelons au fonctionnement en assemblées générales autogérées, au rejet des intermédiaires syndicaux, au refus des délégués incontrôlables.
Nous appelons à la démocratie directe et à l’action directe. Les négociateurs syndicaux ont toujours négocié notre défaite à leur profit et à celui du patronat. Les jours de grève et les cortèges décidés par les syndicats ne servent qu’à nous faire retourner au travail sans rien avoir obtenu. Décidons nous même des formes de lutte : gratuité dans les services publics, baisse des cadences, contre-information sur les boîtes, ouverture au public des lieux de travail, blocage de la production. Inventons, réinventons nos luttes.
Qui a besoin de la représentativité ?
Le pouvoir a besoin de la représentativité, parce qu’il a besoin d’interlocuteurs afin de contrôler l’action éventuelle des opprimés et de garantir à la classe dominante l’ordre social. La représentativité, c’est donc le problème du pouvoir, non celui des anarchosyndicalistes. Nous refusons tout autant la comédie médiatique et la contestation spectaculaire, qui vident nos révoltes de leur sens en les réduisant à des images ridicules de manifestation-kermesses et de clowns champêtres. Aussi, “nous ne parlons pas” aux journalistes comme aux autres valets du pouvoir.
La pratique de la représentativité, tout comme celle de la visibilité médiatique est largement utilisée par le capitalisme et l’État pour maintenir la domination de classe. Il ne s’agit pas là de simples "outils" dénués de contenu mais au contraire d’instruments idéologiques, porteurs en eux-mêmes d’aliénation. De là leur incompatibilité de fond avec l’ensemble de la pensée libertaire.
Le premier argument que nous opposent les défenseurs de la représentativité repose sur une critique de la délégation suivie de l’affirmation que la représentativité est valable si elle est obtenue par l’action. Or, pourquoi une représentativité obtenue par l’action (même directe) n’aurait-elle pas les mêmes résultats négatifs qu’une représentativité obtenue par toute autre voie ? Voilà ce à quoi la réponse qu’on nous fait se garde bien de répondre ! Car c’est pourtant là que se trouve le cœur du problème : c’est la représentativité qui crée la subordination, pas la façon dont on acquiert cette représentativité. Pour ne citer qu’un exemple, qu’on se rappelle l’histoire du "syndicat de combat" Solidarnosc, en Pologne dans les années 1980, et le parcours de son leader le plus représentatif, Lech Walesa.
Un deuxième argument, plus tactique, est avancé : “on ne pourrait pas faire autrement, car sinon on n’aurait pas de droits”. Puisqu’on parle de droit formel, il est toujours utile de rappeler qu’en dépit d’une rumeur savamment entretenue par tous les professionnels du syndicalisme, les salariés du privé ont à ce jour, section syndicale ou pas, des droits. En particulier un droit essentiel : celui de se mettre en grève sans représentativité, sans délégué du personnel, sans délégué syndical, sans élu à quelque comité que ce soit.
En pratique, la représentativité n’apporte aucun droit essentiel à l’ensemble des travailleurs. Elle apporte des avantages particuliers aux délégués (mais se tourne facilement contre eux s’ils ne comprennent pas assez vite que les avantages légaux qui leur sont octroyés le sont en échange de leur collaboration avec le patron !)
Que représentent les revendications immédiates ?
Participer à des luttes sur des revendications immédiates, c’est être solidaire, mais c’est aussi et surtout faire de la propagande, par les discussions avec des gens plus à l’écoute que d’habitude et par la mise en pratique de nos principes. C’est ce long travail de sape qui permettra un jour d’abattre le capitalisme. Dire cela n’est pas mépriser les revendications immédiates ni ceux qui les portent, c’est seulement être lucide sur nos moyens d’action contre ce système.
Il est courant d’entendre que les revendications immédiates (celles qui visent à améliorer l’ordinaire, sans analyser le pourquoi des conditions d’existence ni remettre en cause le système) en jouant sur les effets et non les causes améliorent la situation des exploités. Certes, mais à y bien regarder, à terme, elles ne résolvent rien et empêchent la remise en cause du système. Mieux, elles le confortent en entretenant les illusions sur sa valeur. Le débat sur les revendications immédiates dans lequel beaucoup de libertaires s’enferrent est redondant, récurant voire obsolète. L’histoire a tranché. L’anarchisme n’est pertinent que social, c’est ainsi qu’il a inscrit ses actes les plus marquants [4] dans son combat avec et parmi les exploités, comme composante du mouvement ouvrier (CGT du début du siècle dernier, FORA argentine, CNT d’Espagne, tendance du Zapatisme, etc., etc.). Et cela, même si la tâche est ingrate, obscure, difficile, et parfois déroutante. Participer à des luttes sur des revendications immédiates n’a donc rien à voir avec le fait de rédiger une plate-forme de revendications au nom de la CNT-AIT. On peut s’imaginer que rédiger une telle plate-forme nous rapprocherait des préoccupations de nos "frères" de classe, tout en les incitant à pousser un peu plus loin leurs revendications. L’expérience montre pourtant qu’à vouloir "coller" aux préoccupations immédiates, on en oublie souvent l’analyse politique et la lucidité sur les moyens d’abattre le système ; à moins que ce ne soit le contraire : ce sont peut-être ceux qui manquent d’analyse politique et de lucidité qui s’imaginent avancer en prenant à leur compte des revendications que peuvent porter les syndicats réformistes. C’est ce que fait par exemple SUD depuis pas mal de temps, et apparemment, ça ne convainc pas tellement plus de monde que nos idées soi-disant trop radicales et surtout, ça ne nous rapproche pas beaucoup de la révolution sans laquelle on ne changera pas de système.
Quel mode d’organisation construisons-nous ?
L’organisation historique de la CNT-AIT comportant des niveaux décisionnels supra-syndicats avec mandatés et votes majoritaires (U.R., C.C.N, Congrès) a inévitablement généré, malgré toute la bonne volonté des militants, des lieux de pouvoir. Comme toutes les organisations syndicales et politiques issues des luttes et des idéologies de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle (c’est-à-dire la quasi-totalité des organisations existant actuellement) l’organisation de la CNT-AIT a reproduit en filigrane un modèle pyramidal, le modèle dominant de la société.
Or, tout système d’organisation par niveaux successifs d’intégration hiérarchisés produit du pouvoir. L’usage du vote majoritaire, qui constitue à ce jour le moyen essentiel d’assurer la cohérence des organisations, n’est pas un instrument de conviction, mais le moyen de soumettre les minorités aux décisions des majorités. Pour nous, anarchosyndicalistes, ce constat appelle une redéfinition du mode d’organisation.
Fidèle aux principes du fédéralisme, le mode d’organisation confédéral que nous préconisons repose sur la constitution d’un réseau d’entités anarchosyndicalistes autonomes et souveraines. Ces structures seront les seules à détenir un pouvoir de décision dans l’organisation. Le mode de fonctionnement interne de ces anarchosyndicats leur appartient, il doit simplement être non autoritaire et non hiérarchique et repose donc sur l’assemblée générale des militants, pour le reste ses membres prennent toutes les décisions utiles en fonction des bases de l’anarchosyndicalisme et de la réalité locale. Afin de faciliter l’échange d’information, la solidarité et l’entraide entre les anarchosyndicalistes d’une même région géographique, des unions régionales devraient être constituées. Leur objectif est de favoriser la coordination des activités entre les entités anarchosyndicalistes, et de mettre en commun des moyens d’action et de réflexion. Les Unions régionales ne doivent pas être des instances de décision mais des lieux de proposition et de débat. La Région est appelée à être une structuration pratique et ouverte des anarchosyndicalistes plus ou moins proches géographiquement. Toutes les autres formes de rencontres entre militants, de débats, et d’actions concertées de plusieurs entités (forum, camping, lutte sociale...) sont des éléments favorables au développement et à la cohérence de la confédération. De façon à coordonner l’action et la réflexion des anarchosyndicats et à faciliter l’unité de la confédération dans la région France, des congrès sont organisés chaque année au niveau national. Ils réunissent l’ensemble des entités pour débattre des principes généraux constituant les bases politiques et pratiques de la confédération, et pour proposer des stratégies d’action à mener pour construire une autre société. Les Congrès ne sont pas des instances de décision mais des lieux de proposition et de débat. Ainsi constituée en un réseau de groupes anarchosyndicalistes souverains, autonomes, et fraternels, la confédération pratiquera un fédéralisme de libre adhésion sans contrainte par soumission à la loi du plus grand nombre (tel que le vote majoritaire), mais par contribution volontaire des groupes à l’action commune et concertée. En respectant les principes de l’autonomie et en pratiquant l’auto-organisation, la confédération doit être la résultante de l’activité réelle des groupes anarchosyndicalistes et de leur coopération fraternelle.
Tiré du Combat Syndicaliste (nouvellement baptisé Anarchosyndicalisme) numéro 97 de la CNT-AIT de Midi-Pyrénées.
[1] C’est ce que fait par exemple Kropotkine qui, dans son ouvrage "La Grande Révolution", s’attache à montrer l’importance de l’action directe des masses dans la dynamique des événements révolutionnaires.
[2] Nous avons réellement trouvé cette phrase dans une publication "révolutionnaire". La révolte des banlieues a donné lieu, y compris dans certains milieux libertaires, à des propos aussi stupides et déplacés.
[3] De nombreux travaux ethnologiques, dont ceux de Pierre Clastres, en attestent.
[4] Commune de Paris, Russie de 1917, Ukraine, Argentine des années 20, Espagne 1936, etc.

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Re: Sur l'anarchosyndicalisme

Messagede Ady le Jeu 4 Sep 2008 18:39

Comme les religion, mais sans but de domination, il faudrait laisser "entrevoir" un paradis incertain aux "fidèles" pour qu'il s'accroche au mieux ? Leur mettre une carotte sous le nez pour avancer, puisqu'ils fonctionnent comme ça ?
J'ai horreur de cette carotte et elle n'est pas l'amie de l'autonomie.

Chacun a sa propre utopie en rêve...
Tout le monde veut la sienne et celle des autres pour le bonheur de tou-te-s.
On est d'accord.

Mais faut-il écrire une utopie (utopie restreinte puisque rédigée par une minorité) pour l'élever en modèle afin désigner la direction à suivre... ? hum..

Et après ? On répand cette utopie écrite en faisant de la propagande en faveur de celle-ci ?
Finalement, on en revient à propager des idées... chose qu'on fait déjà.

Quand je propage les idées libertaires, mon objectif est que chacun découvre par lui-même ce qu'il souhaite réellement, sa propre utopie dans le respect de celles des autres, et qu'il se donne les moyens pour avancer vers celle-ci sans jamais l'atteindre. Non pas lui donner un merveilleux modèle à suivre...


A moins que je n'ai pas tout saisis... on parle peut-être uniquement d' éthique anarchiste, de principes libertaire,... mais ça n'a rien de nouveau non plus...
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Re: Sur l'anarchosyndicalisme

Messagede Paul Anton le Lun 8 Sep 2008 12:24

oui... Et le relativisme... Qu'en penses-tu ?
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Re: Sur l'anarchosyndicalisme

Messagede Ady le Lun 8 Sep 2008 12:43

Je ne vois pas l'intérêt positif de faire avancer les choses à l'aide d'un modèle d'utopie... c'est utiliser la carotte.
La fin ne justifie pas les moyens et la carotte ne favorise pas du tout l'autonomie.
Si on ne favorise pas l'autonomie, vers quel changement se dirige-t-on ?
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Re: Sur l'anarchosyndicalisme

Messagede Alayn le Mar 9 Sep 2008 02:22

Bonsoir ! Au risque de surprendre quelques personnes, et en relisant attentivement les textes proposés ci-dessus, je pense qu'il y a quand même dedans une bonne analyse de ce que devrait être le syndicalisme.

Les textes sont longs, peuvent sembler rébarbatifs mais si on prend le temps de bien les lire, ils sont intéressants. Et cet approche rationnel du syndicalisme contient de la pertinence.

Salutations Anarchistes !
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