(Texte ayant fuité des réseaux d'information internes top-secret de la FA !)
(honte sur moi !)
Voici un petit texte, en guise de présentation, toute subjective, de l'anarchisme. Pour résumer ce que j'en pense, histoire de donner quelques billes aux gens qui se posent des questions, et éventuellement leur donner envie. Bien évidemment, ce n'est pas exhaustif, bien entendu ce n’est que ma vision : il y a autant d’anarchismes que d’anarchistes. J'ai préféré privilégier une forme assez courte, au prix de quelques simplifications - sans doute abusives ! Ces thèmes de réflexion gagnent évidemment à une réflexion plus approfondie, à des lectures… et aussi (et surtout) à une expérimentation toute personnelle, dans les luttes et les alternatives.
ANARCHISME(S) ?
L’anarchie, une autre conception de la liberté
L’anarchisme est la lutte contre l’autorité, mais aussi et surtout une affirmation permanente de la possibilité et de la capacité à gérer ses affaires par soi-même, en s’organisant librement avec les autres, afin que tou-te-s puissent exercer leurs libertés réelles, en libérant un maximum de potentialités. Contrairement au libéralisme, qui considère que la liberté des un-e-s limite celle des autres, l’anarchisme est fondé sur une vision dynamique, potentielle et mutuelle de la liberté : la liberté des un-e-s contribue à élargir les champs de ma liberté. Contrairement à l’idée reçue, relayée par la pensée dominante, l’anarchisme n’est donc pas le désordre ni la violence, mais la recherche permanente d’une harmonie sociale, dans l’épanouissement de chacun-e. Il est le combat contre le chaos et la violence de ce monde. Reclus, un géographe anarchiste, disait que l’anarchie c’est l’ordre moins le pouvoir.
Origines historiques et philosophiques
L’anarchisme trouve ses origines historiques dans le mouvement ouvrier au XIXème siècle, où il se distingue peu à peu du marxisme sur un certain nombre de points découlant tous du ferme rejet de l’autorité. Ce qui implique la responsabilité individuelle et la libre organisation.
Le postulat anarchiste de la légitimité de la liberté individuelle et son corollaire, la conscience de la responsabilité individuelle, est certes bien plus ancien : on peut les faire remonter aux sceptiques grecs, au taoïsme etc… mais l’originalité du mouvement anarchiste, né au XIXème siècle, est de penser et de mettre en pratique l’articulation de la liberté individuelle et de l’organisation collective, permettant le maximum de liberté individuelle pour tou-te-s. Liberté individuelle car nul n’est légitime à contraindre quiconque. Liberté collective car il n’y a fondement de légitimité que sociale : il n’est possible de fonder auprès des autres la légitimité de sa liberté individuelle qu’à la condition évidente de ne pas contraindre autrui en retour. Liberté et égalité ne sont donc pas seulement des valeurs théoriques complémentaires, encore moins antinomiques : elles sont des valeurs pratiques et indissociables, aussi bien d’un point de vue éthique que d’un point de vue économique.
Le rejet de l’Etat
L’affirmation de la liberté individuelle ne peut aller qu’avec le choix libre de l’organisation par les individus, selon les contractualités qui leur conviennent, à l’exception de toute forme de domination et d’exploitation des un-e-s par d’autres. Ce rejet d’une même contractualité pour tou-te-s, du centralisme, d’une loi unique et donc totalitaire, amène au rejet de la notion de Parti, et donc d’Etat, comme autorité sociale instituée. Pas seulement parce que l’Etat actuel est au service du capitalisme et de la classe dominante : les anarchistes rejettent aussi le principe marxiste-léniniste d’un Etat ouvrier. Plus profondément, l’Etat étant l’ensemble des outils d’une légitimation de la même loi pour tou-te-s, il a pour fonction intrinsèque de délégitimer et donc de condamner la légitimité des volontés individuelles à exercer leurs libertés. Il prétend faire le bien de tou-te-s, mais c’est d’autant plus impossible que l’Etat se dit légitime à le faire. Car sa ligne est globale, centraliste, et donc totalitaire ; elle exclue par principe la légitimité des minorités à fonctionner autrement. L’Etat est par nature coercition et atteinte à la libre dynamique des individus.
Le fédéralisme et les règlements
Mais ce rejet de l’Etat et du centralisme par les anarchistes ne les mène pas pour autant à l’anomie, ou absence de règlement collectif ; dès que deux humains se rencontrent et agissent ensemble, ils s’organisent. Bien au contraire, l’anarchisme a toujours eu au cœur de sa réflexion les enjeux de l’organisation entre les individus. L’anarchisme consiste précisément à redonner aux individus la capacité à s’organiser par eux-mêmes, à reprendre en main la capacité de créer leurs propres « règles » d’organisation, non pas au sens de coercition, mais d’ajustement permanent pour l’épanouissement de tou-te-s. Le centralisme doit disparaître, pour faire place au fédéralisme. Le fédéralisme est fondé sur deux principes corollaires. A savoir, à une première échelle, la libre organisation des groupes humains selon les « affinités » : les volontés, les goûts culturels, les pensées, les désirs de production et de consommation… (et non des affinités au sens de catégorisations fictives d’individus en genres, races, nations et autres balivernes). A une seconde échelle, c’est la libre association de ces groupes humains (et des individus ayant fait le choix de ne pas s’y associer), sur des contractualités elles aussi librement consenties. L’individu changeant, les projets évoluant, la contractualité doit elle-même évoluer librement, par l’élaboration permanente d’un consensus collectif, toujours à réajuster aux contextes complexes des situations, et aux volontés individuelles qui les vivent.
Mandat impératif contre mandat représentatif
Selon cette vision, les anarchistes rejettent donc en général le vote dans le cadre des élections représentatives (y compris non-étatiques), consistant à désigner des représentants à un pouvoir décisionnel avec carte blanche pour le temps de leur mandat. Les anarchistes considèrent que la démocratie (la vraie) est antinomique avec la représentativité. Nul ne peut incarner la « volonté nationale », nul ne peut décider au nom d’une collectivité. Les anarchistes, conscients de la nécessité de s’organiser en démocratie réelle, c’est-à-dire directe, préfèrent élaborer des décisions collectives prises en assemblées, si possible au consensus. Ils recourent parfois au vote s’il le faut, tout en préservant le principe de libre-association si des individus minoritaires souhaitent s’organiser autrement. S’il est nécessaire de désigner des responsables (en particulier à des échelles plus larges et fédérales, mais aussi pour traiter de tel ou tel sujet spécifique), les anarchistes préfèrent le mandat impératif, consistant à accorder à un individu ou à plusieurs (en commission par exemple), le soin et la responsabilité individuelle d’exécuter techniquement une tâche décidée collectivement en amont (information, mise en œuvre…), s’il le faut avec une certaine marge de manœuvre, mais aussi à pouvoir tout autant et à tout moment, en aval, demander des rapports et des comptes à ces mandaté-e-s, et à pouvoir infléchir voire révoquer collectivement ces mandats.
Le rejet des « spécialistes »
Ils sont aussi conscients de la nécessité d’empêcher des spécialisations, et donc de faire le plus possible tourner les mandats et les tâches nécessaires au collectif ; avec nécessité d’organiser des formations transitoires, afin que nul-le ne puisse, de gré ou de fait, monopoliser un savoir-faire indispensable aux autres. Afin que nul-le n’exerce ainsi un pouvoir : car le savoir est aussi un capital. Ainsi, nul-le ne se spécialise définitivement, se privant d’une vision globale ; chacun-e peut apprendre tout au long de sa vie, en s’enrichissant auprès des autres ; et plus nombreux-ses sont en capacité de juger du travail des mandaté-e-s désigné-e-s et révocable-e-s. Bien sûr, certaines personnes, par goût ou par passion, développeront sans doute tant de connaissances dans un domaine qu’il deviendra difficile d’avoir un avis précis sur toutes les questions qui les préoccupent. Mais jamais aucune décision ne devrait pouvoir passer sans contrôle de la base.
Les conflits et les violences
Quant à la résolution des conflits et des violences, les anarchistes savent qu’une bonne partie des contraintes d’individus par d’autres est liée aujourd’hui à l’exploitation capitaliste, avec son lot d’inégalités économiques et de déresponsabilisation structurelle des individus, par l’imprégnation constante du pouvoir, de la domination et de la concurrence dans les esprits. Et que ces contraintes liées au capitalisme n’auront plus lieu d’être dans une société libertaire où chacun-e aura accès à une vie digne, à la satisfaction de ses besoins vitaux et culturels, et à la prise en compte du respect intégral de sa dignité au sein du groupe social. Malgré cette évidence, et ses conséquences sur l’harmonisation profonde des relations entre les individus jusque dans l’intimité, le paradis sur Terre n’existera jamais et il y aura toujours des violences passionnelles et des dissensions s’exprimant violemment. Elles ne pourront être évitées, et devront être traitées sans déposséder la victime et l’agresseur de leur dignité et de leur possibilité de pouvoir continuer à s’inscrire dans la vie sociale. La coercition et la privation de liberté ne peuvent qu’accroître la violence. Néanmoins, au nom de la liberté de chacun-e, il est aussi nécessaire d’empêcher cette violence commise de menacer d’autres individus, sinon ce serait permettre la violence. Compte tenu de cela, hors de question de balayer la question d’un revers de manche, en lynchant ponctuellement les violeurs et assassins. La responsabilisation individuelle (formation à la vie de groupe, à la défense personnelle, à la capacité de refuser la violence et de gérer la violence) mais aussi collective (commissions de règlement des conflits, développement de groupes de parole non-directifs, où la collectivité s’implique) sont infiniment préférables à la spécialisation de missions sécuritaires et « psychiatriques » par des vigiles, miliciens et autres policiers. Plus que tout autre mission, il faut au maximum éviter de déléguer un rôle de sécurité à des spécialistes, fussent-ils mandatés, pour lutter contre les oppressions. Les oppressions des un-e-s concerne l’ensemble du groupe humain. Chacun-e doit apprendre à ne pas fuir les conflits, mais à s’en emparer pour éviter qu’ils dégénèrent en violence, pour faire de la conflictualité une richesse et non un appauvrissement des relations entre individus. De fait, ce n’est pas une utopie : travailleurs sociaux, enseignants et psychologues savent combien le travail sur la confiance et la main tendue pour tisser des liens sociaux responsables sont plus efficaces pour régler les conflits que de punir, enfermer et exclure.
L’oppression capitaliste
Les oppressions sont diverses. Beaucoup sont liées au capitalisme, système qui organise la société en classes : une classe dominante (appelée « bourgeoisie » dans toute l’histoire du mouvement social) et classe dominée (appelée « prolétariat »), n’ayant comme richesse que sa force de travail. La bourgeoisie est la classe qui contrôle le capital, au sens des moyens de production (gisements de ressources naturelles, usines, terres agricoles…), d’échange (monnaies, banques, bourses, institutions économiques et financières nationales et internationales) et de distribution (des réseaux de communication et de transports aux supermarchés…). La bourgeoisie fonde son pouvoir décisionnel économique sur la propriété privée (au sens exclusif et privatif, à savoir qu’elle limite l’usage au seul détenteur), qui permet elle-même, au nom de la détention exclusive des moyens cités au-dessus, de décider de ce qui doit être produit par la société (en général, dans le seul but du profit et non de l’utilité sociale réelle), de qui doit produire (d’où chômage, hiérarchisation du travail et division du travail) et de comment cela doit être produit (spécialisation de la recherche autour d’activités engendrant profit et du contrôle social, dépossession des méthodes de fabrication, des savoirs-faires artisanaux) et surtout, de comment les richesses sont réparties (ce qui permet de prélever un important profit, toujours croissant). Tout cela est rendu possible par le biais du monopole capitalistique écrasant la concurrence et l’alternative (historiquement fondé sur des exactions, l’esclavage, le colonialisme, l’expropriation de paysans…), mais aussi sur le salariat, qui est vente de la force de travail physique et-ou intellectuel par les gens qui n’ont qu’elle pour seule richesse. Par le salariat, la bourgeoisie extorque légalement une « plus-value » aux travailleurs. Le travail rémunéré en société capitaliste est toujours aliéné à une exploitation, d’un bout à l’autre de la chaîne de production. Il s’oppose toujours à la libre activité. Et ce n’est pas parce que les frontières ont été floutées par la création délibérée de pseudo-« classes moyennes » que l’aliénation et la société de classes sont remises en cause. Nul n’y échappe, pas même « l’artisan indépendant », et encore moins « l’auto-entrepreneur », qui en réalité ne décident de rien, dépendent totalement des monopoles capitalistes fixant prix et rareté des produits, sont tondus par des impôts écrasants d’Etats complices, et ne bénéficient même pas des quelques droits encore détenus par des salariés. Ils peinent tout autant à survivre que les salariés.
L’intime connexion entre pouvoir économique et politique
Mais l’anarchisme va plus loin qu’un simple constat d’exploitation économique, de vol généralisé des travailleurs : il critique ce qui fonde ce vol gigantesque organisé légalement : le pouvoir économique de décider ce qui est produit, de qui le produit, comment, et de qui perçoit quoi. L’anarchisme dénonce aussi la soumission à celui-ci. Le capitalisme associe intimement pouvoir économique et politique, en donnant l’illusion d’une séparation de ces deux questions, attribuant même l’accumulation de pouvoir économique à une « liberté » dans laquelle le politique n’aurait pas à faire ingérence. Les anarchistes savent que l’on ne peut se débarrasser de l’accumulation des richesses et du pouvoir économique qu’en se réappropriant la décision économique, qui est aussi la décision politique. Prétendre s’attaquer à l’accumulation du pouvoir économique en abdiquant la lutte contre l’accumulation du pouvoir politique est donc absurde. C’est ce qui distingue l’anarchisme du libéralisme économique et politique, mais aussi du marxisme, qui affirme qu’une avant-garde politique doit s’emparer du pouvoir politique et donc économique au nom de l’égalité économique de tous. La « dictature du prolétariat » n’est jamais que la dictature d’une bureaucratie sur le prolétariat. Encore une fois : l’Etat est tout autant à abolir que le Capital.
La nécessité révolutionnaire
Il ne peut donc y avoir égalité économique sans égalité politique… comme il ne peut y avoir reprise en main du politique sans reprise en main économique. Expropriation des patrons et de l’Etat, pour une reprise des terres, des champs, des usines, des services, par les travailleurs eux-mêmes, ce que les anarchistes appellent « l’autogestion ». L’autogestion peut aussi être pratiquée ici et maintenant, à travers maintes formes « d’alternatives » (amap, coopératives, mutuelles, gratuité et entraide…) Néanmoins ces diverses formes d’autogestion ne sauraient durer sans péricliter ou se corrompre, si elle restent isolées au sein du système capitaliste. Elles dépendront en effet de fournisseurs et d’acheteurs, intégrés au capitalisme et à son exigence de profit. De plus, si elles prennent une importance réelle, elles seront fatalement réprimées par les appareils de l’Etat (justice, police, médias…). Parce que l’Etat, qu’il soit de type fasciste, libéral ou marxiste, est l’alpha et l’omega du Capital, dont il est absolument indissociable. Ses institutions servent à protéger la propriété capitaliste, par un travail de légitimation de l’horreur capitaliste (droits de l’homme –affirmant la sacralité de la propriété privée- et constitution basée sur le pouvoir représentatif, justice fondée sur la répression du « vol », école autoritaire et hiérarchiste, médias abrutissants…), de dépossession des questions sociales par leur monopolisation le rendant en apparence « indispensable » (sécurité sociale par exemple), et de violence si le capital est attaqué (police, armée, renseignements…). L’Etat n’a de « bonnes » institutions que ce qu’il a été contraint de lâcher, suite à des luttes radicales, pour éviter sa débâcle. Seules des grèves générales reconductibles et des luttes radicales, révolutionnaires, ont permis au mouvement social d’inquiéter assez Capital et Etat pour qu’ils consentent à lâcher des miettes (« acquis sociaux »), par ailleurs rapidement remises au service du capital (comme les retraites pour contrecarrer les caisses de solidarité ouvrières, comme la sécurité sociale au profit des lobbys pharmaceutiques, ou l’école républicaine pour contrecarrer les écoles populaires etc…). Il n’y a donc rien à attendre des partis qui entretiennent l’illusion d’un changement par les urnes. Ils ne font que légitimer l’aliénation intrinsèque que suppose le pouvoir étatique. Le capitalisme sait se servir de la droite nationaliste et sécuritaire pour détourner la colère du peuple contre les étrangers et les contestataires et éventuellement pour accroître la répression et le contrôle social. Mais il sait aussi utiliser la « gauche » et ses politiques plus keynésiennes, pour maintenir, soutenir et légitimer, via l’intervention « sociale » de l’Etat, ses fondamentaux d’oppression capitaliste. Quant à « taxer » le capital, mesure qui ne sert qu’à cesser d’exiger son abolition pure et simple, elle n’a jamais empêché le capital de continuer à fructifier par d’autres moyens. La propriété capitaliste est à abattre et pour cela, son cerbère étatique est aussi à abattre.
De l’utilité et des limites des « îlots libertaires » en société capitaliste
Si tisser des alternatives aguerrit, permet d’expérimenter ce à quoi peut ressembler une économie libertaire plus vaste, habitue à la reprise en main de sa vie, redonne confiance, permet aussi de nourrir les gens et de pourvoir à leurs besoins en cas de crise révolutionnaire, ces alternatives sont insuffisantes si elles sont isolées et détachées d’une lutte sociale plus globale et radicale. Pour renverser la dictature globale de la marchandise, l’exil et le repli en communautés « autogérées » est aujourd’hui impossible. La lutte doit être construite globalement, par la fédération des groupes révolutionnaires et des alternatives de vie. Et ce, sans plus aucune illusion sur les partis politiques et les centrales syndicales cogestionnaires.
Les alternatives libertaires au capitalisme : une fédération de projets
Notons à ce sujet de l’anticapitalisme, que les anarchistes sont divisés sur les questions économiques, entre les partisans d’une propriété individuelle excluant l’exploitation et le profit d’individus sur d’autres (anarchistes individualistes), les partisans d’une contractualisation libre par coopératives et mutuelles (anarchistes proudhoniens) et les partisans d’une propriété collective (anarchistes communistes), eux-mêmes divisés entre partisans d’une planification collectiviste (Bakounine) et partisans de la prise au tas (Kropotkine), etc…Entre les partisans du maintien de la valeur et de l’échange et éventuellement de la monnaie (librement contractualisés), et les partisans de la gratuité, etc…
Les un-e-s et les autres font d’ailleurs des remarques critiques pertinentes sur les dérives « capitalistes » que peuvent entraîner les positions des autres. Pour le plus grand profit de chacun-e, ce qui permet d’aiguiser sa réflexion et ses pratiques. Mais s’il est bien un point de convergence, c’est que face à l’horreur du système capitaliste, nou devons tou-te-s lutter ensemble, et que la libre expérimentation doit ensuite prévaloir : nul-le ne peut être contraint de participer à un système qu’il réprouve. Là encore, le fédéralisme entre groupes (communes) et/ou individus, demeure un fondamental des anarchistes : même les anarchistes collectivistes ont bien souligné (à la différence des marxistes) que le collectivisme ne pourrait jamais être imposé aux individus par la force, et que seul l’exemple et la réussite concrète pouvait stimuler les individus à rejoindre des communes de ce type. Dans l’histoire révolutionnaire, contrairement aux marxistes qui collectivisaient généralement par la force et dépossédaient totalement, au nom du Parti, les paysans de la décision économique, les anarchistes qui ont mis en place une économie libertaire (Espagne, Ukraine, Kronstadt…) ont toujours laissé un lopin de terre individuel aux paysans, afin de leur laisser la liberté de s’organiser comme ils le souhaitaient. C’est aussi cela qui a donné tellement de fil à retordre aux pouvoirs, lorsqu’il s’est agi d’écraser les anarchistes dans le sang : le peuple était enthousiaste, et se défendait avec acharnement. Ce sont les armées noires d’Ukraine (Makhno) qui ont à elles seules, avec 30.000 partisans anarchistes (essentiellement des paysans ayant acquis leurs propres lopins de terre), ont su repousser les armées de Denikine… et les colonnes libertaires d’Espagne qui ont su tenir aussi longtemps contre les armées franquistes - qui bénéficiaient pourtant de l’aide massive des dictateurs fascistes d’Europe, et du silence coupable des « démocraties » (y compris de « gauche », comme en France sous le front populaire). Rien n’est plus heureux et stimulant que de redevenir maître de sa vie, encore plus si c’est fait avec les autres : le pouvoir des canons et des fusils est grand, mais rien n’a pu jusqu’à aujourd’hui, malgré la répression et l’étouffement de ces luttes, éteindre la flamme de l’esprit libertaire.
Ecologie et anarchisme
Ajoutons que le capitalisme est fondé, par un ensemble de mécanismes de concentration du pouvoir économique (comme l’inflation monétaire basée sur la dette érigée en système), sur la croissance et la création de besoins factices de consommation ; Il suppose donc, à terme de plus en plus court, la destruction totale de l’environnement. L’anarchisme ne peut donc contourner la question écologique. Mais il la lie fondamentalement à la lutte contre le capitalisme et, plus intimement encore, à la lutte pour la reprise en main par les individus de la décision collective. Seul le retour de la politique parmi les gens eux-mêmes et pour eux-mêmes, peut permettre d’orienter la production et la consommation dans un souci d’utilité réelle, de pérennité, de gestion rationnelle des ressources limitées de la planète. L’urgence écologique ne consiste pas à couper l’eau en se brossant les dents, argument de culpabilisation individuelle par les capitalistes, qui financent la reconversion de leurs profits dans le « développement durable » ; mais bel et bien à reprendre le contrôle économique et politique de nos vies, seul capable de préserver l’humanité de sa destruction.
Les oppressions ne peuvent être hiérarchisées : luttons contre toutes les oppressions
L’oppression capitaliste se nourrit néanmoins d’autres oppressions, basées sur des catégorisations factices des individus, qu’elle contribue fortement à construire et à développer car elles le sous-tendent à travers toute son histoire. L’oppression économique, de « classe », si elle est plus que jamais d’actualité, ne peut donc être considérée comme la seule oppression à combattre. Les oppressions sont toutes spécifiques et toutes liées, et il est indispensable de ne pas les hiérarchiser, et de les combattre toutes sans relâche. Qu’elles soient basées sur le racisme, les catégorisations en races (blancs-noirs-jaunes…), sur le patriarcat et le sexisme, catégorisations des individus en genres sexués et sexualisés (garçons-filles, hétéros-homos) impliquant une domination masculine et hétéronormée, sur l’âgisme, ou discrimination des individus par âge (mineurs-majeurs, jeunes-vieux) permettant la domination des « plus expérimenté-e-s » sur la jeunesse et légitime l’aliénation des individus dès l’enfance, sur l’handiphobie qui est la catégorisation des individus sur les « performances » physiques et mentales (valide-handicapé), sur la religion (toutes par nature déniant la légitimité à l’individu à créer ses propres valeurs, puisque posant comme sacrées et indiscutables des valeurs « divines »), sur l’identitarisme basé sur le territoire, qu’il soit nationaliste ou régionaliste avec la division d’individus en pseudo-nations (avec leur lot de frontières, de divisions entre « nationaux » et « immigrés » etc…)… elles sont toutes une négation des individus, de leur complexité, de leur légitimité absolue à construire leur vie comme ils l’entendent et à se re-créer en permanence.
Contre l’aliénation identitaire, les étiquettes et les dogmes
Les étiquettes, les discriminations et hiérarchisations des humains sont toutes à remettre profondément en cause ; ce qui nécessite aussi une réflexion profonde sur le langage oral ou écrit, qui traduit et diffuse largement ces catégorisations au fondement du pouvoir. Ce qui nécessite aussi de ne pas s’enfermer dans une « chapelle anarchiste » : l’anarchisme est avant tout une pratique, un effort vers un monde meilleur, et non un dogme. Cela nécessite de combattre aussi le dogmatisme, car nul n’est plus dangereux que la conviction fanatique (fût-elle anarchisante). Si l’anarchisme nie le divin, c’est pour redonner la possibilité de redéfinir la vie en permanence, et ce qui l’opprime, c’est pour se questionner sur le pouvoir, par quelque nouvel interstice qu’il se glisse. Pensée et action sont donc indissociables, et le droit à l’erreur non seulement évident, mais même, indispensable. Les anarchistes veillent souvent, tout aussi convaincu-e-s qu’ils-elles soient, tout aussi conscient-e-s qu’ils-elles soient de l’étendue catastrophique de l’oppression, tout aussi ardent-e-s de partager leurs analyses qu’ils-elles soient, à relativiser leurs points de vue, à se taire aussi, pour laisser l’opinion autre s’élaborer et se construire, à rire aussi, rire beaucoup ! L’avant-gardisme, si sa tentation menace toujours, en particulier les anarchistes les plus pétri-e-s de convictions parfois les plus généreuses, est à bannir de la pensée anarchiste, car c’est aux personnes de se libérer par elles-mêmes ; pas à pas ; sans quoi, elles ne seront jamais réellement libres. C’est la volonté d’émancipation elle-même qui libère. D’ailleurs, l’anarchiste n’est jamais « libéré-e ». Il tend vers l’anarchie, graduellement. C’est toute sa vie que l’anarchiste veille, réfléchit et agit, se libère, jouit de ses victoires et tente d’apprendre de ses échecs. En ayant conscience qu’il-elle ne fait qu’expérimenter, et n’a aucune légitimité à décider de ce qui est bon pour les autres, mais uniquement de défendre ce qu’il-elle juge légitime pour soi-même.
Désobéissance
Dès lors, le discours révolutionnaire anarchiste proscrit les notions de parti, d’avant-garde, de propagande imposée. C’est par l’éducation non-autoritaire, par l’exemple et l’échange, par le débat et dans les luttes sociales que les anarchistes se font connaître. Ils parlent, parfois fort, mais n’imposent pas. L’anarchiste ne revendique pas, il n’exige pas non plus des lois différentes d’un pouvoir quelconque. Il préfère prendre (et fermement s’il le faut) ce qu’il juge légitime : « Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent » (Kropotkine). Face à la soumission, à la base de tout pouvoir, il désobéit. Il désobéit à ce qu’il juge injuste, et affirme sa légitimité à le faire, contre la légalité d’une soumission à l’inacceptable. Face à la violence de la contrainte systémique d’individus par d’autres, qu’il abhorre, il défend les autres mais se défend aussi lui/elle-même. Ce qui n’est, lorsqu’on y songe bien, pas qualifiable de « violence », mais bien plutôt ce que l’on pourrait qualifier de non-violence conséquente - c'est-à-dire une attitude qui ne tolère pas que la violence soit perpétrée ; et qui adapte sa réponse au contexte de cette violence. Par exemple, si l’on défend la dignité de tou-te-s, on ne peut considérer comme violent le fait de prendre au capital des choses nécessaires à une vie digne –un logement, du pain, des vêtements- lorsque cela ne prive pas quelqu’un d’autre du même besoin. On pense au contraire que c’est le vol capitaliste, qui affame légalement une partie de l’humanité, qui est illégitime et violent.
La question de la « violence » dans les luttes anarchistes
Face à la violence structurelle, l’anarchiste tâche de construire une société la moins violente possible et en vue de cela, tend à adapter ses moyens aux fins proposées, car c’est indissociable. Pour cela, il/elle s’organise, car le mouvement social, le collectif des individus libres est la meilleure réponse à la violence capitaliste, dont il est l’antinomie. Mais il-elle sait aussi que lorsque la souffrance est cumulée depuis trop longtemps, rien ne peut arrêter la colère du peuple et des opprimé-e-s : malgré tous les efforts des anarchistes, elle est de toute façon inévitable. L’anarchisme, s’il peut parfois être en désaccord stratégique avec des stratégies violentes jugées inutiles voire contre-productives, et s’il préfère généralement la force du collectif à l’action violente contre des individus, qui entraîne souvent de la part du pouvoir une répression plus forte encore, ne justifiera jamais la répression d’actes violents dirigés contre le système. Il est injustifiable de hurler avec les loups qui portent la tartuffe condamnation de la « violence populaire ». Le débat sur la violence est, de fait, toujours pipé. Il porte le sceau du pouvoir, qui exerce la violence structurelle et ne conteste aucune réponse.
La diversité des luttes anarchistes
Il y a une infinité de moyens de se bagarrer pour une vie libertaire…
Information et éducation non-autoritaire, par la recherche, la dynamique d’une mutualisation des ressources et le débat (infokiosques, affiches et tracts, écoles libertaires, universités populaires). Les luttes sociales, associatives, syndicales (grève générale, rassemblements et manifs, occupations symboliques…). Les réappropriations (squats, auto-réductions). Les actes de désobéissance civile (refus du service militaire, etc…). La construction d’alternatives temporaires au système, pour manger, se chauffer, se vêtir, dormir, créer… (écoles, ateliers, jardins collectifs, yourtes, astuces techniques…) La culture alternative (musique, grafs, théâtre de l’opprimé…) Mais aussi la réflexion sur les mécanismes d’aliénation au sein de sa vie intime, car l’intime est essentiellement politique ; et souvent la famille, le couple ou le psychisme individuel même, sont les lieux de relégation de la violence sociale redirigée contre les individus. L’immense foisonnement de ces luttes et alternatives, au-delà des divergences et des visions, des préférences de champs de lutte et d’émancipation à investir, gagne à s’associer, à se fédérer, afin que les efforts des uns puissent être mutualisés pour le profit de tou-te-s. Afin aussi de partager des savoirs-faire, des astuces, pour éviter la répression et gagner le soutien actif d’un nombre toujours plus grand de gens. C’est à la fois cette autonomie des individus et des groupes, et cette fédération, par la construction d’outils de luttes adaptés aux exigences du réel, que nous avons à construire, ici et maintenant, dans les luttes mais aussi la fête, le rire, l’amour, la joie des rencontres.
John Rackham