Les anarchistes et la décroissance

Espace de débats sur l'anarchisme

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede fu hsang le Sam 28 Aoû 2010 14:02

Isabelle a écrit:
fu hsang a écrit:............

moi perso la decroissance pour moi c est le truc invente par les bourgeois pour que les petits ils arrêtent de vouloir autant qu'eux ^^


Donc on peut envisager que dans une société plus égalitaire (anarchiste?) on ai deux voitures dont un monospace par famille!



heu ... oula ... je sais pas comment repondre ... donc je vais essayer d etre zen ^^

si la structure "famille " existe encore dans une societe dite " anarchiste " alors ce n est pas une societe anarchiste ...la famille est bien la cellule de base de la societe heteropâtriarcale ^^

ce n est pas en decrivant la societe future que se construit , pour moi , l anarchie , c est en combattant l existant !!!

et sinon , y a pas que les bourgeois qui ont plusieurs voitures , y a pas mal d ouvroer aussi ^^
le fait d avoir plusieurs voitures n est qu une consequence , pour moi , du Capital ^^ perso je pprefere avoir ma voiture pour aller chercher du bois , faire mes chantiers et autres que de louer un taxi ou un vehicule ^^
la decroissance , c est une sorte de mode , quand a la critique de l industrialisme ...elle est absente pour moi de la decroissance "officielle " , je prefere me referer aux luddites et aux canuts , qu a un ressassé de bonnes intentions pacifiques ^^
fu hsang
 

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede conan le Ven 24 Sep 2010 18:43

Pour info,

Image
"L'anarchie, c'est la victoire de l'esprit sur la certitude" Georges Henein
Avatar de l’utilisateur
conan
 
Messages: 2633
Inscription: Sam 14 Fév 2009 17:48

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede filochard le Dim 26 Sep 2010 00:40

Un extrait d'un texte de JP Tertrais publié dans la brochure L'impasse électorale et le projet anarchiste. Le titre original du texte est "Décroissance et élections". On peut réfuter quelques passages, pas toujours crédibles, mais cet extrait soulève quelques points "lumineux" ! Vivement en 2012 !

LA DECROISSANCE PAR LES URNES ?

La décroissance est un concept qui démontre, par la notion d'empreinte écologique, que la croissance économique nous conduit dans une impasse puisque nous dépensons plus que ce que la nature peut nous fournir. Une croissance illimitée ne saurait se maintenir sur une planète dont les ressources sont, elles, limitées. Une décroissance matérielle, c'est-à-dire une réduction du cycle production-consommation, est donc une nécessité absolue.

C'est dans ce contexte qu'est créé un Parti de la décroissance dont la finalité devait être la présentation de candidats lors des élections présidentielles et législatives de 2007, s'inspirant du modèle de la candidature de René Dumont en 1974, qui avait permis « une prise de conscience collective des limites et des dangers du productivisme ». Il semblerait que lesdits candidats ne se bousculent pas au portillon.

Il est pour le moins étrange de prendre pour référence une élection qui n'a visiblement pas atteint son but puisque, trente ans plus tard, la « prise de conscience collective » débouche sur l'amnésie, l'apathie et la myopie généralisées. La supercherie est trop grosse : il s'agit, pour quelques gourous (Vincent Cheynet, Bruno Clémentin, Paul Ariès et quelques autres), sous couvert d'obtenir une tribune et de « rouvrir le débat politique », de satisfaire des « ego » en pleine croissance. Notons, d'une part, que R. Dumont, ancien titulaire de la chaire d'agriculture comparée de l'Institut agronomique de Paris, possédait une autre envergure que nos médiatiques despotes éclairés et que, d'autre part, s'il s'agit d'être présents pour brosser un tableau du drame écologique, des revues, des sites, des associations réalisent beaucoup plus efficacement cette tâche.

L'essentiel, en l'occurrence, n'est pas de transformer la société, mais d'entreprendre une carrière politique. Car ce que promeut le Parti de la décroissance est une décroissance « soutenable ». Mais soutenable pour qui ? Pour le système capitaliste, bien entendu. Ecoutons plutôt : « ...c'est-à-dire qu'elle ne devra pas provoquer de crise sociale remettant en cause la démocratie et l'humanisme ». Nous y voilà : il est hors de question d'attenter à la démocratie représentative, pilier essentiel du capitalisme ! Et plus loin : « S'organiser collectivement pour que la diminution de production de biens ne mène pas à la barbarie ». Ce qui sous-entend que toute révolution ne peut conduire qu'à la barbarie, alors que, d'une part, c'est l'oppression, souvent barbare, qui engendre la révolution, et que d'autre part, avec les conflits qui se profilent pour l'accès à des ressources de plus en plus rares, cette barbarie est précisément la direction que nous impose le capitalisme.

Notons l'hypocrisie des auteurs puisqu'ils jouent allègrement sur deux tableaux. D'une part, la « crise sociale » se trouve clairement rejetée (rassurer contre la peur de l'inconnu - la continuité, c'est l'hérédité des structures sociales). On croit donc comprendre que la voie préconisée est la continuité : « Une économie de marché contrôlée par le politique et le consommateur ». Un capitalisme à visage humain ! D'autre part, dans le même torchon, les auteurs insistent lourdement sur une discontinuité (fournir un signal fort à ceux qui espèrent du changement) : « nécessité de rompre avec le productivisme et l'économisme dominants », « ce mot d'ordre de décroissance équitable est déjà porteur de ruptures », « nous voulons introduire une véritable rupture face à l'aveuglement des politiques traditionnelles de droite ou de gauche. » Vous avez bien compris : en aucun cas, il ne s'agit de rompre avec le capitalisme. Mais l'amalgame, le mélange des genres, la confusion, la culture du malentendu sont le propre des imposteurs et des charlatans.

L'ambiguïté savamment entretenue entre rupture et continuité se trouve levée lorsqu'on lit, dans la même prose : « Pour entrer dans la décroissance soutenable, la priorité est donc de s'engager à l'échelle individuelle dans la simplicité volontaire. C'est en changeant nous-mêmes que nous transformerons le monde »!! Le flambeau judéo-chrétien refait surface : il s'agit, comme pour les tenants du développement durable, de culpabiliser l'individu dans son comportement quotidien pour éviter d'aborder les problèmes sur le plan politique, au vrai sens du terme. Comme si la frugalité des pauvres allait interdire le luxe scandaleux des riches. Comme si rouler à vélo allait empêcher les pouvoirs publics de construire des aéroports internationaux.

Pour nos donneurs de leçons, « nous devons transformer la société de l'intérieur», « un élu (...) gère tout autant des équilibres sociaux et avance des propositions pour les discuter dans des assemblées ». « La décroissance pourrait très bien entrer dans le champ politique en apportant seulement des interrogations qui ne sont pas prises en compte par la société, comme celle des limites naturelles », « dans cette optique, la décroissance est un moyen de réinjecter du débat dans un monde qui le refuse ». Et pour clore sublirnement : « Pour la décroissance, le rôle de l'Etat est essentiel ». Ce que conteste, par exemple, Patrick Mignard - qui ne s'affiche pourtant pas comme un farouche révolutionnaire - dans « L'Anti-Sisyphe » : « L'Etat n'est certainement pas cette entité neutre et rationnelle qui oeuvrerait pour le bien de toutes et de tous. La notion d'Etat est liée à celle de garantie de la cohérence et de la survie du système d'économie marchande ».

Par quelle mutation soudaine, en effet, l'Etat, aujourd'hui otage de la finance internationale, pourrait-il imposer au capitalisme d'accomplir le contraire de ce pourquoi il est conçu, c'est-à-dire l'accumulation ? Nos fanfarons espéreraient-ils, ayant allumé le gaz sous une casserole d'eau, obtenir des glaçons ? La fonction du gaz est de fournir des calories, comme celle du capital est de concentrer l'argent, quelles que soient les compétences et l'identité des opérateurs.

S'en remettre à l'Etat-nation pour déstabiliser le capitalisme est plus qu'une illusion dangereuse, une lâcheté. Celle d'individus un tantinet paranos, plus soucieux d'idolâtrer les institutions et d'occuper la scène médiatique que de s'impliquer dans les luttes sociales. Il faut savoir que lors des émeutes dans les banlieues en novembre 2005, le parti pour la décroissance avait fait paraître un communiqué dans lequel on pouvait lire : « Par ailleurs, nous ne pouvons que constater la totale irresponsabilité de tous les représentants politiques qui appellent à la démission du ministre de l'Intérieur au plus fort de la crise. Le temps viendra de chercher les responsabilités, mais la priorité est aujourd'hui à l'arrêt de la violence et à la restauration de la sécurité publique, ce qui ne peut pas se faire en délégitimant l'autorité ». Les décroissants au secours de l'ordre bourgeois !

Stigmatisant également leur brillante absence du mouvement anti-CPE, voici ce qu'écrit Bertrand Louart * : « Ces objecteurs de croissance, si distraits selon M. Ariès lors des mouvements sociaux, ont donc au contraire montré les limites très étroites de leur humanisme. Pleins de respect pour l'Homme, avec un grand H, c'est-à-dire une abstraction et un absolu qui n'existe nulle part, ils traitent durement et avec mépris les hommes, les êtres humains concrets et réels qu'ils ont autour d'eux. La bouche pleine de majuscules, lorsqu'ils parlent de République, de Démocratie, de Liberté, Egalité..., ils sont en réalité, comme n'importe quels politichiens, des roquets qui en appellent à l'Ordre, à l'Aurorité et à la Loi au premier mouvement social, usent de l'amalgame, de la calomnie et de manipulations pour tenter d'étouffer la moindre contestation de leurs pauvres idées ».

Faudrait-il croire qu'une société qui a engendré à la fois un désastre écologique et une régression sociale va subitement offrir des perspectives exaltantes ? Faudrait-il croire qu'on va traiter les problèmes en conservant les mêmes institutions politiques, le même système économique, la même organisation sociale, les mêmes circuits commerciaux ? Faudrait-il croire que l'on puisse résoudre une crise de civilisation par des remaniements ministériels, des textes législatifs ou des mesures fiscales, et que le capitalisme va produire le contraire de ce pourquoi il est conçu, avant de se dissoudre ? Faudrait-il croire que les bouleversements climatiques (l'année 2005 est la plus chaude jamais enregistrée - une nouvelle coïncidence !!) puissent être endigués par quelque inflexion des discours politiques ? Faudrait-il croire, par exemple, que la récente victoire démocrate aux élections américaines va, comme le laissent entendre certains, atténuer le réchauffement de la planète sous prétexte que le grand perdant, Bush, s'est toujours obstiné contre le protocole de Kyoto ?

Faudrait-il croire, peut-être même, que l'immigration choisie soit en mesure d'arrêter la pollution aux frontières ? Car le problème se situe bien à ce niveau : quand on n'a pas le courage de choisir le langage de la vérité (non pas révélée mais historique), la voie révolutionnaire, il ne reste plus que la langue de bois, la confusion, l'option réformiste, avec son cortège de compromis, de reniements, de trahisons.

C'est parce que la notion de décroissance dérange sérieusement des certitudes intellectuelles, des plans de carrières, des intérêts commerciaux qu'elle suscite autant de haine, d'insultes, de calomnies. Qu'on en juge plutôt à travers ces quelques exemples où perce la mauvaise foi la plus sidérante.

- Pierre-Antoine Delhommais, dans une chronique du « Monde » : « II faut prendre la doctrine de la décroissance pour ce qu'elle est (...). Une lubie de gosses de riches parfaitement égoïstes. Mais cela va généralement ensemble. »

- Eric Le Boucher, également dans une chronique du même torchon : « Les doux militants de la décroissance (...), ces militants, de moins en moins doux d'ailleurs, de plus en plus autoritaires en fait, butteront toujours sur ce fait dérangeant : la première cause de la persistance des inégalités est l'absence de croissance ». Question au crétin précité : pourquoi les inégalités n'ont-elles jamais été aussi fortes qu'aujourd'hui... après un demi-siècle de croissance unique dans l'histoire de l'humanité ?

- Claude Allègre - ce grand pourfendeur de mammouth, qui s'était déjà illustré dans le dossier de l'amiante - dans une tribune de l' « Express » : « Aux objecteurs de croissance, toute limitation de la croissance se fait au détriment des pauvres ! C'est une vision de riches ! »... Voir la remarque adressée au crétin précédent.

* Sur internet, septembre 2006 http: //ne tmc.9online.fr/DocConip/ Doc07_03.html


Et :

- " Le "Parti Pour la Décroissance" soutient le pyromane Sarkozy durant la période de troubles dans les banlieues et l’association "Casseurs de pub" cherche à récupérer le concept de « décroissance soutenable » " par Esteban "ptitgavroche"

- " La decroissance serait réactionnaire et mystique " par Baptiste Rabourdin
Avatar de l’utilisateur
filochard
 
Messages: 642
Inscription: Ven 23 Juil 2010 19:36

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede carbone le Dim 26 Sep 2010 11:43

filochard a écrit:...


Oulà ! il y a ici pas mal à débattre, de cet entremélage de citations et de réfutations ... je ne vais pas reprendre au point par point, mais de mon propre avis, il en va d'un parti de la décroissance comme d'un parti pirate (ou d'un front national), autant d'entités créées pour capter des votes "contestataires" qui sans cela ne s'exprimeraient point. au second tour, on vous invitera toujours à voter verts, ps ou ump ...

Pour prendre un exemple, il y a quelques mois j'ai rencontré un groupe de jeunes décroissants, motivés, sympas, vraiment actifs et réactifs et ... organisés. Hélas, les meilleurs volontés s'effacent souvent devant celle du mouton qui bêle le plus fort. J'ai participé à titre individuel à quelques actions, jusqu'au jour où on m'a invité à une grande réunion rassemblant les phalanges verdâtres, en vue du grand rassemblement pour les élections ... tous sous la même bannière camarades, unis en vue du premier tour derrière un candidat unique ... la suite on la devine, la ficelle est un peu grosse.

Les projets politiques sur fond de croissance soutenable, je n'y crois pas (ok, je n'y crois plus, traduisez : j'y ai cru ... il est jamais trop tard pour se réveiller), car quoi que l'on en ai dit ou que l'on ai pu vouloir nous faire croire (avant la creeze), l'économie mondiale repose sur le socle de l'économie réelle, aucun marché ne peut survivre bien longtemps à l'effondrement de la "consommation des ménages". Ne pas ou peu consommer, à titre individuel, peut sembler aussi efficace qu'un coup d'épée dans l'eau mais sur la durée c'est le moyen le plus sûr de voir s'effondrer les marchés, puis les systèmes par effet domino.

Avant d'espérer décimer un nid de puces à coups de batte (électorale), mieux vaut toutes les faire rentrer dans une boîte ... sinon c'est peine perdue. Pour ma part, la question ne se pose plus, je suis claustrophobe, çà sert bien mieux mes idées noires ...
Avatar de l’utilisateur
carbone
 
Messages: 259
Inscription: Ven 4 Sep 2009 00:13

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede Miaoû le Mar 28 Sep 2010 11:54

Rien à voir, ou du moins pas directement, mais juste pour info. Si ça n'a pas sa place ici, autant le déplacer.

Dimanche dernier se tenait la "Faites des possibles", une sorte de festival décroissant, avec des gens proches du milieu libertaire. Avec divers ateliers/débats sur les clowns, la non-violence, les abus policiers... Il y avait une zone d'affichage et d'expression libre. Sur l'un des panneaux, surprise : une affiche soi-disant "anti-sioniste" mais qui avait bien du mal à cacher son antisémitisme.

L'affiche représentée, dans un schéma, comment la "synarchie" (sic!) contrôlait le monde... Influence sur les instances internationales (avec référence aux Illuminatis et à Bildeberg), sur les gouvernements, les entreprises, bref sur toute la société... La synarchie représenterait, d'après cette affiche, moins de 8% de la population mondiale. Je suis pas expert, mais m'est avis que ces fameux 8% correspondrait plus sûrement aux juifs qu'aux sionistes... On a pris la liberté à 3-4 d'arracher cette affiche.

La question se pose : qui a posé cette affiche ? Peut-être un.e membre d'Egalité et Réconciliation, qui a organisé une conférence avec Alain de Besnoit au printemps dernier, un "vert-brun", mais rien n'est sûr. Ce qui l'est, et ce qui craint, c'est qu'ils semblent ne pas hésiter à aller à ce genre de rassemblement pour diffuser leur propagande...

Aussi, je vous exhorte à la prudence, et à faire passer le mot si vous connaissez les réseaux décroissants.
Avatar de l’utilisateur
Miaoû
 
Messages: 659
Inscription: Mar 20 Oct 2009 00:21

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede conan le Mar 28 Sep 2010 19:13

Ils tentent de se mettre partout, ils ont peur de rien... :D
"L'anarchie, c'est la victoire de l'esprit sur la certitude" Georges Henein
Avatar de l’utilisateur
conan
 
Messages: 2633
Inscription: Sam 14 Fév 2009 17:48

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede conan le Mer 29 Sep 2010 19:51

Anarchisme et décroissance


Depuis Thoreau, il existe des rapports historiques entre anarchisme et écologie, pas systématiques mais bien réels (Louise Michel, Kropotkine, Reclus, Butaud et Zaïkowska, Bookchin et bien d'autres...) A côté de l'harmonie sociale, il s'agit de réfléchir sur une harmonie entre l'homme et l'espace qu'il occupe, et de réfléchir sur la qualité même de la vie que l'on veut construire individuellement et socialement.

Dans le paysage actuel de l'écologie, la décroissance est un mouvement tout aussi varié que l'anarchisme l'est au sein de l'histoire du socialisme, mais il est possible de relever un certain nombre de points communs entre ces deux courants, et pourquoi pas d'opérer des rapprochements, sur la base de convergences réelles dans certaines pratiques concrètes.

Tout d'abord le souci de relocaliser la production et les structures sociales, à une échelle plus humaine, plus proche de chaque individu, de sorte que le processus économique ne lui échappe plus. On parle ainsi de circuit court, plus concrètement d'AMAP, de SEL... Dans la décroissance, ce souci se double d'une prise en compte des conséquences de la débauche d'énergie fossile utilisée pour le transport de la production, au sein d'une économie mondialisée. Dans l'anarchisme, il s'agit davantage de rendre à l'homme sa capacité politique d'action et de contrôle dans la gestion de sa vie, et de la production de ce dont il a réellement besoin, à travers la construction politique d'un fédéralisme des communes.

Dans le même ordre d'idées, anarchisme et décroissance se soucient aussi d'une reconquête des savoirs de base, qu'il s'agisse de se nourrir, de se vêtir, de se loger. L'éducation, non spécialisée mais polytechnique, à la fois abstraite et concrète, joue un rôle central dans l'histoire de l'anarchisme, à la fois comme tactique de propagande de fond, mais aussi comme adaptation des moyens et des fins, reconquête d'une capacité à être plus autonomes. Chez les anarchistes, il s'agit tantôt de la vieille tradition proudhonienne de l'autogestion ouvrière, teintée d'une nostalgie de l'artisan maître de sa propre production, s'arrachant à l'aliénation des bagnes industriels, tantôt de l'esprit « do it yourself », « fais le toi-même », consistant à ne plus dépendre du monopole capitaliste du savoir technique. Chez les décroissants, il s'agit de retrouver des savoirs simples pour répondre à des besoins simples et quotidiens.

On retrouve aussi chez les deux courants, la préoccupation majeure de retrouver du temps à soi, du temps pour vivre, du plaisir. Chez les anarchistes, issus du courant socialiste, cet objectif découle de la critique anticapitaliste du « surtravail », le temps que le patron impose au travailleur, en plus de la rémunération de son travail réel, pour dégager la fameuse « plus-value » qui nourrira et reproduira le capital. Chez les décroissants, il s'agit de peser temps de travail et satisfaction de besoins et de les mettre en balance, ou dit autrement, de déterminer ses besoins individuels réels, et d'ajuster son temps de travail à ces besoins, sans plus s'encombrer de gadgets inutiles.

Sur la critique du capitalisme, la décroissance développe une critique assez originale du capitalisme, assez peu développée dans les courants socialistes traditionnels. Cette critique porte sur deux aspects du capitalisme : le capital consiste en une accumulation, que l'on nomme croissance. La croissance du capital est donc indissociable de l'idéologie capitaliste. S'attaquer à l'idée de croissance, que le capitalisme déguise en « progrès » social alors qu'il en est souvent le fossoyeur, est donc un angle intéressant de lutte. De même que de s'attaquer à la sacralité de l'innovation technologique, qui serait toujours facteur de progrès, alors que la nature même de la technologie développée répond toujours aux besoins de la société qui la développe. Une société policière produira de la technologie de surveillance, une société centraliste, étatique, développera le nucléaire, une société capitaliste développera la puce rfid, l'armement etc..

D'autre part, la décroissance complète la critique socialiste traditionnelle du processus de production capitaliste en s'attaquant aussi, au bout de la chaîne de production, au maillon de la consommation, bref à l'acte d'achat, sans lequel le capitalisme n'existe pas. La décroissance critique la consommation dans ce qu'elle a souvent de factice, d'aliéné, avec son cortège publicitaire, sa bande sans fin d'innovations, de pseudo-progrès... Dans le capitalisme, la production ne répond en effet pas aux besoins humains : la production s'arrange pour créer et même dicter le besoin. Enfin, et c'est le corollaire direct, la décroissance s'intéresse profondément à la nature de la production, et (ce qui est la même chose) à son but réel ; en tant que courant écologique, elle critique vertement les aspects nuisibles de la production humaine actuelle, aussi bien envers l'homme qu'envers son environnement (dont l'homme dépend, ce qui revient au même).

On comprend que certain-e-s anarchistes aient donc été parfois proches de ces questions écologiques. Dans la pratique, si des anarchistes de tendance sociale ont eu des préoccupations écologiques réelles (Reclus, Kropotkine...), certain-e-s anarchistes ont aussi tenté de vivre d'une façon qu'on pourrait qualifier de « décroissante » aujourd'hui ; en particulier dans les milieux anarchistes dits « individualistes » au début du Xxème siècle, qui prônaient la possibilité de s'émanciper ici et maintenant du capitalisme et du système social mortifère qu'il engendre, en vivant en communautés. Qu'on songe aux milieux libres d'Aiglemont, de Bascon, de Vaux... où se posaient sérieusement des questions comme l'abolition de l'alcool, du tabac, le retour à la terre, végétalisme et même le naturisme.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que ces pratiques et questionnements radicaux sur les besoins réels de l'homme aient surtout été portés par des individualistes. En effet, le courant communiste a parfois privilégié une certain admiration du progrès technique, une certaine incantation à l'autogestion qui, toutes modernes qu'elles étaient, ne prenait pas forcément en compte la critique nécessaire de la nature de la production elle-même dans le processus de l'aliénation humaine : autogérer oui, mais quoi, des usines d'automobiles, de missiles, de cravates, de pesticides ? Pas étonnant que des individualistes, qui se méfiaient du communisme pour sa faiblesse critique à légard du productivisme et du travail, aient ainsi rejoint une pensée écologiste. On pourrait même dire que l'écologisme a pu parfois jouer le rôle d'un champ de la critique du capitalisme, sur les questions dont les courants communistes traditionnels, léninistes et même parfois libertaires, n'avaient pas toujours su (assez) se saisir.

Pourtant la gestion communiste libertaire elle aussi, comme dans la proposition décroissante, implique de discuter ensemble des besoins individuels et collectifs réels, d'organiser socialement leur satisfaction dans la durée, et donc de faire en fonction des ressources réelles existantes, sur le long terme. Décroissance et anarchisme sont des pensées à long terme, opposées au court terme du capitalisme fondé sur le profit le plus immédiat possible, au détriment de l'environnement réel.

Il y a donc clairement un champ de réflexion critique et d'expérimentation commun à l'anarchisme et à une certaine frange de la « décroissance ».

Néanmoins, la décroissance à laquelle les anarchistes pourraient s'intéresser aujourd'hui ne saurait faire l'économie d'un certain nombre de remarques et de critiques, portant sur certains aspects moins reluisants de la décroissance. C'est pourquoi, si elle est à construire, la décroissance doit selon nous être libertaire.

Pour commencer, et ce n'est pas un hasard si je parlais juste avant du courant anarchiste individualiste, la décroissance part toujours de la remise en cause individuelle face au système. La décroissance a toujours pour discours de dire aux individus qu'ils sont responsables, qu'ils sont le début et la fin du système, et qu'ils portent donc le poids de l'existant. Ce qui n'est sans doute pas totalement faux, mais prête le flanc à de nécessaires critiques. Tout d'abord, ce discours est assez inaudible, voire carrément insupportable, lorsqu'on l'applique à beaucoup de gens qui très concrètement, dans leur vie quotidienne, ne peuvent faire autrement que de se servir d'une vieille bagnole qui pollue, que d'acheter de l'alimentation issue de l'agriculture industrielle... tout simplement parce que leur condition sociale ne leur permet pas le luxe de faire autrement.

D'autre part, qui sert-on vraiment avec un tel discours ? Qui a intérêt à culpabiliser les individus, sinon le capitalisme véritable responsable du désastre social et écologique actuels ? Il est significatif de voir la capacité actuelle des firmes les plus pollueuses à se recycler dans un discours écologiste. Et ce, pour plusieurs raisons. D'une part, comme on vient de le dire, il s'agit d'occulter les responsabilités réelles des vrais pollueurs. Ainsi, les plus gros pollueurs de France sponsorisent Ushuaïa de Hulot, ou financent le film « home » de Yann-Arthus-Bertrand, dans le seul but de dire qu'au fond, c'est l'homme qui est fou et qu'il faut changer d'attitude dans la consommation. Rideau de fumée...

Développer les « réflexes écolo-citoyens » permet à ces mêmes capitalistes de faire sous-traiter la gestion des nuisances corollaires à leurs productions lucratives, par les consommateurs gogos, qui se font ainsi plumer au grattage lorsqu'ils produisent en usine en se faisant exploiter, au tirage lorsqu'ils achètent les gadgets produits, et dans le caniveau lorsqu'ils font le tri sélectif, ramassent les ordures sur les bords des rivières ou les galettes de mazout sur les plages atlantiques, ou encore font de la récupération dans les dépotoirs du système. Et l'on fait passer cette gestion de la merde en sous-traitance, à grands renforts de discours citoyennistes de l'Etat récemment converti aux valeurs « écologistes », pour de la responsabilisation... Il s'agit un peu de la même tartufferie que celle de ces vieux patrons paternalistes, donnant quelques oboles pour des oeuvres de charité, et incitant leurs ouailles salariales à pratiquer la charité pour aider les pauvres et les malades qu'ils ont eux-mêmes fabriqués par le chômage, la précarité et l'exploitation salariale.

L'anarchisme lui, sur ce point, est clair : il a toujours été un courant politique, portant certes un discours de responsabilisation individuelle, mais aussi collective, à travers un projet social, prenant donc en compte le fonctionnement global du système pour porter la critique là où elle doit l'être, c'est-à-dire au coeur de la bête.

La décroissance ignore ainsi souvent que la capitalisme peut créer de nouveaux besoins « verts », pour de nouveaux marchés de consommation, destinés à un public de classes moyennes en quête de nature et de spiritualité new-age. Oui, le capitalisme peut faire du fric avec la décroissance, lorsque celle-ci n'est qu'une religiosité, qu'un style de vie.

D'autre part, en critiquant le capitalisme sous l'angle de la croissance et de la société de consommation, la décroissance ignore une critique socialiste pourtant cruciale : ainsi, le capitalisme traverse des crises inévitables, se traduisant par des récessions, qui lui permettent de muter et de se réorganiser. Le capitalisme n'est donc pas si rétif que cela à la décroissance, puisqu'il la fabrique de fait, et l'impose même parfois sous couvert de ce qu'il est tenu d'appeler des « crises ». Il sait se servir du chômage et de la misère, de l'austérité et des famines, pour continuer à prospérer, pour permettre à certains d'accumuler plus encore de fric et de pouvoir.

Autre faille critique : le capitalisme, s'il en donne l'image ou plutôt le spectacle, n'est pas une société de l'abondance ! Bien au contraire, il développe une société de fausse abondance et se fonde plutôt sur la production, l'organisation et la gestion de la rareté... Voir le capitalisme comme le culte de l'abondance, c'est le voir avec des yeux de l'occidental de classes moyennes, qui est bien seul à croire que le monde entier a aujourd'hui de quoi manger, de quoi se loger correctement... alors que le capitalisme est précisément fondé sur l'organisation de la pauvreté, sur la faim, sur le mal-logement, bref sur la privation d'une partie de l'humanité, afin de créer la valeur capitaliste. Bref, le capitalisme peut non seulement survivre à la décroissance, mais en réalité, c'est même lui qui la fabrique, et l'impose régulièrement, à la tranche de la population la plus exploitée, afin de se préserver. Pour prendre un chiffre significatif, la Terre produit actuellement de qui nourrir 12 milliards d'êtres humains, ce qui représente près de deux fois plus que ce qui est nécessaire ; et pourtant un milliard d'êtres humains sont en sous-nutrition, pendant que les supermarchés jettent 30 à 40 % de leurs denrées alimentaires plutôt que de les donner. Ainsi, la proposition politique libertaire, si elle ne peut éluder la question des limites des ressources naturelles, nuance tout de même le constat de ces limites : réduire sa consommation n'est pas la piste unique, la piste politique demeure centrale.

Ecartons aussi la fraction dite « primitiviste » d'un certain courant décroissant, prônant un retour radical à une mère nature pure et bonne, largement fantasmée, flirtant ainsi avec un certain discours religieux, voire une certaine frange de l'extrême-droite dans un discours radicalement anti-social, anti-technologique et malthusien au plus mauvais sens du terme, et dont les angoisses survivalistes ne rappellent finalement, comme dans un miroir déformant, que la soumission radicale à la loi du plus fort, aux principes les plus fondateurs de la pensée capitaliste néolibérale actuelle.

Dernier travers de certain-e-s décroissant-e-s : celui de parfois délaisser les luttes sociales et politiques, en pensant changer le monde « à sa petite échelle » à travers sa petite individualité ou communauté décroissante, et que cela seul marchera et suffira. Or, en-dehors même du questionnement éthique que peut éventuellement soulever une telle attitude de repli au sein d'un monde injuste et inégalitaire, la pérennité de tels ilots décroissants (ou même libertaires) dans un monde autoritaire et capitaliste, est impossible ; et la croyance en la possibilité qu'ils puissent changer vraiment le monde ne peut être qu'une illusion. Et ce pour plusieurs raisons ; tout d'abord, ces projets ne peuvent jamais être autarciques à 100% : d'un point de vue strictement matériel, il faudra bien toujours acheter ou du moins échanger, pour obtenir ce qui manque, ce qui n'est pas produit sur place ; ce qui poussera les gens d'une part à se salarier, donc à subir l'exploitation capitaliste et à collaborer au système par l'acceptation de l'échange capitaliste et monétaire comme pis-aller, d'autre part à réduire leurs besoins jusqu'à une certaine ascèse, qui ne saurait véritablement représenter un projet social imposable à tou-te-s. De même, il est impossible d'échapper à l'environnement écologique : un jardin collectif ne pourra pas éviter les questions de la qualité des sols, de l'eau, ni les épandages de pesticides, etc... qui sont des questions sociales. Ni à l'environnement politique : ces projets, s'ils prennent de l'importance, devront passer vite sous les fourches caudines des autorités politiques locales, subir les tracasseries légales, judiciaires, fiscales, et parfois même policières ; bref l'Etat. Il faudra se compromettre pour survivre, renoncer à une partie de son indépendance en échange de subventions, payer des impôts et engraisser l'Etat. Enfin, si le projet devenait réellement menaçant pour l'ordre capitaliste, il serait tout simplement réprimé, y compris par la force... L'histoire enseigne hélas avec assez de cruauté ce qu'il est advenu aux collectivités diverses de gens ayant décidé de reprendre réellement et politiquement leur vie en main à travers des projets de ce type, ayant rencontré une relative réussite. La réussite fut bien vite stoppée par les armes.

Les anarchistes, s'ils-elles sont souvent impliqué-e-s dans des scop, jardins collectifs, SEL et autres projets d'économie locale, s'impliquent aussi dans le politique et le social car ils-elles ne croient pas aux ilots décroissants, ni même libertaires, et savent que si la démarche individuelle et la reprise en main de sa vie ici et maintenant ne peut attendre le grand soir, elle ne peut s'accomplir durablement que par une dynamique, un processus social de rupture révolutionnaire et radicale avec la société actuelle. Seule l'abolition, au niveau global, des rapports sociaux de domination (hiérarchie, Etat) et d'exploitation salariale (capitalisme) de l'homme par l'homme, peut permettre à de tels projets d'autonomie de devenir des projets d'émancipation réelle.

De toute façon, il est hors de question de se contenter d'occuper les interstices que le pouvoir peut laisser plus ou moins à dessein à ses contestataires pour les canaliser. Le système englobe aujourd'hui tout le vivant et l'existant : il est impossible de le déserter. Il faut reconquérir les espaces géographiques, politiques, productifs, pour les subvertir - et non les fuir.

Or une bonne partie des courants décroissantistes, s'ils sont généralement critiques à juste titre d'un manque de réflexion du courant socialiste en général sur la nature de la production et la nécessité d'une réflexion pratique sur un changement de la consommation et de la vie, font une cruelle impasse sur la nécessité de l'abolition de l'Etat et du capital. Nombre de ces courants préconisent un capitalisme repeint en vert, avec des patrons et des salariés. Nombre de ces courants s'organisent avec la gauche classique à travers les Verts, ou encore en parti pour la décroissance, ignorant ainsi que la structure même de l'Etat, du pouvoir et des élections représentatives, qui sont la structure politique même de la déresponsabilisation, base fondamentale du capitalisme qui ronge l'humanité et la planète, à savoir la séparation à la fois entre les hommes, et entre les hommes et les conséquences et donc la possession réelle de leurs actes. Sans parler du rôle essentiel des Etats dans le processus de développement des multinationales. Ce silence d'une grande partie du mouvement décroissant à l'égard du rôle fondamental de l'Etat dans le désastre capitaliste, et donc écologique, va à l'encontre de ce qui est pourtant sensé fonder une partie de l'idéologie décroissante, et aussi (et surtout) anarchiste : la responsabilisation individuelle et collective, qui implique la conscience et la volonté d'une rupture claire avec le système capitaliste et l'Etat.

Le terme même de « décroissance » porte en lui à la fois une richesse polémique, et les germes d'un possible réformisme qui pourrait être fatal à ses fondamentaux. Ainsi, je pense qu'une décroissance conséquente ne peut éluder la nécessité d'une évolution social, d'un progrès, d'un développement de la liberté humaine, et que la critique de la « croissance » doit impérativement être claire avec le fait que l'objet critiqué soit bien la croissance capitaliste. Une fois cela posé, une autre remarque semble s'imposer : le préfixe « dé- », s'il suppose une sortie de la croissance et donc du capitalisme, peut signifier une espèce de sortie lente, graduée, « peu à peu », bref, réformarde et légaliste, du capitalisme. Bref, un aménagement de plus, se compromettant avec le fond et les méthodes du capital pour se maintenir. Pour les anarchistes, il est clair que si l'on sait reconnaître un acquis, l'on ne transige néanmoins pas avec le but poursuivi, qui est l'éradication du capitalisme et de l'Etat. On ne lutte pas contre le capitalisme avec des entreprises capitalistes « vertes », mais l'expropriation capitaliste et l'autogestion généralisée. On ne lutte pas contre l'oppression du pouvoir en recourant à des modalités politiques étatisantes, globalisantes, centralistes, représentativistes (du genre élections) mais avec l'affirmation du fédéralisme libertaire, de l'association libre des individus et des groupes humains sans hiérarchie.

Pour conclure, je pense que les anarchistes auraient tort, vue la rapidité de transformation de l'environnement et ses conséquences, de ne pas se saisir des questionnements qu'apporte la décroissance pour aiguiser leur critique de l'autorité et de l'exploitation et construire un anarchisme prenant en tenaille l'Etat et le capital, sous le double volet de la lutte sociale et du développement d'alternatives, ici et maintenant, de vie et de consommation. C'est un entraînement, c'est un laboratoire d'idées et de pratiques, et c'est aussi la possibilité d'une -relative- indépendance. Rappelons que les mouvements sociaux révolutionnaires du passé ont souvent été accomplis par des ouvriers qui avaient encore un pied dans le monde rural et les savoirs artisanaux, ce qui leur permettait de tenir des grèves longues.

Mais je pense aussi qu'ils-elles ne sauraient développer la notion de « décroissance » de façon positive, pour l'anarchisme comme pour la décroissance, qu'en insistant sur la clarté d'une décroissance libertaire, ce dont, entre autres organisations, la Fédération anarchiste débat depuis plusieurs années notamment. Reste à poursuivre la dynamique, à élargir le champ des possibles et pour cela, toujours est-il qu'il ne faudra pas être décroissant-e-s en termes d'efforts !


John Rackham
Dernière édition par conan le Ven 1 Oct 2010 10:22, édité 1 fois.
"L'anarchie, c'est la victoire de l'esprit sur la certitude" Georges Henein
Avatar de l’utilisateur
conan
 
Messages: 2633
Inscription: Sam 14 Fév 2009 17:48

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede carbone le Jeu 30 Sep 2010 13:53

Conan, je comptais venir à la conférence sur la décroissance libertaire, mais çà me fait quelques bornes en camion. Est-ce qu'une captation vidéo ou audio est prévue ? Ma question arrive un peu tard, hélas hier j'ai piqué du nez sur mon clavier ... :mrgreen:
Avatar de l’utilisateur
carbone
 
Messages: 259
Inscription: Ven 4 Sep 2009 00:13

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede conan le Ven 1 Oct 2010 10:27

Oups désolé, pas vu ton message à temps !
Hélas non pas de captation... Mais l'exposé de Jean-Pierre était très intéressant, je t'incite à y aller une prochaine fois si tu peux.
Juste après il y a eu une lecture du texte ci-dessus (que j'ai un peu remanié du coup), pour introduire le débat. Le débat a été très riche et a duré jusqu'à 22H30 ; c'était vraiment chouette, pas mal de critiques constructives de nombreuses-eux intervenant-e-s (mais comme nous étions occupés avec les tours de parole, nous n'avons pas pris de notes hélas !)
Bonne soirée, pas mal de prises de contacts, notamment de décroissant-e-s qui ne connaissent pas trop l'anarchisme à la base et étaient curieux de découvrir les réflexions politiques de ce mouvemnt. Bref, très positif tout ça, dynamique et débat à poursuivre.
"L'anarchie, c'est la victoire de l'esprit sur la certitude" Georges Henein
Avatar de l’utilisateur
conan
 
Messages: 2633
Inscription: Sam 14 Fév 2009 17:48

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede carbone le Ven 1 Oct 2010 11:23

ok ... merci pour ta réponse :) ... çà m'apprendra à faire ma larve ;-)

de toute façon, un de ces quatre, je passerai vous voir, y aura d'autres occasions :peredodu:
Avatar de l’utilisateur
carbone
 
Messages: 259
Inscription: Ven 4 Sep 2009 00:13

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede filochard le Dim 3 Oct 2010 20:20

Avatar de l’utilisateur
filochard
 
Messages: 642
Inscription: Ven 23 Juil 2010 19:36

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede vroum le Jeu 7 Juil 2011 21:37

Rackham le pirate pictave récidive :

Anarchisme et décroissance

in Le Monde libertaire hors-série n°42 (7 juillet-7 septembre 2011)

http://www.monde-libertaire.fr/debats/14722-anarchisme-et-decroissance

Depuis Thoreau, il existe des rapports historiques entre anarchisme et écologie, pas systématiques, mais bien réels (Louise Michel, Kropotkine, Reclus, Butaud et Zaïkowska, Bookchin et bien d’autres). À côté de l’harmonie sociale, il s’agit de réfléchir sur une harmonie entre l’homme et l’espace qu’il occupe, et de réfléchir sur la qualité même de la vie que l’on veut construire individuellement et socialement.

Dans le paysage actuel de l’écologie, la décroissance est un mouvement tout aussi varié que l’anarchisme l’est au sein de l’histoire du socialisme, mais il est possible de relever un certain nombre de points communs entre ces deux courants, et pourquoi pas d’opérer des rapprochements, sur la base de convergences réelles dans certaines pratiques concrètes.

Tout d’abord le souci de relocaliser la production et les structures sociales, à une échelle plus humaine, plus proche de chaque individu, de sorte que le processus économique ne lui échappe plus. On parle ainsi de circuit court, plus concrètement d’amaps, de sels, etc. Dans la décroissance, ce souci se double d’une prise en compte des conséquences de la débauche d’énergies fossiles utilisées pour le transport de la production, au sein d’une économie mondialisée. Dans l’anarchisme, il s’agit davantage de rendre à l’homme sa capacité politique d’action et de contrôle dans la gestion de sa vie, et de la production de ce dont il a réellement besoin, à travers la construction politique d’un fédéralisme des communes.

Dans le même ordre d’idée, anarchisme et décroissance se soucient aussi d’une reconquête des savoirs de base, qu’il s’agisse de se nourrir, de se vêtir, de se loger. L’éducation, non spécialisée, mais polytechnique, à la fois abstraite et concrète, joue un rôle central dans l’histoire de l’anarchisme, à la fois comme tactique de propagande de fond, mais aussi comme adaptation des moyens et des fins, reconquête d’une capacité à être plus autonomes. Chez les anarchistes, il s’agit tantôt de la vieille tradition proudhonienne de l’autogestion ouvrière, teintée d’une nostalgie de l’artisan maître de sa propre production, s’arrachant à l’aliénation des bagnes industriels, tantôt de l’esprit « do it yourself », « fais-le toi-même », consistant à ne plus dépendre du monopole capitaliste du savoir technique. Chez les décroissants, il s’agit de retrouver des savoirs simples pour répondre à des besoins simples et quotidiens.

On retrouve aussi dans les deux courants la préoccupation majeure de retrouver du temps à soi, du temps pour vivre, du plaisir. Chez les anarchistes, issus du courant socialiste, cet objectif découle de la critique anticapitaliste du « surtravail », le temps que le patron impose au travailleur, en plus de la rémunération de son travail réel, pour dégager la fameuse « plus-value » qui nourrira et reproduira le capital. Chez les décroissants, il s’agit de peser temps de travail et satisfaction de besoins et de les mettre en balance, ou dit autrement, de déterminer ses besoins individuels réels et d’ajuster son temps de travail à ces besoins, sans plus s’encombrer de gadgets inutiles.

Sur la critique du capitalisme, la décroissance développe une critique assez originale du capitalisme, assez peu développée dans les courants socialistes traditionnels. Cette critique porte sur deux aspects du capitalisme : le capital consiste en une accumulation, que l’on nomme croissance. La croissance du capital est donc indissociable de l’idéologie capitaliste. S’attaquer à l’idée de croissance, que le capitalisme déguise en « progrès » social alors qu’il en est souvent le fossoyeur, est donc un angle intéressant de lutte. De même que de s’attaquer à la sacralité de l’innovation technologique, qui serait toujours facteur de progrès, alors que la nature même de la technologie développée répond toujours aux besoins de la société qui la développe. Une société policière produira de la technologie de surveillance, une société centraliste, étatique développera le nucléaire, une société capitaliste développera des puces RFID, de l’armement, etc.

Image

D’autre part, la décroissance complète la critique socialiste traditionnelle du processus de production capitaliste en s’attaquant aussi, au bout de la chaîne de production, au maillon de la consommation, bref à l’acte d’achat, sans lequel le capitalisme n’existe pas. La décroissance critique la consommation dans ce qu’elle a souvent de factice, d’aliéné, avec son cortège publicitaire, sa bande sans fin d’innovations sans intérêt, de pseudo-progrès… Dans le capitalisme, la production ne répond en effet pas aux besoins humains : la production s’arrange pour créer et même dicter le besoin. Enfin, et c’est le corollaire direct, la décroissance s’intéresse profondément à la nature de la production et – ce qui est la même chose – à son but réel ; en tant que courant écologique, elle critique vertement les aspects nuisibles de la production humaine actuelle, aussi bien envers l’homme qu’envers son environnement (dont l’homme dépend, ce qui revient au même).

On comprend que certains anarchistes aient donc été parfois proches de ces questions écologiques. Dans la pratique, si des anarchistes de tendance sociale ont eu des préoccupations écologiques réelles (Reclus, Kropotkine, etc.), certains anarchistes ont aussi tenté de vivre d’une façon qu’on pourrait qualifier de « décroissante » aujourd’hui ; en particulier dans les milieux anarchistes dits « individualistes » au début du XXe siècle, qui prônaient la possibilité de s’émanciper ici et maintenant du capitalisme et du système social mortifère qu’il engendre, en vivant en communautés. Qu’on songe aux milieux libres d’Aiglemont, de Bascon, de Vaux… où se posaient sérieusement des questions comme l’abolition de l’alcool, du tabac, le retour à la terre, végétalisme et même le naturisme.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que ces pratiques et questionnements radicaux sur les besoins réels de l’homme aient surtout été portés par des individualistes. En effet, le courant communiste a parfois privilégié une certaine admiration du progrès technique, une certaine incantation à l’autogestion qui, toutes modernes qu’elles étaient, ne prenait pas forcément en compte la critique nécessaire de la nature de la production elle-même dans le processus de l’aliénation humaine : autogérer oui, mais quoi, des usines d’automobiles, de missiles, de cravates, de pesticides ? Pas étonnant que des individualistes, qui se méfiaient du communisme pour sa faiblesse critique à l’égard du productivisme et du travail, aient ainsi rejoint une pensée écologiste. On pourrait même dire que l’écologisme a pu parfois jouer le rôle d’un champ de la critique du capitalisme, sur les questions dont les courants communistes traditionnels, léninistes, et même parfois libertaires, n’avaient pas toujours su (assez) se saisir.

Pourtant, la gestion communiste libertaire elle aussi, comme dans la proposition décroissante, implique de discuter ensemble des besoins individuels et collectifs réels, d’organiser socialement leur satisfaction dans la durée, et donc de faire en fonction des ressources réelles existantes, sur le long terme. Décroissance et anarchisme sont des pensées du long terme, opposées au court terme du capitalisme fondé sur le profit le plus immédiat possible, au détriment de l’environnement réel.

Il y a donc clairement un champ de réflexion critique et d’expérimentation commun à l’anarchisme et à une certaine frange de la « décroissance ».

Néanmoins, la décroissance à laquelle les anarchistes pourraient s’intéresser aujourd’hui ne saurait faire l’économie d’un certain nombre de remarques et de critiques, portant sur certains aspects moins reluisants de la décroissance. C’est pourquoi, si elle est à construire, la décroissance doit, selon nous, être libertaire.

Pour commencer, et ce n’est pas un hasard si je parlais juste avant du courant anarchiste individualiste, la décroissance part toujours de la remise en cause individuelle face au système. La décroissance a toujours pour discours de dire aux individus qu’ils sont responsables, qu’ils sont le début et la fin du système, et qu’ils portent donc le poids de l’existant. Ce qui n’est sans doute pas totalement faux, mais prête le flanc à de nécessaires critiques. Tout d’abord, ce discours est assez inaudible, voire carrément insupportable, lorsqu’on l’applique à beaucoup de gens qui très concrètement, dans leur vie quotidienne, ne peuvent faire autrement que de se servir d’une vieille bagnole qui pollue, que d’acheter de l’alimentation issue de l’agriculture industrielle, etc., tout simplement parce que leur condition sociale ne leur permet pas le luxe de faire autrement.

D’autre part, qui sert-on vraiment avec un tel discours ? Qui a intérêt à culpabiliser les individus, sinon le capitalisme véritable responsable du désastre social et écologique actuel ? Il est significatif de voir la capacité actuelle des firmes les plus pollueuses à se recycler dans un discours écologiste. Et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, comme on vient de le dire, il s’agit d’occulter les responsabilités réelles des vrais pollueurs. Ainsi, les plus gros pollueurs de France sponsorisent Ushuaïa de Hulot, ou financent le film Home de Yann-Arthus Bertrand, dans le seul but de dire qu’au fond, c’est l’homme qui est fou et qu’il faut changer d’attitude dans la consommation. Rideau de fumée…

Développer les « réflexes écocitoyens » permet à ces mêmes capitalistes de faire sous-traiter la gestion des nuisances corollaires à leurs productions lucratives par les consommateurs gogos, qui se font ainsi plumer au grattage lorsqu’ils produisent en usine en se faisant exploiter, au tirage lorsqu’ils achètent les gadgets produits, et dans le caniveau lorsqu’ils font le tri sélectif, ramassent les ordures sur les bords des rivières ou les galettes de mazout sur les plages atlantiques, ou encore font de la récupération dans les dépotoirs du système. Et l’on fait passer cette gestion de la merde en sous-traitance, à grand renfort de discours citoyennistes de l’État récemment converti aux valeurs « écologistes », pour de la responsabilisation… Il s’agit un peu de la même tartufferie que celle de ces vieux patrons paternalistes donnant quelques oboles pour des œuvres de charité, et incitant leurs ouailles salariales à pratiquer la charité pour aider les pauvres et les malades qu’ils ont eux-mêmes fabriqués par le chômage, la précarité et l’exploitation salariale.

L’anarchisme lui, sur ce point, est clair : il a toujours été un courant politique, portant certes un discours de responsabilisation individuelle, mais aussi collective, à travers un projet social, prenant donc en compte le fonctionnement global du système pour porter la critique là où elle doit l’être, c’est-à-dire au cœur de la bête.

La décroissance ignore ainsi souvent que le capitalisme peut créer de nouveaux besoins « verts » pour de nouveaux marchés de consommation, destinés à un public de classes moyennes en quête de nature et de spiritualité new-age. Oui, le capitalisme peut faire du fric avec la décroissance, lorsque celle-ci n’est qu’une religiosité, qu’un style de vie.

D’autre part, en critiquant le capitalisme sous l’angle de la croissance et de la société de consommation, la décroissance ignore une critique socialiste pourtant cruciale : ainsi, le capitalisme traverse des crises inévitables se traduisant par des récessions, qui lui permettent de muter et de se réorganiser. Le capitalisme n’est donc pas si rétif que cela à la décroissance, puisqu’il la fabrique de fait et l’impose même parfois sous couvert de ce qu’il est tenu d’appeler des « crises ». Il sait se servir du chômage et de la misère, de l’austérité et des famines pour continuer à prospérer, pour permettre à certains d’accumuler plus encore de fric et de pouvoir.

Autre faille critique : le capitalisme, s’il en donne l’image ou plutôt le spectacle, n’est pas une société de l’abondance ! Bien au contraire, il développe une société de fausse abondance et se fonde plutôt sur la production, l’organisation et la gestion de la rareté… Voir le capitalisme comme le culte de l’abondance, c’est le voir avec des yeux de l’occidental de classes moyennes, qui est bien seul à croire que le monde entier a aujourd’hui de quoi manger, de quoi se loger correctement… alors que le capitalisme est précisément fondé sur l’organisation de la pauvreté, sur la faim, sur le mal-logement, bref sur la privation d’une partie de l’humanité, afin de créer la valeur capitaliste. Bref, le capitalisme peut non seulement survivre à la décroissance, mais en réalité, c’est même lui qui la fabrique et l’impose régulièrement à la tranche de la population la plus exploitée, afin de se préserver. Pour prendre un chiffre significatif, la Terre produit actuellement de qui nourrir 12 milliards d’êtres humains, ce qui représente près de deux fois plus que ce qui est nécessaire ; et pourtant un milliard d’êtres humains sont en sous-nutrition, pendant que les supermarchés jettent 30 à 40 % de leurs denrées alimentaires plutôt que de les donner. Ainsi, la proposition politique libertaire, si elle ne peut éluder la question des limites des ressources naturelles, nuance tout de même le constat de ces limites : réduire sa consommation n’est pas la piste unique, la piste politique demeure centrale.

Écartons aussi la fraction dite « primitiviste » d’un certain courant décroissant, prônant un retour radical à une mère Nature pure et bonne, largement fantasmée, flirtant ainsi avec un certain discours religieux, voire une certaine frange de l’extrême droite dans un discours radicalement antisocial, antitechnologique 1 et malthusien au plus mauvais sens du terme, et dont les angoisses survivalistes ne rappellent finalement, comme dans un miroir déformant, que la soumission radicale à la loi du plus fort, aux principes les plus fondateurs de la pensée capitaliste néolibérale actuelle.

Dernier travers de certains décroissants : celui de parfois délaisser les luttes sociales et politiques, en pensant changer le monde « à sa petite échelle » à travers sa petite individualité ou communauté décroissante, et que cela seul marchera et suffira. Or, en dehors même du questionnement éthique que peut éventuellement soulever une telle attitude de repli au sein d’un monde injuste et inégalitaire, la pérennité de tels ilots décroissants (ou même libertaires) dans un monde autoritaire et capitaliste est impossible ; et la croyance en la possibilité qu’ils puissent changer vraiment le monde ne peut être qu’une illusion. Et ce, pour plusieurs raisons ; tout d’abord, ces projets ne peuvent jamais être autarciques à 100 % : d’un point de vue strictement matériel, il faudra bien toujours acheter ou du moins échanger, pour obtenir ce qui manque, ce qui n’est pas produit sur place ; ce qui poussera les gens d’une part à se salarier, donc à subir l’exploitation capitaliste et à collaborer au système par l’acceptation de l’échange capitaliste et monétaire comme pis-aller, d’autre part à réduire leurs besoins jusqu’à une certaine ascèse, qui ne saurait véritablement représenter un projet social imposable à tous. De même, il est impossible d’échapper à l’environnement écologique : un jardin collectif ne pourra pas éviter les questions de la qualité des sols, de l’eau, ni les épandages de pesticides, etc., qui sont des questions sociales. Ni à l’environnement politique : ces projets, s’ils prennent de l’importance, devront passer vite sous les fourches caudines des autorités politiques locales, subir les tracasseries légales, judiciaires, fiscales, et parfois même policières ; bref, l’État. Il faudra se compromettre pour survivre, renoncer à une partie de son indépendance en échange de subventions, payer des impôts et engraisser l’État. Enfin, si le projet devenait réellement menaçant pour l’ordre capitaliste, il serait tout simplement réprimé, y compris par la force… L’histoire enseigne hélas avec assez de cruauté ce qu’il est advenu aux collectivités diverses de gens ayant décidé de reprendre réellement et politiquement leur vie en main à travers des projets de ce type ayant rencontré une relative réussite. La réussite fut bien vite stoppée par les armes.

Les anarchistes, s’ils sont souvent impliqués dans des scops, jardins collectifs, sels et autres projets d’économie locale, s’impliquent aussi dans le politique et le social, car ils ne croient pas aux îlots décroissants, ni même libertaires, et savent que si la démarche individuelle et la reprise en main de sa vie ici et maintenant ne peut attendre le grand soir, elle ne peut s’accomplir durablement que par une dynamique, un processus social de rupture révolutionnaire et radicale avec la société actuelle. Seule l’abolition, au niveau global, des rapports sociaux de domination (hiérarchie, État) et d’exploitation salariale (capitalisme) de l’homme par l’homme peut permettre à de tels projets d’autonomie de devenir des projets d’émancipation réelle.

De toute façon, il est hors de question de se contenter d’occuper les interstices que le pouvoir peut laisser plus ou moins à dessein à ses contestataires pour les canaliser. Le système englobe aujourd’hui tout le vivant et l’existant : il est impossible de le déserter. Il faut reconquérir les espaces géographiques, politiques, productifs, pour les subvertir – et non les fuir.

Or une bonne partie des courants décroissantistes – s’ils sont généralement critiques à juste titre au sujet d’un manque de réflexion du courant socialiste en général sur la nature de la production et la nécessité d’une réflexion pratique sur un changement de la consommation et de la vie – fait une cruelle impasse sur la nécessité de l’abolition de l’État et du capital. Nombre de ces courants préconisent un capitalisme repeint en vert, avec des patrons et des salariés. Nombre de ces courants s’organisent avec la gauche classique à travers les Verts, ou encore en parti pour la décroissance, ignorant ainsi que la structure même de l’État, du pouvoir et des élections représentatives, qui sont la structure politique même de la déresponsabilisation, est la base fondamentale du capitalisme qui ronge l’humanité et la planète, à savoir la séparation à la fois entre les hommes, et entre les hommes et les conséquences, et donc la possession réelle de leurs actes. Sans parler du rôle essentiel des États dans le processus de développement des multinationales. Ce silence d’une grande partie du mouvement décroissant à l’égard du rôle fondamental de l’État dans le désastre capitaliste, et donc écologique, va à l’encontre de ce qui est pourtant censé fonder une partie de l’idéologie décroissantiste et aussi (et surtout) anarchiste : la responsabilisation individuelle et collective, qui implique la conscience et la volonté d’une rupture claire avec le système capitaliste et l’État.

Le terme même de « décroissance » porte en lui à la fois une richesse polémique et les germes d’un possible réformisme qui pourrait être fatal à ses fondamentaux. Ainsi, je pense qu’une décroissance conséquente ne peut éluder la nécessité d’une évolution sociale, d’un progrès, d’un développement de la liberté humaine, et que la critique de la « croissance » doit impérativement être claire avec le fait que l’objet critiqué est bel et bien la croissance capitaliste. Une fois cela posé, une autre remarque semble s’imposer : le préfixe « dé », s’il suppose une sortie de la croissance et donc du capitalisme, peut signifier une espèce de sortie lente, graduée, « peu à peu », bref, réformarde et légaliste, du capitalisme. Bref, un aménagement de plus, se compromettant avec le fond et les méthodes du capital pour se maintenir. Pour les anarchistes, il est clair que si l’on sait reconnaître un acquis, l’on ne transige néanmoins pas avec le but poursuivi, qui est l’éradication du capitalisme et de l’État. On ne lutte pas contre le capitalisme avec des entreprises capitalistes « vertes », mais l’expropriation capitaliste et l’autogestion généralisée. On ne lutte pas contre l’oppression du pouvoir en recourant à des modalités politiques étatisantes, globalisantes, centralistes, représentativistes (du genre élections), mais avec l’affirmation du fédéralisme libertaire, de l’association libre des individus et des groupes humains sans hiérarchie.

Pour conclure, je pense que les anarchistes auraient tort, vu la rapidité de transformation de l’environnement et ses conséquences, de ne pas se saisir des questionnements qu’apporte la décroissance pour aiguiser leur critique de l’autorité et de l’exploitation, et construire un anarchisme prenant en tenaille l’État et le capital, sous le double volet de la lutte sociale et du développement d’alternatives, ici et maintenant, de vie et de consommation. C’est un entraînement, c’est un laboratoire d’idées et de pratiques, et c’est aussi la possibilité d’une – relative – indépendance. Rappelons que les mouvements sociaux révolutionnaires du passé ont souvent été accomplis par des ouvriers qui avaient encore un pied dans le monde rural et les savoirs artisanaux, ce qui leur permettait de tenir des grèves longues.

Mais je pense aussi qu’ils ne sauraient développer la notion de « décroissance » de façon positive, pour l’anarchisme comme pour la décroissance, qu’en insistant sur la clarté d’une décroissance libertaire, ce dont, entre autres organisations, la Fédération anarchiste débat depuis plusieurs années notamment. Reste à poursuivre la dynamique, à élargir le champ des possibles et pour cela, toujours est-il qu’il ne faudra pas être décroissants en termes d’efforts !

John Rackham


1. En complément de ces observations et analyses, on peut se reporter à l’article de Marc Silberstein, « Cucurbites ? Assez ! De quelques considérations sanitaires, scientifiques, économiques et médiatiques entremêlées », Le Monde libertaire n° 1641 (23 juin-6 juillet 2011). (Ndlr.)
"Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs." (N. Makhno)
Image
Avatar de l’utilisateur
vroum
 
Messages: 6910
Inscription: Mar 22 Juil 2008 23:50
Localisation: sur les rails

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede vroum le Ven 21 Mar 2014 22:21

Décroissants ET anarchistes

Droit de réponse à l’article de Philippe Pelletier (PP) « Décroissance : le syndrome de la litanie », paru dans le Monde Libertaire n°1727.

http://anars56.over-blog.org/article-de ... 36597.html


L’auteur affirme que la quasi-totalité des décroissants n’adoptent pas l’anarchisme. Il déclare que les seuls décroissants existants, objecteurs de croissance et autres, sont disséminés chez les Verts ou dans d’autres partis, ou seraient religieux.

De fait, il définit le religieux mais pas la décroissance versus la croissance, ni ce qu'est l'écologie. Dans tout son texte, il brandit l’étiquette de la religiosité pour dénigrer les écologistes et les décroissants, pour mieux leur poser l'idée de totalitarisme..

En déclarant d'emblée, "Ne serait-ce justement pas parce que leur diagnostic est faux que ces décroissants prônent, dans une même cohérence, des mesures qui sont tout aussi fausses puisqu'elles restent dans le cadre du capital (la propriété privée, le salariat, l'argent, notamment) et de l'État (qu'ils considèrent comme neutre et régulateur) ?", Philippe Pelletier feint d’ignorer le vaste courant libertaire décroissant, les combats d'anarchistes qui, pour réaliser la société sans classes ni État, œuvrent en faveur d'une réduction de l'empreinte écologique des sociétés humaines (là où elle est excessive). Comment peut-il faire l'impasse sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les oppositions aux « grands projets inutiles imposés » (lignes à grande vitesse, autoroutes, EPR...), où sont actifs et actives des anarchistes ? Il nie ces lieux d'expérimentations sociales de la prise de décision horizontale, de mandats, d'autogestion et du respect écologique. Et même, notre camarade semble avoir oublié que la Fédération anarchiste a adopté deux motions en faveur de la décroissance, lors de ses congrès souverains, à l'unanimité... en 2004 et 2008. Nous serions bien curieux et curieuses d'ailleurs qu'il réussisse à nous prouver que ces prises de position s'inscrivaient « dans le cadre du Capital et de l'État »... Il ne semble pas connaître non plus Jean-Pierre Tertrais, membre de la Fédération Anarchiste, et auteur régulier du Monde Libertaire, qu'on ne peut soupçonner de négliger la question sociale !

Que la parole ne soit donnée qu’aux décroissants religieux et étatistes par la classe dominante dans les médias semble ne pas avoir alerté PP.

Ainsi amputée, il peut reprocher à la décroissance de vouloir de mauvais remèdes, preuves de l’erreur de son diagnostique. Étrange logique ! En effet, les léninistes ont fait un long catalogue des misères du peuple ; mais ils voulaient réaliser son bonheur par l’État. Les anarchistes et l’Histoire ont montré que c’était une erreur. Aurait-il fallu en déduire que les misères du peuple n’étaient pas réelles ?

Il lui reste à prouver que le constat des décroissants est faux. Pour cela, il a un mot magique qui remplace la démonstration : la litanie. Pour notre géographe la vie semble ne pas exister en dehors de l’usage qu’en font certaines idéologies « Il faudrait même sauver le « vivant » : la vie, concept que tous les religieux adorent. » (…) « Orientation idéologique (…) de scientifiques partisans du naturalisme intégriste et révulsés par » (…) le « socialisme ».. Or, la vie existe à la surface de la planète, dans un espace très restreint.

Il nie ainsi le fait que le capitalisme par sa production de masse, et même sa surproduction (stocks invendus et détruits, obsolescence programmée...), est en train de détruire la biosphère, nos conditions de vie.

Sa démonstration, par amalgame, se réduit à dire que les écologistes et décroissants ne sont que des religieux, escrocs et pétainistes, sans apporter une seule preuve de l’erreur de leur constat. Si on suit cette logique, les anarchistes devraient renoncer à l’autogestion sous prétexte que Tito, le PSU, et la CFDT l’ont récupérée dans un projet non libertaire…

PP prétend utiliser le doute de manière scientifique « Sur tous les dossiers – que ce soit les évolutions climatiques, le nombre ou l'extinction des espèces, la surpêche, la déforestation, etc. - les scientifiques ne sont pas d'accord entre eux ». (…) « Le doute est à la base même de la science ».



Voyons cela de près :
Il n'utilise le doute que contre le constat des écolos-décroissants autoritaires (étatistes et religieux). Il s'en sert pour invalider leur démonstration, mais sans argument réel autre que les dénégations de leurs opposants productivistes. En fait, il se contente de leur faire un procès d'intention, et cette intention supposée par lui, se substitue à un examen lucide de leur constat.
A l'inverse, il semble ne pas exercer nullement son doute sur le discours des productivistes, et reprend leurs arguments. De la même manière, il ne leur fait aucun procès d'intention, alors que l'on sait qu'ils sont payés et portés par les grands groupes capitalistes et leurs médias.
Si le doute est un principe de base de la méthode scientifique, les savants l'ont toujours aussi contrôlé. Ils ont ainsi pu admettre que notre planète était ronde, sans doute possible. C'était aussi l'usage qu'en faisaient les philosophes sceptiques. Or, les « négationnistes », eux, se servent du doute pour empêcher toute pensée autre que la leur, se gardant bien d'utiliser leur stratagème contre leurs idées. N'est-ce pas exactement la rhétorique qu'utilise PP ?
Il semble nier que la surface de la Terre soit ravagée par la société capitaliste. Ce qui est gênant, c'est qu'il supprime ainsi tout un argumentaire qui contribue à la critique du capitalisme...

PP suggère que Fukushima pourrait être justifié car il réduirait l’effet de serre. Or, cet effet de serre, il semble le… nier ! N'est-ce pas paradoxal ?

Le fait qu'une grande majorité de climato-sceptiques soient aux USA les républicains, le Tea-Party et autres intégristes religieux ne semble pas gêner Philippe Pelletier lorsqu'il émet des doutes sur les conséquences climatiques de la production industrielle et agricole capitaliste.

Il apparaît donc que pour ce géographe, s’occuper du rapport des sociétés humaines à leur environnement revient à vider de sa substance l’humanité et à nier les luttes sociales (« la Terre », « la planète », (…) « éléments de langage qui naturalisent les problématiques sociales en vidant l'humain de toute substance »). Pourtant, toutes les classes dominantes ont politisé leur rapport à l’environnement, non seulement par des choix pratiques, mais aussi par leurs idéologies, et en particulier les religions. La vision de PP ne devient-elle pas un anthropocentrisme qui confine à l’idéalisme ? En effet, qu’est-ce que la substance d’une humanité ne vivant que pour elle, sans effet sur son environnement ? Rappelons que les religions monothéistes ordonnent aux humains de croître et de se multiplier, et que cet ordre satisfait pleinement le capitalisme, tout en introduisant le désordre dans la biosphère.

Quand il déclare « ce qui revient à masquer la sous-consommation de millions d'individus », il avance l’argument selon lequel les discours décroissants cherchent à cacher le fait qu’il y a de nombreux pauvres qui n’ont pas le nécessaire pour vivre. C'est une invention de sa part : même les décroissants non anarchistes prônent la redistribution, pour éradiquer la misère sans qu'il ne soit nécessaire de courir après une croissance qui elle, justement, a créé cette misère. Et sur sa lancée, il oublie de dire que les pauvres souffrent plus de la pollution que les riches. Cela lui permet de ne pas admettre qu’il y a pollution. Les pauvres ne sont-ils pas dans ce cas un alibi à la société productiviste capitaliste ?

De même, faudrait-il consommer tout ce que produit la société capitaliste ? Gadgets, malbouffe...

Plus étonnant : il critique « l’obsession décentralisatrice de Kropotkine » et affirme que l’anarchisme ne conteste pas l’organisation en centre et en périphéries. Or, le fédéralisme anarchiste n’a pas de centre, il n’a que des coordinations transitoires, soumises à mandat impératif, sous le contrôle permanent des assemblées de base. Cette forme d'anarchisme n'a-t-elle pas l'odeur du « centralisme démocratique » des étatistes ?

En conclusion, PP prône le productivisme (la croissance), pour éradiquer la misère humaine. Et dans tout son article, transparaît l’inégalité de traitement qu’il fait entre la croissance et la décroissance. L’autogestion ne serait-elle pour lui que la gestion d’une société où l’on devrait toujours travailler trop (à l’usine ?), pour lutter contre la misère ?

En fin de compte, il semble que cette charge contre les écologistes et les décroissants ne vise que les décroissants libertaires, sans les nommer.

Faudra-t-il que les anarchistes renoncent à combattre le nucléaire et à défendre un projet de société respectueux de l’environnement, parce qu’ils et elles ne sont pas les seuls engagés dans ce combat ?

"La religion n'est pas seulement l'affirmation de l'existence d'un dieu. C'est une conception qui consiste à renvoyer l'individu à ses responsabilités devant un élément extérieur qui n'existe pas, qui se situe dans le futur."

Cette définition met le concept d'utopie anarchiste dans le même sac de la religiosité. Ainsi, selon PP, vouloir un monde meilleur et agir pour le construire... relèverait du domaine du sectaire, du religieux... Ce qui coupe tout espoir de gagner dans nos luttes et effectivement de construire cette société autogérée, sans dieu ni maître.

Certes la fin du monde n'est pas pour demain, la révolution non plus. Là encore faut-il renoncer à préparer cette dernière tout en faisant en sorte qu'elle arrive bien avant la fin du monde ?


Groupe libertaire Lochu, Vannes.

Article paru dans le ML n°1735 du 20 au 26 mars 2014
"Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs." (N. Makhno)
Image
Avatar de l’utilisateur
vroum
 
Messages: 6910
Inscription: Mar 22 Juil 2008 23:50
Localisation: sur les rails

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede Lehning le Sam 22 Mar 2014 07:40

Bonsoir !

J'espère que Philippe saura répondre (je n'en doute pas) à tout ce fatras pro-anti-spéciste, in fine.

L'histoire et l'historicité de l'écologisme et de l'écologie est malheureusement lié aux prémisses du fascisme. (C'est ce qu'il montre, de façon pertinante, c'est dérangeant certes mais vrai)

Salutations Anarchistes !
"Le forum anarchiste est ce que ses membres en font."
Avatar de l’utilisateur
Lehning
 
Messages: 8135
Inscription: Jeu 26 Juil 2012 16:33

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede bajotierra le Mer 26 Mar 2014 19:39

Salut ,

Du coup je viens de lire le texte de PP , c'est un texte fort bien vu je relève ceci

De telles pensées surgissent en priorité chez les rejetons des couches sociales gavées ou surgavées, ceux qui n’ont pas connu ou ne connaissent pas vraiment la misère matérielle

http://www.monde-libertaire.fr/ecologie ... la-litanie

En effet lorsqu'on possède des domestiques pour laver le linge sale on peut cracher sur la machine a laver .
bajotierra
 
Messages: 4456
Inscription: Mar 19 Aoû 2008 16:28

Précédent

Retourner vers Théories

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 5 invités