Dieu et l'état - Bakounine

Espace de débats sur l'anarchisme

Dieu et l'état - Bakounine

Messagede Harfang le Lun 14 Juil 2008 21:02

A découvrir ou redécouvrir

Michel Bakounine - Dieu et l’Etat

« Mais mieux vaut l’absence de lumière qu’une fausse lumière allumée parcimonieusement du dehors avec le but évident d’égarer le peuple. »


Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine, dit Michel BakounineComme tout développement implique nécessairement une négation, celle de la base ou du point de départ, l’humanité est en même temps et essentiellement la négation réfléchie et progressive de l’animalité dans les hommes ; et c’est précisément cette négation aussi rationnelle que naturelle, et qui n’est rationnelle que parce qu’elle est naturelle, à la fois historique et logique, fatale comme le sont les développements et les réalisations de toutes les lois naturelles dans le monde - c’est elle qui constitue et qui crée l’idéal, le monde des convictions intellectuelles et morales, les idées.

(...)


... Jéhovah, qui, de tous les dieux qui ont jamais été adorés par les hommes, est certainement le plus jaloux, le plus vaniteux, le plus féroce, le plus injuste, le plus sanguinaire, le plus despote et le plus ennemi de la dignité et de la liberté humaines, ayant créé Adam et Ève, par on ne sait quel caprice, sans doute pour tromper son ennui qui doit être terrible dans son éternellement égoïste solitude, ou pour se donner des esclaves nouveaux, avait mis généreusement à leur disposition toute la terre, avec tous les fruits et tous les animaux de la terre, et il n’avait posé à cette complète jouissance qu’une seule limite. Il leur avait expressément défendu de toucher aux fruits de l’arbre de la science. Il voulait donc que l’homme, privé de toute conscience de lui-même, restât une bête, toujours à quatre pattes devant le Dieu éternel, son Créateur et son Maître. Mais voici que vient Satan, l’éternel révolté, le premier libre penseur et l’émancipateur des mondes. Il fait honte à l’homme de son ignorance et de son obéissance bestiales ; il l’émancipe et imprime sur son front le sceau de la liberté et de l’humanité en le poussant à désobéir et à manger du fruit de la science.

(...)


Leur Dieu n’est point l’Être vigoureux et puissant, le Dieu brutalement positif de la théologie. C’est un Être nébuleux, diaphane, illusoire, tellement illusoire que, quand on croit le saisir, il se transforme en Néant : c’est un mirage, un feu follet qui ne réchauffe ni n’éclaire. Et pourtant ils y tiennent, et ils croient que s’il allait disparaître, tout disparaîtrait avec lui. Ce sont des âmes incertaines, maladives, désorientées dans la civilisation actuelle, n’appartenant ni au présent ni à l’avenir, de pâles fantômes éternellement suspendus entre le ciel et la terre, et occupant entre la politique bourgeoise et le socialisme du prolétariat absolument la même position. Ils ne se sentent la force ni de penser jusqu’à la fin, ni de vouloir, ni de se résoudre et ils perdent leur temps et leur peine en s’efforçant toujours de concilier l’inconciliable.

(...)


... l’antiquité d’une croyance, d’une idée, loin de prouver quelque chose en sa faveur, doit au contraire nous la rendre suspecte. Car derrière nous est notre animalité et devant nous notre humanité, et la lumière humaine, la seule qui puisse nous réchauffer et nous éclairer, la seule qui puisse nous émanciper, nous rendre dignes, libres, heureux, et réaliser la fraternité parmi nous, n’est jamais au début, mais, relativement à l’époque où l’on vit, toujours à la fin de l’histoire. Ne regardons donc jamais en arrière, regardons toujours en avant, car en avant sont notre soleil et notre salut ; et s’il nous est permis, s’il est même utile, nécessaire, de nous retourner, en vue de l’étude de notre passé, ce n’est que pour constater ce que nous avons été et ce que nous ne devons plus être, ce que nous avons cru et pensé, et ce que nous ne devons plus ni croire ni penser, ce que nous avons fait et ce que nous ne devons plus jamais faire.

(...)


Quant à l’universalité d’une erreur, elle ne prouve qu’une chose : la similitude, sinon la parfaite identité, de la nature humaine dans tous les temps et sous tous les climats. Et, puisqu’il est constaté que tous les peuples, à toutes les époques de leur vie, ont cru et croient encore en Dieu, nous devons en conclure simplement que l’idée divine, issue de nous-mêmes, est une erreur historiquement nécessaire dans le développement de l’humanité, et nous demander pourquoi et comment elle s’est produite dans l’histoire, pourquoi l’immense majorité de l’espèce humaine l’accepte encore aujourd’hui comme une vérité.
Ce n’est pas seulement dans l’intérêt des masses, c’est dans celui de la santé de notre propre esprit que nous devons nous efforcer de comprendre la genèse historique, la succession des causes qui ont développé et produit l’idée de Dieu dans la conscience des hommes. Car nous aurons beau nous dire et nous croire athées : tant que nous n’aurons pas compris ces causes, nous nous laisserons toujours plus ou moins dominer par les clameurs de cette conscience universelle dont nous n’aurons pas surpris le secret ; et, vu la faiblesse naturelle de l’individu même le plus fort contre l’influence toute-puissante du milieu social qui l’entoure, nous courrons toujours le risque de retomber tôt ou tard, et d’une manière ou d’une autre, dans l’abîme de l’absurdité religieuse. Les exemples de ces conversions honteuses sont fréquents dans la société actuelle.

(...)


... le ciel religieux n’est autre chose qu’un mirage où l’homme, exalté par l’ignorance et la foi, retrouve sa propre image, mais agrandie et renversée, c’est-à-dire divinisée. L’histoire des religions, celle de la naissance, de la grandeur et de la décadence des dieux qui se sont succédé dans la croyance humaine, n’est donc rien que le développement de l’intelligence et de la conscience collectives des hommes.

(...)


Si Dieu est, l’homme est esclave ; or l’homme peut, doit être libre, donc Dieu n’existe pas. Je défie qui que ce soit de sortir de ce cercle ; et maintenant, qu’on choisisse.

(...)


Donc, si Dieu existait, il n’y aurait pour lui qu’un seul moyen de servir la liberté humaine, ce serait de cesser d’exister.

(...)


Dans notre Église - à nous - qu’il me soit permis de me servir un moment de cette expression que d’ailleurs je déteste - l’Église et l’État sont mes deux bêtes noires -, dans notre Église, comme dans l’Église protestante, nous avons un chef, un Christ invisible, la Science ; et comme les protestants, plus conséquents même que les protestants, nous ne voulons y souffrir ni pape, ni conciles, ni conclaves de cardinaux infaillibles, ni évêques, ni même des prêtres. Notre Christ se distingue du Christ protestant et chrétien en ceci, que ce dernier est un être personnel, le nôtre impersonnel ; le Christ chrétien, déjà accompli dans un passé éternel, se présente comme un être parfait, tandis que l’accomplissement et la perfection de notre Christ à nous, de la Science. sont toujours dans l’avenir, ce qui équivaut à dire qu’ils ne se réaliseront jamais. En ne reconnaissant l’autorité absolue que de la science absolue,nous n’engageons donc aucunement notre liberté.
Proclamer comme divin tout ce qu’on trouve de grand, de juste, de noble, de beau dans l’humanité, c’est reconnaître implicitement que l’humanité par elle-même aurait été incapable de le produire : ce qui revient à dire qu’abandonnée à elle-même, sa propre nature est misérable, inique, vile et laide.

(...)


Gare alors aux tondeurs ; car là où il y a un troupeau il y aura nécessairement aussi des tondeurs et des mangeurs de troupeau.

(...)


Mais aussitôt que Dieu apparaît, l’homme s’anéantit. On dira qu’il ne s’anéantit pas du tout, puisqu’il est lui-même une parcelle de Dieu. Pardon ! J’admets qu’une parcelle, une partie d’un tout. déterminé, limité, quelque petite que soit cette partie, soit une quantité, une grandeur positive. Mais une partie, une parcelle de l’infiniment grand, comparée avec lui, est nécessairement infiniment petite. Multipliez des milliards de milliards par des milliards de milliards, leur produit, en comparaison de l’infiniment grand, sera infiniment petit, et l’infiniment petit est égal à zéro. Dieu est tout, donc l’homme et tout le monde réel avec lui, l’univers, ne sont rien. Vous ne sortirez pas de là.

(...)


De tous les despotismes, celui des doctrinaires ou des inspirés religieux est le pire. Ils sont si jaloux de la gloire de leur Dieu et du triomphe de leur idée qu’il ne leur reste plus de coeur ni pour la liberté, ni pour la dignité, ni même pour les souffrances des hommes vivants. des hommes réels.

(...)


Tout le progrès de l’avenir est là. C’est la vie et le mouvement de la vie, l’agissement individuel et social des hommes, rendus à leur complète liberté. C’est l’extinction absolue du principe même de l’autorité. Et comment ? Par la propagande la plus largement populaire de la science libre. De cette manière, la masse sociale n’aura plus en dehors d’elle une vérité soi-disant absolue qui la dirige et qui la gouverne, représentée par des individus très intéressés à la garder exclusivement en leurs mains, parce qu’elle leur donne la puissance, et avec la puissance la richesse, le pouvoir de vivre par le travail de la masse populaire. Mais cette masse aura en elle-même une vérité, toujours relative, mais réelle, une lumière intérieure qui éclairera ses mouvements spontanés et qui rendra inutiles toute autorité et toute direction extérieure.

(...)


Mais mieux vaut l’absence de lumière qu’une fausse lumière allumée parcimonieusement du dehors avec le but évident d’égarer le peuple.

(...)


... la religion est une folie collective, d’autant plus puissante qu’elle est une folie traditionnelle et que son origine se perd dans l’antiquité la plus reculée. Comme folie collective, elle a pénétré dans tous les détails tant publics que privés de l’existence sociale d’un peuple, elle s’est incarnée dans la société, elle en est devenue pour ainsi dire l’âme et la pensée collective. Tout homme en est enveloppé depuis sa naissance, il la suce avec le lait de sa mère, l’absorbe avec tout ce qu’il entend, tout ce qu’il voit. Il en a été si bien nourri, empoisonné, pénétré dans tout son être que plus tard, quelque puissant que soit son esprit naturel, il a besoin de faire des efforts inouïs pour s’en délivrer, et encore n’y parvient-il jamais d’une manière complète. Nos idéalistes modernes en sont une preuve, et nos matérialistes doctrinaires, les communistes allemands, ensont une autre. Ils n’ont pas su se défaire de la religion de l’État.

(...)


Le grand honneur du christianisme, son mérite incontestable et tout le secret de son triomphe inouï et d’ailleurs tout à fait légitime, ce fut de s’être adressé à ce public souffrant et immense, auquel le monde antique, constituant une aristocratie intellectuelle et politique étroite et féroce, déniait jusqu’aux derniers attributs et aux droits les plus simples de l’humanité. Autrement il n’aurait jamais pu se répandre. La doctrine qu’enseignaient les apôtres du Christ, toute consolante qu’elle ait pu paraître aux malheureux, était trop révoltante, trop absurde, au point de vue de la raison humaine, pour que des hommes éclairés eussent pu l’accepter. Aussi avec quel triomphe l’apôtre saint Paul ne parle-t-il pas du scandale de la foiet du triomphe de cette divine folie repoussée par les puissants et les sages du siècle, mais d’autant plus passionnément acceptée par les simples, les ignorants et les pauvres d’esprit.

(...)


Le mensonge divin, dont l’humanité s’était nourrie - en ne parlant que du monde chrétien - pendant dix-huit siècles, devait se montrer, encore une fois, plus puissant que l’humaine vérité.

(...)


Il n’est pas, il ne peut exister d’État sans religion. Prenez les Etats-Unis d’Amérique ou la Confédération suisse, par exemple, et voyez quel rôle important la Providence divine, cette sanction suprême de tous les États, y joue dans tous les discours officiels.


Extrait du site: http://www.viaveritas.fr/Michel-Bakouni ... -et-l-Etat
ou vous trouverez d'ailleurs le texte en format pdf intégral... Bon le site en lui-même me parait spécieux, mais je ne l'ai pas trouvé téléchargeable ailleurs
Dans les monastères, les synagogues et les mosquées se réfugient les faibles que l'Enfer épouvante. Omar Khayyam (1048-1122)
Avatar de l’utilisateur
Harfang
 
Messages: 462
Inscription: Mer 18 Juin 2008 18:10

Re: Dieu et l'état - Bakounine

Messagede Harfang le Lun 14 Juil 2008 21:05

Tiens d'ailleurs, sur les oeuvres de Bakounine, de nombreux textes intégraux sur WIKI

http://fr.wikisource.org/wiki/Mikha%C3% ... _Bakounine
Dans les monastères, les synagogues et les mosquées se réfugient les faibles que l'Enfer épouvante. Omar Khayyam (1048-1122)
Avatar de l’utilisateur
Harfang
 
Messages: 462
Inscription: Mer 18 Juin 2008 18:10

Re: Dieu et l'état - Bakounine

Messagede Roro le Mar 15 Juil 2008 12:06

Outre les 30 premières pages qui sont assez dures à comprendre, le reste de l'ouvrage est tout simplement excellent ! Avec "Ma morale anarchiste" de Kropotkine, je trouve que c'est l'un des bouquins que tout néophytes de l'anarchisme devraient lire.
Roro
 

Re: Dieu et l'état - Bakounine

Messagede Sins We Can't Absolve le Mar 15 Juil 2008 15:01

À noter que Dieu et l'État n'est pas un ouvrage de Bakounine, il s'agit en fait de la publication, tronquée par Reclus (je ne sais plus lequel), d'Étatisme et Anarchie.
Sins We Can't Absolve
 

Re: Dieu et l'état - Bakounine

Messagede Yace le Ven 18 Juil 2008 17:05

Une pièce fondatrice de la pensée anarchiste révolutionnaire. Un écrit indispensable.
Yace
 

Re: Dieu et l'état - Bakounine

Messagede Martin.45 le Jeu 24 Juil 2008 19:32

Je l'ai commencé ce matin, et j'ai beaucoup aimé le passage ou Bakounine donne sa propre morale sur le passage de la bible d'Adam et Eve. (voir plus haut)

Jéhovah, qui, de tous les dieux qui ont jamais été adorés par les hommes, est certainement le plus jaloux, le plus vaniteux, le plus féroce, le plus injuste, le plus sanguinaire, le plus despote et le plus ennemi de la dignité et de la liberté humaines, ayant créé Adam et Ève, par on ne sait quel caprice, sans doute pour tromper son ennui qui doit être terrible dans son éternellement égoïste solitude, ou pour se donner des esclaves nouveaux, avait mis généreusement à leur disposition toute la terre, avec tous les fruits et tous les animaux de la terre, et il n’avait posé à cette complète jouissance qu’une seule limite. Il leur avait expressément défendu de toucher aux fruits de l’arbre de la science. Il voulait donc que l’homme, privé de toute conscience de lui-même, restât une bête, toujours à quatre pattes devant le Dieu éternel, son Créateur et son Maître. Mais voici que vient Satan, l’éternel révolté, le premier libre penseur et l’émancipateur des mondes. Il fait honte à l’homme de son ignorance et de son obéissance bestiales ; il l’émancipe et imprime sur son front le sceau de la liberté et de l’humanité en le poussant à désobéir et à manger du fruit de la science.
Martin.45
 
Messages: 42
Inscription: Lun 16 Juin 2008 23:04


Retourner vers Théories

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 13 invités