Bonjour à tous.
Je me suis inscrit ici dans l'espoir qu'un fin connaisseur de la littérature anarchiste puisse répondre à ma question.
Je fais partie de ceux qui pensent que même dans le cas où nous serions parvenus à supprimer l'argent, les états et les structures (industrielles, corporatistes etc,...), même dans ce cas là aucune inégalité ne disparaîtrait. Peut-être même que les inégalités deviendraient plus fortes encore car, paradoxalement, l'argent ou certaines stratégies structurelles ne permettraient plus de passer par la bande pour contrer certaines inégalités de la société anarchiste.
Pour moi le cœur de l'inégalité repose non pas sur l'argent, les possessions matérielles ou les structures en particulier, mais plus fondamentalement sur l'influence. Or l'influence peut se nourrir de l'argent, des possessions ou des structures, mais elle peut également tout à fait s'en passer: en société anarchiste le divertissement existe toujours, même s'il n'est plus produit de manière industrielle et qu'il repose sur la libre association d'individus intéressés par le projet.
Or, en société anarchiste, les faiseurs d'un divertissement à succès assoient, qu'il en aient conscience ou non, une influence considérable sur l'esprit et la mentalité des gens qui vont s'y trouver massivement exposés. En société anarchiste, un film qui rencontre un large succès public, ou une musique qui plait et que tout le monde se met à écouter offrent un pouvoir et une influence absolument considérables à celui ou ceux qui ont fabriqué ce divertissement.
C'est le cas depuis la nuit des temps, mais depuis quelques décennies, le divertissement, qu'il soit culturel ou contre-culturel, est véritablement devenu le nouveau temple, un temple beaucoup plus puissant encore que les religions ne l'ont jamais été:
C'est le divertissement qui dicte aux gens comment se vêtir, comment parler, comment se comporter, comment bouger, quelle morale est bonne ou non à suivre, c'est le divertissement qui véhicule les modèles et profils qu'il nous suggère de désirer, c'est le divertissement, et notamment la musique, qui nous dicte les mœurs amoureuses et les codes à suivre en la matière. Celui qui fabrique le divertissement, même en société anarchiste, même de manière artisanale et collégiale, même sans argent et structures, possède un pouvoir invraisemblable: il est capable de nous commander, par la suggestion et la séduction, qui nous devons aimer ou ce que nous devons aimer, il est capable de nous commander la morale. Et la morale est le principe moteur de l'action qui s'en suit.
Hors les faiseurs de divertissements il existe également un autre profil qui continuera de posséder beaucoup d'influence et donc de pouvoir en société anarchiste: l'individu éloquent. Plus un être fait preuve d'éloquence et de charisme, plus il est capable de suggérer aux autres quoi penser et comment le penser.
Tout ça est vecteur d'innombrables inégalités qui se poursuivront et prospéreront même en situation anarchique: les modèles humains et les modèles moraux promus par la voix de l'éloquence et du divertissement, culturel ou contre-culturel, feront une situation hautement désirable aux individus qui correspondent aux critères véhiculés par ces modèles, ils trouveront facilement des compagnes et compagnons, des amis, ils fédéreront plus aisément autour de leurs projets de libre association, leur vie sera hautement facilitée.
Sans même parler des faiseurs de divertissement eux-mêmes, ou des éloquents, qui seront auréolés du prestige de leurs productions et de leurs discours à succès et deviendront des individus désirables voir des modèles, des archétypes eux-même.
Tandis que les individus non-conformes, les gens les plus éloignés de ces modèles promus, risquent très fort, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, de pâtir de leur condition.
On le voit bien, les inégalités de condition demeurent inébranlables même en situation anarchiste, même lorsque l'argent, les possessions et les structures ont été abattus.
Or, et c'est le fondement philosophique du mouvement anarchiste: l'inégalité produit le ressentiment et s'en suivent des conflits inévitables.
Ma question est donc la suivante: existe-t-il dans la littérature anarchiste canonique mais surtout dans la littérature anarchiste moderne des théories solides proposant un antidote potentiel ou des solutions crédibles à cette question capitale de l'influence, notamment véhiculée par le moyen du divertissement ?
Et je précise que je parle là du problème du divertissement en situation anarchiste: le cas de l'industrie du divertissement en situation capitaliste ou communiste ne m'intéresse pas, car j'imagine que la littérature portant sur ce sujet se contente de dire qu'il suffit de supprimer l'argent et l'industrie derrière le divertissement pour que le problème soit réglé or on voit bien que ce ne sera pas le cas.
J'ajoute que je souhaiterais qu'on me renseigne si possible sur des solutions crédibles à apporter au problème, car je sais que certains proposent de supprimer la culture, ce qui est une chimère: il existera toujours des langages et des codes pour communiquer et il existera toujours des divertissements, culturels ou contre-culturels, susceptibles de remporter de larges succès, qu'ils soient de bonne ou de mauvaise qualité, ce qui n'est d'ailleurs pas la question. Il existera toujours des récits et des esthétiques que l'on se communique. Il existera toujours des expériences communes à certains. Donc il existera toujours de la culture.
La question étant alors comment composer avec la question du divertissement en situation anarchiste, ainsi que de toutes les autres formes d'influences, donc de pouvoir, qui continueront à prospérer et proliférer massivement ?
Car le divertissement est le cœur nucléaire du pouvoir moderne et ce pouvoir là survivra parfaitement intact à la disparition de l'argent, des possessions et des structures.
Je vous remercie d'avance pour d'éventuelles réponses et surtout d'éventuels conseils de lecture avisés.