Le mutuellisme proudhonien ne peut évidemment pas se définir entre propriétaires, puisque toute l'oeuvre de Proudhon est une critique de la propriété. L'idée de Proudhon est, au contraire, de substituer au système économique actuel, fondé sur le privilège de propriété, un système économique sur un principe égalitaire: l'échange mutuel, réciproque, synallagmatique entre égaux, débarrassé de la domination induite par le privilège de propriété. Ce principe, c'est le véritable libre échange, qui, contrairement à celui des économistes, supposent l'égalité de tous et donc l'élimination du privilège de propriété.
L'ouvrage où il développe le plus ce principe est probablement "Banque du Peuple".
Ce mutuellisme ne s'oppose pas au collectivisme, a priori, mais il entre en contradiction avec le communisme, dont la devise, "de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins", reprise par Louis Blanc, Lénine, Trotsky et d'autres, que l'on trouve même dans le Nouveau Testament, est une négation de ce principe. Pire, c'est le renversement de la devise républicaine: Égalité – Fraternité – Liberté, qui remet la Liberté après tout le reste, comme les prêtres promettent le paradis après la mort.
Comment évaluer les capacités et les besoins? Qui s'en chargera? Soit personne ne s'en charge mais rien ne garantit que chacun produise selon ses capacités, ni ne satisfasse ses besoins et c'est, à terme, la tyrannie puisque tout étant permis, le droit est celui du plus fort. Nous revoilà aux prémices de la société! Soit l'état s'en charge et c'est encore la tyrannie car c'est l'exploitation au nom de l'égalité et de la fraternité, qui profite, en réalité, l'histoire l'a montré, à une petite bureaucratie de profiteurs.
Il me semble, pour ma part, indispensable de définir le droit de chacun en société anarchiste et de garantir ce droit par une force constituée qui établira ce droit par la Révolution et le maintiendra. Ce droit doit bien sûr être égal pour tous et en toute chose, ce qui exclut le droit à la propriété.
Voici un passage qui éclaire la position de Proudhon à ce sujet:
De chacun suivant sa capacité ;
A chacun suivant ses besoins :
Ainsi le veut l'égalité suivant Louis Blanc.
Plaignons les gens dont la capacité révolutionnaire se réduit, je demande grâce pour le calembour, à cette casuistique ! Mais que cela ne nous retienne pas de les réfuter, parce que le royaume des innocents est à eux.
Rappelons encore une fois le principe. L'association est bien telle que la définit Louis Blanc, un contrat qui, en tout ou en partie (Sociétés universelles et sociétés particulières, Code civil, art 1835), met de niveau les contractants, subordonne leur liberté au devoir social, les dépersonalise, les traite à peu près comme M Humann traitait les contribuables, quand il posait cet axiome : Faire rendre à l'impôt tout ce qu'il peut rendre ! Combien peut produire l'homme ? combien coûte-t-il à nourrir ? Telle est la question suprême qui résulte de la formule, comment dirai-je ? déclinatoire, - De chacun..., - A chacun... - par laquelle Louis Blanc résume les droits et les devoirs de l'associé.
Donc qui fera l'évaluation de la capacité ? qui sera juge du besoin ?
Vous dites que ma capacité est 100 ; je soutiens qu'elle n'est que 90. Vous ajoutez que mon besoin est 90 ; j'affirme qu'il est 100. Nous sommes en différence de 20 tant sur le besoin que sur la capacité. C'est, en d'autres termes, le débat si connu de l'offre et de la demande. Qui jugera entre la société et moi ? Si la société veut faire prévaloir, malgré ma protestation, son sentiment, je la quitte, et tout est dit. La société finit faute d'associés.
Si, recourant à la force, elle prétend me contraindre ; si elle m'impose le sacrifice et le dévouement, je lui dis : Hypocrite ! vous avez promis de me délivrer de l'exploitation du capital et du pouvoir, et voici qu'au nom de l'égalité et de la fraternité, à votre tour vous m'exploitez. Autrefois, pour me voler, on surfaisait aussi ma capacité, on atténuait mes besoins. On me disait que le produit me coûtait si peu ! qu'il me fallait pour vivre si peu de chose ! Vous agissez de même. Quelle différence y a-t-il donc entre la fraternité et le salariat ?
De deux choses l'une : ou l'association sera forcée, dans ce cas, c'est l'esclavage ; ou elle sera libre et alors on se demande quelle garantie la société aura que l'associé travaille selon sa capacité, quelle garantie l'associé aura que l'association le rémunère suivant ses besoins ? N'est-il pas évident qu'un tel débat ne peut avoir qu'une solution ? c'est que le produit et le besoin soient considérés comme expressions adéquates, ce qui nous ramène purement et simplement au régime de la liberté.
Proudhon - Idée générale de la Révolution - 1868
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