LE POSTMODERNISME, NOUVEL ÂGE DE L’OBSCURANTISME

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LE POSTMODERNISME, NOUVEL ÂGE DE L’OBSCURANTISME

Messagede Protesta le Ven 11 Avr 2014 19:35

LE POSTMODERNISME, NOUVEL ÂGE DE L’OBSCURANTISME



Le sentiment et l’idée de chaos qui, aujourd’hui, prédominent font suite à une perte de repères dans tous les domaines. Au niveau social, nous assistons à l’éclosion de différents courants plutôt ordinaires ou insolites suivant le cas.

Les identités anciennes, à vocation plutôt politique ou impériale, comme les nationalismes et les religions, côtoient, sous de nouveaux habits, de nouvelles identités, plus prosaïques et déroutantes, comme les tendances queer, gay, trans, skin, punk ou antispéciste, etc. C’est par une idéologie hyperindividualiste que s’affirment toutes ces identités multiples. Elles sont le reflet du postmodernisme. Le point de départ est le modernisme dont le préfixe « post » évacue toute autre référence.

Le modernisme étant ce qui est toujours à venir, on comprend facilement que l’on puisse rattacher la théorie dite de la fin de l’histoire au postmodernisme. C’est parce que ce dernier ne s’auto-situe pas que nous nous devons de le situer et le dénoncer. Il faut, avant toute chose, garder à l’esprit la confusion qui existe entre modernité et libéralisme qui pèse sur l’idéal de la modernité, ramenée au développement industriel et capitaliste.

Le postmodernisme s’oppose au modernisme en réorientant, non le capitalisme, mais la société du capitalisme dans son ensemble, en la détournant des aspirations d’émancipation de la modernité. Fondamentalement, l’esprit capitaliste demeure, se perfectionne, car il intègre des thèmes qui, au départ, lui sont étrangers, voire hostiles. En effet, il aspire à devenir total.

Mais, il faut, d’abord et logiquement, définir ou rappeler ce qu’est le modernisme que l’on confond, à tort, et de manière pas du tout innocente, avec l’histoire du capitalisme. Le modernisme est une conception de la société qui s’impose à partir de la fin du XVIII° siècle. Il développe la conception de la liberté individuelle, de l’humain comme sujet pensant, tout en cohabitant avec le développement capitaliste de l’industrie, l’affirmation de l’État centralisé. Le modernisme, voit dans le développement technique et scientifique, une façon de suppléer aux insuffisances de l’Homme (maladie, handicap, santé, bien-être, ...) et la technique devient synonyme d’efficacité. Avec le développement de celle-ci, on assiste, aussi, à la mise en spectacle du monde [1]. C’est l’époque industrielle, marquée par la concentration des moyens de production dans les États impérialistes. Elle met, avec la guerre 1914-1918, un terme définitif à l’époque classique qui était basée sur l’absolutisme religieux. Malgré les atrocités de cette période de guerre et d’industrialisation capitaliste à outrance, les affirmations centrales du modernisme, l’universalisme, l’affirmation de l’Humanité et le rejet de la guerre représentent l’antithèse du capitalisme. La confusion des deux, et l’inculture historique, permettront aux pomos [2] d’enfourcher ce cheval de bataille dans leurs homélies.

Le discours de la modernité reste une cohérence et un langage où l’individu est pensé, représenté comme sujet pensant et indépendant. C’est la rationalisation de l’action (méthode, logique, dialectique, buts). La référence au rationnel, à la raison, est omniprésente. Cela s’accompagne d’une éthique des comportements qui se traduit par la libération de l’individu, et c’est au sein de la société qu’a lieu cette libération du corps, de l’esprit et des idées ainsi que leur expression avec les limites que l’on connaît.

Les femmes y tiennent une place importante et le féminisme combat l’exploitation en se battant contre toute forme de déterminisme lié au sexe. En parallèle, une exigence de responsabilité impose d’assumer choix et erreurs propres à un monde incertain, mais opposé par principe à l’absolutisme et à la pétrification.

La légitimation de cette libération est pensée comme objective, donc, non exclusive d’un groupe particulier. Ceci caractérise, très brièvement, les XIX° et XX° siècles (sur le plan idéologique).

En s’opposant au modernisme, le pomo remet en cause son bien-fondé. Le postmodernisme se présente comme un ensemble de recherches qui prétend ne véhiculer aucune idéologie particulière ; il se veut purement pragmatique, neutre et objectif.

La réalité n’existerait que par le narratif

Mais, il pose, cependant, un postulat, ce qui le rend, tout de suite, moins neutre. Il part du principe que la réalité n’existe que par le narratif, c’est-à-dire par le discours qui, seul, ferait la réalité. Par la langue et le vocabulaire, cette construction de la réalité ne serait qu’une affaire d’interprétation, et l’imaginaire seul lui donnerait forme. Il y a, là, une négation flagrante de la vérité des faits et l’attestation d’un vrai discours de propagande. L’imposture consiste à inverser le processus et à s’ingénier à déconstruire le discours afin de redéfinir artificiellement tous les champs de la réalité. Il détourne puis retourne le langage à son profit et ses objets d’étude n’ont d’autre but que l’étude pour elle-même. Le postmodernisme, même s’il est plus une affaire de procédé que de fond, est un vrai projet politique. Surtout quand on sait que la forme n’est que le fond qui remonte à la surface [3].

La modernité aurait été traversée par des meta-récits (Histoire, libéralisme, socialisme, ...) portés par des récits. Le pomo ramène ces mythes mobilisateurs sur le même plan que le simple récit (économie, gestion, histoire personnelle, ...). Pendant longtemps, on se serait trompé en croyant que l’un portait l’autre, ou l’inverse. Le pomo énonce, alors, que le savoir serait lié à la fonction, au domaine ; qu’il serait local et, donc, jamais global. En même temps, il se défend de, lui-même, construire de nouveaux mythes. Il ne se baserait sur aucune référence spécifique tout en affirmant qu’aucun principe n’est transcendant, et qu’il n’y aurait pas d’universalisme, mais un ensemble de communautés différentes fonctionnant selon des normes propres.

Ici, apparaît l’idée de relativisme, idée qui va servir à falsifier l’Histoire en instrumentalisant l’Universalisme pour le confondre avec le colonialisme, l’impérialisme et la barbarie. C’est en combinant confusions et affirmations systématiques et répétées qu’il réussit à imposer les thèses les plus réactionnaires. Les motifs de la révolte cèdent alors la place à la défense de la victime et, par exemple, la lutte anticléricale, auparavant à la pointe de l’émancipation, est remplacée par la défense d’une prétendue liberté religieuse, vidant au passage le mot « Liberté » de sa substance. L’adhésion de l’ensemble de la gauche et d’une bonne partie de l’extrême-gauche à ces thèses prétendument progressistes signe l’une des victoires les plus significatives des pomos.

Le pomo s’attaque aux meta-récits, et pour les déconstruire, il fait usage de la communication, formelle et informelle, en usant de faux-semblants, de séduction, de ruse, de prétextes, de mensonges afin de parasiter et déligitimer tout discours qui ne lui convient pas. Il parlera de « politiquement correct », comme de « précarité » au lieu de misère, de « plan social » au lieu de plan de licenciements, « d’écologie » (comme un soin, une atténuation) au lieu d’une politique de la nature, etc.

Si la modernité était liée à la représentation d’une majorité, le pomo promeut la notion d’une multiplicité de minorités, évacuant, de facto, toute idée d’ensemble. Or, l’idée de minorité est une idée impériale. L’empire romain régnait sur un ensemble de minorités ; Napoléon voulait régner sur un empire fait de petits Etats. L’Union Européenne, elle-même, est un empire sans empereur et ce n’est pas pour rien qu’elle exacerbe et finance grassement les régionalismes.

Pour le pomo, les idées ont un caractère relatif, et dès lors, même si on les tient pour vraies, on ne se bat plus pour les instaurer. Les idées, elles-mêmes, assimilent à des identités, tout comme une population victime n’aura d’existence que par sa condition de victime, uniquement. Il emprunte un élément pour en faire une identité qui réduit et résume l’individu à une posture. De cette façon, il évite toute forme d’engagement subversif. Il y remplace la raison par l’affectif.

Appartenir a une communauté plutôt que changer le monde

Les pratiques postmodernes diffèrent des pratiques capitalistes de l’époque moderne. Ces dernières déclinent un management basé sur l’autorité et le contrôle de l’individu par la hiérarchie en opposition à l’idéal réel de la modernité issu des lumières. Le pomo, lui, décline le management dans l’adhésion, la complicité des gens, une espèce de consensus, et prétend leur faire trouver un sens à la vie dans le travail (en tant qu’activité) ; il produit du consentement. Cela lui permet de se donner des airs progressistes. Le but pour les gens est, alors, d’appartenir à une communauté, de se faire accepter, plutôt que d’aspirer à construire autre chose. Mais cette adhésion est pathogène puisqu’elle produit de l’exclusion en cultivant compétition, performance et élitisme. L’idée, ici, c’est la construction d’une identité par « un » travail, mais une identité non liée à la condition ouvrière ou sociale, et toujours marginale.

En définitive, le postmodernisme accentue l’asservissement et les buts du capitalisme lequel, passé sous silence, est dissimulé dans une prétendue démocratie de toute façon rendue, elle-même, au stade d’un marché politique. Pour cela, le postmodernisme cherche, sans cesse, à faire émerger quelque chose de nouveau qui puisse le rendre crédible et légitime. De ce fait, il accompagne toutes les initiatives, même les plus futiles, tant qu’elles ne remettent pas en cause les fondements du capitalisme. Il envisage et exige, au nom de la démocratie et de la liberté, d’accorder un statut à des attitudes sociales inconsistantes, narcissiques, fétichistes ou excentriques. Il justifie cela par le sens que cela aurait pour l’individu, et tente, par ce biais, de légitimer un hyper-individualisme.

Le pomo récuse, également, la neutralité qui, selon lui, entraverait la perception de l’objet. La sympathie, l’affectif, seraient le seul moyen de le connaître. Il considère comme un vrai problème la distance à cet objet et cela implique clairement un rejet de toute démarche rationnelle visant à prendre du recul, notamment, l’analyse politique de la société et de ce qui s’y déroule. Il ne propose rien, aucun changement, mais il critique tout, tout en cherchant à discréditer le sens et l’esprit critique. Sa critique n’est pas argumentée ; elle est un travail de sape méthodique, systématique, péremptoire et contingent. Sa démarche partisane est jésuitique et prétend faire entendre la voix des minorités pour mieux étouffer toute voix discordante. Il fait l’apologie de la sympathie, de la convivialité ; en mélangeant la polémique et l’ambiguïté, il accompagne un discours au caractère diffamatoire mais s’affichant comme progressiste.

C’est dans cette logique que le pomo dénonce la collusion des sciences avec le néolibéralisme, et fonde sa critique des sciences, de l’esprit et de la méthode scientifiques, en affirmant qu’elles sont à l’origine des conséquences du néo-libéralisme. Le pomo est un vrai réactionnaire.

Le postmodernisme est une autre phase du capitalisme, une radicalisation de celui-ci, sa consécration totalitaire. Tout ce qui défie les institutions, le système, est soit mis à la marge, soit, de préférence, intégré et instrumentalisé.

La modernité avait connu des mouvements sociaux (les mouvements ouvriers) ; mais la radicalisation et les conséquences totalitaires du système capitaliste entraînent une multiplication et une parcellarisation, non seulement au sein du mouvement purement ouvrier, mais au sein de la société en différents mouvements ; écologistes, pacifistes, ou défendant la liberté d’expression.

Le modernisme du capital représentait une société de la confiance et du risque, et le pomo garde ces critères comme références. Le risque n’a jamais été aussi tangible, la confiance jamais autant exigée. La société actuelle est tellement une société du risque, qu’elle affiche, comme pour l’exorciser, le « principe de précaution » (inscrit dans la constitution française) et qu’elle ne semble pas pouvoir aller plus loin ; d’où la notion d’horizon indépassable. Mais, risque ne veut pas dire inéluctable, et, donc, l’espoir est savamment entretenu. Le postmodernisme, est une reprise en main de la société que gouverne le capitalisme, de sa trajectoire, de sa dynamique. C’est, aussi, un concept auto-critique du modernisme, mais un concept vide, car, a priori, sans référence empirique.

C’est à cette fin qu’émerge un capitalisme réticulaire et expansif s’appuyant, de plus en plus, sur la souplesse de réseaux plus ou moins informels de type associatif, caritatif, ONG, mafieux, etc., pour pallier aux carences des institutions traditionnellement chargées de la gestion sociale, sans, cependant, les abandonner. C’est une réorganisation et le but de cette proximité est clair : c’est la réactivité. Il est devenu une vaste entreprise de communication, de propagande, de parasitage, de division, pour toujours plus d’exploitation. Cela signifie que le capitalisme cherche sa propre solution dans cette entreprise. De ce fait, il pousse la parodie et le mimétisme jusqu’à intégrer la lutte contre le capitalisme comme une de ses composantes à part entière. Le postmodernisme est le nouvel esprit du capitalisme et le pomo qui participe à la réorganisation de la société y arrive par la fausse critique, par la fragmentation, par la déconstruction du collectif, de ce qui est uni. Il remplace le discours par un dialogue intéressé. Mais en fin de compte, le postmodernisme n’est qu’une nouvelle façon, globale, pour le capitalisme de se concevoir.

[1] Guy Debord «  La société du spectacle  »

[2] Pomo  : l’individu, le «  penseur  » postmoderne.

[3] Citation habituellement attribuée à Victor Hugo.



http://www.cntaittoulouse.lautre.net/sp ... article672
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Re: LE POSTMODERNISME, NOUVEL ÂGE DE L’OBSCURANTISME

Messagede Lehning le Sam 12 Avr 2014 03:08

Bonsoir !

Que penser du coup du post-modernisme libertaire ?
Nouvelles théories anarchistes voulant renouveler l'anarchisme XIX° siècle ?
Ou simple tarte à la crème soit-disant novatrice ?

Je me pose la question.

Salutations Anarchistes !
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Re: LE POSTMODERNISME, NOUVEL ÂGE DE L’OBSCURANTISME

Messagede JPD le Sam 12 Avr 2014 09:27

A paraitre en mai 2013 aux Editions Acratie

E. Colombo

une controverse
des temps modernes,
la postmodernité



En opposition avec l’homme moderne qui se révolte contre la tyrannie, contre Dieu, contre la sainte croyance de ses pères, nous avons l’homme postmoderne : un sujet assujetti, dépendant d’une « machinerie de pouvoir qui le fouille, le désarticule et le récompense » (Foucault), « formé dans la soumission », « constitué dans la subordination », habité par « une passion primaire pour la dépendance » (Judith Butler), sans projet révolutionnaire sous prétexte qu’il serait totalitaire, sans identité parce qu’elle n’existe pas, avec ses valeurs pour soi, isolé dans un monde virtuel, essayant d’approfondir sa subjectivité radicale (mais impuissante), entouré d’un monde réel où règnent le profit, la force politique, les armées, l’exploitation de plus en plus effrénée. Si l’on suivait les propositions postmodernes, sur quoi compterions-nous aujourd’hui pour avancer vers l’émancipation sociale ?
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Re: LE POSTMODERNISME, NOUVEL ÂGE DE L’OBSCURANTISME

Messagede vroum le Sam 6 Oct 2018 07:56

Deux articles du Monde et de Marianne : quand la rigueur scientifique cède à l'idéologie, c'est toute la communauté des chercheurs qui paie pour quelques obscurantistes post-modernistes qui tentent d'imposer leurs idées réactionnaires comme une vérité démontrée

« Culture du viol chez les chiens » : un canular trompe des revues scientifiques américaines
Reprenant les codes des « études de genre », trois Américains sont parvenus à faire publier des articles totalement farfelus dans les revues les plus en vue du domaine.

LE MONDE | 04.10.2018 à 17h04 • Mis à jour le 05.10.2018 à 10h52 | Par Pierre Barthélémy

Peter Boghossian et James Lindsay sont de petits farceurs. En 2017, ces deux Américains – le premier enseigne la philosophie à l’université d’Etat de Portland (Oregon), le second, titulaire d’un doctorat en mathématiques, est essayiste – avaient piégé la revue Cogent Social Sciences en lui faisant publier une pseudo-étude tendant à montrer que le pénis ne devait pas être considéré comme l’organe masculin de la reproduction mais comme une construction sociale.

Au fil de cet article, que ses auteurs décrivirent ensuite comme « un papier de 3 000 mots d’inepties totales se faisant passer pour de l’érudition universitaire », on caricaturait certaines études de genre en expliquant notamment que le pénis était la source d’une culture du viol, y compris du viol de la nature, et donc en partie responsable du réchauffement climatique…

Ce canular, assez facile car dirigé contre une revue de peu d’envergure, a donné des idées à Peter Boghossian et James Lindsay, qui ont décidé de pousser la farce un cran plus loin, avec l’aide d’Helen Pluckrose, la rédactrice en chef d’Areo. Cette revue en ligne a publié, mardi 2 octobre, un long article signé des trois comparses expliquant comment, depuis un an, ils étaient passés, avec un certain succès, à la phase industrielle du canular en sciences humaines et sociales, rédigeant vingt études bidon en l’espace de dix mois et les soumettant à des revues plus réputées que Cogent Social Sciences.

Les journaux ciblés publient essentiellement des travaux sur les questions du genre, de la sexualité, de l’identité ou de l’origine ethnique, un champ d’étude que Boghossian, Lindsay et Pluckrose estiment « corrompu », au sens où l’idéologie y aurait pris le pas sur la recherche de la vérité. Selon ce trio, ces disciplines sont gangrenées par une culture du « grief », c’est-à-dire une obsession à attribuer les discriminations dont souffrent certaines personnes (en raison de leur sexe, de la couleur de leur peau ou de leur orientation sexuelle) aux machinations d’un groupe dominant – les hommes blancs hétérosexuels, pour schématiser.

Les trois auteurs se sont donc glissés dans le moule qu’ils critiquent, s’imprégnant des notions, du vocabulaire et des codes de ces « études de grief » et flattant « les préconceptions idéologiques des éditeurs », comme l’écrivait le physicien Alan Sokal après son retentissant canular de 1996.

Seules six études rejetées

Le bilan de l’expérience est à la fois édifiant et inquiétant. Sur les vingt études en question, seulement six ont été rejetées. Sept autres ont été acceptées pour publication – quatre d’entre elles sont effectivement parues et trois autres étaient sur le point de l’être quand les auteurs sont sortis du bois –, et les sept dernières étaient en cours de révision/correction.

Les articles publiés flirtent souvent avec le grotesque. L’un d’eux met ainsi en scène une chercheuse inventée étudiant, dans les parcs canins, la culture du viol chez les chiens et se demandant s’il est possible de réduire les tendances aux agressions sexuelles des hommes en les dressant comme on dresse leurs compagnons à quatre pattes. L’étude a été publiée par Gender, Place & Culture et l’un de ses relecteurs a écrit à son sujet : « C’est un papier merveilleux, incroyablement novateur, riche en analyses et extrêmement bien écrit et organisé », etc.

Autre exemple, une étude parue dans Sexuality & Culture, qui encourage les hommes hétérosexuels à s’introduire des godemichés dans l’anus pour faire baisser leur homophobie… Un des reviewers s’est enthousiasmé pour ce « travail », assurant qu’il s’agissait d’« une contribution incroyablement riche et passionnante à l’étude de la sexualité et de la culture, et en particulier l’intersection entre masculinité et analité ». Sic.

« Nous n’aurions pas dû pouvoir publier l’un de ces si mauvais articles dans un journal, encore moins sept », écrivent Boghossian, Lindsay et Pluckrose, qui soulignent à quel point le sacro-saint système de relecture par les pairs est inopérant dans ce domaine. Ils révèlent d’ailleurs avoir été sollicités à quatre reprises pour relire et évaluer les articles de véritables chercheurs. Ils ont décliné de le faire pour des raisons éthiques. Le compte rendu de leur canular dans Areo se termine par un appel « aux plus grandes universités à commencer un examen méticuleux de ces domaines d’étude (…) de façon à séparer les spécialistes et les disciplines qui produisent du savoir de ceux qui produisent du sophisme constructiviste ». Bref à renouer avec la méthode scientifique.

Reste à savoir quel impact réel ces révélations auront dans le monde universitaire. Sociologue au CNRS et lui-même coauteur d’un canular en 2015, Arnaud Saint-Martin s’avoue « partagé » quant au travail des trois Américains. « On sait qu’un certain nombre de disciplines sont infectées par du “bullshit”, dit-il. Ce qu’ils ont fait est très construit, avec une méthodologie où l’on teste un certain nombre de choses avec joie. Mais on peut se demander qui est l’adversaire, s’il est si puissant, si présent que cela. Ils ne donnent pas de noms, pas de départements universitaires, pas de colloques-phares… »

Autre interrogation : l’affaire ne risque-t-elle pas d’avoir des effets délétères sur les chercheurs qui travaillent sérieusement sur les discriminations ? « Il existe un anti-intellectualisme rampant aux Etats-Unis, et cela peut donner des arguments béton à l’“alt-right” », analyse Arnaud Saint-Martin. Quand on ose ce genre de canular pour redonner une santé à la science, on risque aussi d’aider ceux qui la combattent.



"De la culture du viol chez les chiens" : l'incroyable canular qui a piégé la sociologie américaine
Par Hadrien Mathoux publié dans Marianne
Publié le 04/10/2018 à 11:30

Des chercheurs ont réussi à faire publier dans plusieurs revues de référence aux Etats-Unis des essais aux thèses absolument délirantes, prônant par exemple le développement de l'usage anal de sex-toys chez les hommes pour lutter contre la transphobie et faire progresser le féminisme.

Quand un homme se masturbe en pensant à une femme sans lui avoir demandé son consentement, c'est une agression sexuelle. Il existe une culture systémique du viol chez les chiens. L'astronomie est une science sexiste et pro-occidentale qui doit être remplacée par une astrologie indigène et queer. Ces thèses vous semblent loufoques, invraisemblables ? Elles le sont. Elles ont néanmoins été considérées avec le plus grand sérieux, et parfois même publiées, par des revues académiques de premier plan aux Etats-Unis, victimes de l'un des canulars universitaires les plus ambitieux jamais mis en œuvre…

Helen Pluckrose, James Lindsay et Peter Boghossian sont trois chercheurs américains, persuadés que quelque chose cloche dans certains secteurs du monde académique outre-Atlantique. "Le savoir basé de moins en moins sur le fait de trouver la vérité et de plus en plus sur le fait de s'occuper de certaines 'complaintes' est devenu établi, presque totalement dominant, au sein de [certains champs des sciences sociales]", écrivent-ils dans le magazine Areo, et les chercheurs brutalisent de plus en plus les étudiants, les administrateurs et les autres départements qui n'adhèrent pas à leur vision du monde". Se désolant de ce tournant idéologique en cours dans les facs américaines, notre trio d'universitaires établit une liste des disciplines les plus gravement touchées : il s'agit des matières communément regroupées dans l'enseignement supérieur américain sous le terme de "cultural studies" ou "identity studies", "enracinées dans la branche 'postmoderne' de la théorie qui a émergé à la fin des années soixante". On y trouve donc les fameuses "gender studies", les "queer studies" mais également la "critical race theory", les "fat studies" (sic) ou des pans entiers de la sociologie critique. Le point commun de ces branches universitaires, requalifiées en "grievance studies" (qu'on pourrait traduire par "études plaintives") ? D'après les trois chercheurs, elles produisent des travaux très souvent "corrompus" par l'idéologie, qui renoncent à toute honnêteté intellectuelle dès lors qu'il s'agit de dénoncer les oppressions de toutes sortes : sexistes, raciales, post-coloniales, homophobes, transphobes, grossophobes…

Recette des faux articles : "une bêtise considérable"

Pour prouver leur diagnostic, Pluckrose, Lindsay et Boghossian ont fait un pari simple… et drôle : pousser, dans des articles fantaisistes, la doxa qu'ils pointent dans ses retranchements les plus absurdes et voir si ces papiers seraient acceptés pour publication dans de très sérieuses revues scientifiques. Ils ont donc passé dix mois à écrire de faux "papers", un format universitaire anglo-saxon qu'on peut comparer au mémoire français. Recette commune de ces essais : "Des statistiques totalement invraisemblables, des assomptions non prouvées par les données, des analyses qualitatives idéologiquement biaisées, une éthique suspecte (...), une bêtise considérable".

Les chercheurs ont ensuite systématiquement envoyé leurs travaux bidons aux "journaux de référence dans les champs universitaires concernés". Après quasiment un an de bombardement de canulars, les trois audacieux ont été forcés d'arrêter leur expérience car un de leurs textes commençait à connaître un important écho dans la presse. Mais les 20 papers écrits ont suffi à valider la pertinence de leur thèse : pas moins de sept d'entre eux ont en effet été validés par les revues universitaires, dont quatre publiés. Sept autres sont encore en cours d'examen et seulement six ont été refusés sans ambiguïté par les universitaires chargés de les évaluer. Par quatre fois, les facétieux compères ont même été invités à eux-mêmes examiner le travail de "pairs" en récompense… de leur "savoir exemplaire".

Réactions humaines à la culture du viol et performativité queer au sein des parcs à chiens de Portland, Oregon.
Un des sujets acceptés par une revue scientifique


Lorsqu'on examine le contenu de ces faux mémoires, on peine pourtant à croire que leur absurdité n'ait pas sauté à la figure des chercheurs chargés de les examiner. Dans un article intitulé "Passer par la porte de derrière : défier l'homo-hystérie masculine et la transphobie à travers l'usage de sex-toys pénétratifs", les chercheurs expliquent que si les hommes utilisent rarement des sex-toys pour "s'auto-pénétrer par voie anale", c'est parce qu'ils ont peur d'être pris pour des homosexuels ou par hostilité aux transsexuels. Conclusion : encourager cette pratique engendrerait, à coup sûr, une baisse de la transphobie et un progrès de valeurs féministes. Délirant ? Le texte a été publié dans la revue Sexuality and Culture, et qualifié de "contribution incroyablement riche et excitante à l'étude de la sexualité et de la culture" par un universitaire chargé de l'analyser.

Une de leurs inventions croquignolesques a même rencontré un réel triomphe académique : dans "Réactions humaines à la culture du viol et performativité queer au sein des parcs à chiens de Portland, Oregon", nos chercheurs soutiennent qu'il existe "une rampante culture du viol canine" et qu'une "oppression systémique" frappe certaines races de chiens. Un mémoire qualifié "d'incroyablement innovant, riche en analyse, extrêmement bien écrit et organisé" par la revue Gender, Place, and Culture, qui lui a fait une place dans ses prestigieuses colonnes… et l'a même intégrée parmi ses 12 meilleures publications de l'année 2018 ! La chercheuse Helen Wilson, auteure de ce travail volontairement absurde, expliquant sa méthode de travail, y écrivait avoir "délicatement inspecté les parties génitales d'un peu moins de 10.000 chiens tout en interrogeant leurs propriétaires sur leur sexualité", mais également avoir "constaté un viol de chien par heure au parc à chiens urbain de Portland" ! Pas de quoi faire lever un sourcil aux universitaires chargés de valider son article pour publication dans une revue "de référence"…

D'autres mémoires-hoax n'ont pas eu le temps d'être publiés avant que le canular soit finalement rendu public. Mais ils ont été quasiment intégralement validés par les revues auxquelles ils ont été présentés, avec des modifications mineures. On y trouve des thèses toujours aussi comiques : "L'Intelligence artificielle est intrinsèquement dangereuse car elle est programmée avec des données masculinistes, impérialistes et rationalistes". Ou encore : "L'astronomie est et sera toujours intrinsèquement sexiste et occidentale, ce biais masculiniste et occidental peut être corrigé en incluant une astrologie féministe, queer et indigène (par exemple, des horoscopes) à la science astronomique".
"Les éducateurs devraient discriminer selon l'identité et calculer le statut de leurs étudiants en fonction de leurs privilèges"

Et même : "Les éducateurs devraient discriminer selon l'identité et calculer le statut de leurs étudiants en fonction de leurs privilèges (...), pénalisant les plus privilégiés en refusant d'écouter leurs contributions, ridiculisant leurs efforts, en parlant plus fort qu'eux et en les forçant à s'asseoir enchaînés sur le sol" ! Toutes ces contributions n'ont reçu que des critiques de forme de la part des revues universitaires auxquelles ils ont été adressés. Celle proposant d'enchaîner des étudiants sur le sol a même été applaudie comme "une forte contribution à la littérature foisonnante s'attaquant à l'injustice épistémique dans la salle de classe".

Quand un homme se masturbe en privé en fantasmant sur une femme sans qu'elle lui ait donné sa permission (...), il commet une violence métasexuelle contre elle.
Un des sujets proposés par les auteurs du canular


D'autres faux essais universitaires ont été finalement rejetés après examen par des universitaires. Mais cela ne les a pas toujours empêché de recevoir des commentaires chaleureux de la part de chercheurs chargés de les évaluer, qui ont parfois même poussé l'absurde encore plus loin. Ainsi, dans un mémoire consacré à la masturbation, les auteurs du canular écrivent que "quand un homme se masturbe en privé en fantasmant sur une femme sans qu'elle lui ait donné sa permission (...), il commet une violence métasexuelle contre elle". Dans son évaluation, la première contributrice de Sociological Theory encourage nos chercheurs à aller plus loin encore dans cette théorie : "Je pense à d'autres scénarios où les hommes pourraient transformer en arme leur non-connaissance de manière très tangible. Par exemple, la déclaration ambiguë 'Je pense à toi tout le temps', dite de manière impromptue à une femme par un homme, est particulièrement insidieuse, étant donné le contexte structurel de violence métasexuelle dans le monde".

"Juifs" remplacé par "Blancs" dans "Mein Kampf" : un chercheur applaudit

Le clou de cette fanfaronnade a été apporté par un essai présenté au magazine Sociology of Race and Ethnicity, où nos trublions prétendent "examiner de manière critique la blanchité ('whiteness, ndlr) depuis la blanchité". Pour cela, ils ont ni plus ni moins sélectionné - sans le dire - des extraits de Mein Kampf, l'infâme pamphlet antisémite d'Adolf Hitler, en y remplaçant le mot "Juifs" par "Blancs". Le paper a été rejeté mais cela ne l'a pas empêché de recevoir au préalable les éloges de plusieurs pairs universitaires. "Cet article a le potentiel pour être une contribution puissante et particulière à la littérature traitant des mécanismes qui renforcent l'adhésion blanche à des perspectives suprémacistes blanches, et au processus par lequel des individus peuvent atteindre des niveaux plus profonds de conscience sociale et raciale", écrit ainsi un chercheur enthousiaste, qui n'objecte que "des révisions concernant la précision, la clarté, l'expression d'assertions et des exemples concrets" et complimente ainsi sans le savoir une resucée de Mein Kampf.

"Nous espérons que ceci donnera aux gens une raison claire de regarder la folie identitaire qui vient de la gauche universitaire et militante, et de dire : Non"

Au bout du compte, la leçon que tirent les trois auteurs de leur plongée en absurdie sociologique est partagée entre amusement et réelle inquiétude. Rejetant l'idée simpliste que "le monde universitaire est corrompu" ou que "tous les universitaires et évaluateurs dans le champ des humanités qui étudient le genre, la race, la sexualité ou le poids sont corrompus", ils alarment : "Nous ne devrions pas avoir été capables de publier n'importe lequel de ces papers si calamiteux dans des journaux réputés. Encore moins sept d'entre eux". Produisant un "savoir" considérablement orienté, ils constatent aussi avec effarement que les chercheurs relisant leurs textes ne leur réclamaient souvent "pas d'être moins biaisé politiquement et moins négligent dans le travail, mais de l'être davantage".

Le tableau final est implacable pour tout un pan du monde universitaire anglo-saxon : "Il y a un problème de production du savoir au sein de champs qui ont été corrompus par les 'grievance studies' nées du socio-constructivisme et du scepticisme radical. Parmi les problèmes, il y a la manière dont des sujets comme la race, le genre, la sexualité, la société et la culture sont traités par la recherche". C'est donc bien un nouvel obscurantisme que les chercheurs décrivent, une idéologie qui "rejette l'idée d'universalité scientifique et d'objectivité et insiste, pour des raisons morales, sur la nécessité d'accepter la notion de vérités multiples basées sur l'identité". Or selon eux, ce relativisme mortifère serait devenu "autoritaire" dans les facs américaines. Rappellent leur propre sympathie pour les mouvements des droits civiques, le féminisme et le mouvement LGBT, nos trois trublions émettent un souhait : "Nous espérons que ceci donnera aux gens - spécialement à ceux qui croient au libéralisme, au progrès, à la modernité et à la justice sociale - une raison claire de regarder la folie identitaire qui vient de la gauche universitaire et militante, et de dire : 'Non, je n'irai pas dans ce sens là. Vous ne parlez pas en mon nom'".
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Re: LE POSTMODERNISME, NOUVEL ÂGE DE L’OBSCURANTISME

Messagede vroum le Lun 29 Nov 2021 12:17

Postmodernisme versus Post-anarchisme

Afin de définir ce que signifie le terme « Postmodernisme » et le concept qui s’y rattache, il convient de définir les notions « de modernité et de modernisme » qui renvoient à des catégories temporelles ainsi qu’à des positions philosophiques.

Auteur : Edward SARBONI

source : http://www.encyclopedie-anarchiste.xyz/ ... rubrique49


Partie 1 sur 3 :

1. Modernisme et pensée moderne

En quelques traits la pensée moderne s’articule autour des notions de rationalisme [la Raison]. Elle se nourrit des apports de la Science, de la pensée scientifique et du progrès qui en découle. Elle se propose de favoriser l’Emancipation humaine dans le but de donner un sens à l’Histoire. La libération de l’Humanité et de favoriser la dignité de l’Homme et de sa condition.

L’émancipation humaine devenant en somme une catégorie universelle, une notion collective englobant la quête émancipatrice des individus…

Dans ce sens, l’émancipation humaine peut s’interpréter, comme vecteur, à la fois "objets" et "sujets" de la prise de conscience de l’aliénation que subissent les individus confrontés qu’ils sont à l’Autorité, à l’absolutisme des Etats et à l’Exploitation des individus liée au Capitalisme.

L’émancipation humaine est à la fois une ambition, une motivation, un objectif, et une invitation à la Lutte nécessaire -Instrument et Moyens- contre toutes les dérives et toutes les prétentions contenues au sein du Pouvoir [quel que soit le pouvoir] et contre toutes les formes que peuvent prendre les systèmes de domination…

En résumé, le modernisme considère,
- Qu’il existe une nature humaine qui est originellement bonne dans ses fondements…

- Que l’histoire est orientée et s’oriente selon un principe de progrès, celui-ci dérivant du progrès des sciences et des techniques…

Enfin, que le « Pouvoir » est un concept relationnel et qu’il est, par essence, une substance qui se trouve concentrée dans l’Etat, le Capital ou l’Eglise. « L’autorité » qui en découle peut, elle, être assimilée à une émanation du Pouvoir-Institution. Pour finir, La « violence » est l’usage mis à profit par le Pouvoir, une scélérate mise en œuvre fruit du passage à l’acte.

Définir « Le Postmodernisme… »

Le postmodernisme pourrait ne se vouloir qu’en tant que continuité, approfondissement voir dépassement de la pensée moderne !

Il n’en est rien. Incontestablement, le postmodernisme [la postmodernité] de notre temps, marque une rupture d’avec la modernité.

Marc GONTARD [1] précise, à propos du postmodernisme que, pour lui, le concept s’écrit en « un seul mot », sans tiret, contrairement à l’usage d’un Henri MESCHONNIC [2] , l’un de ses adversaires notoires ou d’un Christian RUBY [3]. qui a tenté la synthèse postmoderne / néo-moderne.

Gontard précise que ce choix orthographique tend à définir le néologisme ainsi formé comme
« Un concept spécifique qui échappe au pessimisme d’un préfixe barrant l’horizon du siècle sur un mot composé dont l’aporie désigne la fin d’un indépassable. »
[4]

Le postmodernisme auquel postule Marc Gontard, n’est donc pas un anti-modernisme mais « un constat critique des dévoiements du projet moderne, dans le sens d’un dépassement ... »

La question d’emblée est donc bien de savoir si le postmodernisme s’inscrit dans « un dépassement » ou bien dans un « renversement total », en quelque sorte un aggiornamento des fondamentaux modernistes ?

Depuis une quarantaine d’années environ, le postmodernisme a assimilé l’idée qu’un "Homme fondamentalement différent" était en train d’émerger, un Homme postmoderne qui délaisserait l’essentiel de ce qui a « construit » son prédécesseur et de ce qu’il a fait.

Ainsi naitrait l’idée qu’il faille relativiser, à l’instar de cet Homme postmoderne, la raison au gré de ses sentiments et de ses émotions.

L’Homme postmoderne ne se préoccupant plus de son statut d’individu pour s’ouvrir à une nature plurielle et oubliant sa dimension de citoyen pour mieux se consacrer à sa tribu…

La postmodernité peut, de ce fait, être considérée comme un concept relatif et relationnel.

•VAN DOREN [5] déclare que la postmodernité, c’est la défiance vis-à-vis du de la science, du progrès, de la rationalisation et de l’émancipation.

Pour autant, il paraît difficile de dire ce que cela implique vraiment. Il paraît tout aussi ardu d’affirmer qu’un « Etre » fondamentalement différent serait en train d’émerger et que cette « réalité » pourrait être réellement assimilée par tout un chacun. En fait un « Etre » postmoderne qui délaisserait l’essentiel de ce qui a construit son prédécesseur.

•Arnold TOYNBEE [6], en premier, a suggéré en 1934 d’appeler l’histoire de l’Occident après 1875 « l’âge postmoderne ». Mais le terme pourrait même remonter encore plus loin…

Par ailleurs, il est possible d’affirmer que le point de départ du débat "autour du postmodernisme" est fourni par l’essai du philosophe français Jean-François Lyotard, La condition postmoderne, paru en 1979, aux éditions de Minuit.

C’est ainsi qu’à l’abord de ce concept, on découvre la diversité, la pluralité et par-dessus tout l’inconsistance des prétentions qui lui sont associées et, c’est une grande perplexité qui nous submerge.

•Pour LYOTARD, l’opposition entre modernes et postmodernes passe par « une remise en cause du discours de légitimation des règles du jeu ainsi que des institutions qui régissent le lien social ». Il nomme « métarécit » ce discours qu’il considère comme une "affabulation", discours qu’il dit « se cacher derrière une justification scientifique… »

Lyotard ajoute que « la totalisation de l’expérience historique humaine » serait philosophiquement erronée, dans le sens qu’elle ignorerait « le caractère hétérogène des événements qui constituent cette expérience ». Cela aurait, selon lui, conduit à des tentatives politiques désastreuses, répressive vis-à-vis de « cette diversité » et aurait conduit à « des résultats [tel que] l’Holocauste et/ou l’Archipel du goulag . »

Chez Lyotard, l’idéologie sous-tendue par « la fin de l’Histoire » équivaut à généraliser la « défaillance d’une partie de l’idéologie moderne » pour en faire de facto « la faillite de tout ce qui découle de cette idéologie… »

On voit clairement poindre dans le discours de Lyotard, sans, les nommer, les éléments du discours du Pape Jean XXIII lorsqu’il définit par Aggiornamento une « adaptation d’une institution aux contraintes du monde contemporain ».

Parmi les textes qui définissent la dimension postmoderniste, il faut dégager l’élaboration d’une critique globale de la raison, ayant, dans les années 1960, pour promoteurs, un groupe de philosophes français parmi lesquels figurent, DELEUZE, DERRIDA et FOUCAULT…

Pour ces derniers, la philosophie moderne occidentale aurait conçu comme « le sujet de la pensée, le moi individuel, entraînant à la suite, un amas incohérent de pulsions et de désirs ».

Les écrits de ces trois grands penseurs, en y apportant une « caution intellectuelle », ont favorisé le milieu ambiant dans lequel la théorie postmoderne a pu s’épanouir.
La place de l’individu-sujet

Dans la modernité, le sujet est conscient, rationnel et volontaire [il est considéré comme autonome et universel]. Il est doté de cohérence et de stabilité, choses qui lui assurent une manière équilibrée « d’être et de faire ».

Dans la postmodernité il est plutôt un individu errant de façon émotive au gré des mouvements d’opinions.

Concernant l’existence de Dieu, au seul argument ontologique [7] proposé par la pensée moderne, à savoir ce qui recouvre son existence (ou son inexistence), le point de vu postmoderne assure que « l’existence de Dieu ne se veut pas nécessité théorique ». Elle n’existe qu’au travers de la seule raison pratique. Ici, Dieu et l’immortalité de l’âme ne relèvent pas du domaine de la connaissance, mais ce sont des « conventions nécessaires à la raison pratique et à la Morale ».

Les postmodernes laissent entendre que « la liberté est formelle et limitée par les conditions d’existence de la classe sociale à laquelle on appartient ». Pour eux, le fait de « proclamer l’existence d’un sujet libre et conscient » est considéré comme un leurre idéologique. Un leurre qui empêcherait, selon eux, les prolétaires de s’organiser et de lutter pour changer la société.
Situer la place de « la Raison »…

Le sujet moderne n’est pas séparable de la raison. Il se connaît lui-même et connaît le monde au travers de la raison. « La rationalité permet d’accéder à l’objectivité ». Le mode de connaissance mis en œuvre par le sujet rationnel, c’est la science. C’est elle qui peut fournir des vérités universelles sur le monde, indépendamment du sujet.

Le savoir produit par la science est considéré comme « la vérité ». Pour la modernité, l’articulation entre le savoir et la vérité devrait conduire l’humanité vers le progrès. Ainsi, les hommes et la société sont perfectibles. Les institutions humaines et les pratiques peuvent être analysées par la raison et être améliorées.

La science, neutre et objective, est donc le paradigme [8] de toutes les formes de savoir et, la référence à la raison est une des caractéristiques centrales de la modernité. En conséquence, la question du progrès social est liée à deux facteurs :

• Les avancées de la science et de la technique…

• Le développement de la démocratie.

La modernité faisant suite à l’idéal développé par les philosophes des Lumières, va engendrer

• La lutte contre l’arbitraire de l’autorité,

• Le combat contre les préjugés et contre les contingences de la tradition avec l’aide de la raison.

Si, dans le modernisme, il est admis comme « vérité » uniquement ce qui peut faire l’objet d’un examen critique par la raison, après une démonstration strictement rationnelle, à l’inverse pour le postmodernisme ce qui est admis relève « du règne du sensible, de l’émotion et de la doxa [9] ».

L’émotionnel est rétabli dans ses facultés :

« Le quotidien et ses rituels, les émotions et passions collectives, symbolisées par l’hédonisme, l’importance du corps en spectacle et de la jouissance contemplative, la reviviscence du nomadisme contemporain, voilà tout ce qui fait cortège au tribalisme postmoderne. [10] »

La notion de communication semble être un corollaire de cet aspect de la postmodernité. Elle s’entend avant tout comme « présentation et diffusion de masse sous le meilleur angle possible ».

Il n’est pas excessif de considérer cette communication comme une « variante de la publicité ».
« La dimension démocratique… »

• Le concept de « démocratie » est important pour le modernisme !

A l’égal, dans le contexte postmoderne, cette notion ne fait pas débat ! Elle se veut, avant tout, mise en œuvre…

• Sur cette question, personne ne consent à vouloir revenir en arrière, mais ce qui fait débat, c’est le fait que la « démocratie soit limitée, pour ce qui concerne le cadre de la citoyenneté. » Il est bon d’insister sur le fait que les éléments marqués d’un certain pessimisme, comme la perte de repères ou la crise du sens, viennent encombrer l’analyse postmoderniste de la démocratie.

Concernant le Pouvoir, les analyses liées à la postmodernité se consacrent à sa compréhension, à son fonctionnement et à ses relais. Le caractère démocratique est questionné au travers de nouveaux concepts comme celui de la biopolitique [11], celui de l’ethnocentrisme [12] ou celui du genre [13].

Les questions se sont déplacées pour aller au-delà de la forme autoritaire ou non des institutions politiques.

M. Foucault dans son livre « Surveiller et punir », explique le passage du châtiment corporel à l’encadrement des comportements, à la morale et au contrôle des esprits. Derrière la façade démocratique apparaît la surveillance...
L’universalité et de la Raison

• Pour le modernisme, l’idée d’Universalité est fortement liée à la Raison, celle-ci est partagée par tous les êtres humains. Elle peut s’élever au-dessus des situations particulières pour ne retenir que ce qui est fondé en raison. Elle peut servir de point d’appui au progrès et conduire au bonheur de l’humanité. Par l’Education, les humains sont censés accéder à l’universalité et peuvent se penser dans l’unité du genre humain par-delà leurs particularités.

• Les critiques postmodernistes de cette universalité la désignent comme « une utopie, un idéal qui cacherait l’ethnocentrisme et le colonialisme impérialiste ». Le postmodernisme affirme que toute connaissance est relative et que cette connaissance est le résultat d’une vision du monde issue des conditions sociales, de la « Civilisation occidentale »…
Une connaissance qui serait « socialement construite ». A partir de cet axiome, l’objectivité du savoir scientifique ne représenterait donc qu’un « leurre ». Ainsi tout se vaudrait ! Entre mythe et légende il n’y aurait pas grande différence. Choisir l’un ou l’autre ne serait qu’une question de choix ou de goût.

Le postmodernisme assène qu’« il n’y a pas de vérité universelle mais il y a une multiplicité de vérités ».

Mais alors, si un pareil constat était établi, cela ne devrait pas nous conduire au relativisme postmoderne, mais au contraire, cela nous conduirait à affirmer [ré-affermir] les convictions dans un universalisme libertaire.

Quand il est établi que de nombreuses revendications communautaires triomphent et se revendiquent comme autant de revanches de l’opprimé sur l’oppresseur, les débats communautaristes qui surgissent deviennent autant d’outils servant à désagréger le corps social, en faisant de chacun de nous les responsables des crimes de nos ancêtres.

Sans le moins du monde oublier, et encore moins nier, les crimes qui parsèment notre histoire, il paraît essentiel de pouvoir encore et toujours faire de l’histoire plutôt que de dispenser de la morale !

Les postures relativistes deviennent le fondement d’une affreuse compétition où chacun sûr de son droit cherche à l’opposer à celui d’autrui.
Le relativisme postmoderne

• Il s’agit d’un relativisme ethno-centré et socialement marqué qui se sert du « relativisme culturel » pour nier toute référence à l’universalisme. Il se pare de la critique de l’ethnocentrisme pour maintenir, par l’utilisation de la différence, une hiérarchie fondée sur la culture.

Il n’est pourtant relativiste qu’en apparence, car il juge par rapport à son propre centre de valeur, qu’il considère implicitement comme supérieur. Cette nouvelle version du « droit du plus fort » ne pouvant s’affirmer ouvertement, passe par le relativisme et la culture.

Ainsi va naître « un renversement dans la justification de la hiérarchie », en passant de la nature à la culture et/ou de la métaphysique au relativisme postmoderne.

• Du point de vue de celles et ceux qui ne sombrent pas dans un postmodernisme réducteur et destructeur, en nous appuyant sur la relativité, nous pouvons penser un rapport entre l’universel et la singularité des situations, entre l’unité humaine et sa diversité.

Eduardo COLOMBO, qui a fort bien synthétisé cette problématique et ses enjeux, écrit :

« On ne peut pas affirmer que « les valeurs » sont universelles, mais nous pouvons dire que certaines valeurs doivent être postulées comme universelles et d’autres reconnues comme relatives à des situations historiques ou locales particulières (…) »
La science

• Pour le modernisme, on l’a vu, la science est le modèle de la connaissance. Ce sont la science et la technique qui fondent la base du progrès.

 Dans le cadre du postmodernisme, c’est le concept de techno-science qui devient plus pertinent. La recherche étant orientée vers le développement technique, d’où la difficulté à séparer les deux domaines.

Un des modèles postmodernes est celui des ordinateurs et du réseau. Il est appréhendé comme un ensemble computationnel et connexionniste. Dans ce cadre, le "vivant" et "les relations humaines" sont envisagés sous l’angle de systèmes d’informations. Une des sources de ce modèle est la cybernétique. Le modèle connexionniste est aussi une façon de voir et de développer les liens entre les humains.

« Exister avec et par le réseau est devenu un mode d’être de la postmodernité. »

Le rhizome est une antigénéalogie [14]…

« Contre les systèmes centrés à communication hiérarchique et liaisons préétablies, le Rhizome est un système a-centré, non hiérarchique et non signifiant, sans Général, sans mémoire organisatrice ou automate central, uniquement défini par une circulation d’états. »

Notes :

[1] GONTARD Marc, Université de Rennes 2 - Article paru dans Le Temps des Lettres, Quelles périodisations pour l’histoire de la littérature française du 20ème siècle ? - Sous la direction de Michèle Touret et Francine Dugast-Portes, Rennes, 2001, Presses Universitaires de Rennes, collection Interférences, pp. 283-294.

[2] MESCHONNIC Henri, né à Paris en septembre 1932 et mort à Villejuif en avril 2009. Théoricien du langage, essayiste, traducteur et poète... Linguiste, il rejoint, en 1969, le Centre universitaire expérimental de Vincennes, pour participer à sa création, aux côtés de François Châtelet, Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard, Michel Foucault, Alain Badiou, Jacques Lacan, etc.…

[3] RUBY Christian, Docteur en philosophie depuis 1975, enseignant, chargé de cours sur le serveur audiosup.net de l’Université de Nanterre (Paris 10), Chargé de cours à l’antenne parisienne de l’Université de Chicago, Membre de l’Association pour le Développement de l’Histoire culturelle, membre du Comité de Rédaction des revues Raison Présente, Espaces Temps et Les Cahiers de l’Éducation permanente (accs, Belgique)

[4] On nomme aporie une difficulté à résoudre un problème. Dans son sens actuel, plus fort, l’« aporie » englobe tout problème insoluble et inévitable… L’aporie devient « impasse » au sein d’un raisonnement procédant d’une incompatibilité logique

[5] In postmodernism : A critical diagnosis, 1997, Chicago, Ed. The great ideas of today (traduit de l’Anglais par JM Guerlin)

[6] Arnold Toynbee, Historien (14/04/1889 - 22/10/1975).

[7] Ce qui est relatif à l’existence de l’Etre

[8] Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent de vision du monde qui repose sur une base définie (matrice disciplinaire, modèle théorique ou courant de pensée). .

[9] La doxa est l’ensemble -plus ou moins homogène- d’opinions (confuses ou non), de préjugés populaires ou singuliers, de présuppositions généralement admises et évaluées positivement ou négativement, sur lesquelles se fonde toute forme de communication… Son étude est au carrefour de la sémiologie (la science des signes), des études du discours, de la sociologie et de l’épistémologie (domaine de la philosophie des sciences ou théorie de la connaissance en général.).

[10] MAFFESOLI, Michel, « Tribalisme postmoderne. De l’identité aux identifications »

[11] C’est un néologisme formé par Michel Foucault afin d’identifier une forme d’exercice du pouvoir qui porte, non plus sur les territoires mais sur la vie des gens, sur des populations, le biopouvoir

L’exercice de ce pouvoir constitue un gouvernement qui est exercé au travers des ministères de l’État, et aurait pris racine dans le gouvernement des âmes exercé par les ministres de l’Église….

[12] C’est un concept ethnologique ou anthropologique qui signifie la « tendance, plus ou moins consciente, à privilégier les valeurs et les formes culturelles du groupe ethnique auquel on appartient ». C’est aussi, de manière restreinte, un « Comportement social et [une] attitude inconsciemment motivée » qui amènent en particulier à « surestimer le groupe racial, géographique ou national auquel on appartient, aboutissant parfois à des préjugés en ce qui concerne les autres peuples ».

[13] En biologie, le genre c’est un niveau de classification des êtres vivants qui englobe celui de l’espèce. En sciences sociales et en médecine, le concept de genre fait références aux différences non biologiques (psychologiques, mentales, sociales, économiques, démographiques, politiques…) distinguant les hommes et les femmes.

[14] Extrait de Mille Plateaux de Gilles Deleuze et Félix Guattari
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Re: LE POSTMODERNISME, NOUVEL ÂGE DE L’OBSCURANTISME

Messagede vroum le Lun 29 Nov 2021 12:18

partie 2 sur 3 :


II. Laudateurs du postmodernisme versus post-anarchisme…

—* Michel MAFFESOLI est un sociologue postmoderne classé à "droite" qui déclare que les diverses institutions ne sont plus ni contestées ni défendues. Elles sont tout simplement "mitées", et servent de niches à des micro-entités fondées sur le choix et l’affinité.

« Affinités électives que l’on retrouve au sein des partis, des universités, des syndicats et autres organisations formelles, et fonctionnant selon (leurs propres) règles ».

Il énonce ainsi une suite de « Tribus religieuses, sexuelles, culturelles, sportives, musicales » qui seraient d’un nombre infini.

S’il ne considère pas comme « opportun » de parler de la fin des idéologies, en revanche il constate leur « transfiguration ». Elles prennent écrit-il « la figure (…) de petits récits spécifiques, propres, bien sûr, à la tribu qui en est détentrice. »

Michel ONFRAY, philosophe postmoderne surfant sur tout ce qui bouge -idées diverses ; plateaux télé ; déclarations contradictoires ; théories fumeuses etc.- a déclaré avec peu de sérieux que le « fascisme casqué, armé, botté a fait son temps en Occident. La domination politique s’effectue plus subtilement avec des instruments plus fins et des acteurs moins repérables. » S’il est vrai que le fascisme diffus et "rhizomique" est à l’ordre du jour, il n’a pas pour autant remplacé celui qu’Onfray lui-même a qualifié par ailleurs de « macrologique ». Un fascisme centralisé, bureaucratique, administratif et étatique…

Onfray a fait du « Onfray » en écrivant que « le pouvoir est maintenant partout »…

Errant au sein d’une pensée galactique, il nous a dit distinguer « le capitalisme du libéralisme », et « désespère qu’on confonde souvent les deux termes ». Peut-être a-t-il sous-entendu qu’un capitalisme mâtiné d’une « sauce libertaire » (ou libertarienne ), pourrait faire son miel…

Daniel COLSON [1], nous a propose un regard circonstancié sur « l’anarchisme d’aujourd’hui ».

Il en a profité pour nous servir son antienne préférée en insistant sur le « divorce de plus en plus profond (et qui ne date pas d’aujourd’hui) entre d’une part l’anarchisme officiel , les organisations anarchistes, l’idéologie anarchiste, l’identité anarchiste, et d’autre part des mouvements sans étiquettes précises que les pouvoirs publics (auxquels il arrive de ne pas se tromper) désignent parfois - pour leurs franges les plus radicales - du beau terme « d’anarcho-autonomes ».

Pour lui, l’anarchisme est « chosifié et se réduit une rhétorique simpliste, de la langue de bois ». Seuls à ses yeux, les « anarcho-autonomes » et les « non organisés spécifiquement » pourraient jouer un rôle.

Le tri qu’il opère entre les anarchistes favorise les militant-e-s « qui se disent ou non libertaires et (…) qui traduisent en acte une logique libertaire » et à l’inverse, il désavantage « ceux qui profitent des rassemblements et du grand nombre d’individus » dans le seul but de « les ranger derrière leurs banderoles » !

Tout aussi allègrement, Colson affirme que « les textes des Proudhon, Bakounine » et « l’engagement dans les luttes de très nombreux militants » garantiraient l’axiome selon lequel « la pensée libertaire n’a jamais cessé de dénoncer les fondements de la modernité bourgeoise et capitaliste ».

La critique et la dénonciation des pièges et des mensonges qui peuvent être contenus au sein de la modernité, ne valent pas pour autant, comme serait enclin à l’affirmer Colson, la condamnation en totalité du Modernisme par les anarchistes ! Rappelons que l’anarchisme n’a pas fait de la modernité un ennemi, mais qu’il a permis, a contrario, la mise en cause des faiblesses et des limites qui y étaient contenues. Il a ainsi contribué à les analyser et à proposer des solutions, idéologiques, éthiques et pratiques qui peuvent permettre de dépasser ces faiblesses.

Ainsi l’anarchisme peut s’inscrire dans une « modernité retravaillée », dans laquelle l’ordre social et l’ordre économique ne peuvent être des lieux (et des institutions) de domination pour l’homme, individuellement et collectivement. L’action directe, le fédéralisme, l’autonomie, l’autogestion- étant autant d’outils (de moyens) qui doivent permettre l’émancipation des êtres humains.
Parmi celles et ceux qui critiquent le postmodernisme et le post-anarchisme.

Les théories postmodernes devraient, selon SYLVAIN, être critiquées pour ce qu’elles créent comme illusions et distorsions dans la pensée libertaire actuelle (d’hier à aujourd’hui).

Les déclinaisons « foucaldiennes » sur la théorie du pouvoir sont à l’origine du post-anarchisme. En effet, si le pouvoir promeut des « Institutions coercitives » il infère aussi « les rapports sociaux qui diffusent des normes ». A partir d’un tel cet axiome, « la suppression de l’État ne signifierait pas le dépassement de toute forme de domination, préalable pourtant indispensable ».

M. Foucault a laissé supposer que « la société postrévolutionnaire se devrait également de transformer "qualitativement" les rapports sociaux. »
Un premier questionnement peut incontestablement nous tarauder l’esprit. Ainsi, « une fois l’Etat aboli, il serait nécessaire de pousser plus avant, afin de changer en profondeur les rapports sociaux ? »

Cette affirmation, même si elle contient une part de justesse quant à la nécessité de s’attaquer aux divers contenus des rapports sociaux, peut paraître tout de même bien légère. En effet que devient dans l’esprit de Michel Foucault « la période qui nous séparerait de l’abolition de l’Etat » ? Est-ce que nous y parviendrons par une opération de « l’esprit saint », ou bien serait-ce l’aboutissement de longues luttes individuelles et collectives ? Etapes bien évidemment frappées du sceau de l’idéologie libertaire, anarchiste, puisqu’il s’agit là de l’abolition de l’Etat ! Evidemment non !

Puisque « l’esprit saint » n’est que pure affabulation, il faudra bien passer par les étapes et les luttes nécessaires à l’abolition du dit Etat. Aussi, paraît-il logique de penser que ces luttes individuelles et collectives et les étapes qui nous conduiraient à l’abolition de l’Etat, seraient faites par des individus qui ne reprendraient pas à leur compte les rapports sociaux hiérarchisés et inégalitaires existants ! Des individus qui auraient, de manière préalable, proposé et fourni de nouvelles manières de socialiser l’ensemble des rapports individuels et collectifs. Les processus qui nous conduiraient à cette disparition de l’Etat, prendraient en compte l’intégralité de la lutte contre tous les systèmes de domination et contres toutes les dominations qui peuvent en découler

Foucault s’est, par ailleurs, trouvé épinglé a propos de son « image d’intellectuel militant lucide » passablement écornée, et de ses « louvoiements » qui le conduisirent à soutenir, en 1968 et à la suite, le « communisme orthodoxe des maoïstes » pour, plus tard, « défendre les Droits de l’Homme » puis, en bon "idiot utile" cautionner intellectuellement « la contre-révolution islamiste en Iran . »

L’imposture contenue dans ce « post-à peu près », celle qui se pare de l’idéal anarchiste ne fait rien moins que de véhiculer un discours creux enrobé d’une phraséologie et d’une radicalité pseudo révolutionnaires.

Pour Sylvain, « le post-anarchisme accompagne le néolibéralisme avec la dissolution du projet universel dans les revendications identitaires particulières. »

L’idéologie post-anarchiste relègue la perspective d’une rupture révolutionnaire derrière les réseaux de micro résistances. Autant dire dans une impasse certaine.
Postmodernisme et déclinaisons sociétales

• Des libertaires contre l’islamophobie
Outre le renvoi nécessaire à l’article sur l’« Islamophobie » il est nécessaire de dénoncer le contenu et le style outranciers de ce libellé [2]. Si son contenu dénonce de manière justifiée une réalité indiscutable de rapports sociaux dégradés et iniques, très rapidement il tombe dans un amalgame outrancier.
En se rangeant de manière bien légère et hasardeuse derrière des « à-peu-près idéologiques » :
Le texte mélange les idées et positions des racistes et fascistes [toutes choses qui traduisent dans le réel, le rejet global de l’Arabe (Racisme ; Xénophobie ; rejets culturel et cultuel …] avec les critiques de « celles et ceux qui critiquent l’Islam au même titre que toutes les autres religions … ».

En produisant cet amalgame, le texte critique un « marqueur important de la Domination parmi les systèmes de domination … ». Pourtant la critique des Religions équivaut à celles « de l’Etatisme et du Capitalisme… »
A contrario de ce qui est contenu au sein de cet appel, il semble judicieux et nécessaire de porter une critique générale des religions, incluant l’Islam, sans pour autant que cette inclusion nous range dans la case bien discutable d’une hypothétique « Islamophobie » !
La dommageable influence du postmodernisme sur une partie importante de l’extrême-gauche, des alternatifs et des libertaires est ici explicite. Ce courant tend le plus souvent à faire prendre des positions à la fois incongrues, surprenantes et, souvent même, réactionnaires.

Ce que cela révèle en l’occurrence c’est que le "postmodernisme" ne contient plus en germe « de critique des religions », et qu’au détour d’un renoncement idéologique, il s’emploie à dénoncer « des formes d’oppression que peuvent prendre les phénomènes religieux ». Le postmodernisme s’accordent ainsi à penser que les religions et les textes sacrés ne seraient plus critiquables en soi, pour ce qu’ils sont et ce qu’ils disent, mais que seules certaines manifestation de cet esprit religieux le seraient ?

Pour conclure cet aspect particulier de la pensée postmoderne, il faut dénoncer cette logique inquisitrice qui consiste à déclarer que ceux qui critiquent l’islam, au même titre que TOUTES les religions, seraient « islamophobes » et donc… « racistes », à partir des intentions que le postmodernisme leur prête, sans commencer à fournir le début d’une preuve…

• Critique de l’identité hétéro-normée
C’est incontestablement une proposition pertinente. Le hic c’est que la nouvelle définition devient le moyen privilégié, et finalement le seul moyen légitime, pour s’affirmer, pour être libre.

L’identité sexuelle est appréhendée en dehors de tout autre déterminisme, notamment économique.

Plus discutable encore, l’élément constitutif de l’oppression et de la répression sexuelle, n’est plus issu d’un ordre général de cette répression, mais est défini par des critères applicables à des catégories d’individus : Blancs , masculins , hétérosexuels . Il n’est plus question ici de "riches" et de "pauvres", mais, par un raccourci saisissant, l’anathème est rejeté sur l’homme blanc. L’homme blanc "dominateur" devient un raccourci outrageant quand toute une partie (et non la moindre) de ces personnes vivent des vies d’exclus, paupérisés à l’extrême, et de ce fait, ne pouvant jamais être considérés comme des dominateurs.

De telles dérives, génératrices des pires divisions, tendent ainsi à culpabiliser ceux qui s’emploient à lutter et à se révolter contre tous les systèmes iniques et toutes les dominations qui y sont rattachées.

Ici la logique identitaire dénie tout ce qui est inhérent à l’appartenance de classe. Elle délaisse même tout ce qui découle de l’oppression fondamentale résultant des rapports de production capitalistes.

• Légèreté de la « critique postmoderne »…

Si la modernité est consubstantielle au capitalisme, les conditions économiques inhérentes à celui-ci, et qui lui permettent un "développement exponentiel" et des "régulations diverses", se doivent de faire l’objet d’une impérieuse et inéluctable critique. Cette critique est la matrice de toutes les critiques qui seraient dirigées contre des périodes et des moments de ce même Capitalisme. Les diverses critiques, qu’elles prennent un aspect « réformiste » ou bien « radical », concernent par dessus tout « les conditions économiques et sociales qui lui sont consubstantielles, associées et/ou inséparables. »

Elles font l’objet, au sein de la pensée « moderne » d’une impérieuse et inéluctable attention. Elles fondent même la centralité des préoccupations égalitaires et humanistes contenues au sein du modernisme !

En abordant le développement exponentiel du capitalisme, ses régulations [dérégulations] diverses, ses moments et ses périodes, la critique de ce système inique se veut la « mère » [la matrice] de toutes les critiques portées à son encontre par le modernisme ! Le concept de « Lutte des classes » en est la traduction la plus limpide.
Or, la critique de la modernité portée par la postmodernité, en éludant cette réalité, ne propose et n’offre qu’une atomisation, un éclatement ! Toutes choses qui « conduisent » à la coexistence d’identités plus ou moins compatibles entre elles et qui laissent croire qu’il n’en résulte aucune contradiction. A cela s’ajoute l’abandon

- de la problématique de l’exploitation au bénéfice d’une analyse centrée sur les rapports de domination…
- de l’universalisme au profit de la défense de particularismes…
- du prolétariat révolutionnaire et universel…

Toutes ces choses conduisent des militants « dits radicaux » à s’éloigner et même à se situer aux antipodes du projet émancipateur qu’ils prétendent porter.

La pensée postmoderne, confrontée à la réalité de la lutte des classes ne propose et n’offre qu’une alternative faite d’atomisation et d’éclatements ! Toutes choses qui « conduisent » à la coexistence d’identités plus ou moins compatibles entre elles et qui laissent croire qu’il n’en résulte aucune contradiction systémique.
Poser de nos jours, la question de l’universalité, dans ses fondements comme dans ses projets de transformation radicale de la société, correspond à une incontournable nécessité pour celles et ceux qui partagent encore un horizon révolutionnaire.

Notes :

[1] Daniel Colson est un professeur de sociologie à l’université de Saint-Etienne. Il fait partie de l’ex- MODYS, Monde et dynamiques des sociétés aujourd’hui devenu Centre Max Weber, une unité de recherche associée au CNRS, et milite au sein de l’association La Gryffe, une librairie libertaire de Lyon. Il est aussi considéré comme un philosophe et historien de l’anarchisme…
Il rédige un article, Critique du post-anarchisme, qui paraît le 16 février 2011, sur le Blog « Etrange normalité » à Montpellier

[2] Daté du vendredi 28 septembre 2012 et signé par 65 entités individuelles [sans attaches précisées] et/ou [organisé-e-s] .Ce paragraphe renvoie à l’article beaucoup plus complet et documenté sur l’Islamophobie
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Re: LE POSTMODERNISME, NOUVEL ÂGE DE L’OBSCURANTISME

Messagede vroum le Lun 29 Nov 2021 12:20

Partie 3 sur 3 :

III Post-modernisme et anarchisme

Michael PARAIRE [1] et son défi « sur-anarchiste » [2]…

Pour Paraire, « M. Onfray » symbolise l’une des formes les plus inacceptables de l’idéologie dominante, de la pensée confuse distillée par le capitalisme et par toute cette civilisation d’une pseudo-jouissance. Une pensée qui contribue à masquer les malheurs, la détresse et le mal de vivre qui existent partout sur la planète. Une pensée postmoderne qui fournit un concentré « de fausseté, de toc, une inauthenticité de pensée… »
Si Onfray, en postmoderne assumé, déconstruit tout en refilant « certaines recettes et analyses erronées issues de l’anarchisme individualiste », Paraire les récuse au nom d’un anarchisme « collectif ». Il dénonce le projet "onfrayen" de révision de l’histoire de la philosophie, de l’histoire révolutionnaire et de la doctrine anarchiste.

Si, malgré cela, certains tirent un signe de « joyeuse folie » au sein du foisonnement onfrayen, Paraire n’y voit que « la cohérence d’un projet de réécriture de la pensée totalement erroné ». Il précise :
« Je ne crois donc pas que le fait d’introduire des éléments de savoir scientifique dans la philosophie soit dangereux, sauf à considérer que le savoir est dangereux . Or si le savoir est dangereux cela implique que c’est l’ignorance qui nous protège. »
En parlant de sur-anarchisme, Paraire pense en premier lieu à l’œuvre de Proudhon. « Le père de l’anarchisme » s’est employé lui-même à œuvrer en destructeur -critiques de la religion, du capitalisme, de la propriété privée- mais dans le même temps il a œuvré en constructeur avec l’élaboration des théories mutualistes, fédéralistes etc.

Il ne s’est pas contenté de détruire, il a aussi voulu construire.

Paraire essaye, à son échelle, de faire la même chose quand il précise que « lorsque l’on critique quelqu’un ou quelque chose de manière radicale, il faut se montrer soi-même capable de proposer quelque chose d’autre. Sinon c’est un peu stérile. C’est aussi une question d’honnêteté intellectuelle... »

En rejetant la quête dé-constructrice "onfrayenne", passablement défragmentée et hédoniste, qui ne peut changer quoi que ce soit dans une trajectoire et un quotidien militant engagé, Paraire propose un sur-anarchisme qui s’inscrit dans les traces du « programme de Kropotkine », programme qui consiste à opérer la synthèse entre les sciences de la nature et les sciences sociales. Il écrit que « c’est la conscience individuelle et collective qui donne le sens en définissant un nouveau projet et en favorisant les moyens concrets qui permettent d’aller dans telle direction plutôt que dans telle autre. C’est elle qui est la clé de tout processus de changement révolutionnaire. »

Le postmodernisme, quelle que soit la forme qu’il prend, "dure" ou "light", règne à partir de la défragmentation des théories de la connaissance et de la confusion qu’il distille dans le discours philosophique contemporain.

Paraire ajoute « Il faut abandonner l’hédonisme postmoderne, post-anarchiste, post-je-ne-sais-pas-quoi et il faut se lancer dans la lutte sociale . Ça me semble être la tâche primordiale de la période dans laquelle nous nous trouvons. »

Si, dans la période, les consciences, et à la suite, les comportements, sont formatés, manipulés, conditionnés par des outils très puissants, la télévision entre autres, il n’en demeure pas moins qu’« il y a des signes qui montrent que la pensée anarchiste n’est pas morte. Elle est encore capable d’influencer la politique, au point qu’on réfléchit beaucoup sur l’idée d’autogestion ou sur l’économie coopérative. »

Quant à la transformation attendue, espérée, il est évident que seul un mouvement de masse pourrait l’opérer.
Irène PEREIRA, propose une analyse critique de « l’anarchisme aujourd’hui » [3]

Dans ce mémoire de maîtrise réalisé à partir des travaux de Daniel COLSON, Vivien GARCIA propose une thèse au sein de laquelle, il défend le principe que « les auteurs classiques de l’anarchisme devraient être rattachés à la modernité philosophique au profit d’une lecture postmoderne de ces auteurs ». Garcia s’attache à défendre un postmodernisme teinté de post-anarchisme, un syncrétisme tiré de deux approches qu’énormément de choses opposent.

D’emblée, Irène Pereira pose la question de la situation de l’anarchisme par rapport aux positions philosophiques issues de la modernité et celles issues de la postmodernité.

Elle constate que la « philosophie moderne » du sujet consiste à fonder le discours non pas sur l’Etre, mais sur le Sujet. Elle écrit que la position de Garcia qui pense « que l’Etre est en constant changement », pose problèmes et, elle en déduit que « Si l’Etre change de façon constante, alors il n’est pas possible de prédiquer [4] quoi que ce soit de constant à son sujet ». Un exemple : quand García parle de la question du pouvoir chez Foucault [5], il en souligne explicitement une réelle limite. Il énonce cette contradiction de la manière suivante : « c’est que la philosophie de l’omniprésence disséminée des micro-pouvoirs semble rendre impossible toute remise en cause du pouvoir . Mais surtout, si toute relation est en même temps une relation de pouvoir, comment est-il possible d’envisager des relations qui ne soient pas des relations de domination ? »

Irène Pereira, à la suite de Garcia, cite Kropotkine , chez qui « l’éthique se distingue de la morale, non pas parce qu’elle est une recherche du plaisir qui ferait abstraction d’autrui, mais parce qu’elle ne se fonde pas sur une transcendance, [mais] parce qu’elle est immanente au caractère relationnel de l’existence des êtres vivants. »
Arrivant aux termes de son article, Elle écrit, à propos des auteurs du post-anarchisme, qu’ils considèrent que le pouvoir ne serait pas concentré dans les mains de certains et dans des lieux précis, mais serait immanent à toute relation. Ainsi, ils proposent le repli sur « le souci de soi » (l’individualisme postmoderne), qui n’est pas sans lien avec l’abandon de la dimension sociale pour adopter une conception libérale-libertaire.
Il faut rappeler, comme le fait Irène Pereira, que « …le discours autour de la différence a subit une récupération au début des années 80 par la nouvelle droite autour d’A. De Benoist. »

Ces dérives semblent liées aux faiblesses conceptuelles des théories postmodernes…
Irène Pereira, citant V. Garcia, parle des T.A.Z. [6] , dans le cadre du renouvellement des pratiques libertaires liées aux théories postmodernes. Avec les TAZ, (pratique postmoderne), il ne s’agit plus de postuler à
« (…) une transformation globale de la société, mais à mettre en œuvre un espace de liberté temporaire dans lequel se retrouve un groupe d’individu lié plutôt par des relations affinitaires. »
« Il s’agit ici d’ anarchisme style de vie , matinée de pratiques insurrectionnelles minoritaires, plutôt que d’une forme d’anarchisme social. »
Elle poursuit, en écrivant que de telles pratiques prennent
« des formes (…) élitistes dans laquelle une minorité se constitue en une microsociété artificielle en marge de la société. Cette forme d’association ne vise pas à s’adresser et à intégrer le plus grand nombre. »
Pour conclure, Postmodernisme : effet de mode ou nouveau modèle ?

Il est essentiel de rappeler que la notion de postmodernisme ne fait pas l’unanimité des "chercheurs". Ceux qui critiquent ce concept le taxe d’ « effet de mode » . Il est un fait certain : les travaux qui se rapportent au postmodernisme, sont considérés comme extrêmement indigents, du point de vue de la méthode.

Souvent « commentaires de commentaires s » ils ne suffisent pas à en faire de véritables grilles de lecture. Ils permettent encore moins de classer les évènements socio-économiques actuels.

Le postmodernisme ne constitue pas une interprétation globale du changement dans les sociétés avancées. Des critiques peuvent très souvent lui être opposées. Ainsi, les sociologues de la postmodernité accordent une importance excessive à « la consommation en tant que moteur de changements socio-économiques ».

Toujours selon eux, le « consommateur individualisé », confronté à une offre de plus en plus diversifiée et changeante, ne pourrait plus maîtriser l’information nécessaire à ses arbitrages. La culture se substituerait alors, et lui fournirait les repères indispensables…
La culture en question n’est rien d’autre que l’ensemble des « socio-styles » [7] maniés par la publicité et le marketing. Rien ne prouve qu’ils correspondent à quoi que ce soit dans les déterminations des consommateurs.

De fait, il s’agit à la fois d’une véritable évolution sociétale et d’un simple phénomène de mode !

Repenser l’anarchisme ?
• Le courant post-anarchiste, faisant suite au postmodernisme, est lié au cycle actuel de reflux des luttes révolutionnaires. Le pessimisme et le défaitisme alimentent ainsi ces théories de la résignation et de l’accommodement avec l’ordre marchand . Dans un contexte où le doute règne en maître, le projet révolutionnaire s’en trouve largement ébréché. « Le projet d’un changement global de société est désormais assimilé à un totalitarisme … » A côté de cela s’est ouvert un cycle d’expérimentation, de résistances et de créations. La société marchande et étatique, le système capitaliste, demeurent traversés par de multiples rapports de pouvoirs. Ces derniers s’imposent tant au niveau global qu’à l’échelle de la vie quotidienne.

Si l’émancipation des minorités, la pluralité des oppressions et la multitude des luttes ne peuvent ni ne doivent être occultées, il semble indispensable « d’articuler l’affirmation des subjectivités radicales avec la création d’une nouvelle communauté humaine égalitaire et libertaire. »

Le projet révolutionnaire pourrait ainsi se construire aujourd’hui, à partir de la multiplication et l’articulation des luttes qui visent à transformer le monde et à changer la vie ici et maintenant. La nécessité de favoriser les « pratiques marginales », nécessite d’y poser deux conditions :
« Elles se doivent d’être diffusées progressivement à l’ensemble de la société »
et
« les expérimentations, doivent s’accompagner d’un projet révolutionnaire . »
Seules les luttes sociales peuvent permettre de changer la réalité matérielle et, à travers leurs multiplications et leurs convergences, proposer une véritable rupture révolutionnaire.

Les minorités aussi diverses qu’elles puissent être, ne peuvent se libérer qu’ « en balayant l’ordre capitaliste pour créer une nouvelle société commune sans exploitation ni domination. »
En fonction de cela, les minorités et les opprimés doivent se fédérer de « manière autonome » plutôt que de cultiver leur petite spécificité…

Toute approche qui tend à considérer que la querelle des « Anciens et des Modernes » se joue aujourd’hui entre « Modernes et Postmodernes », ou plus exactement entre « anarchistes dits " fossilisés " » et « Anarchistes " new-look " », nous renvoie malheureusement à un abandon en rase campagne des spécificités et des fondamentaux de ce qui fait pourtant la spécificité de l’anarchisme social.

Il est nécessaire de refuser avec la plus grande détermination l’entreprise de démolition proposée par les « Post-tout », laquelle, sous couvert de droit d’inventaire, s’adonne plutôt à ce que nous pourrions qualifier d’entreprise révisionniste…

Edward Sarboni

Notes :

[1] Philosophe « anarchiste » il propose de nouvelles idées pour l’anarchisme. Il a écrit notamment, en 2004 « Femmes philosophes, femmes d’action », coécrit en 2008 avec son père - « Proudhon - Bakounine - Kropotkine. La Révolution libertaire » - en 2008 - Michel Onfray, une imposture intellectuelle en 2013

[2] La seconde partie de l’ouvrage sur « …Onfray, une imposture intellectuelle » s’attarde à poser les bases de ce sur-anarchisme, qui semble surtout s’inscrire dans une filiation avec le communisme libertaire. Sur le plan théorique, irrigué par les progrès de l’investigation scientifique (…) plus solide que la « fable » mytho-philosophique de Michel Onfray, ce sur-anarchisme doit être au croisement du matérialisme de Kropotkine, de la complexité soulignée par Gaston Bachelard, du caractère collectif et mobile de la matière défendu par Bertrand Russell (a contrario d’éventuelles substances intangibles), de l’auto-organisation de celle-ci (plus efficiente que la simple entropie) et de la centralité du groupe telle que Proudhon la pensait.

[3] GARCIA Victor, L’anarchisme aujourd’hui, Préface de Daniel COLSON, Paris, 2007, L’Harmattan

[4] Déduire ou bien conclure

[5] Limite à laquelle Foucault s’est lui-même trouvé confronté. Cette limite l’a conduit à s’orienter vers une réflexion sur les pratiques de subjectivation comme moyen de résistance au pouvoir.

[6] Temporary Autonomous Zone (Zones d’Autonomies Temporaires).

C’est un système (méthode) sociologique qui consiste à étudier les comportements humains par style de vie, système de valeur et couches sociales. À partir de questionnaires et enquêtes, des groupes relativement homogènes s’articulent en référence à différents axes de pensée. Le traitement des données permet de dégager des lignes rhétoriques adaptées aux souhaits conscients ou inconscients des personnes.

[7] 3 Ce type de travail est particulièrement adapté pour les campagnes marketing ou l’élaboration d’une campagne électorale.
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Re: LE POSTMODERNISME, NOUVEL ÂGE DE L’OBSCURANTISME

Messagede Lehning le Lun 29 Nov 2021 21:01

Bonsoir !

Merci, très intéressant !
L'on voit bien donc que le post-anarchisme n'apporta pas grand-chose de bien nouveau... (je l'ai toujours pressenti même si c'est noyé dans un fatras philosophique).
-Ca fait un bout de temps qu'Onfray (mieux de se taire :wink: ) n'a rien d'anarchiste. Aux dernières nouvelles même, il serait souverainiste maintenant. La girouette finie.

A mon avis, les concepts et postulats anarchistes généraux restent pertinents, même anciens. Les fondamentaux ne sont aucunement ébranlés et à remettre en cause, surtout dans l'état du monde actuel.

Le post-anarchisme pourrait être éventuellement intéressant si justement il actualisait l'anarchisme à l'aune de la situation actuelle mais çà ne semble pas/toujours être le cas. Dommage !

Salutations Anarchistes !
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