de Lehning le Mar 11 Juil 2017 22:21
L'ensemble des militants réunis s'engagea à préparer le congrès national constitutif. La Fédération libertaire changea de nom provisoirement et devint le Mouvement libertaire. Cette nouvelle appellation fut diversement interprétée et prêta à confusion. Pour les uns, cela désignait une seule organisation souple mais solidement édifiée, et pour les autres elle englobait aussi les non organisés, se refusant à toute convention pouvant découler du principe d'association. Enfin, pour que le mouvement soit plus vaste, il fut décidé que le congrès national soit ouvert à tous ceux se réclamant de l'anarchisme ou de l'anarcho-syndicalisme, sans distinction de tendance, et même aux non-adhérents. Toutefois, il était demandé à ces derniers de se faire recommander par deux camarades connus pour assister aux débats. Henri Bouyé est confirmé dans ses responsabilités au secrétariat de "la commission administrative" chargée "de coordonner les groupes et aussi les individualistes géographiquement isolés". [Compte-rendu du pré-congrès d'Agen, six pages dactylographiées, Archives du CIRA de Marseille, Henri Bouyé, Compte rendu de l'assemblée d'Agen, les 29 et 30 octobre 1944, 3 pages ronéotypées.] Dès les premières résolutions, nous remarquons le rôle central et excessif que cette réunion préparatoire donna aux tendances. A la suite du pré-congrès d'Agen, se cristallisa, sur le problème de l'organisation, un contentieux, entre d'une part Henri Bouyé favorable à un fonctionnement fédéraliste et statutaire sérieux et d'autre part Louis Louvet propice à une entente plus souple à partir de groupements affinitaires et qui était soutenu, à Paris, par Maurice Laisant et le groupe d'Asnières. [C'est à la suite du pré-congrès d'Agen que s'installa un contentieux entre, d'une part, Bouyé et, de l'autre, Louvet et Maurice Laisant. Lors du compte rendu de cette assemblée, où Louvet attendait le résultat des propositions faites dans sa lettre, Bouyé fut bref et brusque en répondant: "Les camarades l'ont lue [...], le mouvement est ouvert à tous. Ceux qui veulent y venir ont la liberté d'y venir [...] ceux qui sont à la porte resteront sur le paillasson s'ils ne veulent pas y venir." Ensuite, Maurice Laisant, qui demeurait à présent à Paris, écrivit à son frère Charles qui était resté à Toulouse, et lui demanda pour quelle raison l'assemblée n'a pas trouvé "un accord, sous une forme ou sous une autre avec Louvet". Son frère lui répond "que ce n'est pas du tout comme ça que ça s'est passé": en effet, dans la charte de la nouvelle fédération, "il a été adopté le principe suivant: groupement de base, groupements d'affinité dont les membres sont parrainés, fédérations locales, régionale, mouvement libertaire. Ces structures permettent à toutes les tendances d'avancer vers un but commun tout en conservant un caractère affinitaire ainsi qu'un maximum possible de liberté sans que l'unité du mouvement puisse en être diminuée". Ensuite, ils lui demandent "d'interroger Bouyé et les camarades du Libertaire à ce sujet", car "il était chargé de faire" des propositions à Louvet dans ce sens, tous les groupes "étant unanimes sur ce point". "Si cet accord ne pouvait se conclure, ils ne manqueraient pas de faire inscrire cette question à l'ordre du jour du prochain congrès." La lettre était signée par Charles Laisant et contresignée par Arru. Bouyé était un farouche défenseur de l'organisation et n'était donc pas favorable aux regroupements affinitaires. Lorsque Maurice Laisant lui apporta la lettre, il répliqua devant son groupe: "Mes camarades, nous avons une lettre au sujet de cette affaire Louvet ; [...] si vous voulez je vais vous la lire, mais auparavant, [...] je vous propose que tout ce qui pourrait avoir trait à une possible entente avec Louvet soit repoussé par le mouvement sans être examiné." Immédiatement tous les membres du groupe levèrent la main à l'exception de Fernand Planche, de Vincey, de Torion et de M. Laisant, et c'est ainsi que l'affaire fut classée. Comme le dit Maurice Laisant: "A ce moment dans le mouvement anarchiste, on votait à des cadences extraordinaire." Cette anecdote aura de l'importance par la suite, Bouyé, perdra l'appui des militants "humanistes" comme Arru, Aristide Lapeyre, les frères Laisant et le groupe de Louvet qui penchaient pour un système organisationnel réduit et à son sens inefficace. Voir Maurice Laisant, Regard sur le mouvement libertaire 1938-1972, op. cit.] Il est important de préciser ici que le conflit Bouyé et Louvet deviendra la personnalisation et le symbole de l'affrontement entre l'héritage et la revendication théorique d'un courant libéral, humaniste, philosophique et pacifiste qu'on appellera d'abord, car la province y sera majoritaire, "les Girondins" opposés à un courant fédéraliste, ouvriériste, révolutionnaire, communiste libertaire favorable à "la lutte des classes" qu'on appellera, à cause de la domination parisienne, "les Jacobins".
Photos: Maurice Laisant ; Henri Bouyé ; Louis Louvet:
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