La mouvance anarchiste dans les années 30 (M. Sahuc)

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La mouvance anarchiste dans les années 30 (M. Sahuc)

Messagede vroum le Sam 6 Sep 2014 13:28

La mouvance anarchiste dans les années trente.
extrait de "Un regard noir" de Michel SAHUC,
Editions du Monde Libertaire. ---------


Dans les années trente, il n'existait pas de réelle unité entre les anarchistes français. Il est donc plus judicieux de parier de «mouvance» anarchiste plutôt que de «mouvement anarchiste». D'ailleurs à cette époque on parlait de «milieu» anarchiste. Dans son sein se déclinaient des tendances comme les communistes libertaires plate- formistes de la F.C.L. (Fédération communiste libertaire), les synthésistes plus ouverts vers les individualistes de l'A.F.A. (Association des fédéralistes anarchistes) - le conflit plate-forme /synthèse est abordé dans le chapitre suivant - remplacée plus tard par la F.A.F (Fédération anarchiste de langue française), la Fédération des jeunes anarchistes libertaires (F.J.A.L.), des individualistes intransigeants de l'En Dehors, les anarcho-syndicalistes de la C.G.T.- S.R., les moralistes de la revue Plus loin, sans oublier les groupements satellites comme les pacifistes intégraux de la Patrie humaine, la Libre pensée, les végétariens, les végétaliens et d'autres, ensembles hétéroclites qui n'avaient entre eux que des relations très épisodiques, sympathiques dans certains cas et polémiques dans d'autres. Quant à l'U.A. (Union anarchiste) qui se voulait, selon les périodes, plus ou moins «synthésistes», les anarchistes-communistes, les anarcho-syndicalistes et certains individualistes anarchistes, cherchaient à y cohabiter comme de simples courants d'idées à une même théorie.

Juan Garcia Oliver, alors réfugié espagnol en France, écrit de façon polémique dans ses mémoires El eco de los pasos: «Les anarchistes purs sont intoxiqués par l'influence décadente de l'anarchisme français, poussière de petits groupes: les uns naturistes, d'autres végétariens ou pacifistes, plus les partisans d'un mouvement anarchiste (M.O.A.), les philanthropes anarchistes du Semeur, les éclectiques de Sébastien Faure, les «syndicalistes» suis generis de Pierre Besnard et Gaston Leval -Pierre Piller» (1). Cette description bien que caricaturale nous indique toutefois l'existence de nombreuses tendances, héritage de la fin du XIXè siècle et du choc du 1er conflit mondial. Néanmoins, l'anarchisme français restait le seul camp à condamner la bourgeoisie face au réformisme, à la collaboration électoraliste et parlementaire des socialismes étatiques. Comme l'écrit Maurice Joyeux, «le milieu anarchiste était alors très différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. La plupart des militants étaient des ouvriers ou d'anciens ouvriers reconvertis dans le petit commerce, voire l'industrie. Leur culture de base était le certificat d'études. Mais tous étaient autodidactes avec ce que cela comporte de connaissances approfondies pour certaines matières privilégiées et des lacunes pour d'autres. Il n'y a rien de péjoratif, et tous les militants du mouvement ouvrier se trouvaient dans le même cas. Ils lisaient beaucoup les classiques du mouvement ouvrier en long, en large, en travers, mais ils ne lisaient que ça. Le caractère de leurs connaissances donnait à ces militants à la fois un sentiment de supériorité envers les travailleurs et d'infériorité envers ceux qui avaient la chance, rare à cette époque, d'avoir reçu une culture classique qui se traduisait par du parchemin» (2). Georges Fontenis dresse de cette période un portrait plutôt sombre (3). En effet, les ouvriers ont fait place à un nombre important de forains ou de petits entrepreneurs «vivants de petits boulots», voire de combines plus ou moins recommandables comme le «macadam » - escroquerie aux assurances sociales - ou «des pratiques proches du proxénétisme». D'après lui, ce glissement sociologique avait favorisé «le développement du confusionnisme, de l'humanisme petit-bourgeois, du libéralisme radical au détriment de la notion de classes et de luttes révolutionnaires». Pour expliquer cet état des lieux déplorable, G. Fontenis insiste sur les méfaits de la franc-maçonnerie et de la Ligue des droits de l'homme qui introduisaient en leur sein des «théories fameuses» et sur l'absence d'analyse qui laissait place à «une pensée philosophique naïve et moraliste, manichéenne [...] où souvent les aspects positifs et négatifs sont mêlés». Il souligne aussi des rapports étroits avec «une certaine libre pensée» qui avait entraîné une «indigence politique» et «un anticléricalisme réducteur». Il en va de même avec «le pacifisme inconsistant qui a conduit plus d'une fois des militants anarchistes à des prises de position et à des conduites aberrantes». Il est certain que la description de Fontenis est un peu exagérée car elle n'est pas neutre et cherche à donner des mobiles aux futures créations de l'Organisation pensée bataille et de la Fédération communiste libertaire.

Dans l'introduction du texte Organisation du Mouvement fédéraliste écrit par Henri Bouyé en 1943, la situation était décrite comme suit: «Que fut le mouvement fédéraliste jusqu'à ce jour? Un ramassis de valeurs individuelles très variées; parfois certaines, souvent discutables, mais à coup sûr n'ayant jamais su se montrer aptes à s'organiser. Les uns limitaient leur champ d'action à l'eugénisme, au néomalthusianisme, d'autres à l'antimilitarisme, d'autres à la lutte anti-religieuse, d'autres dans le syndicalisme et d'autres enfin dans l'apologie d'un individualisme outrancier capable seulement de satisfaire ou de justifier l'égoïsme des uns et le dilettantisme intellectuel des autres. Dans toutes ces tendances, à l'exception de la dernière, dont les éléments étaient trop souvent d'origine douteuse, on trouvait la lutte contre l'autorité, contre l'Etat. Elles étaient toutes orientées vers une conception nouvelle de la société. La liberté individuelle demeurait leur leitmotiv essentiel. Entre elles toutes, elles constituaient la synthèse qu'est notre idéal ; et cependant elles n'ont jamais su, en s'organisant, en unissant leurs efforts, exprimer ce qu'est cette synthèse et rendre facile pour le public la compréhension de leur idéal commun. Pour obtenir cela, il eût fallu qu'elles s'organisent; ce qui ne fut jamais fait d'une façon sérieuse. De là le fait regrettable que le mouvement, si mouvement il y eût, n'avait aucune unité de vue sur les multiples problèmes de la vie sociale n'a pu peser tant sur le plan local, régional, national, qu'international. Les déclarations des uns étaient souvent contredites par les affirmations des autres; chacun se réclamant de nos principes. Et le public ne nous comprenait pas. On ne nous prenait pas au sérieux, et cela se conçoit. La solidarité elle-même en souffrait» (4). Bien que ce constat fut rédigé dans le but d'étayer la création d'une structure fédérale, celui-ci renforce-t-il l'analyse de G. Fontenis? Même si dans les années trente, des idéologies humanistes comme celle de la Franc-maçonnerie, de la Ligue des droits de l'homme, de la Libre Pensée, du pacifisme ainsi que la composition sociologique des anarchistes ont pu jouer des rôles importants dans l'écueil organisationnel et dans l'absence de théorie, nous pensons que ces problèmes sont avant tout la conséquence de l'histoire même de l'a-narchisme en France.

En effet comme l'a démontré Jean Maitron, la pensée anarchiste française est restée ouverte à tous les courants d'idées. Ainsi, «le refus d'accepter l'autorité sous quelque forme que se soit», en particulier la confusion entre les notions de pouvoir et de domination, le «ni doctrine, ni parti» provoqua un «manque de cohésion doctrinale». Chacun resta libre de la réorganiser selon ses propres réflexions ou les idées à la mode du moment. Ce phénomène apparu à la suite du terrorisme anarchiste du XIXe siècle, d'abord avec le syndicalisme, les «milieux libres», fut suivi par la pratique de l'illégalisme. Il en résulta de nombreuses «déviations». Celle des individualistes, scientistes et présentéistes intransigeants groupés autour du journal L"anarchie qui par leurs critiques du syndicalisme et de l'ouvriérisme parfois lumineux quand elle dénonçait l'aliénation du salariat, l'était beaucoup moins lorsqu'ils niaient la notion de «classe sociale» au profit de l'individu. Cela contribuera à faire oublier ou condamner, par des militants anarchistes de milieux différents, la notion de lutte de classes. Il y eut aussi, les néo-malthusiens avec la question de la population, l'éducationnisme avec son enseignement intégral, le coopératisme perçu par certains comme un compromis avec le capitalisme, les groupements naturiens avec leurs critiques de la civilisation et parfois leur primitivisme, les végétariens, les végétaliens, l'antimilitarisme, le pacifisme; toute une multitude de courants et de tendances qui provoquèrent la dispersion et la stagnation de l'anarchisme français» (5).

Cette situation fut à l'origine de l'impossibilité de construire la grande organisation anarcho-socialiste et /ou communiste-libertaire que les militants organisationnels, anarcho-syndicalistes, plate-formistes et synthésistes souhaitaient à cette époque. Bien sûr, tout ne fut pas négatif et certaines de ces tendances ont enrichi le débat, spécialement celles relatives à l'efflorescence individualiste de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Cependant il faut nous efforcer, ainsi que l'indiquait Jean Maitron, «de déterminer à quel moment de leurs évolutions ces propagandes cessent d'appartenir à l'histoire du mouvement anarchiste proprement dit» (6).

L'impossibilité organisationnelle ainsi que le confusionnisme théorique des années trente sont bien l'héritage du morcellement en tendances de l'anarchisme, apparu dès la fin du XIXe siècle, et qui reste toujours présent même aujourd'hui au sein de la mouvance anarchiste française. Il est inhérent à la doctrine tant que cette dernière ne sera pas enfin déterminée par un programme qui associe en toute autonomie des forces différentes autour d'un projet d'administration directe fédéraliste et communiste libertaire. Face à ces analyses franco-françaises négatives qui tendent à démonter son impuissance organisationnelle, l'historien anglais David Berry a le recul nécessaire, centré sur l'essentiel, pour en avoir une vision positive (7). En effet, malgré son statut de minorité, les anarchistes français demeuraient, pendant l'entre deux guerres, mieux organisés et plus nombreux numériquement, particulièrement au milieu et à la fin des années trente. Sa majorité s'inscrivait dans la «classe ouvrière travaillant dans l'industrie» et épousait alors deux principaux axes de combat: «l'antimilitarisme révolutionnaire» et «l'internationalisme prolétarien». Leurs analyses sur l'environnement politique de l'époque «étaient sans doute plus incisives et cohérentes» que pour certaines autres organisations d'extrême gauche. De 1936 à 1938, leurs actions furent importantes aussi bien dans «le syndicalisme» que dans «le mouvement pacifiste» et «leurs associations avec la CNT-FAI», pendant la guerre civile d'Espagne, leur apportera un certain «prestige» international. Comme l'écrit Berry, «les organisations qu'ils créèrent pour apporter leur soutien aux révolutionnaires espagnols étaient sans doute une réussite selon leurs propres critères: la S.I.A. (Solidarité internationale antifasciste), par exemple, pouvait s'enorgueillir de 40 000 adhérents».

Cependant, en 1939, veille de la Seconde Guerre mondiale, les anarchistes français étaient divisés en trois principales organisations structurées, deux spécifiques, l'Union anarchiste (U.A.) et la Fédération anarchiste de langue française (F.A.F.), et sur le plan syndical la C.G.T.-S.R. (Syndicaliste révolutionnaire) auxquelles on peut ajouter quatre structures annexes, liées à l'U.A., le groupe Jeunesses anarchistes communistes (J.A.C.) autour de son secrétaire René-Antoine Ringenbach dit Ringeas et de son trésorier Roger Caron, l'Association de synthèse anarchiste (A.SA.) groupée autour de Fernand Planche, la Fédération des jeunes anarchistes autonomes (F.J.A.A.) créée en 1926, par Louis Louvet et la Fédération nationale des jeunesses libertaires (F.N.J.L.) animée par Tixier et Gilberte Dawas. A côté, il ne restait que des groupes affinitaires complètement autonomes autour de publications, de journaux édités par des personnalités comme l'En Dehors, journal des individualistes intransigeants d'E. Armand - Ernest Juin -, l'Idée Ubre consacré à la propagande rationaliste et à la libre pensée de André Lorulot - André Roulot -, Plus Loin, revue d'anarchisme éducationniste du Dr. Pierrot - Marc Pierrot - et pour finir à sa marge la Patrie humaine, organe du pacifisme intégral fondé par Victor Méric.

Des trois organisations, l'U.A., fondée le 14 et 15 novembre 1920, était la plus forte numériquement avec environ 2.000 adhérents. Son organe de presse était le Libertaire. Synthésiste, elle ne fermait ses portes à aucune tendance de l'anarchie. Elle était à forte prédominance communiste anarchiste et d'un ouvriérisme mal disposé envers les courants individualistes peu portés à prendre acte des nécessités qu'impose à chacun la vie en société. Elle restait ouverte à des alliances circonstancielles avec d'autres formations de gauche. Les plateformistes, bien qu'ils aient perdus la bataille de l'organisation, était présents dans la tendance F.C.L. et se maintenaient à des postes responsables. Syndicalement, elle considérait que les anarchistes pouvaient militer utilement dans la C.G.T. malgré son réformisme.

La deuxième organisation spécifique, la F.A.F, fondée lors du Congrès de Toulouse les 15 et 16 août 1936, comptait environ 500 militants. Ses organes de presse furent L'Espagne antifasciste, puis l'Espagne nouvelle et Terre Libre. Synthésiste et ouverte aux individualistes, cette organisation était résolument révolutionnaire. Son ouvriérisme était plus tempéré que celui de l'U.A. et d'une intransigeance plus importante en ce qui consiste les alliances circonstancielles avec des formations non-libertaires. Au point de vue syndical elle était très proche de la C.G.T.-S.R. Sa création n'eut aucun effet sur l'U.A. puisqu'elle était constituée exclusivement de groupes qui avaient été autonomes avant de s'affilier à la F.A.F. Ses positions radicales pendant la guerre d'Espagne provoqueront son isolement. La C.G.T.- S.R. était la composante anarcho-syndicale. Sa constitution en 1926 ne fut pas accueillie avec enthousiasme par le milieu anarchiste à cause de la personnalité considérée comme trop rigide de Pierre Besnard. Ses positions dans son organe de presse le Combat syndicaliste ne manquaient pas de lucidité et de justesse. Elle prit ses distances avec la F.A.F à partir de 1937 à cause de la guerre d'Espagne. Elle a compté jusqu'à environ 4.000 membres répartis dans une trentaine d'unions régionales. A la différence des militants de l'UA., ils considéraient le syndicat, organisation de classe, comme supérieur à tout rassemblement politique fût-il anarchiste. Enfin, dans les organisations annexes, le plus important, avec un effectif avoisinant les 500 militants était celle des jeunesses libertaires, la F.N.J.L. avec comme organe Le Révolté - cinq numéros de 1937 à 1938 - sous la gérance de Tixier qui était proche de la F.A.F. et syndicalement de la C.G.T.-S.R.

Avant la Seconde Guerre mondiale, les organisations les plus impliquées dans le mouvement ouvrier, se sont trouvées confrontées à d'importants problèmes qui s'entremêlèrent comme ceux de la division syndicale et du problème organisationnel autour de l'affrontement plate-forme/synthèse, ensuite la position face au Front populaire, la polémique sur l'évolution de la guerre d'Espagne et l'attitude face au pacifisme et à l'entrée en guerre (8).

Division syndicale et affrontement plate-forme / synthèse.

Après la révolution d'octobre 1917, l'avènement de «la patrie des travailleurs» créa un espoir fou qui aveugla de nombreux militants révolutionnaires et entraîna au sein de la Confédération Générale du Travail une majorité d'adhésion au Parti communiste français. La C.G.T. bascula progressivement entre les mains du P.C.F.. Dans les années vingt, les militants de l'Union anarchiste, la principale composante de la mouvance anarchiste, se trouvaient devant plusieurs choix syndicaux, qui seront à l'origine de vives polémiques: soit rester à la C.G.T. réformiste de Léon Jouhaux, aller à la C.G.T.-U. (1921) où les communistes devenaient maîtres après avoir rallié les syndicalistes purs de Pierre Monatte ou adhérer à la C.G.T.-S.R. (1926) qui, avec Pierre Besnard, cherchait à maintenir, dans le mouvement ouvrier, un syndicalisme d'action directe, indépendant des partis et de l'Etat. La majorité adhéra à la C.G.T.-U., puis lors de la réunification de mars 1936 à la C.G.T., et s'éloigna des camarades anarcho-syndicalistes restés à la C.G.T.-S.R. Ce syndicat très marginal, ne réunira qu'un petit nombre de convaincus et le chiffre des d'adhérents restera très faible. Certains anarchistes l'appelèrent par dérision la «C.G.T.Sans Rien». Dans la même période, les anarchistes russes réfugiés en France et plus particulièrement Archinov et Makhno, provoquèrent avec leur «plate-forme» organisationnelle, une polémique qui débuta en 1925 et resurgit encore de nos jours. Comme l'écrit G. Manfredonia: « Ainsi, en dépit des attentes de leurs promoteurs, non seulement le débat plate-forme/synthèse ne contribua pas à la réalisation de l'unité du mouvement, mais il va accroître d'avantage le confusionnisme dans les rangs des libertaires et donc en définitive, gêner le travail de révision nécessaire des positions anarchistes traditionnelles que pourtant la situation imposait. Pour avoir oublié qu'il ne s'agissait que de deux propositions parmi tant d'autres, le débat va de surcroît rapidement se figer et provoquer des cassures qui entraîneront une très grave crise du mouvement anarchiste français; crise qui n'a jamais été véritablement surmontée encore aujourd'hui et dont le confusionnisme organisationnel et idéologique de la Fédération anarchiste actuelle, sorte de monstre hybride mi-plateformiste mi-synthésiste, en est l'exemple le plus frappant» (9).

Au delà de la F.A. proprement dite, les problèmes organisationnels de la mouvance anarchiste contemporaine furent traversés par le binôme plateforme/synthèse. Ce débat, inscrit dans la bolchevisation de la Russie, fut la marque d'une crise d'identité de l'anarchisme social face à lui-même et au «marxisme-léninisme». Dans ces discussions théoriques, confuses et agitées par l'intransigeance des protagonistes, les plateformistes, pour qui la véritable tendance anarchiste est le seul communisme libertaire, s'opposèrent aux partisans de la synthèse. Il y a, cependant, deux types de synthèse.

Celle écrite en réponse dès 1927, par Vsevolod Mikhailovitch Eichenbaum dit Voline est philosophique; ses «trois idées maîtresses» afin d'«unir le mouvement», sont, l'admission des principes «syndicaliste», «communiste» et «individualiste» dans le but «de la révolution sociale». Elle servira de base à Sébastien Faure pour, en 1928, préciser comme projet à sa tendance de «combiner les trois courants: anarchosyndicalisme, communisme libertaire et individualisme anarchiste» sur la base de thèses générales mûrement réfléchies et sciemment adoptées. Cette polémique eut surtout des répercussions sur l'organisation de l'U.A. En 1926 face à la menace accrue de scission que faisait planer l'affrontement entre plateformistes et synthésistes au congrès d'Orléans, un manifeste affirma que «le communisme est la seule forme de société» et l'U.A. deviendra l'U.A.C., l'Union anarchiste communiste. Loin de resserrer les rangs, ce manifeste d'Orléans allait rendre plus sensible aux partisans d'une organisation structurée l'incompatibilité de ces positions. Ainsi le congrès de Paris en 1927 vit triompher les plateformistes. Le courant majoritaire deviendra l'U.A.C.R. (communiste révolutionnaire) qui durera jusqu'en 1930. Le courant minoritaire scissionniste fonda avec Sébastien Faure l'A.FA. (Association des fédéralistes anarchistes), qui durera jusqu'au congrès d'unité de Paris en 1934. En 1934 au congrès de Paris l'U.A.C.R. reprendra le sigle d'U.A., ce qui signifiait l'abandon des méthodes révolutionnaires, le communisme envisagé comme obligatoire au lendemain de la révolution, ainsi que le choix des modalités de versements pour les adhérents. Ces mesures entraînèrent une scission et la création de la F.C.L. (Fédération communiste libertaire), soucieuse de plus d'homogénéité organisationnelle et tactique. L'un des principaux militants fondateurs, en fut Charles Cortvrint sous le pseudonyme de Charles Ridel (plus tard, Louis Mercier-Verga). Cela lui valut d'être poursuivi d'une haine tenace par Louis Lecoin. Elle reprendra sa place au sein de l'U.A. en 1936 pour continuer à coexister en tant que tendance. Enfin, c'est en août 1936, à Toulouse que se constitua, la Fédération anarchiste de langue française (F.A.F.) en réaction à l'U.A. qu'elle ne trouvait pas assez synthésiste - dans le sens que lui donnait Voline (10).

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Notes

(1) Juan Garcia Olivier, El Eco de los pasos, éd. espagnole de Ruedo Iberico, Barcelone, 1978.

(2) Maurice Joyeux, Histoire de la Fédération anarchiste, 1945-1965, Ed. groupe Maurice Joyeux, 1997.

(3) Georges Fontenis, voir le chapitre V, "Ombre et Lumière'", dans "l'Autre communisme", éd. ACL.

(4) Henry Bouyé, Organisation du mouvement fédéraliste, Ce qu'elle fut jusqu'à ce jour, texte pour le Congrès de Toulouse, 1943.

(5) Sur la notion de pouvoir, voir l'article de Amedeo Bertolo, Pouvoir, autorité, domination dans Le Pouvoir et sa négation, Ed. A.C.L., 1984. L'historien Italien Nico Berti dans son texte L'Anarchisme dans l'Histoire, mais contre l'Histoire, n'est pas d'accord avec Jean Maitron lorsqu'il définit l'antimilitarisme, l'éducation anti-autoritaire, les expériences de communes libres, etc., comme «la dispersion en tendances», l'imputant au «manque de cohésion doctrinale de l'anarchisme», pour lui «c'est la manifestation d'une constante homogène à l'intérieur des manifestations pluralistes de l'anarchisme. Celle-ci marquent et confirment justement les limites de superposition «autoritaire» entre mouvement spécifique et classes exploitées, en ce sens que le premier n'impose pas aux secondes un schéma préconstitué - comme c'est le cas, par exemple pour le marxisme - mais en exprime précisément les multiples tendances pour autant que celles-ci sont historiquement révolutionnaires. Mais comme pour être telles ces tendances doivent émerger de façon spontanée et libre, c'est-à-dire de manière autonome. Il y a une coïncidence entre celles-ci et l'anarchisme: coïncidence pratique et théorique parce que ce dernier est également, comme on le sait, pluralité et autonomie». L'approche de Berti n'infirme pas le fait que lorsque la caractéristique d'une tendance prend le pas sur l'anarchisme lui-même ou perd son caractère révolutionnaire, cette tendance ne fait plus partie de l'anarchisme.

(6) Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, Tome I, éd. Gallimard 1992.

(7) David Berry, L'anarchisme français et la Révolution espagnole dans le bulletin du C.I.R.A. n° 26/27, 1986, ou Alternative libertaire brochure Question théorique avec un complément de Georges Fontenis et Le mouvement anarchiste français (1939-1945), Résistance et Collaboration traduit par Anne Grosjean et Jean-Paul Salles dans la revue Dissidences n° 1213, Janvier 2003, p 41 à 51.

(8) Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France tome II de 1914 à nos jours, op. cit. p. 33, 34 et archives J. Maitron, fond anarchisme carton 6, structure du mouvement anarchiste entre 1900 et 1945.

(9) Gaetano Manfredonia, «Le débat plate-forme ou synthèse», Itinéraire n° 13, Voline, 1995. (10) Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, Tome II, op. cit.
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Re: La mouvance anarchiste dans les années 30 (M. Sahuc)

Messagede Lehning le Sam 6 Sep 2014 18:22

Bonjour !

Très intéressant ! Merci vroum !

Je relis d'ailleurs en ce moment "Souvenirs d'un anarchiste" de Maurice JOYEUX (Editions TOPS/Trinquier) qui couvre notamment les années 30.

A cette époque, Maurice JOYEUX a fait partie de la CGTU, puis ensuite du groupe du XVIIième arrondissement de Paris de l'UA. Il s'est très rapidement pris la tête avec les communistes de la CGTU après le Congrès rue Huyghens de 1934. Et a démissionné de la CGTU.
Il n'avait pas beaucoup d'affinités avec les pacifistes de Louis LECOIN, ni avec la CGT-SR de Pierre BESNARD.

Mais en fait, à cette époque, Maurice JOYEUX (hormis son adhésion au groupe du XVIIiéme arrondissement de Paris de l'UA) n'était pas encore pleinement impliqué dans le mouvement anarchiste, mais plus sur les routes en vagabondage ou en prison à cause de ses bagarres avec ses patrons (il exerçait les métiers de serrurier et d'ajusteur mécanicien) et aussi à cause de ses refus antimilitaristes (il a été notamment prisonnier 4 ans dans les camps disciplinaires militaires français au Maroc).

Salutations Anarchistes !
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