Durruti -> 1896 - 1936

Partageons le passé pour mieux inventer l'avenir...

Durruti -> 1896 - 1936

Messagede vroum le Ven 29 Nov 2013 20:07

Le camarade abel Paz nous a suggéré de publier un album de photos, nous ouvrant ses archives personnelles et nous permettant d’y sélectionner les documents les plus appropriés, dont certains encore inédits.



Que le nom de Durruti ait donné son titre à cet album ne veut pas dire que nous l’idolâtrions. Loin de là. Durruti a été, avec toutes ses particularités et son dévouement, un camarade parmi tant d’autres à participer avec passion à un bouleversement social jusqu’à le payer de sa vie.



Ces photos montrent que les peuples peuvent être libres.

Voici l’exemple d’hommes et de femmes qui ont fait la révolution sociale en Espagne.

Chaque fois qu’un mythe est enterré, les hommes recommencent à vivre : la mort du mythe permet à l’idée de survivre…



-> lucencia Espejo



=> accastillage :

# zieuter // cueillir

http://is.gd/vHYQoH



# moisson

http://is.gd/b5R1El
"Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs." (N. Makhno)
Image
Avatar de l’utilisateur
vroum
 
Messages: 6910
Inscription: Mar 22 Juil 2008 23:50
Localisation: sur les rails

Re: Durruti -> 1896 - 1936

Messagede vroum le Mer 11 Déc 2013 11:53

4 novembre 1936 : Durruti parle

http://www.monde-libertaire.fr/portraits/16771-4-novembre-1936-durruti-parle

Le texte qui suit est extrait de l’ouvrage collectif La Barcelone rebelle 1 paru en 2003. Il est dû à la plume d’Agustín Guillamón, auteur de plusieurs ouvrages sur la révolution espagnole où il analyse le rôle des anarchistes durant cette période (1936-1939). S’il souligne à chaque fois la place prépondérante qu’ils y ont tenue, il ne manque jamais d’être très critique (trop ?) par rapport à certaines décisions prises par les instances dirigeantes de la CNT. Outre ses commentaires, l’autre intérêt de ce texte est qu’il reproduit le dernier discours que Buenaventura Durruti prononça quinze jours avant sa mort sur le front de Madrid. Discours plus qu’intéressant et révélateur des tensions qui se faisaient jour dans le camp républicain et au sein même de la CNT. Dans son intervention radiodiffusée, Durruti était extrêmement clair et lançait des avertissements sérieux – voire menaçants – à ceux qui, à l’arrière, n’étaient pas à la hauteur du moment historique. Quatre mois après les journées victorieuses de la riposte ouvrière au soulèvement militaro-fasciste, notamment à Barcelone, Durruti pointait du doigt les dysfonctionnements au sein du camp antifasciste et dans sa propre organisation (CNT). Sa mort prématurée lui a évité d’assister au travail de sape de la contre-révolution dans le camp républicain, puis à la victoire de Franco avec toutes ses conséquences néfastes pour le peuple espagnol.

Ramón Pino
Groupe Salvador-Seguí de la Fédération anarchiste



Le 4 novembre 1936, tout le monde attendait avec impatience le discours imprévu que Durruti allait prononcer à Radio CNT-FAI, et qui allait être diffusé à travers toute l’Espagne par les stations radio de Barcelone. Ce même jour, la presse annonçait l’entrée de quatre anarchistes dans le gouvernement de Madrid : Federica Montseny, Juan García Oliver, Juan Lopez et Joan Peiró. La colonne Durruti n’avait pas réussi à prendre Saragosse à cause des difficultés d’approvisionnement en armements. Durruti avait tout essayé, avec les moyens à sa disposition, pour obtenir des armes. Il avait même envoyé un détachement de miliciens, début septembre, dans une expédition punitive à Sabadell pour qu’on leur livre les armes qui avaient été stockées en vue de la formation d’une colonne Sabadell qui ne s’était jamais constituée. De plus, le 24 octobre, le gouvernement décrétait la militarisation des milices. Amis comme ennemis attendaient avec intérêt ce qu’allait dire Durruti.

Image

Avant l’allocution, les gens se regroupaient à proximité des haut-parleurs installés dans les arbres des ramblas qui transmettaient habituellement des chansons révolutionnaires, de la musique et les informations. Partout où il y avait une radio à Barcelone, on attendait avec impatience que le présentateur annonce : « Durruti parle. »

Le décret de militarisation avait été discuté passionnément au sein de la colonne Durruti, qui avait décidé de le refuser car il ne pouvait améliorer les conditions de lutte des miliciens volontaires du 19 juillet 1936, ni résoudre le manque chronique d’armements. La colonne niait le besoin d’une discipline de caserne à laquelle elle opposait la supériorité de la discipline révolutionnaire : « Miliciens, oui ; soldats, jamais. »

Durruti, en tant que délégué de la colonne, fit part dans son discours de l’indignation et des protestations des miliciens du front d’Aragon face au cours clairement contre-révolutionnaire qui se frayait un passage à l’arrière. Le discours de Durruti fut radiodiffusé à 21 h 30.

« Travailleurs de Catalogne : je m’adresse au peuple catalan, à ce peuple généreux qui, il y a quatre mois, a su briser la tentative de la soldatesque qui voulait l’écraser sous ses bottes. Je vous apporte le salut des frères et compagnons qui luttent sur le front d’Aragon à quelques kilomètres de Saragosse, avec, en vue, les tours de la Pilarica 2.

Malgré la menace qui pèse sur Madrid, il faut tenir compte de ce qu’il y a tout un peuple debout que rien au monde ne pourra faire reculer. Nous résisterons sur le front d’Aragon aux hordes fascistes, et nous nous adressons à nos frères de Madrid pour les exhorter à la résistance, car les miliciens de Catalogne sauront accomplir leur devoir, comme lorsqu’ils se lancèrent dans les rues de Barcelone pour écraser le fascisme. Les organisations ouvrières ne doivent pas oublier le devoir impérieux que leur dictent les circonstances actuelles. Au front dans les tranchées, il n’y a qu’une seule pensée, un seul objectif : écraser le fascisme.

Nous demandons au peuple de Catalogne d’en finir avec les intrigues et les luttes intestines : soyez à la hauteur des circonstances ; renoncez aux vieilles querelles et à la politique pour ne penser qu’à la guerre. Le peuple de Catalogne a le devoir de répondre aux efforts de ceux qui luttent au front. Il n’y a pas d’autre moyen que de mobiliser tout le monde, mais qu’on ne s’imagine pas qu’on va toujours mobiliser les mêmes ! Si les travailleurs de Catalogne assument la tâche de tenir le front, le moment est venu d’exiger aussi le sacrifice de ceux qui vivent dans les villes. Il est nécessaire de mobiliser effectivement tous les travailleurs de l’arrière, parce que nous, qui sommes déjà au front, nous voulons savoir sur quels hommes nous pouvons compter derrière nous.

Je m’adresse aux organisations pour leur demander de renoncer à leurs vieilles querelles et à leurs crocs-en-jambe. Nous, les combattants du front, nous demandons de la sincérité, surtout à la Confédération nationale du travail et à la Fédération anarchiste ibérique. Nous demandons aux dirigeants d’être sincères. Il ne suffit pas qu’ils nous envoient au front des lettres d’encouragement, des vêtements, de la nourriture, des munitions et des fusils. Il faut également savoir regarder la réalité présente et prévoir l’avenir. Cette guerre comporte toutes les circonstances aggravantes de la guerre moderne et coûte très cher à la Catalogne. Les dirigeants doivent se rendre compte que, si cette guerre se prolonge, il va falloir commencer par organiser l’économie catalane selon un plan rationnellement conçu. Je ne suis pas disposé à écrire d’autres lettres pour que les camarades ou le fils d’un milicien puissent manger un bout de pain ou boire un verre de lait alors qu’il y a des conseillers 3 qui mangent et qui dépensent sans compter. Nous nous adressons à la CNT-FAI pour lui dire que si elle contrôle l’économie catalane en tant qu’organisation, elle doit le faire comme il faut. Et que personne ne songe maintenant à des augmentations de salaire aussi et à des réductions des heures de travail. Le devoir de tous les travailleurs, et spécialement de ceux de la CNT, est de se sacrifier, de travailler autant qu’il sera nécessaire.

S’il est vrai qu’on lutte pour quelque chose de supérieur, les miliciens vont vous le démontrer, eux qui souvent rougissent lorsqu’ils voient les souscriptions faites dans la presse en leur faveur, quand ils voient ces affiches demandant des secours pour eux. Ils sourient parce que, quand les avions fascistes leur lancent des journaux, ils y trouvent des souscriptions et des appels identiques. C’est pour cela que nous vous disons que nous ne sommes pas des mendiants, et que par conséquent nous n’acceptons la charité sous aucun prétexte. Le fascisme représente et est, en effet, l’inégalité sociale, et si vous ne voulez pas que ceux qui luttent vous confondent, vous à l’arrière, avec nos ennemis, accomplissez votre devoir. La guerre que nous menons actuellement est faite pour écraser l’ennemi au front, mais, est-il le seul ennemi ? Non. L’ennemi, c’est aussi celui qui s’oppose aux conquêtes révolutionnaires, qui se trouve parmi nous, et que nous écraserons également.

Si vous voulez supprimer le danger, il faut former un bloc de granit. La politique est l’art des croche-pieds, l’art de vivre (comme des fainéants), et il faut le remplacer par l’art du travail. Le moment est venu d’inviter les organisations syndicales et les partis politiques à en finir une bonne fois pour toutes avec ces procédés. À l’arrière, on doit savoir administrer. Nous qui sommes au front, nous voulons avoir derrière nous des responsables et des garanties, et nous exigeons que ce soient les organisations qui veillent sur nos compagnes et nos enfants.

Si cette militarisation décrétée par la Généralité est faite pour nous intimider et nous imposer une discipline de fer, on se trompe. Conseillers [ministres], vous vous trompez avec le décret de militarisation des milices. Puisque vous parlez de discipline de fer, je vous invite à monter au front avec moi. C’est là que nous sommes, nous qui n’acceptons aucune discipline, car nous sommes conscients de notre devoir. Et vous constaterez quels sont notre ordre et notre organisation. Ensuite, nous viendrons à Barcelone et nous vous interrogerons sur votre discipline, votre ordre et votre maîtrise, qui vous font défaut.

Soyez tranquilles. Il n’y a au front ni chaos ni indiscipline. Chacun de nous a conscience de ses responsabilités, parce que nous savons le trésor que vous nous avez confié. Dormez tranquilles. Mais nous avons quitté la Catalogne en vous confiant la direction de l’économie. Prenez vous aussi vos responsabilités, disciplinez-vous. Il ne faut pas que, par incompétence, naisse une autre guerre civile entre nous, après la guerre actuelle.

Si chacun pense que son parti est le plus puissant pour imposer sa politique, il se trompe, parce que nous devons faire front à la tyrannie fasciste en opposant une seule force, une seule organisation, avec une discipline unique.
Pour rien au monde les tyrans fascistes ne passeront là où nous sommes. C’est la consigne du front. Nous leur disons : “Vous ne passerez pas !” À votre tour de crier : “Ils ne passeront pas !” »

Plusieurs heures après l’avoir écouté, on continuait de commenter le discours de Durruti, lequel avait été prononcé avec son énergie habituelle et toute son intégrité. Les paroles de Durruti résonnaient avec force et émotion dans la nuit barcelonaise, incarnant la pensée authentique de la classe ouvrière. C’était un cri d’alarme qui rappelait aux travailleurs leur condition de militants révolutionnaires. Durruti ne reconnaissait pas de dieux chez les autres, pas plus qu’il n’était lui-même un dieu pour la classe ouvrière. La révolution dure jusqu’à ce qu’elle soit corrompue par les imbéciles. Durruti n’était ni vaniteux ni bête, pas plus que ceux qui luttèrent avec lui, pour la plupart compagnons militants, anarchistes confirmés. Durruti affirmait que les miliciens qui affrontaient le fascisme sur les champs de bataille n’étaient pas disposés à ce que quiconque escamote le contenu révolutionnaire et émancipateur de leur combat : on ne luttait pas pour la république ou la démocratie bourgeoise, mais pour le triomphe de la révolution sociale et l’émancipation du prolétariat.

Dans tout son discours, il n’y eut aucune phrase démagogique ou rhétorique. C’était des coups de fouet pour ceux d’en haut et ceux d’en bas. Pour les ouvriers et pour les pontifes cénétistes paressant dans des centaines de postes à responsabilité, pour les citoyens de base et pour les conseillers de la Généralité ou les ministres anarchistes flambant neufs. Une diatribe contre les déviations bureaucratiques de la révolution et une condamnation de la politique du gouvernement, avec ou sans confédérés en son sein. À l’arrière, on confondait encore lamentablement devoir et charité, administration et commandement, fonction et bureaucratie, responsabilité et discipline, accord avec la décision et le « j’ordonne et je commande ».

Ses paroles adressées à ses frères de classe avaient toute la valeur d’un testament révolutionnaire. Testament et non proclamation car il s’agissait, dans son cas, d’une mort annoncée. Le 20 novembre 1936 4, une balle perdue – ou pas – faucha sa vie sur le front de Madrid. Mais il fallait tuer Durruti deux fois. Un an après, lors de la commémoration de l’anniversaire de sa mort, la toute puissante machine de propagande du gouvernement stalinien de Negrín travailla à plein régime pour lui attribuer la paternité d’un slogan, inventé à l’origine par Ilya Ehrenburg 5 et cautionné ensuite par la bureaucratie des comités supérieurs de la CNT-FAI, slogan qui lui faisait dire le contraire de ce qu’il avait toujours dit et pensé : « Nous renonçons à tout sauf à la victoire. » C’était faire croire que Durruti renonçait à la révolution. Il ne nous reste même pas une version complète et fidèle de son discours, radiodiffusé le 4 novembre 1936, parce que la presse anarchiste de l’époque voulut atténuer ses propos et censura Durruti de son vivant.

Une fois mort, Durruti pouvait devenir Dieu.

Agustín Guillamón


1. La Barcelona rebelde, éditions Octoaedro, 2003.
2. Cathédrale de Saragosse.
3. Conseiller (conseller) dans la Généralité (gouvernement catalan) est l’équivalent de ministre dans le gouvernement central espagnol.
4. En fait, le 19 novembre. Durruti succomba à sa blessure le lendemain, 20 novembre.
5. Écrivain et journaliste russe. Correspondant des Izvestia pour couvrir la guerre civile espagnole.
"Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs." (N. Makhno)
Image
Avatar de l’utilisateur
vroum
 
Messages: 6910
Inscription: Mar 22 Juil 2008 23:50
Localisation: sur les rails


Retourner vers Histoire de l'anarchisme

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 26 invités