Robespierre

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Robespierre

Messagede Protesta le Lun 19 Aoû 2013 05:44

Bon Henri Guillemin je sais pas ce qu il vaut comme historien, mais son travail d historien sur Robespierre est me semble t il séduisant.



http://www.youtube.com/watch?v=XiM74n8I2Gc




http://www.youtube.com/watch?v=jVNut817OTQ
"Salut Carmela, je suis chez FIAT! Je vais bien... Si,Si, nous pouvons parler tranquillement, c'est Agnelli qui paye!"
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Re: Robespierre

Messagede M(A)TT le Sam 7 Déc 2013 15:45

Il sait bien se faire écouter ce monsieur ! Comme toi, je ne sais pas si il est vraiment rigoureux comme historien.
Il est certainement très Intéressant, pour moi, son approche matérialiste lorsqu'il dévoile les intérêts personnels et de classe en jeu dans la révolution et ses protagonistes, par exemple, en soulignant bien la Loi Chapelier.
Je l'ai trouvé moins bavard sur les responsabilités politiques de Robespierre ou sur les Enragés, dont il dit apprécier J. Roux.
Par contre, j'ai entendu sa conférence sur Lénine et il a été plus ouvertement critique envers les responsabilités politiques de Lénine dans la mise en place d'un système totalitaire...
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Re: Robespierre

Messagede rastanar le Sam 7 Déc 2013 18:27

Chouette !,un cours d'histoire,je sens que ça va m'intéresser,mater ça peinard !. :wink: :^^:
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Re: Robespierre

Messagede M(A)TT le Lun 9 Déc 2013 01:39

Kropotkine à propos de l'opportunisme de Robespierre, de sa position de classe et contre-révolutionnaire, extrait de son livre La Grande Révolution

[...] On parlait, au sein du peuple, d'"égalisation des fortunes". Les paysans qui ne possédaient que de méchants lopins de terre, et les ouvriers des villes, réduits au chômage, se hasardaient à affirmer leur droit à la terre. On demandait dans les campagnes que personne ne pût posséder une ferme de plus de 120 arpents, et dans les villes on disait que quiconque désire cultiver la terre doit avoir droit à tant d'arpents.
La taxe sur les subsistances pour empêcher l'agiotage sur les objets de première nécessité, des lois contre les accapareurs, l'achat municipal des subsistances qui seraient livrées aux habitants au prix de revient, l'impôt progressif sur les riches, 'l'emprunt forcé et enfin de lourdes taxes sur les héritages, tout cela était discuté par le peuple, et ces idées pénétraient aussi dans la presse. L'unanimité même avec laquelle elle se manifestaient chaque fois que le peuple remportait une victoire, soit à Paris, soit dans les provinces, prouve que ces idées circulaient largement au sein des déshérités, alors même que les écrivains de la Révolution n'osaient pas trop les afficher. "Vous ne vous apercevez donc pas, disait Robert dans les Révolutions de Paris,en mai 1791, que la Révolution française, pour laquelle vous combattez, dites-vous, en citoyen, est une véritable loi agraire mise à exécution par le peuple ? Il est rentré dans ses droits. Un pas de plus, il rentrera dans ses biens..." (cité par Aulard, p. 91.)
On devine la haine que ces idées provoquaient chez les bourgeois qui se proposaient de jouir maintenant à leur aise des fortunes acquises, ainsi que de leur nouvelle situation privilégiée dans l'État. On peut en juger par les fureurs qui furent soulevées en mars 1792, lorque l'on apprit à Paris que le maire d'Étampes, Simonneau, venait d'être tué par les paysans. Comme tant d'autres maires bourgeois, il faisait fusiller sans autre forme de procès les paysans révoltés, et personne ne disait rien. Mais lorsque les paysans affamés, qui demandaient que l'on taxât le pain, tuèrent enfin ce maire de leurs piques, il fallut entendre le chorus d'indignation soulevé par cet incident dans la bourgeoisie parisienne.
"Le jour est arrivé où les propriétaires de toutes les classes doivent sentir enfin qu'ils vont tomber sous la faux de l'anarchie", gémissait Mallet du Pan dans son Mercure de France; et il demandait la "coalition des propriétaires" contre le peuple, contre les brigands, les prédicateurs de la loi agraire. Tous se mirent alors à pérorer contre le peuple, Robespierre comme les autres. C'est à peine si un prêtre, Dolivier, osa élever la voix en faveur des masses et affirmer que "la nation est réellement propriétaire de son terrain". "il n'y a pas de loi, disait-il, qui puisse, en justice, forcer le paysan à ne pas manger à sa faim, tandis que les serviteurs et même les animaux des riches ont ce qu'il leur faut."
Quant à Robespierre, il s'empressa de déclarer que "la loi agraire n'est qu'un absurde épouvantail présenté à des hommes stupides par des hommes pervers." Et il repoussa d'avance toute tentative que l'on essayerait de faire pour "l'égalisation des fortunes". Toujours soucieux de ne jamais dépasser l'opinion de ceux qui représentaient la force dominante à un moment donné, il se garda bien de se ranger à côté de ceux qui marchaient avec le peuple et comprenaient que seules les idées égalitaires et communistes donneraient à la Révolution la force nécessaire pour achever la démolition du régime féodal.
Cette peur du soulèvement populaire et de ses conséquences économiques poussait aussi la bourgeoisie à se rallier de plus en plus autour de la royauté et à accepter telle quelle la constitution sortie des mains de l'Assemblée constituante, avec tous ses défauts et ses complaisances pour le roi. Au lieu de progresser dans la voie des idées républicaines, la bourgeoisie et les "intellectuels" évoluaient dans un sens contraire. Si en 1789, dans tous les actes du tiers état, on voit percer un esprit décidément républicain, démocratique, maintenant, à mesure que le peuple manifestait ses tendances communistes et égalitaires, ces mêmes hommes devenaient défenseurs de la royauté, tandis que les francs républicains, comme Thomas Paine et Condorcet, représentaient une infime minorité parmi les gens instruits de la bourgeoisie. A mesure que le peuple devenait républicain, les "intellectuels" rétrogradaient vers la royauté constitutionnelle.
Le 13 juin 1792, huit jours à peine avant l'invasion des Tuileries par le peuple, Robespierre tonnait encore contre la République. "C'est en vain, s'écriait-il à cette date, que l'on veut séduire les esprits ardents et peu éclairés par l'appât d'un gouvernement plus libre et par le nom d'une république  : le renversement e la Constitution dans ce moment ne peut qu'allumer la guerre civile, qui conduira à l'anarchie et au despotisme."
Craignait-il l'établissement d'une république aristocratique, comme Louis Blanc le fait supposer ? C'est possible ; mais il nous semble plus probable que, resté jusque-là défenseurs décidé de la propriété, il craignait à ce moment, comme presque tous les Jacobins, les fureurs du peuple, ses tentatives de "nivellement des fortunes" ("d'expropriation", dirions-nous aujourd'hui). Il craignait de voir sombrer la révolution dans des tentatives communistes. Toujours est-il qu'à la veille même du 10 août, à un moment où toute la Révolution, inachevée, arrêtée dans son élan et assaillie par mille conspirations, était remise en question, et que rien ne pouvait la sauver, sauf le renversement de la royauté par un soulèvement populaire, Robespierre, comme tous les Jacobins, préférait maintenir le roi et sa cour, plutôt que de risquer un nouvel appel à la fouge révolutionnaire du peuple. Tout comme les républicains italiens et espagnols de nos jours, qui préfèrent un retour à la monarchie aux risques d'une révolution populaire, parce que celle-ci, nécessairement, s'inspirerait de tendances communistes.
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Re: Robespierre

Messagede ENJOLRAS le Mar 10 Déc 2013 22:10

Non mais !!!!
Nous sommes encore capable de nous livrer à nos propres analyses sans citer un de nos mentors à penser j'espère ????
Car ils sont morts !!! à nous d ' écrire les luttes à venir !
:gun:
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Re: Robespierre

Messagede Lehning le Mer 11 Déc 2013 02:00

Bonsoir !

Enfin, bon, si j'ai bien tout compris, Robespierre était tout... sauf anarchiste.

Salutations Anarchistes !
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Re: Robespierre

Messagede M(A)TT le Mer 11 Déc 2013 13:23

ENJOLRAS a écrit:Non mais !!!!
Nous sommes encore capable de nous livrer à nos propres analyses sans citer un de nos mentors à penser j'espère ????
Car ils sont morts !!! à nous d ' écrire les luttes à venir !
:gun:


Tu sais, s'agissant ici d'Histoire de l'anarchisme on risque de devoir parler de quelqu'un qui est déjà mort :idea:

Maintenant, l’intérêt de relire des chapitres d'histoire concernant des révolutions passées, qui n'ont pas été anarchistes, pourrait bien être celui de comprendre comment un pouvoir politique a su exploiter la force révolutionnaire des classes populaires et remplacer le vieux pouvoir.
Les buts? Multiples, aux choix : étudier pour le plaisir d'étudier ou alors pour éviter que cela se passe à nouveau comme ça a été, lorsqu'on écrira de luttes à venir.

Entre parenthèses, on pourrait ouvrir le débat sur le caractère anarchiste ou pré-anarchiste de certaines luttes sociales ou des prises de position des Enragés (Varlet ou Roux par exemple) comme il l'ont signalé D. GUERIN ou, plus récemment C. GUILLON. Mais cette discussion s'intitule "Robespierre", qu'on vient avec beaucoup d'étonnement de découvrir qu'il n'est point anarchiste. :P
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Re: Robespierre

Messagede vroum le Mer 11 Déc 2013 13:58

Maréchal vous connaissez !?

La mise à mort de l’autorité : Sylvain Maréchal et la légion des tyrannicides

http://www.monde-libertaire.fr/portraits/16729-la-mise-a-mort-de-lautorite-sylvain-marechal-et-la-legion-des-tyrannicides

Sylvain Maréchal (1750-1803) pourrait bien être le seul véritable anarchiste de la Révolution française. Connu pour sa participation en 1796 à la Conjuration des égaux de Babeuf, dont il rédige le manifeste, il est l’un des rares penseurs de l’époque dont l’œuvre pose les bases – de façon parfois tâtonnante – des théories libertaires. Ce n’est donc pas un hasard s’il fut adoubé en ce sens par plusieurs figures de notre mouvement. Kropotkine discerne chez lui « une vague aspiration vers ce que nous appelons aujourd’hui le communisme anarchiste » 1, tandis que Nettlau considère qu’il « formula un anarchisme très clairement raisonné, bien que sous la fiction de la vie heureuse d’un état pastoral archaïque » 2. De plus, sur un plan politique, son influence se fait ainsi sentir dès l’été 1841 : il inspire le groupe communiste libertaire organisé autour de l’éphémère journal L’Humanitaire. Pour l’historien marxiste Maurice Dommanget, les idées de Maréchal servent alors de modèle sous la monarchie de Juillet pour diffuser la pensée anarchiste dans les milieux d’extrême gauche 3.

Ses idées, justement, quelles sont-elles ? Son athéisme intransigeant a retenu l’attention de Guérin. Celui-ci voit en Maréchal l’un des meneurs, avec son ami Chaumette – chef de file des ultra-révolutionnaires surnommés les « Exagérés » –, de la campagne de déchristianisation qui culmine en 1793 et symbolise la dynamique révolutionnaire. Contestant l’existence de Dieu, qu’il considère comme une création humaine, Maréchal est du côté des penseurs matérialistes les plus radicaux. Alors même que Robespierre et les déistes affirment avec cynisme que la religion est essentielle au maintien de l’ordre social – puisque sans elle, selon eux, le peuple n’a plus de raison de se soumettre au pouvoir –, il est le partisan acharné d’une morale laïque qui échappe à la superstition. C’est d’ailleurs précisément l’échec de cette poussée athéiste, violemment combattue par les jacobins au plus fort de la Terreur, qui marque, selon Guérin, le vrai coup d’arrêt de la Révolution 4.

Image

Mais si Maréchal peut être déclaré anarchiste, c’est surtout pour deux autres thèmes centraux de son œuvre qui sont le rejet de l’État, exprimé au nom de l’égalité entre les hommes, et la volonté de lutter sans concession contre l’autoritarisme. Parmi les révolutionnaires de son temps, il se démarque en systématisant le rejet des gouvernants tel qu’on le trouve de façon sporadique chez Marat. Un peu à la manière de Rousseau, il évoque avec nostalgie un âge d’or égalitaire perdu, antérieur à la société, sous lequel les rapports de domination et la propriété n’existaient pas. Selon une formule récurrente dans ses textes, il rêve, en 1788, dans ses Apologues modernes à l’usage du Dauphin, d’un temps « où il n’y avait sur la terre ni maîtres, ni valets, ni souverains, ni sujets » 5. La naissance de l’État, l’apparition des lois et le monde politique en général sont autant d’étapes du processus de décadence qui mène aux distinctions sociales, à l’inégalité et à la confiscation du pouvoir par une minorité.

Cette utopie, perçue à la fois comme un passé lointain et un idéal à rebâtir, permet à Maréchal de faire la critique virulente des gouvernements. Il réclame la disparition de l’état et en appelle à son autodissolution : dans les Apologues modernes, il imagine un roi qui, constatant avec lucidité le caractère néfaste et superflu de sa fonction, décide de rassembler ses sujets pour leur annoncer son départ et la restitution du pouvoir entre leurs mains. C’est la même logique qui le pousse, en 1791, dans Dame Nature, à la barre de l’Assemblée nationale, à exhorter avec aplomb les députés à ne pas simplement proclamer la liberté, mais à œuvrer pour l’égalité réelle, absolue, donc à ne pas se relâcher tant que l’État n’aura pas été aboli. Il sent alors que la révolution s’essouffle et que ses chefs oublient trop vite que la fin de l’aristocratie ne signifie en aucun cas la disparition des injustices sociales.

Deux ans plus tard, en 1793, sa déception englobe cette fois la République. Il s’aperçoit que le changement de gouvernants n’a produit que des réformes superficielles. Dans Correctifs à la révolution, il compare dès lors la succession des régimes à des attaques incessantes de brigands qu’il faut repousser une à une : quelle que soit la forme de l’État, elle est toujours source de domination et génère les mêmes inégalités 6. Face à cette impasse, puisque la révolution se contente de substituer un despotisme à un autre, les individus doivent résister au sentiment patriotique – qui est une chimère – et quitter la société : tout homme devrait avoir le droit de se séparer de celle-ci pour vivre selon ses goûts et ses propres lois. Anticipant le rejet anarchiste de tous les types de gouvernement (peu importe qu’ils soient républicains plutôt que monarchiques), Maréchal défend donc aussi le droit de sécession, la liberté de se détacher de ceux dont on réprouve les valeurs ou le mode d’organisation.

Reste que le modèle idéal qu’il échafaude en guise d’utopie peut laisser perplexe. Maréchal, en effet, prône la disparition du corps social au profit d’un communisme agraire (les terres sont collectives) fondé sur la famille et placé sous égide patriarcale. En soi, l’aspect pastoral du projet se comprend. Il s’agit du même élan idéaliste de retour à la nature et à l’authenticité rurale que celui des Narodniki russes du siècle suivant. Et la volonté de dissoudre la société – dont l’ampleur démographique rend inévitable l’apparition d’un gouvernement – préfigure l’idée anarchiste d’une organisation dont l’unité de base (la commune) est la plus restreinte possible. Plus douteuse cependant est la place centrale donnée au père de famille, dont la tutelle supposée « bienveillante » s’étend sur une communauté d’individus liés par le sang 7. Sans oublier le côté terriblement misogyne de ce système : pour que les femmes se cantonnent au rôle de gardienne du foyer familial, Maréchal leur refuse toute activité politique et va jusqu’à demander qu’on leur interdise d’apprendre à lire. L’intérêt de son œuvre, par ailleurs indéniable, connaît ici une sérieuse limite 8.
Mais un second thème clé mérite chez lui une attention particulière : le rejet de l’État l’incite à développer un anti-autoritarisme intraitable qui, malgré sa violence, ne peut qu’interpeller les anarchistes. Fin 1790, il écrit dans Révolutions de Paris – journal à la pointe des exigences révolutionnaires – deux articles retentissants consacrés à la pratique antique du tyrannicide 9. Fasciné (comme Robespierre et Saint-Just) par la sacralisation gréco-romaine du meurtre politique et par des figures telles que Scevola ou Brutus, il défend la légitimité de l’assassinat des despotes. Il en appelle alors à créer une « légion de tyrannicides » lancée contre les rois. Formée d’une centaine de volontaires armés de pistolets et de poignards, elle serait envoyée dans toute l’Europe pour terroriser les monarques, mettre fin brutalement à leur règne et abattre les généraux ennemis. Maréchal, à la manière d’un Marat, estime que la mort d’une poignée d’individus permettrait d’en sauver des milliers.

Est-ce là le délire d’un rêveur égaré en politique et prompt au fanatisme ? Dans le climat de la Révolution française, nombreux sont ceux qui se voient en héritiers des citoyens athéniens ou romains pour qui tuer un tyran était un acte glorieux. Mieux, dans la fièvre républicaine et antimonarchique qui s’empare de Paris après l’insurrection populaire du 10 août 1792, l’idée est très sérieusement reprise par le député Jean Debry : il demande à l’Assemblée législative la formation d’un corps de 1 200 tyrannicides voués à affronter au corps à corps les souverains en guerre contre la France. Suscitant l’exaltation d’une partie de l’auditoire, puis soutenue par une pétition issue de sections révolutionnaires parisiennes, la proposition est d’abord votée avant d’être enterrée sous la pression hostile des Girondins.

Malgré son aspect irréaliste, le projet de Maréchal a bel et bien trouvé un écho favorable dans une frange de l’opinion. Mais le plus intéressant est la réponse qu’il donne dès 1790 à ceux qui lui rétorquent que rien n’empêcherait les rois européens d’envoyer en retour leurs propres tueurs pour éliminer les chefs révolutionnaires. Selon lui, « de cet inconvénient grave, il résulterait du moins cet avantage […] que les grandes places, les hauts rangs, deviendraient des postes moins courus » 10. Le résultat ne serait donc pas si néfaste s’il s’agit de faire peser une menace constante sur ceux qui, en France comme ailleurs, briguent les fonctions d’État et cèdent au « penchant pour la domination » que Maréchal déplore chez les hommes. En filigrane se dessine un monde où l’autorité est continuellement inquiétée ; où fourmillent des assassins voués à traquer sans relâche les apprentis despotes pour les éliminer ; où accaparer le pouvoir est un risque mortel. Et dans ce monde-là, les poignards des tyrannicides seraient « promenés dans tous les carrefours des principales villes de France » 11 pour rappeler à tous le prix à payer lorsqu’on rompt l’égalité pour asservir les autres hommes.

Bien entendu, l’intérêt ne réside pas, ici, dans la généralisation des assassinats, mais dans ce qu’elle symbolise : la recherche d’une méthode pour immuniser enfin la société contre le désir de supériorité sociale. Cette idée prend plusieurs formes chez Maréchal. En 1799, dans ses Voyages de Pythagore, il raconte l’histoire du peuple des Ausones, vivant près du Vésuve et si soucieux de préserver l’égalité qu’il décide de jeter dans le volcan tous les ambitieux, tous les « mortels assez audacieux pour se dire des géants parmi les égaux » 12. La méfiance envers le pouvoir et les inégalités aboutit à l’instauration d’un rite destiné à purger régulièrement la société de ses chefs. Comme dans le cas des tyrannicides, la violence du procédé peut sans doute choquer. Elle appartient certainement à une autre époque. Mais malgré ce côté excessif, Maréchal délivre un message clair aux anarchistes : l’homme ne perdra jamais son goût de la domination ; dès lors, une société égalitaire, sans maîtres, sans hiérarchie, ne survivra qu’en inventant ses propres modes de dissuasion des dérives autoritaires. Jour après jour, à sa façon, pour continuer à exister, elle devra être tyrannicide.

Erwan
Groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste

1. Pierre Kropotkine, La Grande Révolution, Paris, P.-V. Stock, 1909, p. 629.
2. Max Nettlau, Histoire de l’anarchie, Éditions du Cercle, 1971, p. 28.
3. Maurice Dommanget, Sylvain Maréchal, l’égalitaire, Paris, Spartacus, 1950, p. 423. L’Humanitaire était publié par Gabriel Charavay, un communiste antiautoritaire. Ce journal ne dura que deux numéros avant d’être interdit.
4. Daniel Guérin, La Lutte de classes sous la première république, t. 1, Paris, Gallimard, 1946, p. 410-421.
5. Apologues modernes à l’usage du Dauphin, Bruxelles, 1788, Leçon XLIII, p. 47-48. Le Manifeste des Égaux qu’il écrit huit ans plus tard comporte cette formule : « Disparaissez enfin, révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés. »
6. Correctifs à la révolution, Paris, Cercle social, 1793, p. 96.
7. Loin d’être farfelu, Maréchal s’inspire en fait de modèles existant à l’époque (notamment celui de la « famille communautaire » des Quittard-Pinon) et considérés comme un proto-socialisme du XVIIIe siècle. Voir Maurice Dommanget, op. cit., p. 243-245.
8. Cela ne l’empêche pas d’être favorable au divorce, refusant que la femme soit en position d’infériorité au sein du couple. Voir Françoise Aubert, Sylvain Maréchal : passion et faillite d’un égalitaire, Pisa, Goliardica, 1975, p. 70-71.
9. Révolutions de Paris, n° 74, 1790, p. 445-455 et n° 77, 1790-91, p. 615-627.
10. Ibid., p. 622.
11. Ibid., p. 619.
12. Voyages de Pythagore, t. 5, Paris, Deterville, 1799, p. 38-39.
"Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs." (N. Makhno)
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Re: Robespierre

Messagede M(A)TT le Mer 11 Déc 2013 21:17

Pas moi, merci pour l'article.
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