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Messagede René le Jeu 1 Nov 2012 19:02

Dans la rubrique «il est parfois intéressant de savoir ce que les autres pensent de vous», j’ai trouvé sur un blog anarchiste anglo-saxon nommé «anarchistblackcat» [disparu depuis], dans une discussion sur le Manifeste du communisme libertaire de Georges Fontenis, un commentaire extrêmement intéressant, écrit par un Français mais rédigé en anglais, que je joins ici, traduit en français.
Le texte a été écrit en 2008 par un militant d’AL, ancien de la FA.

René


Re: "Manifesto of Libertarian Communism" by George Fontenis
« Reply #19 on: March 14, 2008, 02:27:00 PM »

Je n'ai jamais lu le Manifeste [il s’agit du Manifeste du communisme libertaire de Georges Fontenis. Note du traducteur], mais je voudrais dire quelques mots dans ce débat en tant qu’ancien militant de la FA (9 ans) et maintenant militant d’AL (moins d’un an).
Ce débat entre Fontenis et FA est un vieux débat, qui avait divisé le mouvement libertaire en France depuis des décennies. Heureusement je pense (en France au moins) que ce débat est en recul ne présente pas une grande utilité aujourd'hui. Pendant de nombreuses années tout débat entre la FA et l’UTCL puis AL a été tout à fait impossible à cause de cette histoire. La FA considérait AL comme des Trots masqués et l’UTCL voyait la FA comme comme des anarchistes désuets.
Pendant que j’étais à la FA j'ai avalé une grande partie du discours de la FA. Et étant désormais dans AL, je vois le décalage entre le discours sur la FA et sa réalité. Il y a beaucoup de malentendus de chaque côté et il est normal que tout groupe construise sa propre identité en partie contre l'autre groupe. Mais les membres de AL ne sont pas des trots et les membres de la FA ne sont pas des vieux anarchistes désuets.
Ce sont des arguments faciles utilisés dans chaque organisation pour éviter les débats.
Néanmoins, ces analyses reflètent des réalités différentes à l'intérieur de chaque organisation, AL est ouvert au marxisme libertaire alors que la FA est plus strictement anarchiste. AL fonctionne facilement avec les organisations non-anarchistes, et en particulier trots comme la LCR, alors que la FA évite plus ou moins ces tactiques. AL est plus une organisation fédérale et travaille plus efficacement au sein des syndicats. La FA est moins fédéralement organisée, mais parvient à être une organisation efficace dans la construction de structures communes comme un hebdomadaire, une radio, une librairie et a de nombreux locaux pour des groupes, pour éditer des livres...
Cette différence est évidente dans leurs sites Web. Celui d’AL est bon, celui de la FA est mauvais, étant le symptôme de sa faiblesse fédérale.
Je ne veux pas être trop long, et je ne veux pas être trop précis sur l'histoire anarchiste française (et je ne suis pas un historien), n'étant plus dans la FA et étant conscient de beaucoup de ses faiblesses (manque d'efficacité de l’organisation fédérale, tendance idéologique à rester dans son "ghetto" anarchiste, son incapacité à surmonter les crises internes). Je voudrais néanmoins souligner ses réalisations et sa force, car pendant des décennies des anarchistes ont critiqué cette "vieille" organisation et l’ont enterrée, mais la plupart du temps, c’est eux qui ont été enterrés avant!
Je suis sceptique sur l'histoire officielle de la FCL par Fontenis. Bien sûr, la répression a été la clé de ses difficultés, mais je ne pense pas que c'est la seule explication. Je pense que les méthodes et les choix de ce coup d'Etat ont également joué une grande part dans la fin de l'organisation. Beaucoup d'anarchistes sont partis, et ils [les fontenistes] n'ont pas réussi à attirer grand monde. La FA qui a été détruite par ce coup d’Etat a repris de la vigueur rapidement.
Mais une conséquence de cette histoire a été l’abandon du vote dans l'organisation et l'adoption du consensus pour éviter de futurs coup d’Etat. C'est la faiblesse actuelle de la FA, qui ne peut pas faire face maintenant aux crises internes et qui voit son efficacité fédérale diminuer !!
Néanmoins, je tiens à souligner la capacité de la FA à être une organisation qui fonctionne. Depuis 1953, elle est restée active, la plus grande organistion anarchiste spécifique à ce jour (même si elle est à son plus bas niveau depuis au moins 20 ans ou plus). En dehors de la CNT qui est un syndicat, aucune autre organisation française n’a eu autant de militants (400-500 pendant de nombreuses années, maintenant de 280 à 300). Mais la FA a plus de problèmes aujourd'hui qu'avant, parce que maintenant il y a deux autres organisations en mesure d'organiser sérieusement le mouvement libertaire, AL et les CGA. Et la FA ne peut pas se régénérer facilement après chaque nouvelle crise, car il y a de la «concurrence», un choix pour les nouveaux militants. Je pense que l'efficacité fédérale d’AL lui permettra de croître dans les années à venir et peut-être à faire mieux que l'ancienne FA.
Ce qui est nouveau et intéressant dans le mouvement anarchiste français, c’est l’insistance mise sur l'organisation, et je pense que cela élargit les possibilités futures.
Je ne suis pas sûr que le Manifeste [de Fontenis] ait beaucoup à voir avec cela.
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Messagede vroum le Jeu 1 Nov 2012 20:56

La FA est moins fédéralement organisée, mais parvient à être une organisation efficace dans la construction de structures communes comme un hebdomadaire, une radio, une librairie et a de nombreux locaux pour des groupes, pour éditer des livres...
Cette différence est évidente dans leurs sites Web. Celui d’AL est bon, celui de la FA est mauvais, étant le symptôme de sa faiblesse fédérale.


Ce passage est contradictoire, la FA est justement l'organisation libertaire qui a le mieux développé ses structures fédérales : Monde libertaire (hebdo, gratuit quinzomadaire et hors-série bimestriel plus site web spécifique), Radio libertaire (plus de 30 ans d'existence, 200 animateurs), des éditions parmi les plus actives du mouvement, une librairie fédérale à Paris et plusieurs librairies de groupe en province...

Le site d'AL n'a rien d'extraordinaire. Le site de la FA relaie à la fois la vie fédérale (communiqués...) mais aussi et depuis plusieurs années, il syndique tous les groupes de la FA possédant des blogs et des sites web, ainsi environ 30 blogs sont syndiqués avec le site fédéral ce qui permet d'afficher automatiquement sur la page d'accueil du site fédéral les articles des groupes. A ce titre le site de la FA, qui reste largement perfectible, est peut être le plus fédéraliste des sites web parce qu'il est le seul à syndiquer automatiquement les sites des groupes.

Je ne veux pas être trop long, et je ne veux pas être trop précis sur l'histoire anarchiste française (et je ne suis pas un historien), n'étant plus dans la FA et étant conscient de beaucoup de ses faiblesses (manque d'efficacité de l’organisation fédérale, tendance idéologique à rester dans son "ghetto" anarchiste, son incapacité à surmonter les crises internes).


Là aussi je ne suis pas d'accord, la FA a connu de nombreuses crises et tensions au cours de son histoire et elle les a toujours surmonté bien au contraire. Sur le pseudo manque d'efficacité de l'organisation fédérale de la FA, j'aimerais savoir en quoi l'organisation fédérale des autres orgas libertaires est plus efficace. Si cela est le cas, je pense que cela se saurait et que cela se verrait.
Enfin sur la question du "ghetto", la FA est une organisation qui fédère de multiples tendances anarchistes, son journal est ouvert très largement à des non-adhérents et la très large majorité des animateurs de radio libertaire ne sont pas adhérents. Dans l'ensemble les oeuvres de la FA sont très largement ouvertes au mouvement libertaire bien au delà des militants de la FA. Les autres orgas libertaires peuvent elles en dire autant ?

Mais une conséquence de cette histoire a été l’abandon du vote dans l'organisation et l'adoption du consensus pour éviter de futurs coup d’Etat.


Quand la FA est née en 1945 le mode de fonctionnement excluait le vote majoritaire, celui a été mis en place en 1950 jusqu'en 1953 quand la FA s'est transformé en FCL. Sur 67 années d'existence la FA a fonctionné seulement 3 ans au vote majoritaire, période qui correspondait à peu près à l'activité de l'OPB, organisation clandestine au sein de la FA créée spécifiquement pour organiser une prise de pouvoir en trafiquant notamment lors des congrès les résultats des votes majoritaires.

Mais la FA a plus de problèmes aujourd'hui qu'avant, parce que maintenant il y a deux autres organisations en mesure d'organiser sérieusement le mouvement libertaire, AL et les CGA. Et la FA ne peut pas se régénérer facilement après chaque nouvelle crise, car il y a de la «concurrence», un choix pour les nouveaux militants. Je pense que l'efficacité fédérale d’AL lui permettra de croître dans les années à venir et peut-être à faire mieux que l'ancienne FA.


Ce doit être pour cela que la FA est passé de 67 groupes et liaisons en 2006 à 107 groupes et liaisons aujourd'hui, enfin bref ce texte du forum anarchist black cat est complètement à côté de la plaque, il relève plus du rêve que de la réalité...
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Messagede René le Ven 2 Nov 2012 00:53

J'ai ouvert ce topic (est-ce la bonne expression ?) pour montrer ce qui est dit de la FA ailleurs, et qu'on ne sait pas forcément, bref, dans la rubrique "il est parfois intéressant de savoir ce que les autres pensent de vous".
Vroum a TOUT 0 FAIT raison de relever les passages défavorables à la FA dans ce texte d’un « transfuge » passé à AL, mais je trouve que le gars qui l’a écrit reste relativement mesuré, tout compte fait.

Je note en particulier

1. Le constat du recul du débat sur Fontenis qui avait divisé le mouvement libertaire, et qui empêchait tout débat entre les deux organisations (ce qui sous-entendrait qu’il est redevenu possible).
2. Le constat de malentendus des deux côtés.
3. L’affirmation que si les militants d’AL ne sont pas des « trots », les militants de la FA ne sont pas « des vieux anarchistes désuets ».
4. La FA est efficace pour construire des « structures communes ».
5. A côté de points considérés comme négatifs, le rédacteur souligne « ses réalisations et sa force », et constate que pendant des décennies on a enterré la FA et que ce sont les enterreurs qui ont disparu…
6. Le rédacteur ne croit pas à l’histoire officIelle de la FCL, IL ne croit pas que sa disparition soit due à la seule répression (ce que confirme un article en deux épisodes parus dans le ML, voir: http://www.monde-libertaire.fr/portrait ... rtaire-1/2)
7. La FA a été détruite par l’épisode Fontenis mais elle a « repris de la vigueur rapidement ».
8. L’auteur du texte souligne « la capacité de la FA à être une organisation qui fonctionne ».

On a presque envie de lui dire : quand est-ce que tu reviens à la FA ? sachant que le texte a été écrit en 2008 et que la FA a, depuis, considérablement progressé.
En effet, pas mal de points négatifs soulignés dans le texte, concernant la FA, ont été réglés.

Il est vrai, comme le souligne Vroum, qu’il y a pas mal de contradictions dans le texte du « transfuge ».
Et il y a pas mal de critiques qui sont dépassées.
Je ne suis pas du tout certain que la FA ait aujourd’hui plus de problèmes qu’avant (mais il est vrai que le texte a été écrit en 2008).

J’ai relevé d’autres textes sur différents sites anarchistes internationaux, dont je rendrai compte.
Il y a des choses assez amusantes, je dois dire.


R.
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Messagede Lehning le Ven 2 Nov 2012 04:29

Bonsoir !

A contrario de ce "transfuge" (on me souffle dans l'oreillette que des ex-FA ayant rejoint AL sont assez rares ; il y a plus d'exemples dans l'autre sens :v: ) je pense que l'histoire de l'OPB (+ connue sous le nom "affaire Fontenis")demeure et perdure d'une façon capitale:
-Premièrement, on en cause toujours presque 60 ans après.
-On sent bien qu'elle est toujours prégnante, peu ou prou, au sein du mouvement anar français.
-Et on n'a certainement pas fini d'en causer !

Car c'est quand même une affaire qui reste énorme ! Fontenis et sa bande (des marxistes libertoïdes en somme.../ de véritables coco-libs n'auraient pas été jusque là !)ont réussi à faire imploser la FA pendant quelques années des années 50 pour finir par se présenter à des élections ! Too much !
On retrouve une certaine continuité idéologique ensuite dans un bouquin de Daniel Guérin "Le marxisme libertaire".
Et puis dans l'ancienne orga UTCL qui est devenue AL.
-Jusqu'au dernier épisode à la disparition de Fontenis. (Article dans le ML et d'AL.)

Sur le fédéralisme libertaire, AL serait + efficient que la FA ? En quoi ? Où çà ? :delirium:

Pour le reste, d'accord avec René et vroum.
Amitiés Anarchistes !
(Pour en savoir +, lisez notamment "L'Hydre de Lerne" de Maurice JOYEUX. certains extraits de cette brochure sont en ligne sur ce forum.)
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Messagede René le Ven 2 Nov 2012 13:19

Je n'ai pas créé cette rubrique pour ressasser l'«affaire Fontenis», qui relève de l'histoire et qui, je le crains, sert peut-être à certains d'alibi pour ne pas tourner la page et pour justifier les positions de repli.
Il faut surtout éviter, selon moi, d'assimiler la question «Fontenis» avec le débat sur le «plateformisme», qui n'ont rien à voir.
Ce qui n'exclut pas d'analyser de manière critique les points de vue qui sont véhiculés sur la FA, dans la mesure où les idées reçues sont souvent coriaces et empêchent un réel dialogue, comme on va le voir ci-dessous.

La perception de la FA et du «synthésisme» par certains plateformistes nord-américains

Il y a eu en mai 2012 sur anarchistblackcat, un forum anglophone de, ou proche du réseau Anarkismo, un échange de vues révélateur entre ce qui semblait être un jeune militant hispanophone (que je nommerai «C.») et un vieux militant anarcho-syndicaliste français. Enfin, «vieux»; je ne sais pas mais il avait l'air d'avoir roulé sa bosse.

Tout commença lorsque le jeune gars qualifia de «merde» un article pourtant extrêmement modéré et pas du tout polémique sur Fontenis paru dans le Monde Libertaire.
(Voir : «Parcours d’un aventuriste du mouvement libertaire», Julien, Le Monde libertaire n° 1604, 16-22 septembre 2010. (http ://www.monde-libertaire.fr/portraits/13723-georges-fontenis-parcours-dun-aventuriste-du-mouvement-libertaire-1/2). — Version anglaise : «Journey of an adventurist of the Libertarian movement», http ://monde-nouveau.net/spip.php?article371)

Trois faits intéressants peuvent être retenus :

1. L’évident culte de la personnalité développé autour de Fontenis.

Je cite :
«Fontenis se battit toute sa vie pour donner consistance au mouvement révolutionnaire sur des lignes libertaires, se battant non contre des “idées” (comme le fit le groupe Joyeux) mais contre le nazisme, le franquisme, l’impérialisme français. Il n’hésita jamais à faire alliance avec d’autres combattants de l’oppression, ni à chercher un moyen risqué de réaliser les objectifs de la révolution sociale, pensant qu’il valait mieux faire des erreurs que de ne rien faire, mais pour certains “anarchos” c’est une aberration. Ils préfèrent éditer des journaux culturels, de la propagande qu’ils sont seuls à lire et parler, parler, parler de choses sans signification. Ils sont très heureux : ils ne “trahiront” jamais. Oui, ils ne changeront jamais la société. Mais cela n’a pas d’importance, bien sûr.»

Entre-temps le site anarchistblackcat semble avoir disparu, je ne peux donc pas donner la référence internet de cette citation, mais j’avais pris la précuation de faire un copier-coller pour mes archives et j’ai conservé la totalité du «dialogue». On aura compris que ceux qui «préfèrent éditer des journaux culturels», etc., c’est la FA.
D’une manière rudimentaire, cette opinion reflète assez bien le point de vue plateformiste sur la Fédération anarchiste.

2. L’image de la Fédération anarchiste véhiculée par certains groupies de Fontenis.

Je cite ce vieux militant anarcho-syndicaliste :
«Une chose qui me stupéfie est l’image que certains anarchistes ont de la FA. Si nous les écoutons (ou si nous les lisons), la FA n’est qu’une bande de sycophantes vaporeux discutant avec langueur du sexe des anges, soulevant des questions qui n’ont aucun lien avec la réalité, publiant des “journaux culturels” destinés à personne d’autre qu’à nous-mêmes, et “causant, causant, causant de choses sans signification”, regardant passivement passer par la fenêtre le monde réel : le nazisme, le franquisme, l’impérialisme français, les exploités, les opprimés, les chômeurs et les sans abri, réduits à de simples “idées”. Et, bien sûr, considérant “l’inorganicité” comme vertu, ce qui est probablement ce que C. désigne comme le prétendu refus de l’organisation par la FA.»

L’inorganicité est l’idée, attribuée aux «synthésistes» et à la FA par certains plateformistes américains, selon laquelle il ne faudrait pas s’organiser.

Le vieil anarcho-syndicaliste conclut en rappelant que ces «anarchistes vaporeux» qui sont opposés à l’organisation ont tout de même réalisé certaines choses, comme un hebdomadaire, une radio, des librairies, etc. «J’aimerais donc que C. m’explique comment diable des gens aussi inconsistants peuvent faire tout cela, sans parler d’organiser une rencontre internationale en 2012.»

3. Le troisième fait révélateur est que le culte de la personnalité est largement fondé sur l’ignorance.

«C.» déclaire ainsi :
«Georges Fontenis a les qualités d’un authentique révolutionnaire social. Il s’est consacré dès sa jeunesse à construire un mouvement révolutionnaire, pensant aux VRAIS problèmes de son temps et de son époque (Le Manifeste communiste libertaire, par exemple, fut écrit pour la FA dans les années 50). “Non conforme” pour le mouvement communiste libertaire et la gauche révolutionnaire au début du XXIe siècle et le renforcement des liens entre ceux qui se battent. Son héritage va perdurer.»

«C.» ignore manifestement que lorsque Non conforme fut publié en 2002, Georges Fontenis était devenu quelque peu encombrant pour Alternative libertaire, l’organisation dont il était censé être un militant «historique». Deux membres éminents de cette organisation écrivirent :
«Hélas, si Georges Fontenis a toujours le souci de “briser les tabous”, il ne le fait pas dans Non conforme avec beaucoup de pertinence. L’exercice tourne ici à la recherche d’une posture iconoclaste qui le plus souvent rate sa cible, quand elle ne se fourvoie pas carrément. Le propos est confus, et ambigu sur certaines questions de société. En fin de compte, Georges Fontenis veut poser des questions non conformes mais la rédaction souvent ambivalente de ses réponses risque de conduire des lecteurs (trices) à des conclusions trop conformes… à l’idéologie dominante.» (Guillaume Davranche et Patrice Spadoni, Alternative libertaire, décembre 2002.)

Le jugement est assez sévère et montre en tout cas que les camarades d’AL ne font pas dans le culte de la personnalité.
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Messagede Cheïtanov le Ven 2 Nov 2012 16:48

N'étant ni un admirateur des plateformistes, ni des synthésistes, je trouve ces textes très intéressants, merci René !

Quelques remarques :

-Cela me sidère toujours que Fontenis soit encore considéré comme un anarchiste dans le milieu...
-J'ai lu l'Hydre de Lerne (et l'ai relu récemment), mais j'ai pas été emballé...
-Si le "vieux anarchosyndicaliste" en est un made in fRance, c'est large : selon la vision bien admise dans cette région du monde, ça veut dire être anarchiste à FO, la CGT, SUD, la FSU ou aux Vignoles (mais pas à la CNT-AIT)
-L'image que l'on donne de la FA est fausse. Bien sûr, il y a des vieux barbus qui ressassent le débat Bakounine/Marx pendant des heures, ou sont spécialistes des anecdotes sur Ferré... ça m'a toujours fait rire. Mais il y a aussi pléthores de groupes qui participent à la lutte des classes (bien que nous n'ayons absolument pas la même vision). Ah et la FA ne rechigne pas à travailler "unitairement" avec d'autres forces, c'est juste que la palme revient à AL !
-Celle d'AL est plus ou moins fausse. Un ancien que j'ai croisé lors de projos m'a dit être parti à cause des trots. Mais AL n'est pas trots, juste social-démocrate radical et autogestionnaire.
-Sur le syndicalisme, on sait que l'UTCL à son dernier congrès, remarquait s'être tellement engagé dedans qu'illes en avaient oublié de développer l'orga. On sait que pour AL, le syndicalisme de lutte est l'avenir. Mais à la FA, et même à la CGA ou No Pas', les positions sont très proches (sauf FO qui n'a d'admirateurs qu'à la FA), excepté la question des permanent-es syndicaux que seule la CGA refuse, tout le monde se retrouve à la CGT, SUD, la FSU ou la CNT v.
-Enfin, pour moi il y a le même culte de Fontenis à AL que de Joyeux à la FA, parfois de Besnard à la CNT-v

Et René, je te conseille d'aller faire un tour sur l'excellent Libcom, les débats sont du niveaux du site !
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Re: Incursions sur les autres forums

Messagede René le Sam 3 Nov 2012 14:57

♦ Comme je l’ai dit au début, je n’ai pas créé cette « rubrique » pour relancer le débat sur l’affaire Fontenis dont je suis persuadé que tout le monde s’en fout, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas l’analyser, y compris en soulignant les carences de la FA de l’époque. Les événements ne sont pas surgis comme ça, ex nihilo. Pour qu’une organisation se fasse noyauter comme l’a été la FA à l’époque, il faut quand même qu’il y ait eu un problème.
L’intervention du dénommé « C. » est survenue après que j’aie traduit en anglais et mis sur monde-nouveau.net l’étude de Julien sur Fontenis, parue en 2 fois dans le ML à l’ocasion du 10e anniversaire de sa mort, je crois.
Le texte de Julien était tout à fait mesuré et tranchait précisément avec les réactions parfois un peu hystériques qu’on peut observer dès qu’on prononce le mot « Fontenis ».
Donc ce « C. » en question a qualifié l’article de Julien de « merde » (« shit », pour ceux qui maîtrisent la langue de Shakespeare et de Lady Gaga), ce qui a provoqué quelques échanges dont je n’ai reproduit qu’une très petite partie.
Mais il faut tenir compte du fait que les interventions sur les forums ne donnent pas forcément une image exacte d’un mouvement (c’est un de mes dadas). Les interventions sur les forums ne reproduisent que le point de vue des gens qui vont sur lesdits forums.
La réaction de « C.», par conséquent, n’est pas forcément représentative de l’ensemble des personnes qui participaient à anarchistblackcat, malheureusement disparu. Elle n’est pas non plus représentative du point de vue de tous les « plateformsistes » américains en général sur la FA. J'ai personnellement d'excellentes relations, amicales et politiques, avec des camarades sud-américains dont les groupes sont membres d'Anarkismo.

♦ Je n’entrerai pas ici dans le débat sur les stratégies diverses et variées des différents groupes libertaires. Là encore : c’est pas pour ça que j’ai créé cette rubrique. Je dirais simplement que les uns et les autres ont peut-être tendance à adopter des stratégies conformes à leur situation objective. Plutôt que de considérer lesdites stratégies comme antagoniques, on pourrait peut-être envisager qu’elles soient complémentaires. Une certaine division du travail pourrait alors être considérée comme une approche réaliste.

♦ Je connais très bien le site libcom et c’est vrai que les débats y sont très intéressants, les intervenants sont respectueux les uns avec les autres ; par ailleurs il y a des infos extrêmement intéressantes sur les luttes, etc. Des camarades de la Fédération anarchiste britannique, membres de l’IFA, y participent régulièrement, nous les avons rencontrés à Saint-Imier.

D’ailleurs, je rendrai prochainement compte, dans la continuité de mon projet, de prises de positions qui se sont exprimées sur Libcomà propos de la FA.
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Re: Incursions sur les autres forums

Messagede vroum le Sam 3 Nov 2012 23:53

René a écrit :
7. La FA a été détruite par l’épisode Fontenis mais elle a « repris de la vigueur rapidement ».


Si la FA s'est reconstruite très rapidement dès 1953 en reprenant le signe abandonné par la FCL et en éditant dorénavant le Monde libertaire, je ne pense pas qu'elle ait « repris de la vigueur rapidement ». La FA a sérieusement accusé le coup et mettra près de 25 ans à retrouver un niveau organisationnel à peu près comparable à sa situation à la fin des années 40 - début des années 50.

Dans les années 50 et 60 la FA sera numériquement assez faible (15 groupes représentés au congrès de 1961), son journal est à son plus bas niveau (1300 numéros vendus par mois), les militants vieillissent et le renouvellement des générations est en panne : http://forum.anarchiste.free.fr/viewtopic.php?f=5&t=1534

Maurice Fayolle tentera d'analyser cette période dans ses "Réflexions d'un militant" (congrès de Vichy de 1956 : http://forum.anarchiste.free.fr/viewtopic.php?f=5&t=1534#p24908) puis quelques années plus tard dans ses "Réflexions sur l'anarchisme" : http://forum.anarchiste.free.fr/viewtopic.php?f=5&t=3999)

C'est à partir de 1977 que la FA dépasse ce traumatisme avec le passage du Monde libertaire du format mensuel à hebdomadaire, et surtout la même année la tenue d'un congrès extraordinaire qui reconnaît enfin la lutte des classes dans les Principes de base : l'anarchisme n'est plus seulement une position d'esprit, celle de l'individu révolté en lutte contre toutes les oppressions mais également une position de classe, le prolétariat en lutte pour son émancipation et l'abolition du salariat : http://www.federation-anarchiste.org/spip.php?rubrique219

En 1981 c'est la naissance de Radio libertaire et le déménagement de la librairie de la rue Terneaux à la rue Amelot. Durant cette période les congrès annuels réunissent de 250 à 300 délégués et la FA connaît un développement relativement important...

Tout ça pour dire que la crise de 1953 a plombé le mouvement libertaire et la FA pendant 25 ans et que durant cette période la faiblesse des anarchistes les a cantonné dans les luttes et dans les événements à un rôle mineur voir négligeable. On ne peut s'empêcher de penser à ce qu'aurait pu être la force et l'influence du mouvement libertaire si l'histoire avait été toute autre... on rejoint là le domaine de l'uchronie voir de la science-fiction...
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Messagede René le Dim 4 Nov 2012 12:54

Avertissement : Comme je l’ai signalé précédemment, les illustrations que je donne concernant « l’image » que peut avoir la Fédération anarchiste auprès de certains militants qui se situent dans l’orbite du « plateformisme » ne reflète que des points de vue individuels.

Les groupes plateformistes situent leurs divergences avec les autres anarchistes dans l’insistance qu’ils mettent sur les questions organisationnelles et stratégiques, sur « l’unité théorique », etc., les autres organisations anarchistes étant réputées ne pas se préoccuper de tout cela. Je dis « les autres organisations anarchistes » pour souligner le fait qu’il ne faut pas se laisser piéger dans un faux débat « plateforme vs synthèse », l’anarchisme ne se réduisant ni à la « synthèse », ni à la « plateforme ». C’était le cas de Malatesta, par exemple, qui était anarchiste communiste — tout bêtement, oserais-je dire — mais pas plateformiste.

Une bonne illustration de ce qu’on pourrait considérer comme de l’obsession organisationnelle et stratégique se trouve sur le site web d’un groupe américain, Miami Autonomy & Solidarity, qui publia il y a quelque temps un texte très élaboré sur cette question. Je ne sais pas si le groupe adhérait aux options de ce texte.
En parlant d’obsession organisationnelle et stratégique, je ne veux pas dire que je suis contre l’organisation et la stratégie, mais je pense que si une organisation libertaire doit se fixer des objectifs à long terme, ces objectifs pouvant même être ambitieux, le niveau de réflexion et de théorisation sur les moyens pour réaliser ces objectifs doit être cohérent avec celui des effectifs de l’organisation qui se livre à ce telles réflexions.

Autrement dit : que peut-on faire avec les forces dont on dispose ? Une fois les objectifs définis – et là, on a le droit d’être ambitieux, par exemple la création d’une organisation libertaire de masse – je ne vois pas trop l’intérêt, si on est 50, de pérorer sans fin sur la stratégie de la révolution mondiale. La question devrait plutôt être : comment passer de 50 à 100. Or il semble que la plupart des groupes « plateformistes » aux Amériques ont des effectifs extrêmement faibles.

Miami Autonomy & Solidarity, donc, publia un texte d’un certain Scott Nappalos qui me semble caractéristique de cette tendance, intitulé “Vers la théorie de l’organisation politique de notre temps” (1re partie) . Ce texte parle de « regroupement » : l’auteur est convaincu que « à notre époque, nous sommes les témoins d’une large convergence des pratiques et des concepts au sein d’organisations qui ont démarré à des points différents et avec des traditions différentes ». Mais il observe qu’il y a « de fortes différences au sein des organisations, et en interne la plupart des organisations ont des gens qui vont dans différentes directions ». La solution réside, selon lui, dans une « transformation substantielle des orientations et forces existantes ».
« Inévitablement cela nécessite des conflits, des scissions, et la rupture des organisations existantes en tendances distinctes qui pour l’instant ne se combattent que de manière interne. Cela doit en fait être accueilli favorablement car cela clarifierait nos orientations et soulagerait quelques-unes des paralysies internes périodiques. » (Souligné par moi.)

« Ceci est un risque, mais c’est un risque nécessaire », dit encore Nappalos, et naturellement tout cela est fait au nom du prolétariat :
« Dans un tel moment, les loyautés organisationnelles et idéologiques doivent être réévaluées en faveur des intérêts du prolétariat et du mouvement dans son ensemble. »

Je suis parfaitement conscient que les opinions trouvées dans les blogs et les sites Web ne sont pas nécessairement l’expression du niveau de la pensée d’un mouvement politique dans son ensemble, mais « Vers la théorie de l’organisation politique de notre temps » est un long texte élaboré en trois parties, et non pas simplement l’expression spontanée d’un blogueur. Nappalos est un gars qui semble assez connu dans les milieux libertaires d’Amérique du Nord et ce qu’il dit est par ailleurs assez intéressant.

Au nom de la rigueur, de la cohésion, de l’unité de la pensée, l’auteur se félicite des conflits, des scissions et de la rupture : c’est ce que nous, en France, avons vécu avec Georges Fontenis dans les années 50, mais c’est surtout l’illustration de la tentation permanente existant chez ces militants qui veulent être plus royalistes que le roi, et qui sur-interprètent le plateformisme et le transforment en une caricature. (Pour l'anecdote, la seconde partie du texte de Nappalos s'intitule: «Nous ne sommes pas plateformistes, mais nous nous efforçons de l'être.)

Le paradoxe est que lorsque vous vous en tenez à la lettre des considérations stratégiques de certains militants anarchistes, vous avez l’impression qu’ils parlent d’une organisation de milliers et de milliers de membres. C’est l’impression que j’avais en lisant Nappalos. Son texte me rappelle ces deux organisations révolutionnaires allemandes (AAUD et AAUD-E) qui ont décidé de fusionner en 1931 pour former la KAU. Quand vous lisez les discours, les comptes rendus qui ont été faits par les communistes de conseil eux-mêmes de cet événement apparemment considérable, vous avez l’impression que le sort du prolétariat mondial était en jeu, que les forces colossales de la révolution planétaire allaient enfin s’unir (en 1931, c’était un peu tard...) pour écraser la réaction mondiale coalisée contre la classe ouvrière internationale.
En fait, la première organisation comptait 343 membres et la seconde 57.

Il semble que certains anarchistes aient repris du communisme de conseil cette surestimation de l’importance des discours, qui finissent par tenir lieu d’actes. Il y a quelque chose de comique (ou de pathétique) à préconiser des scissions au sein d’organisations microscopiques en raison de désaccords sur la stratégie de la révolution mondiale.

Manifestement, le point de vue de Nappalos ne produit pas l’unanimité, car un blogueur États-unien – se faisant significativement appeler « Syndicalist » – réplique :
« Très respectueusement camarade, après avoir traversé suffisamment de “conflits, scissions et ruptures” ces 37 dernières années, je ne trouve malheureusement pas cela vraiment sain. (…)
« La volonté de s’engager dans ces sortes de luttes, de scissionner des organisations et de rendre les gens amers, cela, à mon avis, ne vaut pas le coup. (…)
« Les gens devraient se rassembler ou se séparer sur la base de points communs. Et les gens devraient se réunir ou de séparer dans un esprit de camaraderie lorsque ces points communs ne sont plus là. Les “conflits, scissions et ruptures” ne sont pas un moyen de construire et d’avoir des résultats durables bien au-delà du moment de la séparation politique. »

Je dois dire que j’éprouve beaucoup de sympathie pour ce camarade. Je suis d’ailleurs entré en relation avec lui, et pour l’anecdote nous avons contribué à subventionner le voyage à Saint-Imier d’un militant de son groupe.
Et je tiens à rappeler qu’il n’y a jamais eu de mouvement anarchiste important sans qu’il y eût d’abord une organisation de masse anarchiste. Cela pose le problème de la relation entre l’organisation anarchiste et l’organisation de classe, ce qui semble être au centre des préoccupations des anarchistes de l’Amérique du Nord et du Sud – un problème posé mais pas résolu.

Je m’empresse de dire qu’en France non plus le problème n’est pas résolu…

(A suivre : « Nappalos contre le synthésisme »)
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Messagede Cheïtanov le Dim 4 Nov 2012 19:08

Très intéressant, merci René !

En Amérique du Sud, il y eu une organisation anarchiste de masse, de type anarchosyndicaliste, qui était contre les groupes spécifiques... La FORA... Ici des brochures sur son histoire :

-I) La FORA, Organisation Ouvrière Anarchiste : http://www.cntaittoulouse.lautre.net/IMG/pdf/FORA.pdf

Les deux autres brochures pour la suite ne sont pas encore en ligne mais commandables...
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Re: Incursions sur les autres forums

Messagede René le Jeu 8 Nov 2012 10:38

«Nous ne sommes pas plateformistes mais nous nous efforçons de l’être.»
La deuxième partie du texte de Nappalos est sous-titrée : «Nous ne sommes pas plateformistes mais nous nous efforçons de l’être.»
La démarche de l’auteur est en fait intéressante. Des courants issus de la tradition communiste libertaire ont, depuis une génération, cherché à s’organiser, à construire des organisations et ont tenté de repenser leurs traditions passées et leur futur. Aujourd’hui, dit Nappalos, nous nous trouvons dans une situation différente de celle qu’ont connue la Makhnovtschina et les les Amis de Durruti : aujourd’hui, il n’y a pas de mouvement de masse capable de constituer un contrepoids à l’Etat et au capitalisme. Aucune organisation révolutionnaire n’est immergée dans la lutte. Il y a donc «une grande distance entre notre réalité et celle des points culminants de la révolution, et par conséquent il est difficile d’appliquer directement la théorie de cette époque-là».
Il y a ce que Nappalos désigne un peu plus loin dans son texte, un «fossé historique entre le présent et le passé». C’est un constat extrêmement pertinent, et qui rejoint tout à fait ce que je dis depuis des années : on ne refera plus jamais la prise du Palais d’hiver ni les collectivisations de 1936. Il faut donc trouver autre chose.
«Les gauchistes léninistes ont fini par se rendre compte qu’ils ne pourront plus jamais “prendre le Palais d’Hiver”. Ils se reconvertissent en simples partis social-démocrates qui développent, sans aucune imagination, des revendications un ou deux crans plus à gauche que leurs homologues dits “réformistes”, lesquels d’ailleurs ne sont même plus réformistes» (..) «Du côté libertaire également, il est nécessaire de faire le bilan. Les exemples historiques de mouvements de masse influencés par les libertaires ne sont plus reproductibles aujourd’hui. Pour construire une organisation d’un million d’adhérents capables de mener la population laborieuse à reprendre en main presque instantanément la production industielle, agricole, les transports et les services, comme en Espagne en 1936, il a fallu soixante-dix ans de propagande syndicaliste incessante. Sommes-nous prêts à faire la même chose ?» («Fin de l’anarchisme ?», texte d’une intervention lors d’un meeting à Rouen en 1995. Repris dans «Créons un mouvement pour une société alternative» 2009 [http://www.monde-nouveau.net/spip.php?article145].)

Nappalos écrit que les leçons qu’on doit tirer de ces luttes sont cruciales pour comprendre et pour construire, mais ce qui nous manque, c’est notre propre théorie, correspondant à une période de luttes de basse intensité, une théorie qui puisse non seulement nous éclairer sur la manière de lutter, mais sur la manière de développer les luttes. Il nous faut donc une praxis qui, à partir du point où nous nous trouvons, nous aide à atteindre ces points élevés de lutte. Nous devons «élargir notre vision de l’histoire afin de nous tourner vers des gens qui ont eu à faire face aux mêmes défis que nous».

(Juste en passant, je m’élève en faux contre l’affirmation selon laquelle nous serions dans une période de lutte de «basse intensité». La lutte est au contraire de très haute intensité, mais ce sont les capitalistes qui la mènent et en ont l’initiative, la classe ouvrière et les mouvements populaires se trouvant dans une situation totalement défensive, voire passive.)

L’article de Nappalos a donc pour ambition d’examiner quelques-unes des théories afin d’en tirer les leçons, afin «de trouver notre propre théorie» qui nous permettra d’assumer les tâches de la lutte.
Jusque-là, je ne vois pas en quoi on peut être en désaccord avec Nappalos : il veut tirer les leçons du passé ; il fait le constat qu’on ne peut pas reproduire les schémas du passé, lorsque le mouvement libertaire était un mouvement de masse ; il affirme la nécessité de reconsidérer les modes et moyens d’organisation en tenant compte de ce constat.

Je ferai cependant une remarque sur les exemples qu’il donne. Le mouvement makhnoviste était certes un mouvement de masse mais cantoné à une société agraire. La CNT, qui fut un exemple d’organisation de masse, n’est pas mentionnée, mais les Amis de Durruti le sont : c’était une fraction de la FAI organisée à l’intérieur de la CNT mais en aucun cas une organisation de masse par eux-mêmes. Je ne suis pas certain que l’un comme l’autre exemple puisse fournir des modèles opérationnels dans une réflexion sur les questions organisationnelles et stratégiques d’aujourd’hui, et encore moins servir de base de réflexion pour que le mouvement libertaire puisse reconquérir l’influence qu’il a perdue dans le mouvement de masse.

Nappalos contre le synthésisme
La première «théorie» à laquelle s’attaque Nappalos est le synthésisme :
«Du point de vue de la lutte, le synthésisme n’est pas tant une théorie qu’un courant large qui a suscité le développement de théories de l’organisation plus serrées en réponse aux échecs issus du synthésisme».

Le synthésisme «n’a jamais réellement existé en tant que théorie explicite», dit encore Nappalos, en dehors des aberrations de Sébastien Faure. Le problème, c’est qu’il y a deux interprétations du «synthésisme», deux «inventeurs», et si Sébastien Faure est l’un d’entre eux, Voline avait eu l’idée le premier, une idée très différente de celle de Faure. C’est évidemment gênant, dans la mesure où Voline était très lié à Makhno et que ce qu’il dit n’est peut-être pas si idiot que ça, même s’il diverge de la plateforme d’Archinov.

Voline avait ressenti la nécessité de faire une synthèse bien avant Sébastien Faure, dès le courant de la révolution russe. La première formulation de l’idée de «synthèse anarchiste» vient donc de lui, dans un texte écrit en 1924, c’est-à-dire deux ans avant la rédaction de la plateforme d’Archinov. [«De la Synthèse», La Revue Anarchiste, Mars-Mai 1924.]
Il n’y est pas question d’envisager une organisation dans laquelle seraient réunis des courants syndicaliste, communiste libertaire et individualiste, structurés en tant que tels et censés vivre en bonne intelligence et dans la tolérance. Il s’agit de définir les idées maîtresses de l’anarchisme, c’est-à-dire le principe syndicaliste comme «méthode de la révolution sociale», le principe communiste comme «base d’organisation de la nouvelle société en formation» et le principe individualiste, c’est-à-dire l’idée selon laquelle «l’émancipation totale et le bonheur de l’individu étant le vrai but de la révolution sociale et de la société nouvelle.»
Pour mémoire, la CNT espagnole avait reconnu le communisme libertaire comme objectif, le syndicalisme révolutionnaire comme moyen, le tout aboutissant à l'émancipation de l'individu.
Il n’est donc pas question d’«anarchisme individualiste» comme courant spécifique du mouvement anarchiste mais d’émancipation de l’individu comme objectif de la révolution sociale. Ce n’est pas du tout la même chose. Personne ne peut être opposé à cela.

Dans l’organisation «synthésiste» telle qu’elle a été conçue en 1928 par Sébastien Faure — en reprenant et en déformant l’idée de synthèse originellement développée par Voline en 1924 — on a trois courants bien distincts de l’anarchisme : individualiste, anarchiste-communiste, syndicaliste, chacun étant censé vivre dans l’harmonie. [Je conseille vivement les camarades de lire l’article de Gaetano Manfredonia paru dans Itinéraire n° 13, «Le débat Plate-forme ou synthèse».]

Ce que Voline entendait par synthèse n’était pas du tout la même chose que ce que ce que Sébastien Faure entendait. Autant que Makhno et Archinov, Voline était au courant des failles du mouvement anarchiste de l’époque et il voulait le changer. Voline, Makhno et Archinov partageaient la même idée initiale : la nécessité d’unifier le mouvement anarchiste, qui était divisé et inefficace. La différence se trouvait dans la méthode pour atteindre l’unité. Les «plateformistes» considéraient que seul l’anarcho-communisme était le mouvement anarchiste, l’individualisme étant une idéologie bourgeoise et l’anarcho-syndicalisme n’étant pas une doctrine mais une simple méthode d’action. Aujourd’hui encore, bien des groupes plateformistes considèrent que tout ce qui n’est pas plateformiste n’est tout simplement pas anarchiste. [Ce fait nous a été très clairement confirmé par les camarades latino-américains «non-plateformistes» que nous avons rencontrés à Saint-Imier.]

Voline considérait que l’unité pouvait être atteinte grâce à un effort de clarification théorique impliquant une réflexion collective entre tous les courants du mouvement. L’approche de Voline ne correspond pas à ce que l’on entend aujourd’hui par «synthésisme» car c’est le point de vue de Sébastien Faure qui a prédominé. Voline ne voulait pas que les différentes branches de l’anarchisme vivent côte à côte indéfiniment, il pensait que, après un débat, ils fusionneraient en quelque chose de différent et de supérieur — ce qui est précisément le sens d’une «synthèse». Dans la synthèse de Voline, il y avait quelque chose de dynamique, les choses devaient évoluer.

Au contraire, quand Sébastien Faure publia «La Synthèse anarchiste» en 1928, il développa un point de vue très statique, en préconisant la simple cohabitation des différents courants de l’anarchisme, sans aucun débat, ni clarification. C’est cette version-là du «synthésisme» qui a prévalu mais, strictement parlant, ce n’est pas une synthèse. La version de Sébastien Faure du synthésisme est comme une émulsion : lorsqu’on on mélange plusieurs liquides ayant des densités différentes et qu’on secoue bien fort, on a l’impression que le résultat obtenu est homogène, mais au bout d’un moment les différents liquides se séparent.

(A suivre)
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Messagede Cheïtanov le Jeu 8 Nov 2012 13:42

Très intéressant merci !

Mais il n'y a pas eu une sorte d'orga-nébuleuse en Ukraine qui, sur les bases de ce que disait Voline, a existé avant la Makhnovtschina ? La Nabat ou un nom comme ça...

Sinon aattention aux traductions :

René a écrit:Pour mémoire, la CNT espagnole avait reconnu le communisme libertaire comme objectif, le syndicalisme révolutionnaire comme moyen, le tout aboutissant à l'émancipation de l'individu.

En Espagne, syndicalisme révololutionnaire veut dire la même chose qu'anarchosyndicalisme (comme en Grande bretagne aussi par exemple), or, on le sait bien :wink: , en fRance c'est totalement différent, il faut donc traduire en français par anarchosyndicalisme... (ex, en Grande Bretagne, ce que nous sommerions syndicalistes révolutionnaires, type IWW, se définissent "industrialists" et la SolFed, section de l'AIT, se définit tour à tour "anarcho-syndicalist", "revolutionary unionist" ou "syndicalist"...).

Sinon localement voilà où nous ont amené nos réflexions : l'anarchosyndicalisme comme outil vers le communisme anarchiste, lui-même première étape vers l'émancipation totale de l'individu...
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Re: Incursions sur les autres forums

Messagede Lehning le Jeu 8 Nov 2012 21:29

Bonsoir !

Cette communication entre la différence d'appréciation du synthésisme de Sébastien FAURE et de VOLINE est très intéressante.

Et à mes yeux pertinente car Nestor MAKHNO et même ARCHINOV, quand ils ont rédigé la Plateforme, c'était surtout pour constater et y faire le bilan de la défaite et y remédier (défaite du mouvement anar face au bolchevisme notamment). La Plateforme étant censé être une réponse organisationnelle + efficace.

En ce sens, VOLINE est des + intéressants puisque non opposé stricto sensu à la Plateforme et avec une vision de la Synthèse originale.

Merci René !
Salutations Anarchistes !
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Messagede René le Ven 9 Nov 2012 02:21

La CNT adopta le communisme libertaire à son congrès de décembre 1919, à Madrid, où 762 596 ouvriers étaient représentés. Le congrès, « en accord avec l’essence des postulats de l’Internationale des Travailleurs, déclare que la finalité que poursuit le CNT en Espagne est le Communisme Libertaire ».
La CNT était une organisation syndicaliste révolutionnaire.
Je ne suis pas certain de la date d’apparition du terme « anarcho-syndicalisme » mais je pense qu’il est d’origine russe et qu’il date de la révolution. Par exemple Lozovsky, dans son discours « Les syndicats et la révolution » au congrès de la CGTU de Saint-Etienne (juin 1922), parle « d’anarchistes et de syndicalistes-anarchistes ». Evoquant la constitution de l’AIT seconde manière en 1922, il parle d’« Internationale anarchiste syndicale », mais aussi d’une « Internationale anarcho-syndicaliste ». Le terme ne semble pas fixé.
(http://monde-nouveau.net/IMG/pdf/Lozovs ... U_1922.pdf)

Mais il y avait des congrès ouvriers anarcho-syndicalistes en Russie en 1918.

Pouget était anarchiste dans la CGT. Après la signature de la charte d’Amiens, en 1906, Edouard Vaillant (socialiste, député à partir de 1893) dira que le congrès d’Amiens fut une victoire sur les anarchistes, pas sur les anarcho-syndicalistes. De même Victor Renard dira plus trivialement que « les anarchistes [et non les anarcho-syndicalistes] qui prédominent à la CGT ont consenti à se mettre une muselière ».

La distinction entre syndicalisme révolutionnaire et anarcho-syndicalisme est compliquée parce que les deux expressions sont selon les auteurs (et les périodes) synonymes ou nettement différentes.
En France, cette distinction est très nette. Mais pour compliquer les choses, la CGT-Syndicaliste révolutionnaire, fondée en 1926, était en fait une organisation anarcho-syndicaliste…

Dans les pays anglo-saxons et germaniques, syndicalist (anglais) syndikalist (allemand) signifie syndicalisme révolutionnaire. Les Anglais utilisent aussi le terme « anarcho-syndicalism ».

Ça serait bien si quelqu’un planchait sérieusement sur cette question de dénomination, qu’on sache une fois pour toutes où on en est.

Je me souviens avoir lu dans les mémoires de Makhno son récit d’un voyage qu’il avait fait en Russie pour y rencontrer les anarchistes : il est rentré complètement écoeuré du bordel qui régnait dans le milieu anar.
Je pense que lorsqu’il est arrivé en France, l’état du mouvement anarchiste français a dû lui rappeler des choses…
Archinov, Makhno et les autres ont rédigé une plateforme qui ne s’adressait pas à tous les anarchistes mais à ceux qui voulaient s’impliquer dans la lutte des classes. C’était une tentative de réponse à la crise du mouvement en France. Ils ont toujours dit que ce document pouvait être discuté.
Ce qui me paraît significatif, ce n’est pas le caractère « autoritaire » de ce texte, qui personnellement ne me choque pas, c’est que toutes les grosses têtes du mouvement s’y soient opposés, et n’aient pas cherché à le discuter.
Il me semble me souvenir que Voline était contre la plateforme.

Pour moi, le but de l’anarchisme est de faire en sorte que la reconnaissance de l’être social de l’homme ne serve pas de prétexte à la subordination de l’individu à la collectivité. Sur le plan pratique et organisationnel, l’anarcho-syndicalisme et le communisme libertaire (qui sont les deux dimensions caractéristiques du mouvement anarchiste espagnol), ont pour finalité l’émancipation de l’individu. Il reste néanmoins, comme le dit Bakounine, que l’individu ne peut pas s’émanciper en dehors de la société.
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Re: Incursions sur les autres forums

Messagede René le Ven 9 Nov 2012 09:39

(Suite de notre incursion dans des forums où il est question de la FA et du «synthésisme»)

A propos de «Towards Theory of Political Organization for Our Time Part II: we are not platformists, we strive to be» de Scott Nappalos

Nappalos a également raison quand il dit que «personne ne se désigne comme synthésiste». Presque personne en tout cas. Mais selon lui, en pratique, «la plupart des organisations libertaires ont un caractère synthésiste» :
«Le synthésisme regroupe des gens qui n’ont pas un niveau basique d’unité sur la stratégie et souvent sur la théorie. L’exemple classique sont les “fédérations anarchistes” (en particulier en Europe, bien que dans l’histoire US récente il y a eu la Fédération anarchiste sociale révolutionnaire (1) qui permettent à différentes tendances contradictoires d’exister dans la même organisation sans aucune unité fondamentale. Un exemple actuel serait les fédérations anarchistes française et italienne dans l’Internationale des fédérations anarchistes, qui sont lourdement inspirées par la synthèse, et qui rassemblent des gens sur la base d’un anarchisme largement conçu, incluant même des individualistes.»

Mais quelle que soit la vérité contenue dans ce que dit Nappalos, l’erreur majeure qu’il fait est de donner trop de crédit aux discours sans observer les faits. Dans la FA il y a des différences d’opinions, mais elles ne sont pratiquement jamais la conséquence de ce que les uns soient anarcho-communistes et les autres anarcho-syndicalistes, ou que sais-je. Nos congrès ne sont pas des endroits où on voit des affrontements permanents entre anarchistes-tout-court, anarcho-communistes et anarcho-syndicalistes, voire individualistes, conduisant à la paralysie ; ce sont des lieux où les militants sont la plupart du temps d'accord entre eux, parfois dans l’opposition assez polie au sujet de questions pratiques, parfois aussi en opposition très vigoureuse. Mais ces divergences d’opinions ne se fondent pas sur le fait que les uns et les autres se réfèrent à des courants différents, prétendument «contradictoires» de l’anarchisme : ces divergences existent parce que les gens ne sont tout simplement pas toujours d’accord les uns avec les autres.

Manifestement, Nappalos voit la Fédération anarchiste française comme une organisation permettant «à des tendances contradictoires variées d’exister toutes dans la même organisation sans aucune unité fondamentale» (loc. cit.). Le problème est que je n’ai jamais constaté dans la FA de courant «individualiste» (ou alors il est très discret) ; je n’ai découvert que très récemment qu’un camarade que je connais depuis des années se dit anarchiste «individualiste» — ce que j’ignorais totalement. La question nous intéressait si peu, lui et moi, que je n’ai même pas cherché à approfondir.

A la FA, j’ai l’impression qu’il y a surtout des anarchistes-tout-court, des anarchistes-communistes et des anarcho-syndicalistes, ou des militants qui ne sont ni l’un ni l’autre, ou les deux, autrement dit des anarchistes sans trait d’union. En tout cas, lorsque j’observe les faits, je constate que ces tendances existant dans la FA ne sont pas contradictoires : au contraire, elles pratiquent une COLLABORATION extrêmement efficace (à part l’inévitable emmerdeur/euse de service qu’on trouve toujours dans tous les groupes humains) (2). Au risque de paraître insistant, c’est nous qui sommes ceux qui ont un journal hebdomadaire, une radio, etc.
Il y a quelque chose d’insupportablement paternaliste dans l’attitude de Nappalos. Selon lui, le synthésisme ne concerne que des anarchistes de seconde zone, qui développent le «patriotisme d’organisation» (il est bien connu que les organisations plateformistes ne développent jamais de «patriotisme d’organisation»…). Plus encore, les organisations «synthésistes» limitent leur activité à des questions non essentielles telles que la «sous-culture» (sub-culture), les «réseaux militants», «la politique de protestation», «l’anti-mondialisation et les mouvements anti-guerre» où ils ont un «rôle productif à jouer» — merci. On a l’impression que les «vrais» anarchistes se livrent à la lutte des classes pure et dure, tandis que les «synthésistes» s’occupent de tout ce qui est «périphérique».

Nappalos a recours dans son texte à l’expression «lower case “a” anarchists». Je n’ai pas réussi à trouver une traduction satisfaisante de cette expression. Je serais tenté de dire «anarchistes bas-de-casse», mais ce ne serait pas compris par les personnes ne connaissant pas le jargon de l’imprimerie. Du temps de l’imprimerie au plomb (c’était le bon temps…) les caractères étaient disposés dans une « casse », une sorte de tiroir plat, avec un compartiment pour chaque caractère. La « casse » était divisée en deux : le haut pour les caractères majuscules (les « capitales » en jargon d’imprimerie), le bas pour les caractères minuscules, ou « bas de casse ». Nappalos parle donc d’anarchistes « bas de casse », ou d’anarchistes minuscules, bref d’anarchistes de seconde zone.

Nappalos conclut son propos en disant, en résumé, que le synthésisme a produit sa propre critique : «des groupes qui ont émergé de ces milieux ont développé leurs critiques de la paralysie des organisations synthésistes, de l’absence d’éducation et d’engagement de leurs membres, de leur attitude anti-stratégique et de son incapacité à s’adapter aux conditions changeantes». Évoquant le contexte nord-américain, Nappalos affirme que cette situation a conduit des gens à se tourner vers des idéologies du passé pour chercher la voie au-delà du synthésisme, que ce soit sous la forme du léninisme, du maoïsme, du plateformisme, du «especifismo» (3) ou de la “cadre-organization” (4).»

Les réflexions de Nappalos sont d’un réel intérêt, il soulève de vraies questions qui pourraient avoir une résonance en France mais malheureusement il se laisse piéger par une vision du synthésisme quelque peu archaïque (sauf à considérer que le «synthésisme» aux États-Unis n’a pas évolué depuis 1928) qui l’empêche d’avoir une vue un minimum réaliste. Il semble convaincu que les organisations «synthétistes» d’aujourd’hui n’ont pas évolué, que la réalité n’a pas eu d’effet sur elles, que les pratiques de ces organisations s’en tiennent strictement à ses représentations vieilles de 90 ans.
Je conçois que la FA ne soit pas pour Nappalos la principale de ses préoccupations, mais dans la mesure où elle apparaît, qu’on le veuille ou non, comme une des références du «synthésisme», il faut bien réagir à ses propos stéréotypés. La Fédération anarchiste n’est pas une organisation dans laquelle les courants anarchiste-communiste, anarcho-syndicaliste et individualiste campent sur leurs positions bien tranchées, provoquant l’immobilisme.
C’est une organisation dans laquelle la différence entre ces trois options définies originellement par Sabastien Faure (anarchisme communisme, anarcho-syndicalisme, individualisme) apparaît totalement peu dépassée. C’est une organisation dans laquelle personne n’est indifférent à la question de la liberté et de l’émancipation de l’individu parce que c’est un élément constituant de l’anarchisme tout court (à condition de ne pas être le seul), où différentes approches de la lutte se côtoient et s’expriment notamment dans les congrès, tout simplement parce que tout le monde n’est pas formé sur le même moule : et il n’est pas question que cela change. Moyennant quoi, la Fédération anarchiste parvient à réaliser, grâce à la collaboration de tous, un ensemble de choses qui la placent plutôt pas trop mal sur le terrain de l’efficacité.

Le but de l’anarchisme est de faire en sorte que la reconnaissance de l’être social de l’homme ne serve pas de prétexte à la subordination de l’individu à la collectivité. Sur le plan pratique et organisationnel, l’anarcho-syndicalisme et le communisme libertaire, ont pour finalité l’émancipation de l’individu. Il reste néanmoins, comme le disent Proudhon et Bakounine, que l’individu ne peut pas s’émanciper en dehors de la société.


NOTES
(1) La Social Revolutionary Anarchist Federation, fondée semble-t-il en 1972, mais peut-être un peu avant, n’était pas réellement une organisation mais un réseau de correspondance ouvert à tous ceux qui se réclamaient de l’anarchisme, et qui dura une douzaine d’années. Malgré ses fondements hétérogènes, la SRAF eut une trentaine de groupes qui se réclamaient d’elle et permit à d’innombrables personnes éparpillées sur le territoire des États-Unis de se sentir appartenir à un mouvement. En 1977 des «dissidents» de la SRAF formèrent la «Anarchist Communist Tendency» qui scissionna et forma l’année suivante la Anarchist Communist Federation dont certains membres créèrent en 1984 la Workers’ Solidarity Alliance qui existe encore aujourd’hui et dont un délégué participa aux Rencontres internationales de Saint-Imier…
(2) Je définis l’«emmerdeur/euse» de service non pas comme la personne qui est occasionnellement en désaccord avec ce qui est dit ou fait, mais celle qui est tout le temps en désaccord sans jamais proposer autre chose ; c’est la personne qui objecte pour le simple plaisir d’objecter parce que c’est tout simplement comme ça qu’elle a l’impression d’exister. C’est aussi celle qui ne se propose jamais pour accomplir une tâche concrète, ou alors qui se propose pour une tâche qu’elle est notoirement incapable d’accomplir. Tous les groupes humains ont leur «emmerdeur/euse» de service. Dans le registre de l’«unité», de l’«efficacité» et de la «cohérence», je dirais que le principal critère pour juger d’une organisation est sa capacité à gérer les emmerdeur/euses de service et à neutraliser leur capacité de nuisance.
(3) Le «especifismo» est un concept qui aurait été crée dans les années 50 par la Fédération anarchiste uruguyaenne. En fait, ce concept n’a été explicitement revendiqué par la FAU que dans les années 80 après la chute de la dictature. Il s’agit tout simplement d’affirmer la nécessité d’une organisation anarchiste spécifique. Dans le contexte latino-américain, cette revendication a une signification particulière. En effet, dans beaucoup des pays d’Amérique du Sud, avaient existé de puissantes organisations anarcho-syndicalistes.
Les anarchistes considéraient l’organisation syndicale comme la structure naturelle dans laquelle les travailleurs devaient s’organiser, en quoi ils étaient absolument sur les mêmes positions que les syndicalistes révolutionnaires français pour qui «le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale» (CGT, Charte d’Amiens, 1906.) Le mouvement anarchiste disposait d’une réelle hégémonie dans la classe ouvrière jusqu’à la révolution russe. Mais les principes énoncés dans la charte d’Amiens ne pouvaient plus s’appliquer lorsque d’autres courants politiques porteurs d’autres modèles syndicaux surgirent. C’est ce qui arriva après la révolution russe, avec la création de partis communistes et la mise en place par l’Internationale communiste (Komintern) et par l’Internationale syndicale rouge (Kominform) d’une politique de pénétration systématique dans les organisations ouvrières. Comme leurs camarades français, les militants anarchistes et anarcho-syndicalistes ne surent pas faire face à la bolchevisation des organisations syndicales, en particulier parce que n’existaient pas d’organisations anarchistes (d’organisations spécifiques) capables d’organiser la résistance. Les libertaires sud-américains ont par conséquent développé l’idée de la nécessité d’une organisation «spécifique» (especifismo) pour les anarchistes. L’existence d’«organisations spécifiques» n’est pas une nouveauté dans le mouvement français, mais il semble convenu d’en attribuer la paternité aux anarchistes latino-américains, et en particulier uruguayens. En théorie, il n'y a pas nécessairement de corrélation entre "especifismo" et "plateformisme", mais elle existe bien en pratique.
(4) «Cadre organization» peut vouloir dire «organisation cadre» ou «organisation de cadres». Sauf erreur de ma part, cela devrait désigner les organisations dominées par des élites politiques de militants. Une «cadre organization» n’est pas nécessairement, comme le dit Joel Olson, «une organisation d’avant-garde, comme le pensent de manière erronée certains anarchistes. C’est simplement un groupe d’intellectuels engagés, actifs, révolutionnaires qui partagent une politique commune et qui se rassemblent pour développer une pensée et une pratique révolutionnaires et qui les vérifient dans la lutte . Par “actif” je veux dire quelqu’un qui est impliqué dans la lutte politique, pas seulement un lecteur de livres. Par “intellectuel” je ne veux pas dire quelqu’un avec un diplôme mais quelqu’un qui fait un effort sérieux, continu, pour comprendre le monde afin mieux le combattre.» (Joel Olson, «Movement, Cadre, and Dual Power». http://www.anarchist-studies.org/node/544)
La description que fait J. Olson, qui continue sur plusieurs lignes, rapproche de manière étonnante la «cadre organization» de ce que devait être l’Alliance bakouninienne.
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Messagede Tonton-vélo le Ven 9 Nov 2012 13:49

Déception que ce fil qui est basé sur la perception des mouvement anarchistes les uns par rapport aux autres, ça me saoule. Je pensais à une surveillance des autres forums ex-LCR, LO, voir fascistes.
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Re: Incursions sur les autres forums

Messagede vroum le Ven 9 Nov 2012 14:03

Tonton-vélo a écrit:Déception que ce fil qui est basé sur la perception des mouvement anarchistes les uns par rapport aux autres, ça me saoule. Je pensais à une surveillance des autres forums ex-LCR, LO, voir fascistes.


et bien ce n'est pas le sujet ici, tu n'as qu'à créer un topic dédié
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Messagede vroum le Ven 9 Nov 2012 14:04

René a écrit : Dans le registre de l’«unité», de l’«efficacité» et de la «cohérence», je dirais que le principal critère pour juger d’une organisation est sa capacité à gérer les emmerdeur/euses de service et à neutraliser leur capacité de nuisance.


tiens ça me fait justement penser au forum anarchiste !
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Re: Incursions sur les autres forums

Messagede vroum le Ven 9 Nov 2012 14:18

Je n'ai jamais compris pourquoi lorsque l'on parle de Synthèse, on fait toujours référence à la définition de Sébastien Faure plutôt qu'à celle de Voline

La Synthèse de Sébastien Faure est un texte plutôt mauvais à l'argumentation peu convaincante (notamment avec ses formules chimiques !)

la Synthèse de Voline est autrement plus actuelle et intéressante :

SYNTHÈSE (ANARCHISTE)

http://www.encyclopedie-anarchiste.org/articles/s/synthese.html

On désigne par « synthèse anarchiste » une tendance qui se fait actuellement jour au sein du mouvement libertaire, cherchant à réconcilier et ensuite à « synthétiser » les différents courants d'idée qui divisent ce mouvement en plusieurs fractions plus ou moins hostiles les unes aux autres. Il s'agit, au fond, d'unifier, dans une certaine mesure, la théorie et aussi le mouvement anarchistes en un ensemble harmonieux, ordonné, fini. Je dis : dans une certaine mesure car, naturellement, la conception anarchiste ne pourrait, ne devrait jamais devenir rigide, immuable, stagnante. Elle doit rester souple, vivante, riche d'idées et de tendances variées. Mais souplesse ne doit pas signifier confusion. Et, d'autre part, entre immobilité et flottement il existe un état intermédiaire. C'est précisément cet état intermédiaire que la « synthèse anarchiste » cherche à préciser, à fixer et à atteindre.

Ce fut surtout en Russie, lors de la révolution de 1917, que la nécessité d'une telle unification, d'une telle « synthèse », se fit sentir. Déjà très faible matériellement (peu de militants, pas de bons moyens de propagande, etc. ) par rapport à d'autres courants politiques et sociaux, l’anarchisme se vit affaibli encore plus, lors de la révolution russe, par suite des querelles intestines qui le déchiraient. Les anarcho-syndicalistes ne voulaient pas s'entendre avec les anarchistes-communistes et, en même temps, les uns et les autres se disputaient avec les individualistes (sans parler d'autres tendances). Cet état de choses impressionna douloureusement plusieurs camarades de diverses tendances. Persécutés et finalement chassés de la grande Russie par le gouvernement bolcheviste, quelques-uns de ces camarades s'en allèrent militer en Ukraine où l'ambiance politique était plus favorable, et où, d'accord avec quelques camarades ukrainiens, ils décidèrent de créer un mouvement anarchiste unifié, recrutant des militants sérieux et actifs partout où ils se trouvaient, sans distinction de tendance. Le mouvement acquit tout de suite une ampleur et une vigueur exceptionnelles. Pour prendre pied et s'imposer définitivement, il ne lui manquait qu'une chose : une certaine base théorique.

Me sachant un adversaire résolu des querelles néfastes parmi les divers courants de l'anarchisme, sachant aussi que je songeais, comme eux, à la nécessité de les réconcilier, quelques camarades vinrent me chercher dans une petite ville de la Russie centrale où je séjournais, et me proposèrent de partir en Ukraine, de prendre part à la création d'un mouvement unifié, de lui fournir un fond théorique et de développer la thèse dans la presse libertaire.

J'acceptai la proposition. En novembre 1918, le mouvement anarchiste unifié en Ukraine fut définitivement mis en route. Plusieurs groupements se formèrent et envoyèrent leurs délégués à la première conférence constitutive qui créa la « Confédération anarchiste de l'Ukraine Nabat (Tocsin) ». Cette conférence élabora et adopta à l'unanimité une Déclaration proclamant les principes fondamentaux du nouvel organisme. Il fut décidé que très prochainement cette brève déclaration de principes serait amplifiée, complétée et commentée dans la presse libertaire. Les événements tempétueux empêchèrent ce travail théorique. La confédération du Nabat dut mener des luttes ininterrompues et acharnées. Bientôt elle fut, à son tour, « liquidée » par les autorités bolchevistes qui s'installèrent en Ukraine. A part quelques articles de journaux, la Déclaration de la première conférence du Nabat fut et restera le seul exposé de la tendance unifiante (ou « synthétisante ») dans le mouvement anarchiste russe.

Les trois idées maîtresses qui, d'après la Déclaration, devraient être acceptées par tous les anarchistes sérieux afin d'unifier le mouvement, sont les suivantes :

1° Admission définitive du principe syndicaliste, lequel indique la vraie méthode de la révolution sociale ;

2° Admission définitive du principe communiste (libertaire), lequel établit la base d'organisation de la nouvelle société en formation ;

3° Admission définitive du principe individualiste, l'émancipation totale et le bonheur de l'individu étant le vrai but de la révolution sociale et de la société nouvelle.

Tout en développant ces idées, la Déclaration tâche de définir nettement la notion de la « révolution sociale » et de détruire la tendance de certains libertaires cherchant à adapter l'anarchisme à la soi-disant « période transitoire ».

Cela dit, nous préférons, au lieu de reprendre les arguments de la Déclaration, développer nous-mêmes l'argumentation théorique de la synthèse.

La première question à résoudre est celle-ci :

L'existence de divers courants anarchistes ennemis, se disputant entre eux, est-ce un fait positif ou négatif ? La décomposition de l'idée et du mouvement libertaires en plusieurs tendances s'opposant les unes aux autres, favorise-t-elle ou, au contraire, entrave-t-elle les succès de la conception anarchiste ? Si elle est reconnue favorable, toute discussion est inutile. Si, au contraire, elle est considérée comme nuisible, il faut tirer de cet aveu toutes les conclusions nécessaires.

À cette première question, nous répondons ceci :

Au début, lorsque l'idée anarchiste était encore peu développée, confuse, il fut naturel et utile de l'analyser sous tous ses aspects, de la décomposer, d'examiner à fond chacun de ses éléments, de les confronter, de les opposer les uns aux autres, etc. C'est ce qui a été fait. L'anarchisme fut décomposé en plusieurs éléments (ou courants). Ainsi l'ensemble, trop général et vague, fut disséqué, ce qui aida à approfondir, à étudier à fond aussi bien cet ensemble que ces éléments. A cette époque, le démembrement de la conception anarchiste fut donc un fait positif. Diverses personnes s'intéressant à divers courants de l'anarchisme, les détails et l'ensemble y gagnèrent en profondeur et en précision. Mais, par la suite, une fois cette première œuvre accomplie, après que les éléments de la pensée anarchiste (communisme, individualisme, syndicalisme) furent tournés et retournés en tous sens, il fallait penser à reconstituer, avec ces éléments bien travaillés, l'ensemble organique d'où ils provenaient. Après une analyse fondamentale, il fallait retourner (sciemment) à la bienfaisante synthèse.

Fait bizarre : on ne pensa plus à cette nécessité. Les personnes qui s'intéressaient à tel élément donné de l'anarchisme, finirent par le substituer à l'ensemble. Naturellement, elles se trouvèrent bientôt en désaccord et, finalement, en conflit avec ceux qui traitaient de la même manière d'autres parcelles de la vérité entière. Ainsi, au lieu d'aborder l'idée de fusionnement des éléments épars (qui, pris séparément, ne pouvaient plus servir à grand chose) en un ensemble organique, les anarchistes entreprirent pour de longues années la tâche stérile d'opposer haineusement leurs « courants » les uns aux autres. Chacun considérait « son » courant, « sa » parcelle pour l'unique vérité et combattait avec acharnement les partisans des autres courants. Ainsi commença, dans les rangs libertaires, ce piétinement sur place, caractérisé par l'aveuglement et l'animosité mutuelle, qui continue jusqu'à nos jours et qui doit être considéré comme nuisible au développement normal de la conception anarchiste.

Notre conclusion est claire. Le démembrement de l'idée anarchiste en plusieurs courants a rempli son rôle. Il n'a plus aucune utilité. Rien ne peut plus le justifier. Il entraîne maintenant le mouvement dans une impasse, il lui cause des préjudices énormes, il n'offre plus - ni ne peut offrir - rien de positif. La première période - celle où l'anarchisme se cherchait, se précisait et se fractionnait fatalement à cette besogne - est terminée. Elle appartient au passé. Il est grand temps d'aller plus loin.

Si l'éparpillement de l'anarchisme est actuellement un fait négatif, préjudiciable, il faut chercher à y mettre fin. Il s'agit de se rappeler l'ensemble entier, de recoller les éléments épars, de retrouver, de reconstruire sciemment la synthèse abandonnée.

Une autre question surgit alors : cette synthèse, est-elle possible actuellement ? Ne serait-elle pas une utopie ? Pourrait-on lui fournir une certaine base théorique ?

Nous répondons : oui, une synthèse de l'anarchisme (ou, si l'on veut, un anarchisme « synthétique ») est parfaitement possible. Elle n'est nullement utopique. D'assez fortes raisons d'ordre théorique parlent en sa faveur. Notons brièvement quelques-unes de ces raisons, les plus importantes, dans leur suite logique :

1° Si l'anarchisme aspire à la vie, s'il escompte un triomphe futur, s'il cherche à devenir un élément organique et permanent de la vie, une de ses forces actives, fécondantes, créatrices, alors il doit chercher à se trouver le plus près possible de la vie, de son essence, de son ultime vérité. Ses bases idéologiques doivent concorder le plus possible avec les éléments fondamentaux de la vie. Il est clair, en effet, que si les idées primordiales de l'anarchisme se trouvaient en contradiction avec les vrais éléments de la vie et de l'évolution, l'anarchisme ne pourrait être vital. Or, qu'est-ce que la vie? Pourrait-on, en quelque sorte, définir et formuler son essence, saisir et fixer ses traits caractéristiques ? Oui, on peut le faire. Il s'agit, certes, non pas d'une formule scientifique de la vie - formule qui n'existe pas - mais d'une définition plus ou moins nette et juste de son essence visible, palpable, concevable. Dans cet ordre d'idée, la vie est, avant tout, une grande synthèse : un ensemble immense et compliqué, ensemble organique et original, de multiples éléments variés.

2° La vie est une synthèse. Quelles sont donc l'essence et l'originalité de cette synthèse? L'essentiel de la vie est que la plus grande variété de ses éléments - qui se trouvent de plus en un mouvement perpétuel ­ réalise en même temps, et aussi perpétuellement, une certaine unité ou, plutôt, un certain équilibre. L'essence de la vie, l'essence de sa synthèse sublime, est la tendance constante vers l'équilibre, voire la réalisation constante d'un certain équilibre, dans la plus grande diversité et dans un mouvement perpétuel. (Notons que l'idée d'un équilibre de certains éléments comme étant l'essence bio-physique de la vie se confirme par des expériences scientifiques physico-chimiques.)

3° La vie est une synthèse. La vie (l'univers, la nature) est un équilibre (une sorte d'unité) dans la diversité et dans le mouvement (ou, si l'on veut, une diversité et un mouvement en équilibre). Par conséquent, si l'anarchisme désire marcher de pair avec la vie, s'il cherche à être un de ses éléments organiques, s'il aspire à concorder avec elle et aboutir à un vrai résultat, au lieu de se trouver en opposition avec elle pour être finalement rejeté, il doit, lui aussi, sans renoncer à la diversité ni au mouvement, réaliser aussi, et toujours, l'équilibre, la synthèse, l'unité.

Mais il ne suffit pas d'affirmer que l'anarchisme peut être synthétique : il doit l'être. La synthèse de l'anarchisme n'est pas seulement possible, pas seulement souhaitable : elle est indispensable. Tout en conservant la diversité vivante de ses éléments, tout en évitant la stagnation, tout en acceptant le mouvement - conditions essentielles de sa vitalité - l'anarchisme doit chercher, en même temps, l'équilibre dans cette diversité et ce mouvement même.

La diversité et le mouvement sans équilibre, c'est le chaos. L'équilibre sans diversité ni mouvement, c'est la stagnation, la mort. La diversité et le mouvement en équilibre, telle est la synthèse de la vie. L'anarchisme doit être varié, mouvant et, en même temps, équilibré, synthétique, uni. Dans le cas contraire, il ne sera pas vital.

4° Notons, enfin, que le vrai fond de la diversité et du mouvement de la vie (et partant de la synthèse) est la création, c'est-à-dire la production constante de nouveaux éléments, de nouvelles combinaisons, de nouveaux mouvements, d'un nouvel équilibre. La vie est une diversité créatrice. La vie est un équilibre dans une création ininterrompue. Par conséquent, aucun anarchiste ne pourrait prétendre que « son » courant est la vérité unique et constante, et que toutes les autres tendances dans l'anarchisme sont des absurdités. Il est, au contraire, absurde qu'un anarchiste se laisse engager dans l'impasse d'une seule petite « vérité », la sienne, et qu'il oublie ainsi la grande vérité réelle de la vie : la création perpétuelle de formes nouvelles, de combinaisons nouvelles, d'une synthèse constamment renouvelée.

La synthèse de la vie n'est pas stationnaire : elle crée, elle modifie constamment ses éléments et leurs rapports mutuels.

L'anarchisme cherche à participer, dans les domaines qui lui sont accessibles, aux actes créateurs de la vie. Par conséquent, il doit être, dans les limites de sa conception, large, tolérant, synthétique, tout en se trouvant en mouvement créateur.

L'anarchiste doit observer attentivement, avec perspicacité, tous les éléments sérieux de la pensée et du mouvement libertaires. Loin de s'engouffrer dans un seul élément quelconque, il doit chercher l'équilibre et la synthèse de tous ces éléments donnés. Il doit, de plus, analyser et contrôler constamment sa synthèse, en la comparant avec les éléments de la vie elle-même, afin d'être toujours en harmonie parfaite avec cette dernière. En effet, la vie ne reste pas sur place, elle change. Et, par conséquent, le rôle et les rapports mutuels de divers éléments de la synthèse anarchiste ne resteront pas toujours les mêmes : dans divers cas, ce sera tantôt l'un, tantôt l'autre de ces éléments qui devra être souligné, appuyé, mis en action.

Quelques mots sur la réalisation concrète de la synthèse.

1° Il ne faut jamais oublier que la réalisation de la révolution, que la création des formes nouvelles de la vie incomberont non pas à nous, anarchistes isolés ou groupés idéologiquement, mais aux vastes masses populaires qui, seules, seront à même d'accomplir cette immense tâche destructive et créatrice. Notre rôle, dans cette réalisation, se bornera à celui d'un ferment, d'un élément de concours, de conseil, d'exemple. Quant aux formes dans lesquelles ce processus s'accomplira, nous ne pouvons que les entrevoir très approximativement. Il est d'autant plus déplacé de nous quereller pour des détails, au lieu de nous préparer, d'un élan commun, à l'avenir.

2° Il n'est pas moins déplacé de réduire toute l'immensité de la vie, de la révolution, de la création future, à de petites idées de détail et à des disputes mesquines. Face aux grandes tâches qui nous attendent, il est ridicule, il est honteux de nous occuper de ces mesquineries. Les libertaires devront s'unir sur la base de la synthèse anarchiste. Ils devront créer un mouvement anarchiste uni, entier, vigoureux. Tant qu'ils ne l'auront pas créé, ils resteront en dehors de la vie.

Dans quelles formes concrètes pourrions-nous prévoir la réconciliation, I'unification des anarchistes et, ensuite, la création d'un mouvement libertaire unifié ?

Nous devons souligner, avant tout, que nous ne nous représentons pas cette unification comme un assemblage « mécanique » des anarchistes de diverses tendances en une sorte de camp bigarré où chacun resterait sur sa position intransigeante. Une telle unification serait non pas une synthèse mais un chaos. Certes, un simple rapprochement amical des anarchistes de diverses tendances et une plus grande tolérance dans leurs rapports mutuels (cessation d’une polémique violente, collaboration dans des publications anarchistes, participation aux mêmes organismes actifs, etc.) seraient un grand pas en avant par rapport à ce qui se passe actuellement dans les rangs libertaires. Mais nous considérons ce rapprochement et cette tolérance comme, seulement, le premier pas vers la création de la vraie synthèse anarchiste et d'un mouvement libertaire unifié. Notre idée de la synthèse et de l'unification va beaucoup plus loin. Elle prévoit quelque chose de plus fondamental, de plus « organique ».

Nous croyons que l'unification des anarchistes et du mouvement libertaire devra se poursuivre, parallèlement, en deux sens, notamment :

a) Il faut commencer immédiatement un travail théorique cherchant à concilier, à combiner, à synthétiser nos diverses idées paraissant, à première vue, hétérogènes. Il est nécessaire de trouver et de formuler dans les divers courants de l'anarchisme, d'une part, tout ce qui doit être considéré comme faux, ne coïncidant pas avec la vérité de la vie et devant être rejeté ; et, d'autre part, tout ce qui doit être constaté comme étant juste, appréciable, admis. Il faut, ensuite, combiner tous ces éléments justes et de valeur, en créant avec eux un ensemble synthétique. (C'est surtout dans ce premier travail préparatoire que le rapprochement des anarchistes de diverses tendances et leur tolérance mutuelle pourraient avoir la grande importance d'un premier pas décisif.) Et, enfin, cet ensemble devra être accepté par tous les militants sérieux et actifs de l'anarchisme comme base de la formation d'un organisme libertaire uni, dont les membres seront ainsi d'accord sur un ensemble de thèses fondamentales acceptées par tous.

Nous avons déjà cité l'exemple concret d'un tel organisme : la confédération Nabat, en Ukraine. Ajoutons ici à ce que nous avons déjà dit plus haut que l'acceptation par tous les membres du Nabat de certaines thèses communes n'empêchaient nullement les camarades de diverses tendances d'appuyer surtout, dans leur activité et leur propagande, les idées qui leur étaient chères. Ainsi, les uns (les syndicalistes) s'occupaient surtout des problèmes concernant la méthode et l'organisation de la révolution ; les autres (communistes) s'intéressaient de préférence à la base économique de la nouvelle société ; les troisièmes (individualistes) faisaient ressortir spécialement les besoins, la valeur réelle et les aspirations de l'individu. Mais la condition obligatoire pour être accepté au Nabat était l'admission de tous les trois éléments comme parties indispensables de l'ensemble et le renoncement à l'état d'hostilité entre les diverses tendances. Les militants étaient donc unis d'une façon « organique », car, tous, ils acceptaient un certain ensemble de thèses fondamentales. C'est ainsi que nous nous représentons l'unification concrète des anarchistes sur la base d'une synthèse des idées libertaires théoriquement établie.

b) Simultanément et parallèlement audit travail théorique, devra se créer l'organisation unifiée sur la base de l'anarchisme compris synthétiquement.

Pour terminer, soulignons encore une fois que nous ne renonçons nullement à la diversité des idées et des courants au sein de l'anarchisme. Mais il y a diversité et diversité. Celle, notamment, qui existe dans nos rangs aujourd'hui est un mal, est un chaos. Nous considérons son maintien comme une très lourde faute. Nous sommes d'avis que la variété de nos idées ne pourra être et ne sera un élément progressif et fécond qu'au sein d'un mouvement commun, d'un organisme uni, édifié sur la base de certaines thèses générales admises par tous les membres et sur l'aspiration à une synthèse.

Ce n'est que dans l'ambiance d'un élan commun, ce n'est que dans les conditions de recherches de thèses justes et de leur acceptation, que nos aspirations, nos discussions et même nos disputes auront de la valeur, seront utiles et fécondes. (C'était précisément ainsi au Nabat.) Quant aux disputes et aux polémiques entre de petites chapelles prêchant chacune « sa » vérité unique, elles ne pourront aboutir qu'à la continuation du chaos actuel, des querelles intestines interminables et de la stagnation du mouvement.

Il faut discuter en s'efforçant de trouver l'unité féconde, et non pas d'imposer à tout prix « sa » vérité contre celle d'autrui. Ce n'est que la discussion du premier genre qui mène à la vérité. Quant à l'autre discussion, elle ne mène qu'à l'hostilité, aux vaines querelles et à la faillite.

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Re: Incursions sur les autres forums

Messagede apeqli le Ven 9 Nov 2012 14:34

vroum a écrit:
René a écrit : Dans le registre de l’«unité», de l’«efficacité» et de la «cohérence», je dirais que le principal critère pour juger d’une organisation est sa capacité à gérer les emmerdeur/euses de service et à neutraliser leur capacité de nuisance.


tiens ça me fait justement penser au forum anarchiste !


moi, ca me fait penser aux methodes que l'Etat utilise pour eliminer les emmerdeurs et nuiseurs que sont les anarchistes. ou aussi les methodes des trotskystes... voire meme des sectes religieuses...
. en meme temps il y a certains theoriciens qui veulent simplement remplacer l'Etat par le Syndicat, alors certains propos ne m'etonnent pas vraiment. je pense notamment a certains partisans syndicaliste revolutionnaire (a boire et a manger).
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