UTCL. "Les dix-sept années de l’Union des travailleurs communistes libertaires"http://raforum.info/article.php3?id_article=3872Texte de bilan collectif adopté le 16 juin 1991, au terme du 5e et ultime congrès de l’Union des travailleurs communistes libertaires.Entre les premières interventions d’une tendance « UTCL » au sein de l’Organisation révolutionnaire anarchiste, en automne 1974, et le Ve et dernier congrès de l’UTCL en juin 1991, dix sept années se sont écoulées.
Les militantes et les militants de l’UTCL décident aujourd’hui, 16 juin 1991, de mettre un terme à l’existence d’une structure, d’un sigle, d’un cadre organisationnel ; ils le font pour s’insérer pleinement dans la construction d’une organisation nouvelle, formée sur la base de l’Appel et des Collectifs pour une Alternative libertaire, processus auquel ils ont très activement contribué dès les origines.
Cette nouvelle organisation, convergence entre de nombreux militants inorganisés et ceux du Collectif jeunes libertaires (CJL) et de l’UTCL, ouvre la possibilité d’un saut quantitatif et qualitatif pour le combat libertaire « lutte de classe », le syndicalisme révolutionnaire, le communisme libertaire.
La lutte que nous menons depuis dix-sept ans se continuera sous une forme renouvelée, mieux adaptée à l’époque, et aux côtés de nouveaux camarades, sur des bases décidées démocratiquement par l’ensemble des membres de l’Alternative libertaire.
Loin de tracer une croix sur notre passé, nous sommes conscients d’apporter une expérience pratique et théorique non négligeable, une formation, une implantation sociale. Le projet communiste libertaire adopté lors du IVe congrès de l’UTCL exprime notamment cet apport collectif.
À l’heure d’un bilan dont nous n’avons pas à rougir, nous indiquerons ici quelques unes de nos expériences et de nos avancées, mais sans masquer ce qui nous paraît être les erreurs et les défauts, dégageant ainsi quelques leçons qui pourront être utiles dans la construction de la nouvelle organisation.
TLPAT n°1 (1er mai 1976)
Les convictions initiales de l’UTCL étaient à peu près celles-ci :
– Il faut donner au combat révolutionnaire et libertaire une assise parmi les travailleurs, qui déterminera jusqu’à la nature même de ce combat.
– Il faut articuler le discours révolutionnaire avec une pratique de masse, à la base, qui tienne compte des réalités quotidiennes nécessairement limitées de la lutte des classes ; en conséquence il faut participer très activement aux luttes revendicatives et au syndicalisme, tout en diffusant publiquement auprès des travailleurs nos idées spécifiques.
– Le combat anticapitaliste est global, c’est-à-dire qu’il se mène dans et hors les entreprises, sur les questions touchant à la production, et sur toutes les questions de la vie quotidienne, de la cité, de la société.
– Il faut reconstruire une stratégie révolutionnaire différente des croyances de l’après 68 (« l’imminence de la révolution ») et capable de tenir tête à la sociale démocratie : une stratégie cohérente et crédible qui propose un prolongement politique aux luttes sociales.
– Il faut élaborer un projet révolutionnaire qui puise de façon critique dans tout l’acquis du courant libertaire ouvrier, et dans celui de l’ensemble des courants et apports révolutionnaires, y compris dans ceux de Marx et des « marxistes » non dogmatiques.
– Il faut construire une organisation libertaire qui expérimente les formes et le contenu autogestionnaire et fédéraliste du socialisme que nous proposons ; une organisation efficace, écoutée, et qui tourne le dos au modèle du « parti ».
– Une Alternative révolutionnaire appelle l’unité des forces, largement au-delà d’une seule organisation ou du seul courant libertaire.
Ces convictions sont toujours les nôtres.
Mais, en dix-sept années, nous avons expérimenté plusieurs voies, nous avons évolué, élargi notre réflexion, modifié certaines réponses, ouvert d’autres questions.
L’implantation parmi les travailleurs
TLPAT n°4 (avril 1977)
L’UTCL fut lancée par un noyau de très jeunes travailleurs confrontés aux grandes grèves de 1974 dans les banques, les PTT, les chemins de fer. Réexaminant à la lumière de leurs expériences pratiques le discours de l’extrême gauche et celui de l’ORA (à l’époque organisation quantitativement la plus importante du mouvement libertaire) ils s’élevaient contre la prépondérance politique des militants extérieurs à la condition des travailleurs, et contre ses conséquences :
– une image mythique du prolétariat, qui faisait écran aux réalités beaucoup plus contradictoires et aux luttes quotidiennes limitées menées dans les entreprises ;
– une déviance ultra-gauche et antisyndicaliste assez générale dans l’extrême gauche et très sensible dans les courants communistes libertaires des années 70 : MCL puis OCL1, ORA ;
TLPAT n°20 (février 1979)
– la prédominance du projet léniniste dans l’extrême gauche, qui attribuait de fait le rôle dirigeant aux couches intellectuelles.
Dans ce combat nous avons eu tendance, dans les premières années, à verser dans un certain ouvriérisme. Nous reviendrons plus loin sur la question de la direction ouvrière de l’organisation. Précisons toutefois que le prolétariat dont nous parlions répondait à une définition large (ouvriers, employés, techniciens, enseignants) ; que par travailleurs nous entendions déjà aussi travailleurs privés d’emploi ; et que nous ne crachions pas sur les autres « fronts » de la lutte.
Notre composition initiale et notre volonté d’intervention et d’implantation dans les entreprises nous a permis d’accumuler les expériences. L’essentiel des ralliements à l’UTCL fut celui de militants ouvriers, syndicaux, ou dans tous les cas de camarades polarisés par ces problématiques. Les militant(e)s ont participé à l’animation de plusieurs centaines de grèves et de mouvements revendicatifs importants. Ils ont acquis leur implantation syndicale sur la base d’un travail de terrain. Ils ont expérimenté la validité de l’auto-organisation, exigeant en permanence la souveraineté des assemblées générales. Ils ont progressé, à travers la pratique, dans leur compréhension des contradictions dialectiques qui traversent toute base et tout mouvement social. Et c’est effectivement à partir de cela que nous avons conçu nos orientations, opérant un renversement complet par rapport aux schémas classiques d’élaboration politique.
TLPAT n°23 (mai 1979)
Parallèlement à l’intervention directe dans les mouvements sociaux et au syndicalisme, nous avons tenté une expression spécifique communiste libertaire dans les entreprises où c’était possible. Aux PTT (Le Postier Affranchi), à la SNCF,dans l’aérien notamment, ce furent des expériences de bulletins de branches et de bulletins de boîtes locaux. Plusieurs numéros d’un bulletin entreprise intersecteurs ont été diffusés ces dernières années à des dizaines de milliers d’exemplaires. Aucune composante du mouvement libertaire contemporain n’a produit un pareil effort pour populariser le combat libertaire auprès des travailleurs.
Reste à marquer les limites et les carences, tout en notant que les dix-sept années de l’UTCL furent aussi celles d’un formidable reflux des luttes ouvrières qui n’a pas été sans conséquences.
Limite dans la base sociale active de l’UTCL : plutôt des employés et des ouvriers des secteurs publics et assimilés, auxquels s’ajoutent quelques techniciens, quelques enseignants, quelques jeunes scolarisés. Donc des manques importants : ouvriers industriels ; travailleurs du privés en plus grand nombre ; chômeurs et précaires ; travailleurs ruraux.
TLPAT n° 26 (novembre 1979)
Limites dans l’apparition spécifique en entreprise : trop en « pointillé » ; nulle part nous n’avons réussi à tenir la durée, avec une apparition régulière et prolongée. Limites dans la collectivisation des informations et de la réflexion. Il y a eu une carence dans la centralisation (voir plus loin le chapitre sur l’organisation) qui tient également au fait que l’UTCL, organisation en principe de « travailleurs », mais agissant sur tous les fronts comme une organisation globale, ne s’est jamais dotée d’une structure stable, permanente, coordonnant ses activités et ses débats dans les entreprises.
En conclusion, si nous avons élargi nos champs de préoccupation, par rapport à l’ouvriérisme des premières années, nous n’en continuons pas moins à penser qu’un combat révolutionnaire doit être conçu d’abord à partir du prolétariat (au sens large), que c’est d’abord mais pas exclusivement parmi les couches qui le composent qu’il faut agir et s’exprimer, et que l’implantation en entreprise est bien une (pas la seule) des priorités essentielles d’une organisation se réclamant de l’autogestion socialiste.
Un syndicalisme d’action
Une part importante de notre expérience ouvrière s’est jouée dans le syndicalisme. En rupture avec l’ultra-gauchisme, l’UTCL s’est construite sur une compréhension dialectique des mouvements sociaux en général et de l’action syndicale en particulier : sur ce que nous avons nommé la contradiction entre un pôle de rupture et un pôle d’intégration, qui traverse toutes les luttes menées sous le capitalisme, et sur la nécessité pour les révolutionnaires de la prendre à bras le corps, s’ils veulent participer aux luttes de classes réelles, en être des animateurs et non pas une espèce d’élite coupée des réalités et des gens ; s’ils veulent justement peser dans le sens de la rupture en étant conscients que l’on ne peut pas échapper complètement à chacun des deux pôles de la contradiction.
TLPAT n°27 (decembre 1979)
Choisissant d’être actifs dans le syndicalisme réel, les militants et les militantes de l’UTCL y ont mené un combat acharné pour une orientation combative, intransigeante, démocratique. Défendant un syndicalisme de terrain, de base, c’est sur cette pratique que des camarades ont gagné la confiance des travailleurs et des syndiqués, et que ceux-ci leur ont confié des responsabilités allant jusqu’à la participation à la direction de fédérations nationales. Après les premiers pas, où nous étions de jeunes travailleurs très minoritaires dans leurs sections locales, nous avons ainsi accumulé et élargi nos expériences, l’organisation comptant des militants « de base », des animateurs de sections locales, de syndicats, de structures interprofessionnelles, de structures nationales. Ainsi confrontés à l’ensemble des problématiques syndicales les camarades ont joué un rôle non négligeable dans les activités des gauches et des oppositions syndicales.
Menées surtout à la CFDT, où nous nous sommes plutôt retrouvés (mais avec également des camarades dans la CGT et la FEN) sans que cela soit le fait d’une « consigne » délibérée, mais, sans doute, de par l’orientation autogestionnaire de celle-ci dans les années 70 et du pluralisme qu’elle offrait, ces pratiques oppositionnelles étaient justes quand bien même elles n’ont pas toujours été victorieuses.
Nous n’en tirons pas moins une analyse critique d’une partie des oppositions, trop timorées et se cantonnant à des batailles de couloirs, loin des équipes militantes de bases.
TLPAT n°38 (février 1981)
L’essentiel était et reste pour nous que le syndicalisme puisse être, au moins là où pèsent des militants révolutionnaires, un outil pour les luttes et pour l’auto-organisation. C’est notre postulat de départ, et c’est à la lumière des résultats qu’il faut juger de la validité ou non de notre orientation syndicaliste. Or l’expérience nous a donné raison sur ce point.
La dernière grande vague de luttes, ouverte fin 86, nous a permis de le confirmer : une partie de l’opposition syndicale, et parmi elle des militants par ailleurs affiliés à l’UTCL, a contribué d’une façon décisive à l’éclosion des luttes, à leur auto-organisation depuis les AG de grévistes, à la multiplication des coordinations.
Des militants de l’UTCL ont joué un rôle de façon déterminante, parmi les premiers éléments déclencheurs, dans les grands mouvements de la SNCF ou des instituteurs, agissant tant depuis des situations de militants de base que depuis des responsabilités départementales et nationales, démontrant ainsi que l’on peut agir sur différents niveaux pour l’auto-organisation. Notre orientation s’en trouvait confirmée par les faits, consolidant notre refus de l’ultra-gauchisme et d’un basisme étroit, d’un côté, et de l’autre notre refus d’un syndicalisme gestionnaire.
TLPAT n°42 (octobre 1981)
La montée de la crise du syndicalisme nous a conduit à évoluer sur le choix d’adhésion. Au départ, celle-ci ne pouvait se concevoir pour nous qu’a la CGT ou à la CFDT (c’était même un de nos dix « principes de base », certes prudemment assorti d’un « aujourd’hui »), éventuellement à la Fédération de l’Education nationale (FEN). Mais notre « boussole » étant la pratique de terrain, nous avons anticipé le morcellement du paysage syndical, dont les bureaucraties portent la responsabilité, et des camarades ont joué un rôle important dans la constitution de syndicats autonomes de lutte (SNPIT à Air-Inter, SUD aux PTT...), qui n’auraient certes pas pu voir le jour sans le travail préalable dans la CFDT. Nous sommes donc ouverts aujourd’hui à la pratique d’un syndicalisme de masse dans toutes les structures qui le permettent, y compris dans la CNT-F, ce que nous avions refusé pendant longtemps pour cette dernière, bien qu’elle ne souffre plus, de notre part d’a priori, force est de constater que les camarades qui y ont mené une expérience ont été, au mieux, déçus.
Au-delà d’une expérience positive et à poursuivre – elle a d’ailleurs contribué largement à modifier le contenu de notre combat, repoussant, nous y reviendrons, certains aspects trop étroitement « organisationnels » des débuts de l’UTCL, et nous permettant d’intégrer sur une base pratique la tradition syndicaliste révolutionnaire et anarcho-syndicaliste – au-delà, un point de vue plus critique est nécessaire, outre les erreurs qui émaillent naturellement toute intervention.
Lutter ! n°2 (été 1982)
Une grande partie de notre énergie a été absorbée par le syndicalisme. Le travail consacré dans les premières années à une expression communiste libertaire s’est réinvesti au profit d’un syndicalisme d’action qui, il est vrai, reprend une bonne partie des orientations naguère formulées par l’extrême -gauche (AG, auto-organisation etc.). Cela met à nu deux questions :
– celle du contenu de nos interventions spécifiques communistes libertaires, trop étroitement concentrées sur les domaines naturels d’un syndicalisme de classe, et pas assez porteuses d’un message idéologique, « sociétal », et d’une certaine façon « utopique » ;
– celui de l’équilibrage des priorités, entre la construction et l’apparition d’un courant révolutionnaire, et la participation active aux luttes de masse et syndicales. Equilibrage d’autant plus difficile à assurer que l’on est numériquement faible, et que le reflux des luttes génère autour de nous la désertification militante. Mais d’autant plus nécessaire que le syndicalisme à besoin de militants politiquement formés et animés d’un idéal qui dépasse l’horizon des seules luttes revendicatives.
Lutter ! n°5 (été 1983)
Enfin, au coeur même de notre intervention syndicale, on peut mettre le doigt sur des insuffisances importantes : les camarades syndicalistes libertaires, et plus largement autogestionnaires combatifs, dont nous sommes, ont-ils suffisamment pesé dans l’affirmation d’une gauche syndicale ? Nous sommes nous donnés tous les moyens de tenir tête aux courants influencés par le léninisme, ou par les oppositions timorées ? Avons-nous suffisamment réfléchi collectivement à nos expériences syndicales, afin de nous armer, tout en refusant, c’est bien clair pour nous, d’agir en « fraction » ? Enfin, nous sommes nous suffisamment penchés sur les conditions spécifiques du militantisme dans la CGT ?
Très positif par contre, le bilan du colloque « Le syndicalisme révolutionnaire » organisé par la revue Lutter ! en 1986 et qui a vu passer plus de 400 personnes dont de nombreux syndicalistes, et où ont pu s’exprimer dans un réel pluralisme de nombreuses sensibilités combatives.
Une lutte globale contre le systèmeContrairement à une certaine image, l’UTCL n’a jamais volontairement minoré les thèmes de lutte non syndicaux. Dans les premières années nous distinguions deux concepts : « lieu d’intervention » et « front d’intervention ». Par exemple, le « front » lutte des femmes traversait tous les « lieux » : l’entreprise, l’habitat, la vie quotidienne... L’entreprise était le lieu prioritaire où l’on devait ouvrir la lutte sur tous les fronts. D’autre part nous avons toujours expliqué qu’une priorité ne signifiait pas une exclusivité.
Aussi les militants et militantes de l’UTCL se sont-ils investis dans de nombreux combats hors du champ de l’entreprise ou du syndicalisme :
Lutter n°6 (decembre 1983)
– La lutte antimilitaristeElle fut un des thèmes majeurs de l’UTCL. Le groupe communiste libertaire de Nancy – une des composantes les plus dynamiques de la constitution de l’UTCL (congrès constitutif de 1978)- fut préalablement la première structure de l’extrême gauche à appuyer les comités de soldats.
Au IIe congrès de l’UTCL un appelé en uniforme et masqué intervenait au nom des appelés communistes libertaires : une structure clandestine de liaison et de soutien avait été mise sur pied. La plupart des militants ont participé aux combats antimilitaristes de l’époque, et des camarades comme Daniel Guérin y ont été particulièrement en pointe.
L’orientation antimilitariste de l’UTCL était ouverte : soutien à toutes les formes de contestation de l’armée, insoumission, objection, lutte à l’intérieur des casernes. Celles-ci déclinèrent hélas assez vite, indice du recul plus général des luttes et de la politisation de la jeunesse. Nous avons poursuivi un travail de soutien aux objecteurs et insoumis, et la dénonciation de la condition des appelés. Notre intervention dans la lutte contre la guerre du Golfe puisa aussi ses motivations dans notre antimilitarisme.
On doit toutefois noter que notre intervention collective sur ce front a largement reculé année après année, accompagnant certes le recul et la minorisation de l’antimilitarisme en général, mais nous plaçant en dessous de l’intervention critique et y compris idéologique qui devrait être celle d’une organisation libertaire.
Lutter ! n°9 (février 1985)
– L’antiracisme. La lutte pour l’égalitéSi le combat antiraciste est un des classiques de l’intervention des révolutionnaires, c’est sous la poussée des jeunes issus de l’immigration que le problème a réellement été posé à la population. Les « marches » furent également les signes avant-coureurs des luttes de la jeunesse et des travailleurs de la fin des années 80.
Soutenant la première marche (1983) nous avons participé activement à la seconde (Convergence 84). A travers ce soutien l’UTCL gagnait des jalons auprès des jeunes (rouleurs de Convergence, étudiants de Nanterre...) qui allaient former le noyau initiateur du CJL. Depuis, un travail de plusieurs camarades en province et à Paris élargissait nos interventions dans le secteur associatif et sur le lieu d’habitation : de nouvelles problématiques nous saisissaient, qu’elles soient globales (le thème de la « nouvelle citoyenneté » portée par Convergence 84) ou de terrain.
Lutter ! n°18 (janvier 1987)
Numéro spécial grèves de 1986.
– La lutte des femmesCe fut d’abord la participation active des femmes du Collectif pour une UTCL puis de l’UTCL au mouvement des femmes des années 70 (avec la formation d’une commission spécifique). Puis progressivement un réinvestissement dans les commissions femmes des syndicats. Enfin, durant les dernières années, une participation très en pointillé à des initiatives des militantes féministes, reflet du reflux important de la lutte des femmes, et des motivations féministes moins spécifiques de la nouvelle génération de militantes.
On peut toutefois constater que l’intervention spécifique de l’UTCL a été insuffisante sur ce front, alors que la lutte contre le patriarcat devrait être un des thèmes essentiels d’un mouvement anti-autoritaire. On ne peut pas dire qu’il y ait eu une résistance de type « machiste » ; plusieurs autres raisons semblent se combiner. Des sensibilités différentes parmi les militantes n’ont pas aidé à une intervention active : critiques face aux excès des féministes, points de vue économistes minorant la spécificité de ce front, voire réactions face à la prédominance des couches intellectuelles par rapport aux travailleuses...
Lutter ! n°26 (mars 1989)
Numéro spécial création de SUD-PTT.
– Le combat anti-impérialiste et anticolonialisteLe soutien à la lutte du peuple kanak fut un des fronts majeur de l’UTCL. Tous les groupes de l’organisation s’y sont investis. Priorisant le travail à la base, dans les villes, dans les entreprises, dans la jeunesse, à la participation centrale à l’AISDPK (avec néanmoins une présence à ses instances nationales et dans la commission syndicale), de nombreux camarades en ont fait pratiquement leur « front prioritaire » au côté du syndicalisme pendant plusieurs années.
L’UTCL reprenait ainsi, dans un contexte différent, le flambeau de la FCL se jetant dans le soutien au peuple algérien, et comme elle nous avons rencontré des militants libertaires (une coordination anti-impérialiste a pu voir le jour avec des camarades de l’OCL, de la FA et des inorganisés), et nous nous sommes opposés à d’autres (essentiellement des anarchistes traditionnels, de la FA ou non, refusant de soutenir les Kanaks au nom d’un antinationalisme de principe).
A l’issue du soutien nous devons quand même relever quelques carences . Nous n’avons pas su trouver la voie d’un débat suivi avec les militants kanaks sur la question du projet de transformation de la société – alors qu’il est au coeur de l’avancée vers l’indépendance. Ne pas avoir réussi à appuyer l’émergence d’un noyau autogestionnaire dans l’île (surtout ne pas l’avoir tenté) peut nous interroger, ce d’autant plus que l’avenir du peuple kanak n’est pas radieux, qu’il y a devant nous des explosions importantes dans les « Dom-Tom », et que la perspective reste donc toujours d’actualité.
Second temps fort dans la lutte anti-impérialiste : la lutte contre la guerre du golfe. Si là notre intervention se confond avec celle des CAL, si nous nous sommes retrouvés aux côtés de tous les camarades avec un accord sur l’orientation « ni Bush ni Saddam », l’UTCL y a tout de même trouvé la dernière occasion d’une apparition publique dans une mobilisation importante, et elle comptait notamment parmi les organisateurs de la grande manifestation antiguerre du 12 janvier 1991.
Lutter ! n°26-27 (mai 1989)
Numéro spécial alternative syndicale
– L’Internationalisme révolutionnaireRappelons ici le travail entamé avec nos camarades de l’OSL (Organisation Socialiste Libertaire – Suisse romande) dans un secrétariat international commun et qui permit de nouer et d’entretenir de nombreux contacts sur les cinq continents avec des organisations, collectifs ou revues libertaires et anti-autoritaires. Grâce à ce travail, des convergences politiques ont commencé à prendre forme, notamment avec la Federacion Anarquista Uruguaya (FAU, Uruguay) ; la Federazione dei Communisti Anarchici (FdCA, Italie), le Partito Anarchico Italiano (PAI, Italie), la Organizzazione Communista Libertaria (OCL, Italie), la Federazione Communista Libertaria (FCL, Italie) ; l’Anarchist Communist Federation (ACF, Grande-Bretagne), l’Anarchist Workers Group (AWG, Grande-Bretagne) ; le Workers Solidarity Movement (WSM, Irlande).
De même sur le plan syndical, nous avons participé à plusieurs rencontres internationales de syndicalistes révolutionnaires et des contacts réguliers ont été entretenus avec, entre autres, la SAC suédoise et la CGT/CNT espagnole.
Lutter ! n°28 (octobre 1989)
Numéro spécial grève Peugeot.
– Soutien aux peuples et aux travailleurs de l’EstLargement en avance sur l’événement nous avons mené pendant des années un travail suivi de soutien aux opposants et notamment aux syndicalistes des pays de l’Est. Ce fut le soutien au syndicat SMOT en URSS. Le soutien aux opposants Bulgares et Roumains. Et le soutien à Solidarnösc, alors à l’avant-garde de la lutte contre la bureaucratie, et porteur d’un projet autogestionnaire. Ce furent des meetings organisés par l’UTCL en province et à Paris avec l’intervention d’opposants. Ce furent des dossiers spéciaux.
Et l’organisation d’un grand Colloque en 1981 : « De Cronstadt à Gdansk, 60 ans de résistance au capitalisme d’Etat », colloque à la fois historique et contemporain, où se sont exprimées des dizaines de personnalités importantes, de Guérin à Castoriadis, de Plioutch à Ciliga et à Marcel Body, devant plus de huit cents assistants.
Plus près de nous, après l’effondrement des régimes bureaucratiques, les contacts se sont noués notamment avec des syndicalistes révolutionnaires et des anarchistes de l’Est.
Lutter ! n°176 (juillet 1991)
Ultime numéro avant autodissolution de l’UTCL
– ÉcologieLes militants de l’UTCL ont participé aux grandes luttes contre le nucléaire. Et localement ils sont présents dans de nombreuses mobilisations. Le Projet Communiste Libertaire aborde à plusieurs moment la dimension écologique, dans son analyse de la crise, son projet de société, ses axes stratégiques. Pourtant, même si nous nous activons et si nous sommes sensibilisés, force est de constater que notre expression n’a pas été à la mesure de l’enjeu et du lien qui devrait se faire naturellement entre combats anticapitaliste, libertaire et écologiste.
Sans opportunisme (nos engagements sont largement antérieurs à l’apparition du parti « Vert ») nous avouons là une faiblesse incontestable.
– JeunesseDès le numéro 1 de Tout le pouvoir aux travailleurs le collectif pour une UTCL s’exprimait sur la lutte étudiante, reflétant la présence de camarades lycéens et étudiants. La lutte antimilitariste fut un prolongement de la lutte dans la jeunesse. Mais la priorité en entreprise ne s’est pas accompagnée d’un travail spécifique dans la jeunesse scolarisée. C’est à partir de 1984 (Convergence) qu’une nouvelle génération de militant(e)s rejoignait l’UTCL. Ils seront très actifs dans la grande grève de 1986 (où les syndicalistes de l’UTCL ont été par ailleurs parmi les artisans des rapprochements étudiants-travailleurs). Cette nouvelle génération a été porteuse au sein de l’organisation d’une remise en cause de l’aspect trop « syndicalo-syndicaliste » de l’UTCL, où l’insertion des jeunes était devenue difficile.
La relance des luttes dans les facs et les lycées rendait crédible de nouveaux engagements politiques. La constitution du Collectif Jeune Libertaire dans la foulée de la grève de 86 répondait à un besoin : une structure spécifique d’intervention communiste libertaire dans la jeunesse ; mais elle mettait aussi en lumière les difficultés de l’UTCL pour répondre à ce besoin.
Créé par des militants de l’UTCL, soutenu par elle, et se situant sur une même trajectoire politique, le CJL a connu un développement important ; il constitue de fait une organisation autonome dans toutes ses prises de décision, et dont les neuf dixièmes des membres ne sont pas affiliés à l’UTCL.
Le CJL a donc agit comme un révélateur des qualités et des défauts de l’UTCL, à la fois capable de générer une nouvelle vague de militants, et impropre à en organiser l’essentiel, du fait de son resserrement progressif autour de problématiques non pas exclusivement mais tout de même très prioritairement « syndicalistes ».
Il fut ainsi un des éléments moteur d’une remise en question qui nous a conduit au dépassement actuel.
Nos interventions « hors entreprises » ou « hors du syndicalisme » n’ont donc pas été négligeables. Mais on note un abandon progressif d’une partie d’entre elles, qu’il faut mettre en relation avec le reflux général des luttes sur tous les fronts : le repli sur l’action ouvrière et syndicale s’explique, et on peut même dire que c’est lui qui nous a permis de « tenir la route » durant une époque difficile pour les révolutionnaires. On note également des fronts importants où nous sommes peu présents. Et une organisation qui a des difficultés à intégrer des jeunes et des militants actifs hors entreprise.
Le renouveau des luttes depuis 1986 – et donc celui des engagements – rendait nécessaire l’abandon de la structure, du sigle de l’UTCL, et de l’image qui lui était attachée. Une organisation nouvelle et globale doit mieux articuler luttes en entreprise et lutte sur tous les fronts, et offrir un cadre où des militants jeunes puissent côtoyer des travailleurs, des militants associatifs ou culturels ceux qui agissent dans les syndicats.
Il serait pourtant illusoire de s’imaginer pouvoir « couvrir » pour autant « tous » les sujets. Pour cela il faudrait constituer une force très importante. Ce que l’on peut espérer dans l’avenir – et ce serait déjà un saut qualitatif par rapport à l’UTCL – c’est un courant qui n’hésite pas à s’exprimer plus sur toutes les questions de la société, qui participe plus activement à des luttes sur la vie, l’habitat, la cité, l’écologie. Et qui, sans perdre l’acquis des interventions de masse, nourrisse son intervention spécifique d’un contenu plus « idéologique », subversif, porteur d’un projet alternatif de société et de vie.