Jules Durand, la résurrection du «Dreyfus ouvrier»

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Jules Durand, la résurrection du «Dreyfus ouvrier»

Messagede vroum le Mar 8 Mar 2011 17:10

Libération du 07/03/2011

La résurrection du «Dreyfus ouvrier»

http://www.liberation.fr/societe/01012324002-la-resurrection-du-dreyfus-ouvrier

grand angle

En 1910, sur fond de conflit social, Jules Durand, syndicaliste havrais, est accusé de meurtre. Condamné à mort puis innocenté, il sombre dans la folie. Sa réhabilitation est devenue un enjeu que se disputent les syndicats.

Par NATALIE CASTETZ Le Havre, correspondance.


Vous avez dit Jules Durand ? Au Havre, tout le monde connaît le boulevard, sur le port. L’homme a aussi donné son nom à une école primaire, une pièce de théâtre, des romans, et une plaque a été posée sur sa maison natale, dans le quartier de l’Eure. Condamné à mort en 1910 pour un crime qu’il n’avait pas commis, libéré sous la pression populaire, réhabilité mais mort de folie à l’asile, ce charbonnier syndicaliste fait partie de la mémoire locale. Mais depuis peu, il intéresse bien au-delà du port.

Pour les uns, Jules Durand est le héros et le martyr du syndicalisme ; pour d’autres, la figure tutélaire de l’anarchisme révolutionnaire. Pour tous, la victime d’une machination patronale et d’une justice de classe. Une sorte de Dreyfus de la classe ouvrière en passe de devenir une icône que les syndicats se disputent. Or, si Dreyfus a reçu les honneurs présidentiels en 2006, à l’Ecole militaire, à Paris, Jules Durand, lui, n’a eu droit ni à la Légion d’honneur ni à une indemnisation, encore moins à une cérémonie officielle.

Le 25 novembre 2010, dockers, syndicalistes, Ligue des droits de l’homme, juges et avocats lui ont rendu hommage au Havre, à l’occasion du centenaire de sa condamnation à mort. Deux jours plus tard, à Paris, lors de son congrès annuel à la cour d’appel, le Syndicat de la magistrature s’est engagé à soutenir les initiatives visant à perpétuer la mémoire de ce «Dreyfus ouvrier». Et le 16 février dernier, à Rouen, une commémoration du centième anniversaire de sa libération s’est tenue devant le palais de justice par le Collectif pour la défense des libertés fondamentales (CDLF). Le Syndicat de la magistrature, qui voit en Jules Durand la victime de «la plus grande erreur judiciaire du XXe siècle», fait son mea culpa et travaille à sa complète réhabilitation. «Je suis convaincu que la justice se grandit à chaque fois qu’elle reconnaît ses erreurs et permet que les victimes de ses dysfonctionnements soient réhabilitées dans leur honneur et leur dignité», explique Marc Hédrich, doyen des juges d’instruction du Havre. Cette affaire symbolise à ses yeux «l’instrumentalisation de la justice et sa dépendance au parquet». Un débat en pleine actualité…
«Brutes épaisses»

Le docker a tout du héros tragique. Sur les quais du Havre, où accostent les cargos à vapeur en ce début de XXe siècle, il se distingue des quelque 700 ouvriers qui chargent et déchargent le charbon. Journaliers pour la plupart, dormant sous les wagons, ce sont de «pauvres diables ravagés par un dur labeur et plus encore par l’alcool… Noirs comme leur âme de brutes épaisses», écrit l’Intransigeant. Jules, 30 ans, fils de charbonnier mais buveur d’eau, milite à la Ligue antialcoolique et à la Ligue des droits de l’homme. Il élève des pigeons chez ses parents chez qui il réside, avec sa compagne Julia, enceinte. Aux cours du soir à l’université populaire (donnés par les syndicalistes), il entend prononcer les noms de Blanqui, Proudhon, Marx, Pelloutier…

Dans ce port, où Louise Michel a tenu un meeting en 1887, Jules Durand relance le Syndicat des ouvriers charbonniers, affilié à la CGT. Il en devient le secrétaire général. Ses principales revendications : des douches, une cantine sur les quais et des paies qui ne soient plus versées (et dépensées) dans les bistrots mais sur le lieu de travail.

Les charbonniers assistent, impuissants, à la mécanisation progressive de leurs métiers avec l’arrivée des bennes automatiques. La machine Clark fait son apparition. Installée par la toute-puissante Compagnie générale transatlantique dont les 72 navires sillonnent les mers, elle peut faire en vingt heures le travail de 150 ouvriers journaliers. Jules Durand ne s’oppose pas à cette mécanisation. Il partage en cela les positions de l’Union des syndicats du Havre (USH). Née en 1907 et affiliée à la CGT, l’USH - forte de 10 000 adhérents - a pour credo : «Travailleur, empare-toi de la machine, au profit de tous. Mais garde-toi bien de la briser, comme nos ennemis veulent nous le faire dire». En échange, le Syndicat des charbonniers réclame aux armateurs une compensation salariale. Il exige aussi le respect de la récente loi sur le repos hebdomadaire et le paiement des heures supplémentaires. Refus catégorique.

En août 1910, la grève éclate. Elle va durer trois semaines. Réunions quotidiennes, détournement du trafic vers l’Angleterre et les Pays-Bas, tension entre grévistes et non-grévistes - les «renards» ou «jaunes» séduits par les primes. Quand survient le drame : la mort du contremaître Dongé, non-gréviste, suite à une rixe sur les quais le 9 septembre 1910. Deux jours plus tard, Jules Durand et deux de ses compagnons sont arrêtés pour provocation et complicité d’assassinat. «Sanglante chasse au renard», titre la presse qui attribue aussitôt le crime à des grévistes. «Ce n’est pas de la justice, c’est un parti pris contre la cause syndicaliste», écrira Jules Durand à ses parents depuis la prison Bonne-Nouvelle de Rouen.

Le procès à la cour d’assises de Rouen, en novembre 1910, va durer deux jours. A lire la presse et les rares archives disponibles sur cette affaire, l’enquête est bâclée, l’instruction clairement à charge, les témoins sont sélectionnés. Défendu par l’avocat René Coty (futur et dernier président de la IVe République), Jules Durand est reconnu coupable de complicité d’assassinat avec préméditation. Il est condamné à être décapité, alors que les véritables auteurs du crime, trois charbonniers sous l’emprise de l’alcool, sont envoyés au bagne, et deux autres délégués du Syndicat des charbonniers sont relaxés.

La réaction est immédiate. Les syndicats protestent, la Ligue des droits de l’homme et des parlementaires se mobilisent. Dans l’Humanité, Jean Jaurès écrit des dizaines d’articles. A l’étranger aussi (en Angleterre, au Pays-Bas, en Belgique, aux Etats-Unis et en Australie), on signe des pétitions, des marches de soutien sont organisées.

Sous la pression, le 31 décembre 1910, un décret du président Armand Fallières commue la peine en sept ans de réclusion. Les protestations se poursuivent. «La condamnation de Durand est un crime», accuse Anatole France. En même temps que Durand est libéré, un pourvoi en révision est déposé le 16 février 1911 devant la Cour de cassation, . Celle-ci casse le jugement de la cour d’assises en 1912, Jules Durand est libéré, et une enquête en révision va confirmer la rixe entre ivrognes et les faux témoignages concoctés par la Compagnie générale transatlantique. Durand est définitivement reconnu innocent en 1918 par un arrêt de la Cour de cassation.

Mais il est trop tard. Jules Durand n’a pas supporté le choc de la condamnation ni le traitement subi en prison (camisole de force, cagoule, chaînes). Il souffre de délire de persécution et est interné en asile psychiatrique en avril 1911. Il y mourra en 1926, à l’âge de 46 ans. D’après la petite-fille de Jules, René Coty aurait lâché : «C’est le remords de ma vie de ne pas avoir été à la hauteur. C’était un pur, un intègre, un apôtre.» Le drame ne s’arrête pas là : Julia, la compagne de Jules, meurt à 33 ans d’un abcès. Leur fille, la petite Juliette, née en 1911, est élevée par sa grand-mère maternelle, marchande de quatre-saisons qui débaptise «l’enfant de la honte», la renommant Lucienne. Elle élèvera elle-même ses enfants dans le non-dit. «Des vies de souffrance, des vies gâchées», dit Christiane, la petite-fille de Jules Durand.
Héros de roman

Mais le travail de mémoire fait son chemin. En 1931, les dockers et les anarcho-syndicalistes du Havre érigent une stèle funéraire dans le cimetière Sainte-Marie du Havre, rénovée plus tard par les dockers CGT. Jules Durand devient le héros d’une pièce de théâtre, Boulevard Durand, créée au Havre en 1961 par Armand Salacrou. En 1984, Alain Scoff publie un livre, Un nommé Durand, après avoir enquêté durant deux ans. L’auteur s’étonne de la disparition du dossier d’instruction : «Il aurait été détruit au cours d’un incendie provoqué par les bombardements subis par la ville de Rouen pendant la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, d’autres dossiers concernant d’autres affaires jugées à la même époque, et conservés au même endroit, ont été miraculeusement préservés.» Jules Durand devient aussi le héros d’un roman (les Quais de la colère de Philippe Huet, 2005). En 2007, le maire UMP du Havre, Antoine Rufenacht, inaugure une plaque commémorative sur la maison natale de l’ouvrier, quai de Saône.

Fin 2010, le centenaire mobilise les mémoires. Et les syndicats. Pour Yvon Miossec du CDLF de Rouen (qui regroupe associations, syndicats et partis de gauche), «la vindicte patronale contre tous ceux qui se révoltent est un combat toujours actuel». L’Union locale CGT du Havre clame que Jules Durand est «mort pour nous et nos libertés. […] Ici, au Havre, en 2010 des militants souffrent quotidiennement de pressions, de menaces, de procès infligés par leur direction». Pour le bâtonnier du Havre, Patrick ben Bouali, «toutes les victimes de procès tronqués doivent nous rappeler à cette vigilance, cette exigence, cette intransigeance».

Reste que ce combat continue de déranger. Lorsqu’il s’agit de baptiser du nom de trois illustres Havrais - Jules Siegfried (un ancien maire du Havre), Raymond Queneau et Jules Durand - des salles d’audience du TGI du Havre, la hiérarchie judiciaire préfère baptiser les salles A, B et C, malgré le vote majoritaire des magistrats. «Cette affaire gêne encore», constate le juge Marc Hédrich. Elle provoque aussi du rififi chez les syndicalistes. L’union locale CGT du Havre, qui voudrait gommer ses origines anarchistes, a ainsi refusé, lors de la commémoration du 16 février à Rouen, l’intervention de Patrice Rannou, auteur d’ouvrages sur l’affaire et membre de la CNT qui, elle, dénonce «l’oukase d’un quarteron de néo-staliniens». Pour Marc Hédrich, «une réhabilitation historico-politique est nécessaire pour que l’affaire ne reste pas cantonnée à une sphère syndicale». Et de rêver d’un monument et d’une commémoration nationale, organisée par les autorités politiques et judiciaires. En mémoire de ce «Dreyfus de la classe ouvrière».
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Re: Jules Durand, la résurrection du «Dreyfus ouvrier»

Messagede vroum le Ven 17 Jan 2014 09:36

L’affaire Durand : quand la bourgeoisie se déchaînait au Havre

http://www.monde-libertaire.fr/expressions/16815-laffaire-durand-quand-la-bourgeoisie-se-dechainait-auhavre

Patrice Rannou nous livre ici une nouvelle mouture augmentée d’une première livraison qu’il avait rédigée en 2010, à l’occasion du centenaire de l’affaire Durand, syndicaliste et anarchiste brisé par le capital. Ce nouvel opus, publié aux éditions Noir et Rouge 1, est enrichi de nombreux extraits tirés de la presse de l’époque, tant locale que nationale, syndicale que bourgeoise et agrémenté de nombreuses images photographiques du port du Havre des années 1900.

Après Ferrer, fusillé en 1909, et avant Sacco et Vanzetti, exécutés en 1927, l’affaire Durand se joue de 1910 à 1926, année de la mort de ce dernier à l’asile d’aliénés de Rouen.

Mort de folie suite à son enfermement dans les prisons de la république après sa condamnation à la décapitation, à sa séquestration dans le quartier des condamnés à la peine capitale. Jules ne se remettra jamais de ce séjour dans le couloir de la mort.

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L’objectif de briser un syndicaliste anarchiste, de détruire l’organisation de résistance et de combat des charbonniers du Havre fut atteint, mais, contrairement, aux espérances patronales, l’anarcho-syndicalisme havrais ne fut pas mis au pas par cette tragique histoire.

L’affaire commence par une rixe de pochards sur les quais entre un renard ivre, autrement dit un jaune, et des non-syndiqués alcoolisés. L’affaire tourne mal et le contremaître briseur de grève est retrouvé mort. L’occasion était trop belle d’impliquer Jules Durand dans ce mauvais drame, d’en faire un bouc émissaire afin de casser le syndicat qui, quelque temps auparavant, avait mené une longue grève contre la mécanisation du port sans avancées salariales. Durand, abstinent et non-violent, mais secrétaire du syndicat des charbonniers, est alors accusé d’avoir, lors d’une réunion, demandé la mise à mort du renard.

Puis l’affaire, bien orchestrée par la presse réactionnaire et haineuse, s’emballe. Les faux témoignages se multiplient et le tour est joué. Durand est arrêté, incarcéré, condamné par un jury largement composé de bourgeois ennemis de la classe ouvrière révolutionnaire qui prononce « un verdict de terreur » (page 43). Le mouvement ouvrier, auquel s’associe quelques notables de « gauche », proteste massivement au Havre et dans toute la France contre cette décision de « justice ».

Pas moins de 1 500 meetings de protestation (page 80) sont organisés en solidarité. Rapidement, l’iniquité de la peine infligée à Durand apparaît au grand jour. Dès 1910, sa peine est commuée en sept ans de réclusion, mais la raison de Durand a déjà vacillé. Libéré en 1911, il est interné à Sainte-Anne, à Paris. Jules Durand voit sa condamnation annulée en 1912 et son innocence pleine et entière reconnue en 1918, mais sa santé mentale et physique se dégrade et il meurt prématurément, en 1926.

À son enterrement, il est accompagné par des milliers d’ouvriers. En 1931, un monument (page 159) est érigé par souscription ouvrière à sa mémoire dans le cimetière Sainte-Marie du Havre où il rappelle, encore aujourd’hui, cette exécution légale.

Au-delà d’entretenir la mémoire et l’assassinat de l’un des nôtres, le livre de Patrick Rannou a le grand mérite de nous décrire, par le menu et preuves à l’appui, le mécanisme d’une justice de classe qui ne recule devant rien, ni le mensonge ni la calomnie, pour écraser un homme et par la même occasion essayer de détruire, en l’espèce, le syndicalisme d’action directe. C’est la leçon à retenir de cette affaire. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la mécanique et le processus employés par la bourgeoisie d’alors, car rien ne dit que, dans d’autres circonstances et dans d’autres lieux, elle n’en use encore. À nous de nous en souvenir et d’y prendre garde.

Hugues Lenoir

Patrice Rannou, L’Affaire Durand, éditions Noir et Rouge, 2013
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Re: Jules Durand, la résurrection du «Dreyfus ouvrier»

Messagede jeannetperz le Ven 17 Jan 2014 10:15

Sur le forum noir et rouge Vroum a poster qui peut dire qui est anarchiste ou pas. Donc vroum pour justifier la lambertisme introduit soit le doute ou l impossibilité de dire qui est ou pas conforme a une posture. Ce gus pourtant s arroge le droit d' interdire de poster ce qui serait pas selon lui anar. Questions de bon sens contre les falsificateurs comment déterminer ce qui est anar quant on sait pas ce qu est cette pensée? Comment le vroum fait pour se dire anar ( ce qu il n'est pas selon moi)?
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Re: Jules Durand, la résurrection du «Dreyfus ouvrier»

Messagede Lehning le Ven 17 Jan 2014 17:45

Bonjour !

Mais c'est toi qui est pas anar mon pauvre jeannetperz ! Tu ne fais que troller dans les topics et insulter les membres de ce forum.

Salutations Anarchistes !
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