Marius Jacob, l'illégaliste

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Marius Jacob, l'illégaliste

Messagede carbone le Dim 20 Sep 2009 23:53

Marius Jacob, né Alexandre Marius Jacob le 29 septembre 1879 à Marseille et mort le 28 août 1954 à Reuilly, est un anarchiste illégaliste français. Cambrioleur ingénieux et doué du sens de l'humour, capable aussi d'une grande générosité à l'égard de ses victimes, il sera (entre autres « illégaux » de la Belle Époque) un des modèles dont Maurice Leblanc s'inspirera pour créer le personnage d'Arsène Lupin.

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"C'est alors que j'ai compris toute la puissance morale de ce préjugé :
se croire vertueux et intègre parce que l'on est esclave"


Des origines modestes

Né dans un milieu prolétaire, il s'engage à douze ans comme mousse pour un voyage qui le mènera jusqu'à Sydney où il désertera. Après un bref épisode de piraterie, à laquelle il renonce par rejet d'une trop grande cruauté, il revient à Marseille en 1897 et abandonne définitivement la marine, miné par des fièvres qui l'accompagneront toute sa vie. Apprenti typographe, il fréquente les milieux anarchistes et y rencontre Rose avec qui il vit.

Suivant la répression de la commune de Paris, des révoltés font tomber des rois, des politiciens, des militaires, des policiers, des tyrans, des magistrats sous leurs armes. Des dizaines de militants anarchistes sont emprisonnés et certains guillotinés, pendus, etc. Les libertaires sont traqués, des hommes comme Ravachol sont condamnés à avoir la tête tranchée, mais surtout le terrorisme les rend impopulaires, ce qui nuit à leur cause.

Fiché, compromis dans une affaire d'explosifs et quelques menus larcins, condamné à six mois de prison, Jacob ne peut se réinsérer. Il va alors choisir « un illégalisme pacifiste » (« Puisque les bombes font peur au peuple, volons les bourgeois, et redistribuons aux pauvres ! »).

Arrêté à Toulon le 3 juillet 1899, Jacob simule la folie (il a des hallucinations dans lesquelles il est agressé par des jésuites !) pour éviter cinq années de réclusion. Le 19 avril 1900, il s'évade avec la complicité d'un infirmier de l'asile d'Aix-en-Provence et se réfugie à Sète. Il organise alors sa bande, nommée « Les travailleurs de la nuit ». Les principes en sont simples : on ne tue pas, sauf pour protéger sa vie et sa liberté, et uniquement des policiers ; on ne vole que les parasites, les patrons, les juges, les militaires, le clergé, jamais les professions utiles, architectes, médecins, artistes,… ; un pourcentage de l'argent volé est reversé à la cause anarchiste et aux camarades dans le besoin.

Coups d'éclats et coups d'esbrouffe

Le 31 mars 1899, un commissaire de police et deux inspecteurs se présentent chez un commissionnaire au Mont de Piété de Marseille. L'accusant du recel d'une montre, ils l'arrêtent, après avoir dressé durant trois heures, sur papier à en-tête de la Préfecture de police, l'inventaire de tout le matériel en dépôt, qu'ils confisquent comme pièces à conviction. L'homme est emmené menotté au Palais de Justice tandis que les trois individus s'esquivent, emportant un butin d'environ 400 000 francs. Les policiers n'étaient autres que Jacob et deux compères. La France entière en rit.

On voit que son humour se donne libre cours également : il signe ses forfaits d'une carte au nom d'Attila ; il y laisse parfois des mots, comme « Dieu des voleurs, recherche les voleurs de ceux qui en ont volé d'autres. » (Rouen, église Saint-Sever, nuit du 13 au 14 février 1901).

Cambriolant la demeure d'un capitaine de frégate, Julien Viaud, il découvre sur place qu'il s'agit de Pierre Loti, remet tout en ordre et laisse un de ses fameux mots : « Ayant pénétré chez vous par erreur, je ne saurais rien prendre à qui vit de sa plume. Tout travail mérite salaire. Attila. - P.S. : Ci-joint dix francs pour la vitre brisée et le volet endommagé. »

Un jour, découvrant qu'une marquise qu'il imaginait richissime était en fait criblée de dettes, il lui laisse 10 000 francs or.

Il lui arriva de refermer les portes par un de ses mécanismes de ficelles et de morceaux de bois, de manière à faire croire qu'il était toujours à l'intérieur ; il assista une fois de la terrasse d'un café à un assaut en règle donné à une maison pillée dans la nuit.

Pour la période 1898-1903, on estime à environ 310 les opérations de Jacob et des Travailleurs de la Nuit, qui commettraient donc un vol tous les deux ou trois jours. Ce résultat ne tient pas bien sûr compte de période de repos et d’autres d’intense activité. Bernard Thomas parle d’une frénésie de vols au début de l’année 1903.

Les travailleurs de la nuit au bagne ...

Le 21 avril 1903, une opération menée à Abbeville tourne mal. Après avoir tué un agent[1] et s'être enfuis, Jacob et ses deux complices sont capturés. Il fait du procès, qui se tient à Amiens le 8 mars 1905, une tribune pour ses idées, étonnant par sa truculence, son sens de la repartie, son idéalisme, et son intelligence : « Vous savez maintenant qui je suis : un révolté vivant du produit de ses cambriolages. » ; « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend. »
Il réplique au président du tribunal qui lui demandait pourquoi, lors d'un cambriolage, il avait volé un diplôme de droit sans valeur marchande : « Je préparais déjà ma défense. » On est obligé de changer périodiquement ses gardiens, car il les convertit à l'anarchisme. Sa popularité grandit tant qu'elle trouble l'ordre public. L'Etat s'en inquiète, mais comment agir ? à mi-procès, le procureur réclame «l'expulsion des accusés», une faveur que le président lui accorde volontiers. Le verdict sera rendu en l'absence de Jacob : les travaux forcés à perpétuité pour lui, et des peines guère moins lourdes pour ses compères.

Du bagne, il entretient une émouvante correspondance avec sa mère Marie, qui ne l'abandonna jamais ; il tente de s'évader 17 fois avec une remarquable ingéniosité et, face à une administration pénitentiaire qui cherche à le détruire, il doit à son intelligence (il étudie le droit pour venir en aide à ses compagnons… ainsi qu'à lui-même) et à son énergie de rester incorruptible et inentamé sur le plan moral ; en revanche ses forces physiques sont gravement atteintes.
Revenu en métropole suite à la campagne contre le bagne lancée par Albert Londres, il finit d'y purger sa peine jusqu'en 1927.

Après l'illégalisme, d'autres voies pour la lutte ...

Libéré, remis sur pied dans un hôpital, il travaille au Printemps, puis se fait marchand ambulant dans le Val de Loire et en Touraine, s'installant à Reuilly dans l'Indre avec sa compagne Paulette (Rose est morte pendant son séjour à Cayenne) et sa mère. Il se sent bien dans le milieu forain car ce dernier est, sinon ouvert à l'anarchisme théorique, du moins proche de sa générosité.

En 1929, Jacob se présente dans les locaux du journal Le Libertaire dirigé par Louis Lecoin. Les deux hommes se ressemblent et se lient d'amitié. Si Jacob (qui a pris le prénom de Marius parce que c'est moins long qu'Alexandre, et donc moins cher à écrire sur le calicot de son étal) ne reprend pas ses activités lucratives, il s'investit dans la propagande. Après les combats de soutien pour les objecteurs de conscience et ceux pour Sacco et Vanzetti, les libertaires apportent leur soutien pour empêcher l'extradition de Durruti promis à l'exécution capitale en Espagne.

En 1936, il va à Barcelone dans l'espoir de s'y rendre utile à la CNT, mais comprenant que, pour lui comme pour l'Espagne, c'est sans espoir, il revient sur les marchés du centre de la France, en parcourant ces marchés et les foires du centre, il achète en 1939, une maison à Reuilly : « Le pays où il ne se passe jamais rien », et s'y marie en 1939. S'il ne s'engage pas dans la Résistance, les partisans savent pouvoir trouver refuge chez lui.

Après la mort de sa mère (1941) et de sa femme (1947), il vieillit entouré d'amis et de camarades de discussion Pierre-Valentin Berthier (écrivain anarchiste), Jean Maitron (auteur du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier), Ernest Reynaud (directeur du Canard enchaîné) et bien d'autres. Ne renonçant jamais ni à sa verve, ni à ses opinions, ni à ses provocations d'homme libre (devant payer un impôt pour son chien, il réclame une carte d'électeur pour ce dernier, qui « n'a jamais menti, jamais été ivre. Aucun de vos électeurs ne peut en dire autant »).

Fatigué et affaibli par la maladie, il s'empoisonne le 28 août 1954 à l'aide d'une injection de morphine et d'un poële à charbon détraqué, avec son vieux chien, Négro, laissant le dernier de ses fameux mots : « (...) Linge lessivé, rincé, séché, mais pas repassé. J'ai la cosse. Excusez. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la paneterie. À votre santé. »

Le texte ci-dessus est une synthèse des sources suivantes :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Marius_jacob
http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob/2008/06/une-usine-a-voleurs/
http://www.fakirpresse.info/frontoffice/main.php?rub=petition.php&idp=3
http://fra.anarchopedia.org/Marius_Jacob
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Re: Marius Jacob, l'illégaliste

Messagede Alayn le Lun 21 Sep 2009 02:41

Bonsoir ! Tout bonnement excellent ! Merci carbone !
Il y a aussi l'ouvrage d'Alain SERGENT aux Editions Libertaires qui a interwievé Marius dans les années 50 et qui est un bouquin de référence dans la bio de Marius.

Salutations Anarchistes !
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Re: Marius Jacob, l'illégaliste

Messagede @ Léo le Lun 21 Sep 2009 03:38

« Dieu des voleurs, recherche les voleurs de ceux qui en ont volé d'autres. »

"devant payer un impôt pour son chien, il réclame une carte d'électeur pour ce dernier" :haha:

Exellent !

Quand on voit toute sa vie ! Chapeau bas !

L'exemple de la vie de ces hommes me permet de ne pas m'apesantir sur des broutilles.

Merci Carbone
@ Léo
 
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Re: Marius Jacob, l'illégaliste

Messagede conan le Lun 21 Sep 2009 09:18

Merci carbone pour cette compilation qui donne du baume au coeur ! Un bien sympathique personnage en somme, avec une vie passionnante et dont je partage les principes mais... que je suis content de n'avoir qu'à lire ... vues les 25 annnées sur 75 passées en prison !
Soit un tiers du temps de vie qu'il s'était alloué. :|
Ca fait cher, et encore, le lascar était particulièrement doué.
Voilà qui incite à trouver d'autres moyens, moins risqués mais au moins aussi efficaces, de frapper fort le système d'une part, et de construire une vie libre d'autre part.
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Re: Marius Jacob, l'illégaliste

Messagede carbone le Lun 21 Sep 2009 22:20

merci pour vos encouragements, le livre qu'indique Alayn semble intéressant, et renseignements pris, il coûte au alentours des 12 euros.

Voilà qui incite à trouver d'autres moyens, moins risqués mais au moins aussi efficaces, de frapper fort le système d'une part, et de construire une vie libre d'autre part.


on frappe avec les armes que l'on a bien voulu mettre entre nos mains, quelles qu'elles soient, dans un monde profondément inégalitaire. Pour ma part je respecte ceux qui luttent, que ce soit par la diffusion d'écrits, le combat au sein des entreprises ou dans la rue, autant que ceux qu'on nomme les bandits ou les "terroristes". C'est d'abord une question d'éthique avant d'être une question de moyens :wink:
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