Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

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Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 12:21

GUÉRIN, Cédric. Anarchisme français de 1950 à 1970

Mémoire de Maitrise

Mémoire de Maîtrise : Histoire contemporaine : Lille 3 : 2000, sous la direction de Mr Vandenbussche. Villeneuve d’Ascq : Dactylogramme, 2000. 188 p. ; 30 cm. Bibliogr. p. 181-186

LILLE 3 : Bibliothèque Georges Lefebvre

Chapitre II La nouvelle Fédération anarchiste et les anarchistes


Après le congrès de Bordeaux de 1952 et la “ prise de pouvoir ” de la tendance communiste libertaire, le mouvement anarchiste se retrouve en danger de mort. Si une réaction s’opère assez rapidement autour de l’équipe de L’Entente anarchiste, ce regroupement paraît encore trop faible pour pouvoir relancer les idées de l’anarchisme traditionnel. Le coup porté par Fontenis aux tenant de l’anarchisme traditionnel apparaît fatal, d’autant plus que nombre de militants semblent résignés. Il s’en suit une période d’un an et demi où les seuls opposants à la ligne anarchisme-lutte de classe vont se retrouver à travers L’Entente anarchiste, Contre courant et l’Unique (les deux derniers restant essentiellement des publications à caractère individualiste).

Les derniers opposants au sein de la Fédération anarchiste sont “ éliminés ” après le congrès de Paris de mai 1953 et la disparition de la FA au profit de la Fédération communiste libertaire. Néanmoins, autour de militants dévoués, une nouvelle Fédération anarchiste va émerger, en parallèle de la FCL, dès décembre 1953. De cette date à la fin des années cinquante, la place de la nouvelle Fédération dans l’élaboration théorique et tactique ne va cesser de se confirmer, parallèlement à la chute progressive du mouvement communiste libertaire. Toutefois, nous verrons que l’échec de la FCL ne se traduit pas par la fin de la doctrine anarchiste communiste, qui se développera à travers les réflexions de l’équipe de Noir et Rouge.

C’est essentiellement à travers l’évolution idéologique de ces deux groupes que vont s’élaborer les formes de pensées qui éclateront au cours des années soixante et sur les barricades de mai-juin 1968. Enfin, il ne faudrait pas oublier les différents événements qui ont marqué la décennie. En effet, la cristallisation des rapports des deux blocs d’une part, et la tournure prise par la guerre d’Algérie (avec ses implications sur l’évolution politique de la France et de la IVème République) d’autre part, nous permettent d’appréhender différentes formes de pensées chez les anarchistes face aux guerres et plus particulièrement celles de décolonisation.

D’emblée, ces constatations amènent et imposent plusieurs questions qui paraissent indispensables. En effet, dans le climat si particulier de la reconstruction du mouvement en 1953, on peut se demander dans quelle mesure l’événement FCL a-t-il influencé la pensée et l’action des anarchistes ? De plus, peut-on y voir la source de nouvelles formes de pensées et dans cette optique, voir dans les conceptions libertaires des années cinquante les sources des revendications politiques de Mai 68 ? Pour répondre à ces questions, nous nous attacherons en premier lieu à la phase de reconstruction du mouvement anarchiste, qui court jusque l’année 1956 ; puis nous analyserons cette période de reprise de dialogue et d’élaboration théorique que représente la fin des années cinquante, à travers les réflexions au sein de la Fédération anarchiste et de Noir et Rouge.

A) Des débuts hasardeux

C’est officiellement en décembre 1953 que la nouvelle Fédération anarchiste prend naissance. Réunis autour des “ rescapés ” de l’épisode Fontenis, la nouvelle fédération se construit sur des bases largement influencées par les récents événements qui ont secoué le mouvement libertaire. Les anarchistes qui doivent reconstruire le mouvement se retrouvent donc devant plusieurs problèmes : doivent-ils afficher le même esprit qu’en 1945 et prêcher avant tout le rassemblement unilatéral des anarchistes ? Quel doit être leur rapport face à la doctrine communiste libertaire ? En tout cas, il est certain que la nouvelle organisation s’insère dans un contexte particulier qui ne peut pas ne pas l’influencer. C’est dans et à partir de ce contexte que vont s’élaborer les principes et l’idéologie de base de la nouvelle Fédération.

Un contexte particulier

Il nous faut d’entrée insister sur cette période particulière du mouvement anarchiste en 1953. “ L’affaire Fontenis ” a gravement secoué les anarchistes et leurs idéaux. Cette dérive semble conditionner nombre de militants qui avaient œuvré à la reconstruction du mouvement après 1945. A la mi-1952, pour les tenants de l’anarchisme traditionnel, le mouvement va mourir.

La FA ayant disparu pour faire place à la FCL, des militants vont tenter de la reconstituer et Jean Maitron nous indique que dans ce but “ L’Entente procéda le 25 décembre 1953 à sa dissolution pour participer à ce regroupement. ” Cette dernière remarque nous laisse suspicieux car le dernier numéro de L’Entente anarchiste est daté du 8 février 1953. La nouvelle Fédération est l’émanation du congrès de Paris de décembre 1953 et Maurice Joyeux affirme que c’est à sa librairie, au Château des brouillards, que les négociations pour sa création eurent lieu. Il nous renseigne aussi sur l’évolution du mouvement à cette époque : “ L’année 1953 fut une année de réflexion. L’année 1954, celle de la parution du Monde libertaire, fut une année décisive. ” En effet, l’année 1954 est marquée par un événement qui va renforcer les militants dans leurs convictions de dérive communiste du mouvement anarchiste et discréditer la récente Fédération communiste libertaire : la parution du Mémorandum Kronstadt. Maurice Joyeux remet l’événement à sa place tout en s’accordant quelques raccourcis : “ Ce manifeste publié par les militants du groupe Kronstadt, pour dénoncer l’OPB à laquelle trois d’entre eux avaient collaboré et dont tout le monde dans ce groupe, à commencer par la Berneri, connaissait l’existence, fut certainement utile, encore que lorsqu’il parvint à notre connaissance, la Fédération de Fontenis était pratiquement liquidée. ”

Si on ne peut en 1954 affirmer le liquidation de la FCL, il est clair que le coup porté par le manifeste est dur, notamment en raison de la place du groupe Kronstadt au sein de la FCL ; en effet, ce groupe, anciennement groupe Sacco Vanzetti, est le groupe le plus important numériquement parlant. Pour la nouvelle FA, c’est le “ le groupe le plus vivant et le plus important de cette fédération. ” Rédigé par Serge Ninn et Blanchard, le mémorandum de 67 pages dénonce l’orientation autoritaire de la FCL et l’existence de l’organisme secret OPB. Pour eux, la FCL n’est devenu qu’un parti aux mains d’un seul homme, Fontenis : “ Je mettais en cause Fontenis en disant cela. Il y a eu élimination systématique autour de Fontenis. Ce qui mène à dire que Fontenis à fait de l’OPB une organisation à lui, dont il serait en une certaine mesure, le dictateur, tourné vers des activités dictatoriales. ” Le manifeste parle alors de déviation bolchevique, voire stalinienne.

Edité par Aristide Lapeyre, le mémorandum assoit surtout la crédibilité de la nouvelle organisation tout en discréditant la FCL. Si la FA n’en sort pas agrandie, elle en sors tout du moins plus soudée et donc renforcée. Toujours dans leurs accusations, les auteurs dénoncent “ l’élimination d’individus qui n’acceptent plus les méthodes de l’OPB et ceci par des moyens malhonnêtes. C’est par exemple, le cas de Leval, Vincey, Joyeux, éliminés par l’OPB et même par Fontenis. ” Si Georges Fontenis ne voit dans ce texte que mensonges et calomnies, le coup porté au communisme libertaire, sous l’œil attentif d’un Lapeyre, apparaît assez dur au moment où plusieurs tensions éclatent au sein de la FCL et au moment où sont dénoncés “ les actes de vandalisme commis par le LIB dans le domaine des idées ” et sa bolchevisation.

Un deuxième événement va avoir influencer la consolidation de la nouvelle fédération. Deux ans et demi après la Noël 1953, les anciens de L’Entente, estimant que la nouvelle FA offrait par son comportement une idée étroite de l’organisation, favorisait de plus en plus les menées de la Franc-maçonnerie et pratiquait la collusion avec le courant politique socialiste , rompirent avec elle, et le 25 novembre 1956, à Bruxelles, participèrent à la constitution de l’AOA, Alliance ouvrière anarchiste, expression de langue française du mouvement anarchiste international. Basé sur la libre entente, hostile aux statuts, règlements, cartes d’adhésion, l’AOA considère les communistes libertaires comme “ des égarés dans le mouvement anarchiste ” . Selon les conceptions de l’Alliance, “ la lutte des classes (…) est à présent dépassée ”, le mal à combattre, “ c’est l’autorité sous toutes ses formes et actuellement, sa forme la plus virulente, c’est la hiérarchie. ”

L’AOA veut être “ l’instrument de liaison, d’information et de coordination (…) des individualités et des groupes locaux, régionaux et affinitaires qui gardent leur complète liberté d’action et une autonomie complète. ” Elle se refuse à organiser ; elle “ a pour seule cellule l’individu ” et “ chaque anarchiste adopte pour lui-même ses propres règles de conduite et détermine lui-même ses propres obligations envers ses compagnons. ” Ceux de ses adhérents syndicables voient dans l’anarcho-syndicalisme le complément du mouvement anarchiste auquel il “ ajoute un programme social pour l’immédiat, une école préparatoire à l’anarchie. ” Ils adhèrent à la CNT ou demeurent dans l’autonomie, compte tenu des réserves qu’ils peuvent émettre de cette Centrale. L’AOA publie un périodique ronéoté L’Anarchie.

Le mémorandum du groupe Kronstadt et à un degré moindre la constitution de l’AOA nous renseigne sur un état d’esprit qui ne va pas cesser de s’affirmer au cours des années suivantes : la peur du complot et plus précisément du complot marxiste. Maurice Joyeux confirme cette pensée : “ Pendant des années on va parler de Fontenis. Il deviendra le grand méchant loup ; celui dont vient le mal. Attitude commode permettant de masquer nos propres erreurs. ”

Principes et idéologie

Les militants qui ne se reconnaissent pas dans l’orientation communiste libertaire réussirent assez rapidement à se regrouper en une fédération. Cette entreprise s’effectua sous l’impulsion de militants comme Joyeux, Fayolle, Laisant ou les frères Lapeyre : “ A Bordeaux, Paul et Aristide Lapeyre, qui ne sont pas des rêveurs, vont réagir avec rapidité. Dès le mois de mai, ils organisent un rassemblement de tous les anarchistes de leur région. (…)A Paris, tous les anarchistes qui étaient restés en marge de l’organisation pour des motifs divers comprirent le danger qui menaçait l’anarchisme traditionnel. ”

Rendus circonspects par ce qui venait de se passer, les militants anarchistes vont préciser à nouveau leurs conceptions et, surtout, vont prendre toutes les précautions utiles pour que l’organisation soit à l’abri d’un éventuel changement de majorité. Ces thèses et ces mesures vont être rassemblées dans une brochure de treize pages, les Principes de base. Pour les conceptions, le cadre reste assez général et on se contente de demander à chaque adhérent de se prononcer pour l’abolition de l’État et son remplacement par le Fédéralisme libertaire, contre le racisme et le colonialisme sous tous ses aspects, pour l’abolition du capitalisme et de la notion d’autorité, et enfin pour la notion de libre coopération entre individus. En outre, “ les anarchistes condamnent toutes les théories autoritaires parmi lesquelles celles inspirées du marxisme, au même titre que du cléricalisme, du monarchisme ou du fascisme… ” Ces statuts de l’organisation apparaissent donc très généraux, ce fait peut s’expliquer par une volonté de rassembler le plus grand nombre d’anarchistes au sein de la fédération.

En ce qui concerne l’action de la FA, celle-ci reconnaît “ l’existence de toutes les tendances libertaires au sein de l’organisation ” et affirme même leur “ nécessité ” . L’autonomie de chaque groupe et la responsabilité personnelle et non collective sont reconnues. Chaque adhérent peut demeuré isolé s’il le désire. Au niveau de l’organisation, on voit l’apparition d’un Comité de relations, élu par le congrès, composé d’un secrétaire général, d’un secrétaire aux relations extérieures, d’un secrétaire aux relations intérieures, d’un secrétaire aux relations internationales et d’un secrétaire aux relations internationales. Ce comité est crée “ dans le but de faire connaître les informations, suggestions, propositions pouvant émaner d’un groupe ou d’un individu. ” Deux autres comités viennent compléter le tableau : un Comité de lecture qui “a pour fonction d’assurer la rédaction régulière du Monde libertaire ” et un Comité d’administration. En ce qui concerne le Comité de lecture, tous les articles sont soumis à son appréciation et son recrutement
s’effectue par cooptation. On voit donc que c’est en ce qui concerne l’organisation au stade national que les militants ont avant tout voulu se prémunir.

Si les principes de base ne peuvent être modifiés que par le congrès, deux principes sont clairement jugés inchangeables et indiscutables : l’autonomie des groupes et le pluralité des tendances, ce qui donne à la nouvelle fédération son caractère synthésiste. La nouveauté (pour une organisation libertaire) réside dans la création d’une “ Association pour l’étude et la diffusion des philosophies rationalistes ”. Elle trouve son origine dans l’affaire Fontenis et la liquidation de l’ancienne FA. En effet, elle est constituée pour mettre à l’abri le mouvement anarchiste “ de jeunes moins anarchistes que révoltés, et d’anciens moins libertaires que politiques ” après “ la prise en main du mouvement, grâce à des manœuvres politiques, par un commando qui sombra misérablement. ” L’anarchie est déclaré comme bien inaliénable et c’est pour cela que le congrès de Paris de janvier 1954 “ a donné la propriété morale et légale du mouvement et de ses œuvres à une Association pour l’étude et la diffusion des théories rationalistes dont les membres sont recrutés par cooptation. ” et notamment dans le but de mettre le mouvement à l’abri “ des ambitions de politiciens inavoués, pour ne pas le laisser à la merci d’éventuelles majorités de congrès ”. La lecture des membres de cette Association nous montre le poids que peuvent avoir certains hommes dans cette période de reconstruction ; ainsi, on retrouve les noms de Devriendt, Joyeux, Laisant, Paul et Aristide Lapeyre, Prevotel…

Rédigés par Charles Auguste Bontemps et Maurice Joyeux, les Principes de base de la nouvelle Fédération anarchiste permettent de mettre en lumière nombre de points. Ils confirment tout d’abord l’influence de certains militants au sein de l’organisation. En outre, la FA représente et devient alors le bastion synthésiste de l’anarchisme français. Mais comment expliquer le ralliement d’anarchistes comme M. Joyeux, fort proche des conceptions plateformistes, à la synthèse, “ solution bâtarde, invertébrée, inapplicable et avec laquelle nous tricherons constamment ” ? La réponse se trouve dans l’état général du mouvement à cette époque ; en effet, la synthèse peut apparaître comme la solution du moindre mal pour nombre de militants profondément choqués par la dérive FCL. Maurice Joyeux confirme cette remarque tout en regrettant l‘attitude de certains militants et des groupes de province : “ La province restait indécise, tout en reprochant aux parisiens leur centralisme. A part Bordeaux, la province ne fut jamais en état de prendre conscience des remous profonds qui secouaient la société. A cette époque charnière sa contribution ne dépassait jamais l’évocation têtue de ce qu’elle se rappelait des évangiles des grands anciens, c’est-à-dire pas grand chose ! A peine née, la Fédération anarchiste risquait d’éclater. Seule une organisation souple pouvait conserver un semblant d’unité aux groupes ! ”

Si les principes ne paraissent pas marquer un tournant important dans la pensée anarchiste, notamment pour leur caractère très général, ils consacrent le divorce entre marxisme et anarchisme. En effet, le rejet inconditionnel du marxisme va devenir à partir de ce moment un élément identitaire de la nouvelle Fédération anarchiste. L’affaire Fontenis a prouvé le danger que représente le marxisme pour les théories libertaires et les fondateurs de décembre 1953 auront une attention particulière à toute apparition marxiste au sein du mouvement. D’ailleurs, l’évolution de la FCL et sa fuite en avant sont une preuve irréfutable de l’impossibilité de cette optique : “ Pour Guérin d’abord, pour Fontenis ensuite, il s’agit d’introduire dans le mouvement libertaire, aux côtés d’un esprit libertaire aimable, le matérialisme historique musclé que l’on doit à Monsieur Marx ! ” Ce qu’essaye de dénoncer Maurice Joyeux, c’est l’élaboration du marxisme
libertaire, “ cet élément hybride, croisement contre nature, sans perspective de reproduction ” .


La principale originalité est donc “ l’Association pour l’étude et la diffusion des théories rationalistes ”. Cet organisme révèle l’esprit dans lequel les militants envisagent l’organisation ; avec un tel “ dispositif de sécurité ”, il est maintenant clair que la Fédération ne cessera d’être ce que ses fondateurs ont voulu qu’elle soit : une organisation solide à l’abri de tout complot. Vu les circonstances particulières de sa création, l’Association apparaît comme un garde-fou à toute tentative de prise en main.

Au cours des deux années qui vont suivre le congrès de Paris et la reconstitution de la FA, on ne peut pas parler de reprise de dialogue dans l’élaboration théorique. Les militants doivent ainsi se contenter de l’affirmation de certains principes auxquels les fondateurs semblent attachés. Cette difficulté s’explique par les obligations immédiates des militants FA qui s’occupent avant tout de restructurer le mouvement, notamment avec l’élaboration du Bulletin intérieur et surtout du Monde libertaire, dont le premier numéro date d’octobre 1954. Dès janvier 1955, Raymond Beaulaton établit un bilan de la situation et admet que la reconstruction du mouvement s’avère plus lente que prévu : “ Certes, la FA reconstituée n’est pas parfaite ; si elle s’est fixée comme but de rassembler, dans une même famille, les anarchistes de toutes affinités, quelques-uns sont encore enclins à observer et se demandent s’ils doivent ou non faire partie de la famille, parce qu’une légère rigidité subsiste dans la décentralisation libertaire que le congrès de 1953 s’était fixé. ”

Il en profite pour montrer ses conceptions sur les intellectuels, responsables selon lui du déclin du
mouvement : “ L’intellectualisme est dangereux pour la Révolution !” C’est ce même personnage qui relance la question de la place du syndicalisme dans la Fédération (et qui ne cache pas où vont ses préférences) : “ Le Mouvement Anarchiste a toujours considéré le Fédéralisme syndical comme l’armature de la société libertaire de demain et, par conséquent, le syndicalisme comme arme primordiale à la préparation révolutionnaire. ” Toujours dans un bel esprit synthésiste, les militants de la FA insistent sur la nécessité des syndicats en appelant la création d’une Commission de relations syndicales de la FA, ils seront pourtant déçu quelques mois plus tard avec la formation de l’AOA. Néanmoins, un Comité anarchiste de relations syndicales est crée en juillet 1955 dans le but “ de coordonner l’action des anarchistes dans la lutte sociale, selon les méthodes révolutionnaires d’action directe, à travers toutes les organisations syndicales et parmi les salariés syndicalistes inorganisés. ” Aristide Lapeyre appelle lui aussi au rassemblement, mais juge que certaines conditions doivent être remplies, à commencer par l’attitude des militants : “ Ce qui a crée la mésentente anarchiste, c’est la peur de la diversité des opinions, l’idée que le lecteur ou le militant est trop bête pour pouvoir les confronter utilement et qu’il faut nécessairement choisir pour lui. ” Le congrès de la Maison verte en mai 1955 relance le débat sur l’orientation du mouvement : l’heure n’est plus à la reconstruction et c’est Joyeux et Lanen qui préviennent les militants : “ La FA est en train de crever de vieillissement ; on ne recrute pas, pourquoi ? ”

Quel bilan peut-on tirer de ces réflexions en 1955 ? A première vue, le mouvement anarchiste dans sa globalité apparaît profondément divisé. La Fédération anarchiste qui s’est reconstituée en 1953 tarde à prendre son envol, au grand dam de certains militants. Néanmoins, sa phase de reconstruction et de reconsolidation semble achevée. Si elle ne se distingue pas encore par des réflexions idéologiques et théoriques qui permettraient d’inscrire à nouveau l’anarchisme dans les luttes de l’époque, elle reprend petit à petit une activité digne de ce nom, notamment à travers ses relations avec les Forces libres de la paix ou ses tournées de conférences. On ne peut oublier l’événement FCL pour comprendre les formes que prend la nouvelle organisation. Le choc des militants fut réel et va conditionner dans une large mesure l’évolution de la FA. Concernant l’état général du mouvement, on peut relever trois groupes d’importance (FA, FCL, AOA). Sans tenter une évaluation de leurs représentativités respectives, au surplus variables dans le temps, il nous semble intéressant de remarquer qu’ils correspondent aux trois courants du mouvement anarchiste qui sont nés dans l’entre-deux-guerres, et leur présence souligne la permanence du problème de l’organisation en milieu anarchiste. Ainsi, on décèle un groupement plus ou moins centralisé, uni au point de vue idéologique et tactique représenté par la FCL de Fontenis qui rappelle et prolonge jusqu’à ces ultimes conséquences la conception plateformiste d’Archinov et Makhno. Un second type de groupement est représenté par la FA et sa structure synthésiste. Enfin, nous avons vu la naissance de l’AOA, qui juge la nouvelle FA encore trop autoritaire et qui peut rappeler la FAF de 1936. En raison de son existence purement formelle, l’AOA ne pourra donner naissance à une scission et se retrouve par conséquent un peu en marge des autres groupements et du mouvement anarchiste.

En 1955, le mouvement a donc repris naissance et apparaît autrement plus solide qu’en 1945. Néanmoins, le plus dur reste à faire si l’on en juge par la perte de vitesse des organisations anarchistes, leur faible recrutement et leur activité assez peu convaincante. C’est justement ce que vont tenter de réaliser certains militants, las des éternelles querelles et scissions du mouvement anarchiste.

B) Entre rupture et dialogue, 1956-1960

En 1956, la phase de reconstruction du mouvement est achevée. Néanmoins, les aléas du commencement font que les débuts de la Fédération ne se sont pas soldés par une reprise d’élaboration théorique et une définition claire et précise de l’orientation à donner. Jusqu’ici, les militants se sont contentés d’énoncer les principes généraux et fédératifs qui doivent unir les libertaires, notamment à travers des questions sur le syndicalisme, l’intellectualisme ou le rejet du marxisme. Il n’en reste pas moins que ces atermoiements ont le don d’irriter nombre de militants, soucieux de voir l’anarchisme s’inscrire dans un véritable projet. L’année 1956 va marquer une rupture importante au sein du mouvement. En effet, trois événements vont marquer en quelque sorte le début d’une “ nouvelle ère ” pour l’anarchisme français. C’est tout d’abord la “ fin ” du mouvement communiste libertaire et de son organisation la FCL après sa participation aux élections législatives de janvier (qui lui aliènent nombre de soutiens en milieu anarchiste) et sa persécution après son activité contre la guerre d’Algérie. S’il ne change pas profondément la composition de la FA, cet événement renforce sa position en France. Deuxièmement, la constitution en novembre 1955 du groupe Noir et Rouge, issu en grande partie du groupe Kronstadt. Par ses réflexions, cette revue va acquérir une place de choix au sein du paysage libertaire français et va représenter le nouveau bastion de l’anarchisme-communisme en France. Enfin, le congrès de Vichy de mai 1956 va être celui de la reprise de dialogue au sein de la FA. Maurice Fayolle, personnage central de l’époque, va relancer autour de sa personne nombre d’enjeux qui vont marquer l’évolution de la pensée anarchiste et amener les autres groupes à nombre de réflexions.

A travers cette étude vont se poser des enjeux qui vont déterminer l’évolution de la pensée et des formes d’actions des années soixante. En outre, le durcissement du conflit franco-algérien va amener les militants à prendre position. Ces prises de position, relayées selon leur contenu par une activité réelle, vont être une nouvelle source d’opposition à l’intérieur du mouvement. Toutes ces remarques vont-elles à la base de la formation d’un anarchisme spécifique à la FA ? Ou est-ce que ces nouveaux débats d’idées engendrent une plus grande immobilité idéologique ? A la veille des années soixante, il apparaît nécessaire d’établir un bilan de la situation de l’anarchisme en France et de comprendre les points de divisions et de ralliement entre les différents groupes. Dans ce(s) but(s), les débats qui vont marqués la FA jusque 1960 seront envisagés dans leurs conséquence sur l’évolution de l’organisation ; ainsi, il sera plus aisé de comprendre l’évolution du groupe Noir et Rouge et de ses rapports avec la FA.

Elaboration théorique et tensions dans la Fédération anarchiste

Dès 1955, on a pu voir nombre de militants s’impatienter d’un véritable programme et du manque d’orientation de l’organisation. C’est donc au congrès de 1956 que va s’effectuer cette reprise de dialogue quant à la nature de l’anarchisme et au moyen de sa propagation et de sa réalisation. Deux ans après décembre 1953, la question de l’actualité et de la place de l’anarchisme dans la société moderne va être reposée avec force. C’est Maurice Fayolle, par ses Réflexions d’un militant, qui va relancer les débats et discussions autour de la place de l’anarchisme. les thèmes envisagés vont constitués le leitmotiv de la décennie à venir. Il est enfin à noter que les débats vont se faire autour de nombreux thèmes mais principalement autour de l’organisation, ce “ permanent problème ”. L’affaire Fontenis a montré les dangers d’une organisation sclérosée, si les militants veulent éviter un nouveau “ coup d’état ” et réinscrire les théories libertaires dans les luttes sociales du temps, ils devront réagir et faire un choix.

Lues au congrès de Vichy, les Réflexions d’un militant de M. Fayolle vont relancer le débat autour de sa personne. Fayolle commence par une constatation indiscutable : “ Depuis toujours, deux tendances se sont opposées au sein de notre mouvement : les partisans d’une organisation solidement structurée et les partisans d’une organisation très lâche qui frise l’absence d’organisation. ” Même s’il est souvent considéré que le rôle des anarchistes dans les temps actuels est “ non de prétendre à une action sociale, mais de se limiter à un travail d’éducation ”, l’anarchisme meurt de ce type de conceptions. Fayolle condamne ce rejet de l’organisation (qu’il perçoit surtout chez les individualistes) qui nuit à toute action positive : “ Or l’expérience a montré qu’aucune œuvre sociale, de quelque nature qu’elle soit, n’était possible sans recourir au principe de l’association des efforts, c’est à dire de l’organisation. ” Il voit dans cette pensée la stérilisation de l’organisation par la volonté de réduire les dangers jusqu’au point où celle-ci n’existe plus. Le mouvement est ainsi en danger de mort s’il n’arrive pas à se renouveler, notamment face aux jeunes : “ Il faut offrir à l’ardeur généreuse d’un être de vingt ans qui veut se dépenser dans les luttes sociales, autre chose que l’illusoire mirage d’un monde idéal dans les millénaires à venir. ” Maurice Fayolle émet deux critiques importantes ; tout d’abord le refus de l’anarchisme de se réactualiser, de s’inscrire dans son temps et par là son incapacité à promouvoir un anarchisme social : “ L’anarchisme agonise parce qu’il a perdu toute foi dans sa propre destinée, parce qu’il a renoncé à s’actualiser dans la réalité sociale de son temps. ” Plus loin, il précise sa pensée : “ Tout l’anarchisme est à repenser ou à rebâtir. Non dans ses principes moraux, qui demeurent immuables, non dans sa partie critique, qui reste valable et le restera toujours, mais dans sa partie constructive, qui en est restée au stade des diligences et des premiers chemins de fer. ” Ainsi, “ toutes les théories sociales et économiques élaborées au siècle dernier par les pionniers de l’anarchisme sont aujourd’hui largement dépassées et l’on ne saurait faire prendre l’anarchisme au sérieux en exposant un programme social dont l’archaïsme ferait sourire au siècle de l’atome. ”

La seconde critique qu’il émet touche toujours le déclin de l’anarchisme mais touche plus particulièrement ceux qui pour lui le dénaturent sans les nommer, les humanistes libertaires : “ Cette propagande de caractère éducatif et philosophique peut parfois réunir des auditoires curieux et sympathiques : elle n’a jamais fait un militant ni même amené un adepte à l’anarchisme ” et voit dans cette attitude le déclin irréversible des théories libertaires : “ C’est là une noble attitude - qui s’apparente d’ailleurs plus à une contemplation philosophique qu’à une action militante – mais dont le résultat s’inscrit dans la réalité brutale d’une disparition progressive des anarchistes. ” C’est pour et dans ce but qu’il appelle deux conditions nécessaires pour les militants :
1° Créer une organisation anarchiste sur des bases sérieuses et solides, ne rassemblant que des hommes résolus à s’évader des parlotes stériles.
2° Définir les principes d’un anarchisme social adapté au monde moderne, conservant l’originalité de ses bases philosophiques, mais rompant avec les entraves d’un passé révolu ”.

Les vues de Maurice Laisant apparaissent différentes, il s’interroge sur la stérile autocritique du militant, son besoin “ de se livrer à l’analyse du mouvement, de prendre le pouls de son enthousiasme, de l’ausculter sur sa valeur, ses connaissances et son adaptation à son temps ” pour convenir “ de conclusions pessimistes contenues par le diagnostic final du psychanalyste plus préoccupé bien souvent de se livrer à une séance délirante du masochisme, qu’à pallier les lacunes inévitables de toute organisation. ” Ses espoirs restent néanmoins intacts sur la vérité des théories anarchistes : “ Jamais nous n’avons dévié d’idéal, jamais les faits ne sont venus démentir les thèses primordiales et essentielles de notre affirmation de l’homme et de la vie, jamais nous n’avons du nous plier aux contorsions politiques pour justifier compromis et reniement. ”

Au regard de cette première reprise de dialogue, les vues de deux fondateurs importants de la FA trahissent des conceptions divergentes, sources possibles de discordes, qui peuvent à première vue mettre en péril un compromis. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls ; en effet, C-A Bontemps, dans Contre Courant, dans un article qui se veut un “ Bilan et perspectives de l’anarchisme ”, va dans le sens des vues de Fayolle et d’une révision de la pensée des doctrinaires au regard des évolutions récentes. Néanmoins, ces conclusions sont différentes. Selon lui, le déclin et la perte de vitesse des théories anarchistes trouvent leurs origines dans un triste événement : la révolution russe et marxiste qui, par ses totalitarismes, a discrédité les théories révolutionnaires et empêcher un réveil de l‘anarchisme. Il faut donc que les militants prennent acte des leçons du passé et abandonnent les mythes révolutionnaires désuets du passé : “ Je pense que pour prévoir et œuvrer selon les prévisions, il n’est pas nécessaire de perdre ou gâcher le présent. Gardons nous de la planification des comètes. Les théories sont certes indispensables à la compréhension des problèmes, elles sont un utile jalonnement, mais qui se perd à l’horizon. ” Il continue sa réflexion en insistant sur les variations de la révolution au regard des progrès : “ Les révolutions sont une adaptation des rapports de la société à un milieu modifié par les acquis de l’intelligence et leurs incidences techniques. ” La théorie n’est pas remise en cause mais ses moyens : “ L’anarchisme ; philosophie de liberté de l’homme, a gardé toute sa valeur. Ce sont les moyens de sa mise en œuvre qui sont à réviser. ” Il faut donc, dans un souci de propagande plus efficace, que les libertaires ne forment pas une secte et agissent devant les réalités du monde moderne : “ Ne maquillons pas la réalité. Minorité agissante du fait que leur doctrine correspondait aux besoins et aux espérances des peuples, les anarchistes d’alors ne se comportèrent pas en minoritaires de propos délibérés. Ils étaient convaincus que la révolution devait finalement s’accomplir selon leur
conception. C’est cette erreur assez évidente qui a dissocié le mouvement, moins à cause de l’échec que par obstination à n’en pas prendre leçon. ” Si Bontemps est d’accord sur le marasme qui caractérise le mouvement anarchiste, ses conclusions sont différentes de celles de Fayolle et il ne voit pas la nécessité d’une restructuration de l’organisation, mais plutôt la nécessaire autocritique des militants.

Dans ses “ Réponses et précisions ”, Maurice Fayolle se voit désolé du peu de retentissement de son intervention, lui qui espérait “ que cet appel provoquerait dans les mois à venir une large confrontation au sein du mouvement. ” En réponse à Bontemps, il faut chercher selon lui dans le renoncement révolutionnaire des anarchistes la cause première du déclin de l’anarchisme : “ cela me paraît si évident que les pays, telle l’Espagne, où l’anarchisme a conservé toute sa vitalité d’antan et son rayonnement social, sont les pays où les anarchistes n’ont pas renoncé à jouer ce rôle révolutionnaire. ” Reprenant l’analyse de Bontemps sur la Grande Guerre et la révolution russe qui ont précipité les anarchistes “ à céder à une espèce de découragement, à un pessimisme qui les ont écartés de la scène sociale ”, il voit plus loin la cause véritable du déclin : “ L’absence de tout théoricien capable de “ réadapter ” l’anarchisme aux problèmes nouveaux surgis de l’évolution a précipité la décadence. ” Au sujet de la crise niée partiellement par Laisant, Fayolle enfonce le clou : “ Elle est la plus totale qu’ait connu notre mouvement depuis sa création. Crise d’effectifs : jamais les anarchistes n’ont été si peu nombreux. Crise de cohésion : le mouvement est éclaté entre quatre ou cinq groupements plus ou moins rivaux. Crise d’influence : les anarchistes ont pratiquement perdu toute influence sur les syndicats, et à peu près toute influence sur les milieux intellectuels ; où elle était prépondérante à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle. Enfin, la plus grave sans doute, crise de création intellectuelle : depuis une trentaine d’années, l’anarchisme vit sur l’acquis du passé. Après la prodigieuse floraison d’études, d’essais et de critiques que connut la période héroïque, c’est un vide absolu. D’où un “ dessèchement ” de la pensée anarchiste, une activité grandissante qui coupe notre idéal de la réalité de son temps et lui interdit toute perspective de rayonnement. ”

Fayolle dépasse cette critique et essaie d’esquisser une définition de l’anarchisme qui doit faire comprendre aux militants la nécessité du choix. Pour lui, plusieurs points doivent être éclairés. C’est en premier lieu la difficulté de cohabitation des tendances qui doit être réglée. Ensuite, c’est la façon de concevoir l’anarchisme, de ces conceptions découleront les perspectives d’action et d’organisation :
“Ou bien l’anarchisme est considéré comme UNE ATTITUDE devant le fait social. Par là, elle détermine une règle de vie régissant d’être dans ses relations avec ses semblables et ses actions quotidiennes en fonction des principes dont il se réclame. C’est qu’on le veuille ou non, une MORALE – étant entendu que je confère à ce terme sa signification noble, qui est pour chaque être humain, de se déterminer suivant les modalités exprimées par sa raison et sa conscience.
Ou bien l’anarchisme est considéré comme UNE DOCTRINE SOCIALE ayant pour motivation une transformation de l’état social actuel en une société reposant sur les principes énoncés par la philosophie anarchiste. ”

L’anarchisme-attitude que décrit Fayolle s’apparente fortement aux anarchistes philosophes et humanistes libertaires, qui limitent leur champ d’action à l’éducation, pour cela elle “ est donc une école philosophique à caractère ésotérique. ” Au contraire, il voit dans l’anarchisme-doctrine sociale une conception qui, tout en intégrant la première, se révèle plus efficace et ouvre “ devant elle le PERSPECTIVE REVOLUTIONNAIRE. ” De ces deux conceptions découlent pour lui différentes formes d’action et d’organisation. Si un anarchiste philosophe peut se passer d’organisation dans ce sens “ que son activité trouve ses possibilités et ses limites en lui-même ”, l’anarchiste révolutionnaire en a besoin : “ Au contraire, l’anarchiste révolutionnaire, parce qu’il a en vue une transformation plus rapide et plus radicale de la société, ne se sentira pleinement à l’aise que dans une organisation assurant à tous ses membres une liaison étroite. Pour parvenir à ce résultat, il aliénera volontairement une partie de sa liberté et se pliera à une discipline librement consentie, absolument nécessaire pour permettre la cohésion de l’ensemble et l’efficacité de l’action entreprise en commun. ”

Après cette étude, il semble que les vues de Fayolle sont maintenant claires et précises, et qu’elles ne peuvent selon lui se réaliser au sein de l’actuelle structure de la Fédération anarchiste. C’est pour cela qu’il appelle les militants à faire un choix. Cela ne semble pas être l’avis du groupe d’Asnières qui prend en juillet 1957 la défense des structures de la FA, jugées tout à fait aptes à féconder une réflexion en vue d’un renouvellement de la pensée anarchiste : “ La FA avec son actuelle structure permet aux militants d’un même groupe de s’adonner aux études que requiert le renouvellement souhaité, aux groupes d’une même région de confronter le résultat de leurs recherches et à l’ensemble des groupes du pays de se retrouver annuellement en congrès pour tirer la quintessence de leurs travaux. ” En outre, le groupe juge la cohabitation des deux conceptions (philosophe et révolutionnaire) parfaitement possible et “ même souhaitable pour les atténuations qu’elle peut apporter aux prises de positions trop exclusives. ” Si ces réflexions se font dans un esprit synthésiste, elles montrent les réticences de certains militants à voir se constituer un mouvement purement révolutionnaire au nom de l’efficacité. C’est la synthèse d’opinion qui est à rechercher pour ouvrir à l’anarchisme tous ses horizons ; néanmoins, à travers ces réticences, on peut émettre l’hypothèse du souvenir de la dérive FCL. Charles Fouyer va lui dans le même sens que le groupe d’Asnières : “ Toutes les tendances de l’anarchie se complètent dans une heureuse harmonie. (…) Quant à la voie que nous devons suivre, elle a été indiquée par Sébastien Faure dans “ la véritable révolution sociale ”. Le camarade Fayolle veut un programme pour le proposer aux masses, il y en a un là de tout fait et il est intégral. ”

Maurice Laisant n’est quant à lui pas d’accord avec les vues de Fayolle et sa différenciation des deux anarchismes : “ Les deux sont-ils incompatibles ? N’existent-ils pas dans le même homme ? Dès lors, je ne puis céder à ce choix que Fayolle prétend m’imposer. Tout au plus puis-je concéder qu’il ne faut pas prendre l’outil pour l’œuvre, et la propagande pour la transformation sociale. ” Le groupe Louise Michel, qui comprend les critiques émises par Bontemps et Fayolle, ajoute cependant un oubli dans leurs démarches : l’étude “ de l’homme anarchiste et plus spécialement du militant de notre Fédération ” qui portent en eux une part de responsabilité du déclin : “ Dans leur grande majorité, ce sont des éléments venus à nos idées tout de suite avant et tout de suite après la guerre de 1914. Cette génération a eu vingt ans à l’aube de la révolution russe. Après avoir un instant contrebalancé l’influence du parti communiste, elle a été battue. Par la suite, son influence n’a cessé de décroître. ” C’est cet événement qui a conditionné leur vie de militant et par conséquence l’influence qu’ils pouvaient avoir sur les jeunes compagnons : “ Or, c’est cette génération à l’âme de vaincu qui a formé et qui forme encore les éléments nouveaux que notre propagande attire parmi nous. ” Ainsi, “ il faut avant tout changer le militant. Il faut réveiller en lui la faculté de se passionner, de s’exalter ” et “ le désintoxiquer des manies de l’individualisme. ” C’est donc avant tout la tâche des militants de redonner vie au mouvement en sortant de leur isolement.

Dans cette première phase de reprise de dialogue, les réflexions de Fayolle et de Bontemps vont dans des buts précis : d’une part une redéfinition des méthodes d’action et de propagande qui paraissent désuètes, et d’autre part abattre le caractère obsolète de certaines vérités anarchistes. Enfin, la prise en compte des évolutions économiques et sociales est recommandée. Si Maurice Fayolle précise dans un compte-rendu du congrès et de sa motion qu’il “ ne la pas présenter dans un but de scission, qui serait la mort du mouvement dans l’état actuel des choses ”, il passe à une condamnation d’un certain état d’esprit propre au milieu anarchiste, et notamment de la l’humanisme libertaire, étranger à l’anarchisme révolutionnaire auquel il aspire. Reprenant l’analyse du groupe Louise Michel, la première guerre mondiale et la révolution russe ont crée au sein du mouvement “ une psychose du vaincu, qui par un phénomène psychologique d’autodéfense contre le milieu défavorable, provoqua l’éclosion d’un mépris dédaigneux – je dirais presque aristocratique – pour tout ce qui est étranger à l’anarchie. Ainsi naquit cet esprit de secte sui donna aux groupes ce caractère initiatique et ésotérique, dont le résultat fut de décrocher l’anarchisme de la réalité sociale et de le reléguer au rang de curiosité philosophique. ”

Ce que semble critiquer Fayolle, au delà des humanistes libertaires, c’est la constitution de la Fédération en une minorité de “ purs ”, garants d’un certain état d’esprit et des théories anarchistes. Néanmoins, le but n’est pas la rupture mais au contraire l’unité, sans quoi on ne peut déboucher sur des perspectives d’avenir : “ Je suis persuadé que ce sera dans la mesure où les anarchistes se libéreront de cet esprit ésotérique et initiatique, de ce double complexe de supériorité personnelle et de faillite collective que la pensée anarchiste se libérera de la gangue où elle s’est fossilisée, que la création intellectuelle reprendra son essor grâce à l’apport de jeunes et nouvelles valeurs. ” En effet, “ ce qui est important aujourd’hui, ce que je demande aux anarchistes, c’est une prise de conscience, un choix qui implique la volonté d’orienter la propagande anarchiste vers un retour à la réalité sociale de son temps, un refus de se comporter en minoritaires de propos délibérés. ”

Pour Fayolle, l’incapacité du mouvement à se définir et donc à faire choix clair et précis d’orientation est un réel problème. Ce problème trouve sa solution dans un choix qui appartient au militant. En novembre 1957, il est temps de se décider devant l’urgence de la situation. Maurice Fayolle établit une distinction entre l’esprit anarchiste et la pensée anarchiste. L’esprit de révolte, inhérent à chaque être humain, a toujours existé tandis que la pensée anarchiste, depuis Proudhon, lui a donné consistance dans un projet de société qui reconnaît la liberté de l’individu : “ La différenciation, complétée par une double identification, sépare dès l’origine, ceux pour qui l’anarchisme se condense tout entier dans un geste permanent de révolte et ceux pour qui l’anarchisme, incluant la révolte, se prolonge par des perspectives d’édifications sociales. ”

Cette analyse, mise en rapport avec la première différenciation entre l’anarchisme-attitude et l’anarchisme-doctrine, entre l’anarchiste philosophe et l’anarchiste révolutionnaire, précise les pensée de Fayolle, et “ ceux qui estiment qu’une société anarchiste est impossible et irréalisable dans un avenir proche se conduisent exactement comme s’ils professaient une Utopie, aussi parfaite qu’imaginaire. Ils se refusent donc à toute préparation révolutionnaire, dans la mesure où ils refusent la révolution comme moyen de transformation sociale, seulement réalisable, selon eux, par une lente éducation. ” Par rapport à ses précédentes analyses et réflexions, le ton de Fayolle est plus direct et plus tranchant. La poursuite de la différenciation montre que les militants, s’ils veulent avoir un rôle révolutionnaire, n’ont plus le choix.

Deux solutions peuvent leur être possible qui s’apparentent à deux choix d’action et de propagande : soit rejoindre les rangs de l’humanisme libertaire et se consacrer à l’éducation des masses, soit être un anarchiste révolutionnaire et s’inscrire dans les luttes de l’époque pour préparer la révolution sociale. Ce ne sont pas les vues de Maurice Laisant, qui prend la défense de la conception philosophique qui doit être respectée, même s’il se déclare avant tout révolutionnaire : “ Je suis de ceux qui pensent que la philosophie anarchiste a son prolongement dans le social, qu’il est non seulement possible mais indispensable à un ordre véritable, qu’il est réalisable dans l’immédiat, que seuls y font obstacle l’ignorance, la bêtise et l’opposition e l’individu à son propre bonheur. Ceci dit, j’ajoute que s’il m’était démontré que mon jugement soit erroné, même si je devais renoncer à l’espoir de voir se réaliser pour ma génération et celles qui me suivront le rêve de cette société idéale (parce que toujours réalisable et perfectible) je ne désavouerais pas pour autant la conception la plus haute où puisse s’élever l’homme, du seul fait qu’elle respecte les hommes et permet à toutes les conceptions humaines de s’y inscrire. ”

Le congrès de mai 1958 achève (pour un temps) le débat. Maurice Joyeux souhaite que le congrès se proclame et fasse un choix en faveur d’une Organisation révolutionnaire anarchiste tandis que CA Bontemps se proclame pour une cohabitation des tendances. Prudhommeaux rappelle pour sa part que les structures actuelles de la FA le permettent, c’est le point de vue adopté : “ Les structures actuelles de la FA n’interdisent pas aux diverses tendances de s’organiser en tant que telles, il n’y a donc pas lieu de les modifier. Il est rappelé que chaque tendance, dans ses actions publiques, ne doit engager qu’elle-même et non l’ensemble de la Fédération. ”

En 1958, l’appel lancé deux ans plus tôt par Maurice Fayolle a été entendu. Pourtant, on ne peut pas parler d’un changement radical de la situation, mais seulement d’un progrès qui permet la constitution de tendances. Il faut dire que le congrès de 1958 va mettre pour un temps en veilleuse les revendications d’orientation avec une reprise de discussion autour du rôle et de la nécessité révolutionnaire.

C’est simultanément Jean Prevotel, en janvier, et CA Bontemps, en février 1958 qui lancent un débat nouveau : jamais encore la révolution en elle-même n’en avait été l’objet privilégié. Jean Prevotel, après l’étude des événements anarchistes du siècle, nie la possibilité d’une victoire anarchiste l’arme au poing. Ainsi, il convient de repenser la méthode révolutionnaire. Il voit dans chacune des défaites révolutionnaires une défaite de l’esprit anarchiste, de l’esprit de révolte mais non celle de la pensée. C’est pour cela qu’une insurrection armée victorieuse ne peut mener qu’à une “ abdication des anarchistes, qu’au maintien des anarchistes par la force, qu’à la prise de pouvoir par nos adversaires, malgré nous, en d’autres termes à une fin réactionnaire. ”

Prevotel part d’une analyse où il voit dans l’anarchisme plus qu’une simple libération économique, une libération totale pour l’individu, qui serait donc une libération morale et éthique, par la prise de conscience individuelle de chaque individu. Cette analyse renie donc le principe d’une insurrection armée : “ Il faut donc trouver d’autres voie, et sans doute dans le domaine strictement économique. Théoriquement, il s’agirait de saper l’État capitaliste à partir de lui-même, je m’explique : d’accaparer l’économie tout en cohabitant momentanément avec le capitalisme, la rapidité du processus dépendra de vos forces. (…) Cela ne signifie nullement participer, et toute participation politique est évidemment exclue. Il s’agit de rechercher des méthodes révolutionnaires efficaces mais absolument pas de revenir sur le principe de base de la philosophie anarchiste. S’il est possible, cet accaparement des moyens de production à l’intérieur même de la société capitaliste s’accompagnera sûrement de soubresauts et de violences, peut-être de reculs nécessaires. Alors nous devons veiller à éviter toute extension d’un conflit en cours, car cette extension ne pourrait conduire qu’à une bataille rangée généralisée à tout un pays ou un ensemble de pays. Nous serions sûrement perdants puisqu’un conflit généralisé n’est pas révolutionnaire. ”

Bontemps pour sa part fait paraître un deuxième texte de L’anarchisme et l’évolution intitulé “ Au-delà des révolutions ”, où il analyse et met en cause deux concepts d’importance, ceux de la “ lutte des classes ” et de la “ révolution ”. L’évolution récente des données et structures économiques ne permettent plus aux classes d’acquérir une réalité objective et la constitution de nouvelles classes remet en cause le rôle révolutionnaire d’une seule classe prolétarienne et même de son existence : “ Il faut empêcher l’anarchisme de sombrer dans l’ouvriérisme et attirer à lui les meilleurs éléments de toutes le couches sociales. ” La situation apparaît la même pour la question révolutionnaire et ceux qui la préconisent avant tout : les communistes libertaires, à propos desquels il écrit : “ Révolutionnaires avant tout, ils cherchent les moyens d’une révolution libertaire, prochaine de préférence. C’est ce que j’appelle tout franchement une très belle et très haute illusion, et vénérable de surcroît, sa noblesse remonte loin dans le temps. Que de vaillants chevaliers, depuis des siècles, se sont ainsi perdus dans le chemin des Acaries. ” La révolution n’a donc plus de signification que dans les textes, car la réalité l’en empêche : “ Désormais une action insurrectionnelle se conduit comme une guerre. Elle est politique avant que d’être sociale, avec ce que cette condition comporte d’organisation hiérarchisée, de compromis et de compromission. ” Une révolution anarchiste devient absurde car elle dénaturerait les idéaux qui l’ont amenés : “ les anarchistes encadrant une révolution, se voyant dans l’obligation d’établir une sorte de gouvernement, une armée et une police. ”

Dès lors, Bontemps peut livrer le fond de sa pensée, en accord avec ses vues sur l’organisation, et nier la nécessité de la révolution armée tout en prônant une assimilation entre les concepts du mouvement révolutionnaire social et de l’humanisme libertaire ; le but des anarchistes doit donc être “ de créer une société où la justice entrerait dans les faits non pas par les armes mais par l’intelligence. ” Néanmoins, ces discours successifs prônant une évolution plutôt qu’une révolution nourrissent des réserves de la part de certains militants, à commencer par Maurice Joyeux, qui affirme à la veille du congrès de 1958 la nécessité du passage révolutionnaire : “ Non, l’anarchisme ne sera pas évolutif ! L’anarchisme est une valeur que seule la révolte peut imposer. Si l’anarchisme veut se survivre, il faudra qu’il fuit les salons et se réinstalle dans la rue. Non, l’anarchisme ne sera pas évolutif, l’anarchisme sera révolutionnaire ou il se dissoudra dans la petite bourgeoisie libérale comme avant lui l’ont fait le parti radical ou le parti socialiste. Non ! L’anarchisme n’est pas une attitude qui permet de se singulariser, l’anarchisme est le fruit de la révolte, la seule justification de la révolte. ”

Maurice Fayolle lui aussi émet des doutes sur l’évolution de Bontemps. La violence révolutionnaire dépend de l’autoritarisme de l’État en question, quant à la solution de Bontemps, “ elle est implicitement un renoncement à une édification socialiste-libertaire dans les temps présents, comme elle est un refus du nombre. Du moins, elle a cet avantage de ne rien compromettre dans le présent et de réserver l’avenir. ” Selon Fayolle, c’est clairement et simplement la formule philosophique tandis que celle de Prevotel s’apparente plus à un progressisme : “ Ce serait l’équivalence sur le plan économique de ce qu’est le socialisme parlementaire sur le plan politique. Et en fait, il n’est d’autre alternative : combattre le régime ou s’y intégrer. C’est à dire l’attitude réformiste ou l’attitude révolutionnaire. ”

Le congrès de Bordeaux de 1959 n’amènera rien de nouveau. Devant cet immobilisme, CA Bontemps s’avance à considérer l’opposition des courants comme philosophique et à en prendre les conclusions qui s’imposent : “ Il s’agit de savoir si l’on peut oui ou non parvenir à une définition philosophique commune. Si non, peut-être serait-il plus efficace que les tendances élaborent chacune la leur et fondent des groupes particuliers pour une tâche particulière et un recrutement cohérent. (…) Les groupes de même tendance constitueraient leur propre fédération et la FA se transformerait en une confédération qui maintiendrai ou établirait des liaisons pour les activités générales et qui, surtout, concentrerait les instruments de propagande de tous. ”

Le congrès de Trélazé en juin 1960 marque la fin de cette reprise de définition idéologique du mouvement. Trois solutions se détachent : celle de Maurice Fayolle et d’une Organisation révolutionnaire anarchiste ; celle de Bontemps et d’une FA transformée en confédération et celle des autres groupes qui veulent garder les structures héritées de 1953. Maurice Laisant, avant toute décision, prévient les militants et s’interroge : “ Peut-il y avoir contradiction idéologique entre le langage d’un anarchiste et la conception de tel autre de ses camarades ? Je ne le crois pas ; un camarade peut exprimer une autre conception de l’anarchisme que la mienne, il ne cesse pas pour autant de parler en anarchiste et sans qu’il y ait contradiction entre nous. Que nos vues soient différentes, que notre espérance de la possibilité d’un monde anarchiste ne soit pas la même, que nos méthodes divergent, il n’y a pas encore une foi d’opposition. Il ne saurait y en avoir que lorsque quelqu’un d’entre nous cesserait de condamner l’autorité, et d’en dénoncer les formes politiques, morales et économiques. ” Si ce témoignage montre une volonté évidente d’unité, l’heure est pour certains aux décisions, car les manifestations d’hostilité vis à vis de la FA se font d’autant plus sentir que le débat s’étire sans solution apparente : “ Il n’y a pas à proprement parler une Fédération anarchiste mais seulement des camarades qui se rencontrent ici ou là en petits cénacles et qui, en dépit qu’ils en aient, ne sont pas le moins du monde fédérés. J’ai déjà dit que cette situation avait beaucoup d’excuses et notamment l’expérience Fontenis. A la longue pourtant, l’expérience Fontenis apparaît comme une excuse commode. Et, à durer, l’équivoque qui consiste à prétendre qu’il y a une Fédération anarchiste quand il n’y en a pas, finira par perdre toutes ses excuses. ”

En juillet 1960, devant la lenteur des décisions et l’éxapération du courant révolutionnaire, Fayolle prend tout le monde de vitesse et se fait une raison en reprenant les propositions de Bontemps : “ Il n’y avait –il n’y a toujours et il n’y aura- qu’une seule solution valable, raisonnable et viable : que la FA, telle qu’elle a été conçue, ne soit pas et ne prétende pas être autre chose qu’un simple centre de liaison entre les organismes, groupes, journaux, revues et individualités se réclamant à des degrés variables de la philosophie anarchiste. ” Ou bien “ la FA renoncera à la prétention de rassembler tous les anarchistes de toutes les tendances et se transformera en une organisation spécifique en se dotant de structures internes et de la substance idéologique nécessaire. ”

En conclusion, les débats qui tournent autour de l’organisation restent plus ou moins les mêmes. Mais ils prennent une autre connotation car dès 1956, la Fédération anarchiste ne recueille pas les faveurs de tous les libertaires.
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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 12:25

Les crises de la Fédération Anarchiste

Histoire du mouvement anarchiste 1945-1975 de Roland Biard
Editions Galilée pages 131-140


À l'issue de son Congrès de 1959, il devient patent à tous les militants que la F.A. traverse une crise grave. Les affrontements entre les tenants des diverses tendances rendent tout accord impossible. En fait, cette situation n'est pas forfuite. La volonté des fondateurs de la F.A. est d'éviter toute « aventure ». La F.A. pour eux doit être un lieu « neutre ». Liberté est laissée à ceux qui veulent se structurer de le faire... mais hors de la F.A. De même ceux qui veulent poser ou analyser les données nouvelles, réactualiser l'anarchisme... peuvent le faire... mais hors du Monde libertaire. Pour les « Sages », la F.A. est un lieu de discussion et non de confrontation, un lieu de réflexion et non d'action.

Cette tendance au repliement se renforce au cours de l'année 1960 lorsqu'une Assemblée générale de la Région parisienne vote une motion qui indique :

« qu'aucune prise de position ne pourra plus avoir lieu au nom de la F.A. »

Cette motion rappelle également qu'il est interdit à tout militant de développer publiquement, au nom de la F.A., des idées qui sont en contradiction flagrante avec les valeurs traditionnelles (propagande en faveur de l'Etat, nationalisation de l'Enseignement, adhésion à des acte publics qui mettent en avant la défense ou le soutien d'un Etat quelconque...) et lui font obligation de choisir entre ces idées ou ces attitudes et son appartenance à la F.A.

Cette situation ne satisfait en fait que fort peu de monde. Le bulletin intérieur de ces années se fait l'écho des polémiques et des constats d'échecs :

« Soyons nets, à peu de choses près, rien ne marche comme nous le voudrions au sein de cette Fédération, qui n'existe en fait, que sur le papier.... »

« Les groupes (à part deux ou trois sur Paris et les militants de Bordeaux, très actifs), ou sont inexistants, ou du fait du petit nombre de leurs adhérents, n'ont pas de vie propre... »


Au congrès de 1960, Maurice Fayolle fait une longue intervention qui est un long réquisitoire. Nous en extrayons ces passages :

« La Fédération anarchiste s'est reconstituée fin 1953, après le coup de force de Fontenis et de ses amis, expulsant ou contraignant au départ tous ceux qui ne partageaient pas leurs conceptions marxisantes de l'organisation, de l'action ou de la propagande anarchistes.

Mais cette reconstitution s'est effectuée dans des conditions telles qu'elle portait en elle-même les causes paralysantes qui devaient lui interdire tout développement sérieux.

Ces causes étaient – et sont – les suivantes :
a)Refus de se définir avec une suffisante netteté dans le vaste éventail où se rassemblent tous ceux qui de près ou de loin, à tort ou à raison, se réclament de la philosophie anarchiste.

b)Refus de s'organiser sur les bases minimales et nécessaires à toute formation qui se veut être autre chose qu'un témoin de son temps.

c)Refus de considérer les Congrès comme l'émanation souveraine de l'organisation, ne leur accordant que des pouvoirs de liaison en matière administrative, à l'exclusion de tout autre.

À partir de ce triple refus, il ne pouvait plus y avoir d'organisation à proprement parler, mais seulement une association de camarades aux pensées divergentes, parfois diamétralement opposées et, par là même, sans caractère, sans méthodes et sans buts définis, sans autre cohésion que celle d'une vague référence à certains « grands » principes purement négatifs : anti-autoritarisme, antimilitarisme, anticléricalisme, etc..., jusqu'à et y compris l'antisociétarisme.

L'erreur a été de vouloir faire de la Fédération anarchiste ainsi conçue une organisation spécifique, tout en lui interdisant de se doter des structures internes et idéologiques indispensables à la vie même de tout mouvement.

À partir de ces considérations, il n'y avait – il n'y a toujours et il n'y aura – qu'une solution valable, raisonnable et viable : que la F.A., telle qu'elle a été conçue, ne soit pas et ne prétende pas être autre chose qu'un simple centre de liaison entre les organismes, groupes journaux, revues et individualités se réclamant à des degrès variables de la philosophie anarchiste.

Sans doute, telle était la pensée de certains camarades dont les vues se sont imposées au Congrès de reconstitution de Paris – en opposition avec les désirs d'un certain nombre d'autres camarades. Le tort des premiers a été d'accepter que ce centre de liaison soit doté d'un embryon de structures organisationnelles, inutiles et inefficaces par le fait même qu'elles n'étaient qu'embryon sans possibilité de se développer ; le tort des autres – dont je suis – d'avoir accepté cette solution équivoque comme un pis aller permettant dans l'immédiat de combler un vide pénible à tout militant.

Aujourd'hui, plus de six ans après cette reconstitution, il faut bien reconnaître qu'elle se solde par un échec. Ceci parce que la F.A. n'a su être ni le simple bureau de liaison qu'elle devait être, ni l'organisme spécifique qu'elle ne pouvait être.

À mi-chemin entre ces deux solutions, la F.A. n'a rallié à elle ni les anti-organisationnistes – parce qu'elle était, à leur yeux, encore trop « organisée » - ni, les autres, parce qu'elle représente pour eux un vide organisationnel et idéologique.

Ainsi, à vouloir contenter tout le monde, on n'a satisfait personne – et cela était inévitable. La F.A., telle qu'elle a été créée, n'a pas recueilli l'adhésiond e ceux pour qui elle a été ainsi faite. À l'inverse, elle a éloigné d'elle ceux pour qui il n'est de rassemblement valable qu'en fonction d'un choix qui se trouve être la raison et l'essence même d'un tel rassemblement.

Une telle équivoque ne pouvait déboucher que sur un insuccès. Au-delà des sympathies ou des antipathies, l'action militante exige un choix clair, des options précises et des prises de responsabilités nettes, en l'absence desquelles aucune organisation n'a de raison d'être, ni aucune propagande ne peut espérer de résultats positifs.

Je n'accuse ici personne. De cet état de fait, nous sommes tous responsables. Ceux qui, depuis six ans animent la F.A. et le M.L. sont, pour lapresque totalité des anarchistes révolutionnaires et des partisans déclarés de l'organisation. Parce qu'ils furent les seuls à se proposer (et comment en aurait-il pu être autrement ?), ils ont ainsi hérité, au Congrès de Paris, d'un enfant qui n'était pas le leur. Cet enfant, ils l'ont loyalement adopté. Et s'ils ont parfois été tentés de le modeler selons leurs manières de voir et d'agir, ce n'est sûrement pas à ceux qui, après avoir crée un enfant, ont laissé aux autres le soin de l'élever et de le faire vivre, de leur en faire reproche.

Or, l'expérience a démontré que cette création était inviable dans les formes où elle a été conçue.

Pour sortir de cette équivoque paralysante, il n'est, à mon avis, d'autre choix que celui posé par cette alternative.

Ou bien la F.A. (sous cette appellation ou sous une autre) deviendra réellement ce qu'elle ne peut qu'être dans sa forme actuelle : un centre de liaison entre le différentes tendances de l'anarchisme, tendances s'exprimant à travers des organisations, des groupes, des journaux, des revues et des individualités. Mais, en ce cas, elle devra renoncer à ce qui n'est pas du ressort d'une organisation : éditer un journal (un B.I. est suffisant), tenir un local, créer des groupes, organiser des Congrès, etc, en un mot, elle devra renoncer à se comporter comme une organisation spécifique qu'elle n'est pas et ne peut être dans sa forme actuelle.

Ou bien la F.A. renoncera à la prétention de rassembler tous les anarchistes de toutes les tendances (prétention dont l'échec s'inscrit dans la réalité des faits) et se transformera en une organisation spécifique en se dotant de structures internes et de la substance idéologique nécessaires...

Le problème du journal est à peu près le même que celui de l'organisation et il ne pouvait en être autrement. En se voulant l'organe de toutes les tendances (ce qu'il n'a d'ailleurs jamais été du fait que toutes les tendances n'ont pas rejoint la F.A.), il se condamne par cette formule à n'exprimer rien d'original, à se maintenir dans une neutralité incolore pour ne heurter personne, à être vide de ce dynamisme idéologique et de cette sève militante, en l'absence desquels ne peuvent vivre et prospérer ni mouvement ni journal... »


Cette analyse lucide de la situation du mouvement anarchiste esta ssortie d'une définition minimale de ce que pourrait être une organisation révolutionnaire anarchiste.

[...]

Maurice Fayolle, au Congrès de 1960, brosse donc les grands traits d'une « nouvelle organisation » :

« Je conviens, dès le départ, de lever l'équivoque sur les buts, les méthodes et les structures d'une telle organisation. Je l'ai écrit maintes fois : un rassemblement d'hommes ne peut se réaliser valablement que dans la mesure où ces hommes sont d'accord sur les bases et les objectifs de ce rassemblement.

Comment peut-on se définir une organisation anarchiste-révolutionnaire ?

Premier point : ne peuvent se rassembler dans une organisation que ceux qui acceptent le principe même de l'organisation, sans aucune restriction.

Deuxième point : ne peuvent se rassembler dans une organisation anarchiste que ceux qui sont décidés à oeuvrer pour une transformation des structures sociales orientées vers des finalités libertaires.

Troisième point : ne peuvent se rassembler dans une organisation anarchiste révolutionnaire que ceux qui, selon un propos de Bontemps, dès le départ « refusent de se considérer comme des minoritaires de propos délibérés ».

Tout se tient : nous nous rassemblons parce que nous considérons l'organisation comme la base indispensable d'un rassemblement ; parce que nous donnons à ce rassemblement l'objectif d'une transformation sociale ; parce que nous revendiquons les moyens de cette transformation.

Donc, ORGANISATION, parce que tout mouvement exige des structures organisationnelles ; ANARCHISTE, parce que le but est l'édification d'une socité libertaire ; REVOLUTIONNAIRE, parce que c'est ainsi que se nomme, selon le dictionnaire, « un changement dans l'ordre des choses du monde, quels que soient les moyens employés ».

Au-delà de certaines divergences tactiques, d'ailleurs plus apparentes que réelles, tout anarchiste-révolutionnaire ne peut qu'approuver cette définition de la révolution – si l'on veut bien admettre que la phrase « quels que soient les moyens employés » n'inclut exclusivement, ni n'exclut impérativement la violence révolutionnaire, considérée, non comme une fin, mais comme un moyen.

L'anarchiste-révolutionnaire, par le fait même qu'il a dépassé le concept instinctif de la révolte pour atteindre le concept raisonné de la révolution, ne peut considérer la violence comme le seul moyen d'arriver à ses buts, qui ne sont pas de détruire, mais de construire, moyen que les circonstances peuvent lui imposer et qu'il se refuse, à priori, à ne pas utiliser. Étant entendu que cette violence révolutionnaire peut aller, comme je l'ai précisé, de la simple prise de possession des moyens de production jusqu'à l'insurrection armée – suivant les lieux et les circonstances.

Il ne m'appartient pas de définir les structures d'une organisation anarchiste-révolutionnaire. Ceci sera la tâche de tous ceux qui se décideront à se rassembler pour oeuvrer dans ce sens.

Je veux simplement préciser que ces structures ne peuvent que s'inspirer des principes du fédéralisme libertaire.

Ces principes appliqués à l'organisation sont connus.

La cellule de base est le groupe. Celui-ci constitue la fédération primaire qui rassemble un certain nombre d'individus.

Les groupes se fédèrent à leur tour pour former les fédérations régionales, s'il est possible, et la fédération nationale.

Toutes les décisions sont discutées et prises à la base, c'est-à-dire dans les groupes, qui délèguent des représentants aux congrès nationaux, lesquelles prennent à leur tour des décisions et nomment pour les exécuter un bureau au Comité national.

Comment sont prises aux différents stades du groupe, de la région et du pays, ces décisions. Si imparfaite soit la méthode, il n'en existe pas d'autres de se déterminer à la majorité lorsque l'unanimité n'est pas réalisable. Et, comme l'a justement écrit Pierre Besnard dans Le Monde nnouveau, la majorité va de la moitié plus à l'unanimité moins un. Ce qui implique la nécessité du vote et je ne vois pas pourquoi les anarchistes qui votent dans leurs syndicats se refuseraient à le faire dans leur propre organisation.

Mais, contrairement au centralisme dit démocratique, qui veut la dictature de la majorité sur la minorité, le fédéralisme libertaire exige :

1)Que l'individu, le groupe ou la région ne soient pas impérativement engagés par une décision majoritaire qu'ils n'approuvent pas. En ce cas, sans faire une obstruction publique aux décisions prises à la majorité, ils s'abstiennent de les appliquer.

2)Qu'à tous les échelons de l'organisation et dans toutes les publications du mouvement, la ou les minorités aient à tous moments toute liberté d'exposer et de défendre leur point de vue contraire à celui de la majorité.

3)Que nuls individus, groupes ou régions ne puissent être exclus de l'organisation – à moins qu'ils prennent des positions anti-anarchistes et s'excluant ainsi d'eux-mêmes.

4)Que le Comité national s'en tienne strictement à l'application des décisions adoptées en Congrès. Si les circonstances exigent des décisions autres que celles définies dans les Congrès, le C.N. Doit obligatoirement les faire approuver avant s'il est possible, sinon ratifier après par un référendum.

5)Le journal de l'organisation exprime la ligne définie par la majorité du Congrès. Mais il doit obligatoirement laisser à la ou aux minorités toute possibilité de s'exprimer dans une tribune libre.

Une telle organisation laisserait ainsi aux individus comme aux groupes l'autonomie indispensable tout en les liant les uns aux autres avec une suffisante cohésion.

Et je pense que dans une telle organisation pourraient se rejoindre toutes les tendances et tous les camarades se réclamant d'un anarchisme révolutionnaire à finalité socialiste ou communiste libertaire.

J'ignore qu'elle pourrait en être l'importance numérique. Je pense qu'elle serait supérieures aux effectifs de la F.A. actuelle. Mais, de toute façon, cette question est accessoire. Je juis persuadé que s'il parvient à se définir clairement dans le fond comme dans la forme, à exposer une doctrine sociale cohérente et un programme précis, en un mot à se décanter d'un sentimentalisme romantique hors de siècle, un tel groupement, même numériquement peu nombreux au départ, pourrait pénétrer dans l'arène sociale avec des chances certaines de succès.

Car, je suis également persuadé que les temps à venir seront propices à une propagande anarchiste, réaliste, cohérente et constructive. La conjoncture d'un capitalisme, ne surmontant ses contradictions internes qu'en renonçant peu à peu à ses structures de bases, et d'une faillite avouée par Krouchtchev lui-même du communisme autoritaire, ouvre des perspectives favorables à nos conceptions.

Après Daniel Guérin, des esprits de plus en plus nombreux découvrirent la « jeunesse du socialisme libertaire » et une organisation sérieuse peut espérer « récupérer » ces hommes à la recherche de solutions humaines aux problèmes de notre temps.

Dans cette perspective, il serait souhaitable que les anarchistes authentiques soient présents lors de cette prise de conscience afin d'éviter que ce renouveau bifurque vers de nouvelles impasses.

Un anarchisme réaliste, décanté de son romantisme, actualisé et doté d'une doctrine sociale cohérente et constructive a sa place à prendre dans ce monde moderne à la recherche de solutions neuves

Et il ne dépendra que des anarchistes eux-mêmes que le socialisme vers lequel nous avançons prenne les formes libertaires pour lesquelles ont lutté et sont morts tant des nôtres.


Outre l'ensemble des déclarations de Maurice Fayolle, il convient aussi de noter que le Congrès de 1960 vit le début de négociations pour l'entrée d'un certain nombre de groupes des G.A.A.R. À la F.A. Les structures mêmes de la F.A. ne permettant pas d'entériner cette adhésion, ce problème fut reporté aux instances « normales » de l'Organisation : Comité de Relations, seul organisme habilité à recevoir des « adhésions nouvelles ».

Malgré ces adhésions, la F.A. ne cesse de péricliter. Le Congrès de 1961, tenu à Montluçon, ne regroupe que quinze groupes (dont six à Paris). L'Union des Groupes Anarchistes Communistes profite de l'occasion pour annoncer sa création comme « tendance » à l'intérieur de l'Organisation. Cet « acte de naissance » passera inaperçu dans un Congrès qui cherche anxieusement à résoudre la crise financière et rédactionnelle que traverse le Monde libertaire, l'organe de la F.A. Celui-ci est en effet tombé à son plus bas niveau de vente (1300 exemplaires) depuis 1953.
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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 12:30

Chronologie des Congrès de la Fédération anarchiste 1953-1960 :



25-26-27 décembre 1953
Paris
Congrès de reconstruction de la F.A., 8ième congrès aussi compté comme 1er congrès de la nouvelle F.A.



28-29-30 mai 1955
Paris
9ième congrès de la Fédération anarchiste compté aussi comme 2nd congrès de la nouvelle F.A.



19-20-21 mai 1956
Vichy (Allier)
10ième congrès de la Fédération anarchiste compté comme aussi comme 3ième congrès


8-9-10 juin 1957
Nantes (Loire-Atlantique)
11ième congrès de la Fédération anarchiste compté aussi comme 4ième congrès

24-25-26 mai 1958
Paris
12ième congrès de la Fédération anarchiste


16-17-18 mai 1959
Bordeaux (Gironde)
13ième congrès de la Fédération anarchiste


4-5-6 juin 1960
Angers-Trélazé (Maine-et-Loire)
14ième congrès de la Fédération anarchiste
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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 12:33

Déclaration de principes de la Fédération anarchiste
Déclaration adoptée au 7ième congrès de la Fédération anarchiste dit « congrès de reconstruction » réuni à Paris les 25, 26 et 27 décembre 1953

in Le Lien, Bulletin intérieur de la F.A. Numéro 1 de janvier 1954

Base d'accord


La base d'accord entre les anarchistes est la lutte pour :
1)promouvoir un milieu social où chaque individu puisse réliser, au maximum, ses possibilités intellectuelles et matérielles ;
2)que soit éliminée entre eux la notion d'autorité et qu'elle soit socialement éliminée, aussi souvent que les circonstances le permettent ;
3)que notre action soit basée, avant tout, sur la défense et la revendication révolutionnaire des exploités, mais sans que soit perdu de vue le fait que ce ne sont pas les classes mais les positions d'esprit qui s'opposent à l'Anarchie.
4)Que l'action soit menée sur tous les plans de l'activité humaine, selon les vues et les moyens de chaque tendance.

En vertu de ces accords, le congrès se reconnaît comme but :
a)possibilité et nécessité de toutes les tendances ;
b)autonomie (c'est à dire absence d'autorité) de chaque groupe ;
c)suppression de tous les organes centralisateurs (genre Comité national) ;
d)responsabilité personnelle (jamais collective) ;
e)l'organe du Mouvement, n'étant jamais l'organe d'une tendance, et liberté pour chaque tendance ou chaque individu, d'éditer des organes particuliers, avec l'assurance que l'organe du Mouvement leur accordera toute publicité, ainsi d'ailleurs qu'à toute activité s'exerçant dans le cadre de la culture, de la recherche, de l'action ou de la propagande anarchiste
f)relations cordiales, compréhensives, avec les mouvements allant dans le sens anarchiste, sur un point particulier.

Enfin :
Lorsqu'une tendance engage une action, dès que cette action n'est pas contraire aux idées de base de l'Anarchisme, les autres tendances, si elles ne sont pas d'accord pour participer à cette action, observent à son égard une abstention amicale. La critique de cette action demeure libre après l'évenement.
Quiconque souscrit à cette Déclaration, peut adhérer à la Fédération soit par le canal d'un groupe, soit individuellemnt ( en raison de son éloignement de tout groupe, ou simplement parce qu'il désire rester isolé).
Un comité de coordination existe dans le but de faire connaître les informations, suggestions, propositions, pouvant émaner d'un individu ou d'un groupe, sans autre droit pour les camarades composant ce comité, que celui de n'import quel autre militant de présenter propositions, suggestions, informations.
La seule dérogation à ceci peut-être constituée par des initiatives touchant l'adhésion à un congrès, cartel, comité, exemples : congrès anarchiste international, Forces libres de la Paix...
Il va de soi que dans ces divers organismes le fond même de notre idéologie ne doit pas être mis en cause et que notre présence ne doit viser qu'à des buts précis : opposition à la guerre, arracher des militants à la mort, protester contre une agression faite contre le peuple, etc.
Les groupes ont la faculté de se donner l'orientation de leur choix : anarcho-syndicaliste, communiste-anarchiste, néo-malthusienne, anarcho-pacifiste, etc.
Ils ont naturellement la possibilité de cumuler toutes ces tendances.
Des régions peuvent être formées et ne peuvent l'être que sur l'initiative des groupes la composant, le Comité de relations ne pouvant apporter que des suggestions dans ce domaine.

Organisation

Le Comité de relations est ainsi composé :

Secrétaire général dont le rôle est de répartir le courrier et les responsabilités entre les différents membres, de veiller à la bonne entente au sein de ce Comité, d'assurer la tenue du congrès selon le voeu du précédent, par des rapports en temps voulu avec les camarades qui en sont chargés.

Secrétaire aux relations intérieures dont le rôle est d'asurer la correspondance avec les groupes, de les tenir au courant des lettres de sympathisants de leurs régions désireux de se joindre à nous, de diffuser les suggestions intéressantes, qu'elles émanent d'une région, d'un groupe ou d'une individualité, de renseigner le mouvement dans son entier des possibilités d'action dont il dispose : noms des propagandistes par la parole, leurs sujets de conférences, leurs possibilités de déplacement, d'assurer la propagande par des campagnes dont les thèmes peuvent être suggérés par d'autres militants, comme ils peuvent émaner de lui (les groupes en désaccord sur l'efficacité de telle de celle-ci ont toujours la possibilité de ne pas y participer), de développer partout où il le peut la Fédération anarchiste par la création de nouveaux groupes, de présenter le bilan lors de chaque congrès de la progression, de la stagnation, ou du recul de notre organisation en raison des rapports des groupes.

Secrétaire aux relations extérieures dont le rôle est d'assurer des contacts amicaux avec des mouvements parallèles, sympathisants ou même simplement indépendants, faire connaître dans leur sein notre mouvement, notre journal, nos éditions, en un mot, nous montrer à eux sous notre vrai jour, d'envisager des actions communes avec eus sur des objectifs précis à la faveur de cartels, d'organismes de liaison, ou simplement de campagne sans lendemain. Un tel effort peut nous permettre la diffusion de notre presse à leurs manifestations, l'apposition de nos affiches à leurs locaux, la reproduction de nos communiqués et de nos articles dans leurs journaux, voire notre participation à leurs meetings.
Il va sans dire que de tels résultats ne peuvent être obtenus sans réciprocité.
Les milieux où nos rapports doivent s'exercer le plus rapidement et avec le plus de chances de succès sont : les syndicats, les mouvements pacifistes, les auberges de jeunesses, ceci sans méconnaître les autres.

Secrétaire aux relations internationales, ses contacts s'exercent avec les organisations anarchistes de langues étrangères. Il se tient en rapport avec elles des évènements mondiaux et des actions des anarchistes, de la mesure dans laquelle ils ont pu les inspirer et les impulser.
Par le bulletin du C.R.I.A. (Comité de Relations Internationales Anarchistes) qui paraît en plusieurs langues, il renseigne les camarades de tous pays sur le climat et l'activité des anarchistes dans le monde.
Il permet également d'apporter des informations correctives à celles que donne la presse officielle.
Enfin,il peut alimenter la rubrique internationale de notre journal, Le Monde libertaire.

Secrétaire à la trésorerie. Le trésorier perçoit directement des groupes ou individualités appartenat à la F.A. Une cotisation d'un minimum de 350 francs par an (somme fixée volontairement peu élevée pour permettre à tous d'y souscrire et généralement de la dépasser).
Le trésorier tient au courant le secréatire du Bulletin intérieur de la liste des adhérants (groupes ou individualités) à qui adresser ledit Bulletin (réservé aux seuls membres de la F.A.).
la trésorerie permet d'assurer les frais de correspondance des membres du Comité au congrès, l'adhésion à des cartels, d'aider éventuellement à la sortie d'une affiche, à la propagation d'une campagne ou au soutien de notre journal, le Monde libertaire.

Fonctionnement du Comité

La lecture de ce qui précède indique assez clairement l'interpénétration des différents postes et notamment la liaison qui ne peuut cesser d'exister entre le secrétaire aux relations intérieures et aux relations extérieures, ceci en contact avec le trésorier qui règle par ses possibilités l'envergure et la prériodicité des actions à entreprendre.
Ce Comité se réunit soit de façon régulière, soit sur convocations du secrétaire général.
Chaque secrétaire est responsable de son poste et par conséquent est seul à décider des mesures à prendre en ce qui le concerne.
Toutefois il ne peut le faire, tant pour des raisons pratiques que morales, sans en avoir débattu avec tous et sans avoir tenu compte des objections, oppositions qui peuvent lui avoir été apportées.
Ainsi, si le travail s'accomplit en équipe, les décisions en dernier ressort sont prises par les ressortissants à chacun des postes, et seuls responsables devant le congrès pour ce qui le concerne.
Chaque secrétaire peut s'entourer d'une commission de son choix pour l'aider dans sa tâche et dont il prend l'entière responsabilité.

Bulletin intérieur

Le Bulletin inérieur est composé et financé extérieurement au Comité de relations et sans que celui-ci ait à exercer un droit quelconque de censure ou d'interdit.
Son siège est fixé en province tant pour décentraliser la capitale que pour permettre à cet organe une parfaite autonomie.
Il est ouvert à tous sans que joue la moindre censure de la part de ceux qui en ont la charge.
Tous les articles y ont leur place sauf ceux qui pourraient avoir un caractère de calomnie.
Tout article refusé par le comité de lecture du Monde libertaire, peut paraître avec cette mention dans le Bulletin intérieur. Enfin, le Comité de relations y a recours lui-même pour ses communiqués aux groupes, ses suggestions, ses actions, ses rapports d'activités lors de chaque congrès.
Sa trésorerie : tous groupes ou individualités appartenant à la F.A., désireux de le recevoir peuvent en être assurés dès l'instant qu'ils sont signalés comme tels par le trésorier du Comité de relations.
Si une individualité d'un groupe remplissant ces conditions désire le recevoir directement, il le peut, sur assurance de son secrétaire de groupe qu'il appartient effectivement à la F.A.
Étant donné l'irrégularité de ce Bulletin, aussi bien pour sa périodicité que par l'importance de sa copie, un abonnement ne peut être fixé. Les groupes et camarades sont donc tenus de verser des dépôts renouvelables à échéance, à l'administrateur du Bulletin.
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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 12:34

Edito du Monde libertaire # 2 de novembre 1954

Le premier numéro du « Monde libertaire » a reçu un acceuil chaleureux partout où la modestie de nos moyens nous a permis de le diffuser.
Nos amis – comme nos adversaires – ne s'y sont pas trompés : ils ont les uns et les autres la révélation que le mouvement anarchiste possédait enfin le grand journal auquel il pouvait prétendre.
Dès le premier numéro, nous avons dit le « pourquoi » du « Monde libertaire ». Précisons-en aujourd'hui le « comment ».
Tribune ouverte à tous les courants de la pensée anarchiste, ce journal ne sera jamais au service exclusif d'une tendance ou d'une « majorité ».
Nous avons été, en effet, unanimes, pour estimer, que dans ce monde où un monolithisme étouffant stérilise la pensée humaine, nous nous devions de sortir des sentiers battus et d'apporter à nos lecteurs autre chose qu'une « unité idéologique » prébabriquée dans le sérail des « guides géniaux ». Et nous sommes convaincus que l'efficience, dont se réclament certains pour supprimer toutes libertés d'expression ne se justifie que dans la mesure où les moyens employés ne sont pas la négation du but à atteindre.
Car, n'en déplaise à quelques pauvres d'esprit dont l'activisme se pare d'un romantisme révolutionnaire désuet, nous sommes persuadés que la véritable efficience révolutionnaire se situe dans la perspective d'une revalorisation de certaines valeurs morales, hors desquelles tout révolutionnaire ne peut qu'aboutir à l'esclavage dégradant du totalitarisme.
Ces valeurs morales, nous entendons les défendre, comme nous entendons combattre, sans sectarisme, mais sans faiblesse, les absurdités criminelles du monde autoritaire.
Dans ces perspectives, nous n'excluons aucun des aspects différents que peut revêtir le combat anarchiste. De la non-violence philosophique d'un Léon Tolstoï à la violence révolutionnaire d'un Durruti, en passant par la révolte individuelle d'un Jacob, l'anarchisme, divers dans ses manifestations, s'insère dans une unité naturelle : la revendication permanenete de la Liberté et de la Dignité. Non l'anarchisme ne peut sans se renier, plagier ce qu'il combat.
C'est pourquoi, fidèles à un idéal pour lequel tant des nôtres ont lutté, nous appellons à se rassembler autour de notre journal et dans notre organisation tous ceux qui, en trouvant l'Anarchie ont trouvé leur raison de vivre ; tous ceux qui, sous des formes différentes luttent pour un objectif commun : la libération de l'Homme.
Une feuille dont le titre nous fut cher – et c'est pourquoi nous en avons conservé l'essentiel – mais qui, aujourd'hui chaque fois qu'elle paraît, insulte les noms de Sébastien Faure et de Louise Michel dont elle continue à se réclamer abusivement, nous injurie dans une « mise en garde » où la vulgarité le dispute à l'odieux.
Nous nous refusons à engager une polémique avec ces amateurs de mauvais romans policiers, nous contentant de réserver à leurs élucubrations une destnation naturelle : la boîte à ordures.

Le Monde libertaire
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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 12:35

Notre congrès 1955

Il y a plus d'un an de cela. Une poignée d'hommes de conceptions diverses, mais groupés par un même idéal, prenaient une initiative qui devait marquer l'évolution du mouvement anarchiste d'un sceau particulier. Les encouragements ne lui manquèrent pas.
Les sarcasmes non plus. « Votre réussite est illusoire, leur disait-on. Des aventuriers sans scrupules ont déprécié l'anarchisme d'une manière telle qu'il vous sera impossible de tenter quelque chose dans ce domaine. Votre ambition qui est de regrouper tous les courants dans une même organisation est certes louable, mais vouée à un échec certain. » Et ce fut le congrès de Noël. Les vieux pionniers, ceux que l'on croyait écartés de l'action, les jeunes, beaucoup de jeunes, les militants de tous bords, dont le passé faisait honneur à l'anarchisme, se rassemblèrent discutèrent et ainsi, renaissait la Fédération anarchiste.
Depuis ces journées historiques, elle n'a cessé de s'imposer dans le mouvement social. Ses effectifs se sont multipliés et par voie de conséquence, son rayonnement s'est étendu.
Notre organe, le Monde libertaire, dernier rempart de la liberté d'expression, s'est désormais imposé parmi les meilleures publications du mouvement ouvrier. La collaboration assidue des journalistes et romanciers les plus marqués par l'esprit libertaire est un gage de qualité.
Notre FA fut le lieu de rencontre des différentes tendances, où aucune, fût-elle minoritaire, n'était considérée comme mineure.
Notre prochain congrès annuel de Paris hésite d'un bilan des plus brillants. Mais la tâche des compagnons est immense. Il leur faudra lutter sans relâche. La société bourgeoise détruit une à une les quelques libertés que les hommes ont chèrement conquises. La menace d'une guerre prochaine n'est pas écartée. Les peuples coloniaux souffrent d'une expolitation féroce. Enfin, les conditions de vie des travailleurs sont immondes eu regard des énormes crédits réservés à l'armement et des subventions multiples aux maffias privés.
C'est à tous ces problèmes que les militants devront donner une solution. La période d'élaboration est passée. Place à l'action pour que vive notre Fédération anarchiste.

Pour la commission de rédaction : Joe Lanen

in le Monde libertaire # 9 de juin 1955
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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 12:36

Pentecôte 1955

Une salle de congrès agitée de la présence et de l'enthousisasme des délégués venus des quatre points cardinaux de la France, voici qui passe inaperçu aux yeux de l'opinion, de la grande presse, et du vain tumulte d'un siècle abruti par la publicité, la religion de la vedette et le gôut du scandale.
Et pourtant cette poignée d'hommes libres et soucieux de l'avenir d'un monde dont nul ne s'inquiète plus guère, ce vouloir de rallier tous les humains sous le grand signe de la Liberté (le seul qui puisse les réunir), c'est peut-être l'unique lueur d'espoir dans cette nuit d'indifférence.
La Fédération anarchiste célébrait la première année de sa reconstitution. Une année où elle s'est employée à unir ses membres, quelles que soient leurs divergences, comme elle s'est donné pour but d'unir tous les hommes dans un monde réconcilié et fraternel, dont auraont disparu les frontières sociales, économiques et morales qui les divisent.
Quoi de plus surprenant au silence dont nous sommes l'objet ? Nous savons par expérience que parfois les événements les plus extraordinaire de l'Histoire sont ceux qui passent le plus inaperçus.
Quelques militants réunis autour d'une table (souvent dans la clandestinité), une poignée de propagandistes, exaltant leurs semblables à faire de leur vie une lumière, des réunions oscures dans des arrière-salles de café, et c'est quelquefois la chute d'un régime, le départ d'une organisation qui fera trembler le vieux monde sur ses bases.
Conscient de notre faiblesse comme de notre force, nous ne voulons pas présumer d'un avenir, qui pour tous reste inconnu, mais qui ne pourra se libérer des chaînes du passé que dans la mesure où des hommes sauront militer, agir et lutter.
C'est notre rôle, celui qu'ont rempli les êtres chers qui nous ont devancés dans la lutte, celui dont nous nous efforçons d'être dignes aujourd'hui, celui que sauront poursuivre d'autres hommes qui assureront notre relève, et qui viendront de plus en plus nombreux grossir les rangs de notre Fédération anarchiste, ouverte à tous ceux pour qui la Liberté est plus qu'un mot ou qu'une formule électorale.

F.A.
in Le Monde libertaire # 10 de juillet 1955
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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 12:36

Edito du Monde libertaire # 19 de juin 1956

C'est à Vichy que s'est tenu le troisième congrès de notre Fédération.
Fidèle à ses devanciers qui ont vu la reconstitution de notre mouvement, celui-ci a témoigné de la fraternité qui unit la grande famille anarchiste.
Nous ne voulons pas ici rebattre les oreilles par des formules périmées qu'on ressasse en pareille circonstance, cependant il nous faut bien dire que dans la faillite totale des partis, que dans la panique générale suscitée par les multiples trahisons, les libertaires constituent la vacillante lumière qui permet de ne pas désespérer de l'avenir et des hommes.
Certes les suiveurs, ceux à qui il faut des mots d'ordre pour agir, des crédos pour penser, et des idoles pour s'enthousiasmer, certes les petits maîtres, à qui il faut un piédestal pour vivre, une place de chef pour militer et un plébiscite pour s'apaiser, la conscience, certes, tous ces immobilistes seraient aveuglés par la pluralité de nos vues, par la fraternelle confrontation de nos idées, comme pourrait-l'être une chouette par la vue du soleil.
Et cependant, c'est bien de ce creuset où chacun jette ses connaissances, son expérience propre, ses conclusions que la vérité finit par jaillir.
C'est bien lorsque l'homme est prêt à réviser ses vues à la lumière de son temps, à examiner sans apriorisme d'aucune sorte tous les problèmes qui se posent à lui que l'on peut espérer apporter un peu de progrès et d'amour.
C'est dans cet esprit que s'est déroulé ce congrès de Vichy dont notre Fédération sortira plus forte, plus prête à livrer le bon combat, par l'intelligence qui s'en est dégagée, qui en sortira plus indissoluble, par la fraternelle compréhension de ses participants.

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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 12:38

Résolution sur l'Internationale
In Bulletin intérieur de la Fédération anarchiste nouvelle série numéro 1 de juillet 1956


Le 3ième congrès de la Fédération anarchiste française reconstituée s'est réuni à Vichy, les 19, 20 et 21 mai 1956.
Après avoir pris connaissance des appels et messages provenant des groupements et camarades des autres pays – ainsi que du matériel de la Commission de Relations Internationales Anarchistes (C.R.I.A.) et des rapports du Secrétaire de la F.A.F. Pour les relations internationales – et après en avoir discuté, le congrès en clôturant sa séance du 20 mai après-midi, a adopté à l'unanimité la résolution suivante :

I. Le congrès reconnaît le caractère mondial des tous les grands fléaux et problèmes sociaux du XXième siècle :

pression démographique aigüe ;
restriction permanente des sources de subsistance ;
déracinement et déplacements forcés des populations ;
grégarisme et nomadisme ;
obstacle à la libre circulation des idées, des personnes et des biens ;
industrialisation forcenée ;
impérialisme et colonisation ;
réactions nationales en chaîne (chauvinisme, fanatisme religieux, racisme, etc.) ;
militarisation universelle ;
guerres mondiales ;
croissance de l'État idole et providence ;
« civilisation de masse » ;
croisades idéologiques ;
avènement général de l'idéotechnobureaucratie, etc.

II. Le congrès réaffirme l'anarchisme comme l'unique adversaire de toutes les structures fondées sur l'intolérance de groupe.

Seul, l'anarchisme tend à l'abolition de toutes les frontières de race, de caste, de religion et de nation, et à la coexistence universelle de toutes les affinités électives dans le respect de toutes les diversités ; il est, à cet égard, le seul mouvement effectivement international ; il lui appartient donc de proposer des solutions radicales aux problèmes mondiaux et des voies d'acheminement pratique vers une humanité à la fois pacifique et libre, en dehors de la guerre des nations ou des classes, et de toute forme de contrainte organisée.

III. Le congrès constate que l'Internationale anarchiste a son existence de fait dans la vie même du mouvement.

Elle consiste dans les rapports fraternels d'information et d'échanges de vues, directs ou par correspondance, ainsi que de solidarité et d'hospitalité personnelles qui unissent les anti-autoritaires sans distinction de pays et de continents ; cette existence, a de plus, été solennellement affirmée et réaffirmée, entre autres, par les congrès tenus à Saint-Imier en 1872, et à Amsterdam en 1907 ; le problème d'un organisme permanent de liaison, déjà résolu en 1907-1914, a été l'objet principal des rencontres de 1946-1949, aboutissant à la création d'une Commission de Relations Internationales Anarchistes qui, depuis lors, a réussi à se maintenir en bon rapports avec le mouvement libertaire tout entier.

IV. Le congrès salue le projet de congrès mondial comme occasion d'une prise de conscience anarchiste.

Il prend acte du fait qu'un vaste congrès mondial de réorientation de l'anarchisme, face aux expériences et aux situations nouvelles d'un demi-siècle de guerres et de révolutions sans précédents, est très généralement désiré par les éléments actifs de notre mouvement, non pas sans doute pour l'efficacité immédiate d'une rencontre de ce genre, qu'en vue du caractère décisif que pourrait prendre sa préparation méthodique et générale, ainsi que son retentissement et ses conséquences intellectuelles et morales.

V. Le congrès propose à l'Internationale et au congrès mondial un classement général des thèmes d'études et de discussion.

Quatre grands cycles seraient prévus :
a)histoire du milieu social et du mouvement libertaire pendant les cinquante dernières années (études d'ensemble et monographies) ;
b)les grands problèmes du Xxième siècle considérés sous l'angle étatiste et sous l'angle anarchiste ;
c)étude des conditions, modalités et directives d'une intervention anarchiste dans les milieux et organismes non-étatiques (mais non spécifiquement anarchistes) ;
d)fonctions, principes et structures du mouvement à l'échelle internationale, harmonisation de campagnes menées en commun, etc.

VI. Le congrès précise les modalités d'organisation du congrès mondial sur la base des propositions déjà enregistrées.

Il suggère les modalités suivantes :
a)Le congrès mondial se teindrait en Italie, au cours de l'été 1957, à l'occasion du 5ième Campement International Anarchiste et pendant une durée de quinze jours ; l'hébergement des participants auraient lieu dans les cadres du campement selon l'offre qui en a été faite par les organisateurs ; le congrès serait placé sous le signe du 50ième anniversaire du congrès d'Amsterdam.
b)Les travaux seraient de deux sortes : (1) historico-théoriques et (2) pratiques et organisatoires, chaque section comportant ses commissions, son horaire, son ordre du jour, son personnel et son matériel auxiliaires de traduction, impression, etc.
c)Sur le plan théorique, les participants interviendraient à titre individuel, par des rapports, études et échanges de vues de caractère informatif (cycles a), b) et c) des thèmes d'études) et sans que les opinions émises soient sanctionnées par le congrès.
d)Sur le plan pratique, des réunions réservées aux délégués mandatés à cet effet auraient lieu afin de prendre, par voie d'engagements mutuels, les résolutions nécessaires pour assurer la coordination organique désirée par les groupements mandataires au sein de l'Internationale anarchiste.

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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 13:29

Edito du Monde libertaire # 39 de juin 1958

Le congrès national de la Fédération anarchiste vient de terminer ses travaux. Trois jours de débats passionnés durant lesquels les militants des fédérations régionales ont confronté leurs expériences, analysé leurs enseignements et déterminé les actions que les graves événements de l'heure imposaient.
Des diverses interventions s'est manifestée la volonté des propagandistes libertaires d'organiser la riposte vigoureuse et décisive aux bandes factieuses.
Conscients que les partis qui ont assumé la responsabilité du pouvoir ont crée les conditions favorables au putsch fasciste d'Alger et d'Ajaccio, les congressistes ont affirmé que les libertés essentielles des hommes sont indissociables du droit des travailleurs au mieux-être et des populations colonisées de s'affranchir de la tutelle des colons rétrogrades.
La liberté formelle, cautionnée par le Capital n'est pas la libération des travailleurs qu'opprime une caste d'exploiteurs qui relèvent la tête, méprisant des lois sociales qu'en d'autres temps les organisations ouvrières leur avaient imposées.
Mais ces libertés essentielles de vivre, d'agir et de penser, menacées par les complots militaires, les groupes anarchistes, cellules vivantes des fédérations, sont prêts à les défendre coûte que coûte.
Partout, dans les usines, les localités, les militants seront à l'avant-garde de la lutte anti-fasciste.
La solution ne peut-être parlementaire.
L'initiative appartient aux travailleurs et à leurs organisations de combat. Les anarchistes réaffirment leur volonté de mener la lutte sur le terrain de classe, par des méthodes révolutionnaires. Tous sont mobilisés.
Si De Gaulle et ses paras tentaient leur coup d'État, la grève générale serait la riposte immédiate.

Le Monde libertaire
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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 13:31

Motion antifasciste
Motion adoptée au « 12ième congrès de la Fédération anarchiste réuni en congrès à Paris les 24, 25 et 26 mai 1958


Le congrès extraordinaire de la Fédération anarchiste, réuni à Paris les 24, 25 et 26 mai 1958, demande à ses groupes et à ses militants de tout mettre en œuvre pour lutter sans merci contre les fascistes, appuyés par des factions militaires à la faveur d'une guerre absurde que nous n'avons cessé de dénoncer et qu'ils ne veulent pas terminer.

Il les invite expressément à resserrer leurs contacts, à se joindre aux Comités de résistance locaux les moins politisés et surtout, à mener une action décidée dans leurs syndicats pour créer les conditions d'une riposte ouvrière immédiate.
Nos libertés essentielles reposant incontestablement sur le fonctionnement normal et les possibilités d'action des organisations démocratiques, leur défense est pour les libertaires un impératif absolu.

La Fédération anarchiste
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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 13:31

Edito du Monde libertaire # 50 de mai 1959

Il y a six années, les anarchistes qui venaient de surmonter une crise aiguë qui avait décimé leurs rangs, s'unissaient enfin pour créer une Fédération nouvelle où les tendances pouvaient s'épanouir et s'affronter librement. La Charte qu'ils élaborèrent alors, basée sur les principes généreux de l'Idéologie Libertaire, a depuis ces six années, orienté l'activité de la F.A.
Avec le Monde libertaire, organe qui reflétait la volonté unanime que les querelles fîssent place à la confrontation fraternelle des thèses, les militants, de quelque tendance interne qu'ils fûssent, disposaient d'un moyen d'expression sans égal.
Oeuvre collective, responsable devant les congrès, ila figuré, dans un domaine aussi délicat que la propagande et de la diffusion des idées, l'application immédiate des conceptions anarchistes de l'organisation du monde. N'y aurait-il que cette oeuvre exemplaire à l'actif de la F.A., elle prouverait que l'expérience valait d'être tentée.
Mais les anarchistes, fiers, à juste titre de leur Mouvement et de leur journal, ne doivent pas se satisfaire de ces succés partiels. La mission qu'ils ont à accomplir implique beaucoup plus qu'un contentement d'artisans consciencieux. Les théories vieillies, dépassées par l'évolution fabuleuse des hommes, des cités, des industries et des connaissances, ils doivent formuler une doctrine digne du XXième siècle, assortie de méthodes d'action et d'un programme cohérents, capables d'assumer la relève d'un marxisme qui n' pu se soustraire à l'implacable verdict de l'Histoire.
La place laissée vacante par le marxisme ne sera occupée par l'anarchisme que si ses militants s'émancipant d'une théorie statique entrent dans l'arène.
La conjoncture ne nous a jamais été aussi favorable. Si toutes les théories sociales se sont usées dans l'exercice du pouvoir, l'anarchisme demeure riche et vivant d'espérance. Mais que l'on ne se fasse pas trop d'illusions ! Stirner, Proudhon, Bakounine ou Sébatein Faure sont méconnus de l'immense majorité des hommes. Et compiler des antiennes sacrées n'ébranlera pas cette société encore tenace, dont la transformation ne sauarit être envisagée en brandissant des tablettes périmées.
Sans renier une parcelle de leur légitime faim de liberté, les militants de notre Fédération doivent dépasser leur Charte d'Union pour promouvoir une « politique » qui considère tous les aspects de la lutte révolutionnaire et définisse clairement les moyens d'action.
Alors, ce travail accompli, après six années de gestation, le congrès de Bordeaux 1959 marquera l'affirmation de l'anarchisme.

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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 13:32

Motion de la Fédération anarchiste
Motion d'affirmation adoptée au 13ième congrès de la Fédération anarchiste réuni à Bordeaux les 16, 17 et 18 mai 1959


La Fédération anarchiste française, à l'occasion de son congrès tenu à Bordeaux les 16, 17 et 18 mai 1959 réaffirme son attachement à son idéologie, à savoir, que ses membres restent toujours disponibles et se refusent à accepter une vérité, qu'elle quelle soit, comme définitive.
En raison de cette fidélité (et non en opposition à celle-ci), elle pense indispensable d'examiner les évenements nouveaux qui ont bouleversé le monde et les répercussions qu'ils ont eues sur les hommes de tous les continents et de toutes conditions.
Elle enregistre que pour ne pas avoir fait montre d'une même sagesse, les nouveaux mouvements révolutionnaires comme leurs devanciers sombrent dans la politique et se cristallisent en des dogmes et des méthodes qui les éloignent de leurs buts initiaux.
Dans l'époque actuelle où l'individu est de plus en plus soumis à la société et au progrès au lieu d'en être le maître, dans cette époque où les dangers de guerres et de guerres inavouées, de fascisme et de fascisme larvé, s'étendent et se concrétisent sur toute la Terre, nous constatons que les anarchistes portent en eux, l'espoir de l'humanité et de l'avenir.

Le congrès de la FA, Bordeaux, 1959.
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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 13:33

Motion des jeunes
Motion adoptée au 13ième congrès de la Fédération anarchiste réuni à Bordeaux les 16, 17 et 18 mai 1959


Les jeunes militants présents au congrès de la Fédération anarchiste, à Bordeaux les 16, 17 et 18 mai 1959, lancent un appel vers tous les jeunes qui, en France, se réclament de l'idéal libertaire, ceci dans le but d'étendre notre action dans les milieux jeunes, sur la base d'un travail commun et fraternel.
Ces jeunes militants insistent sur la multiplication des cercles d'études, dans lesquels les participants, qu'ils adhèrent ou non par la suite à la FA, apprendront à vivre et à se comporter en anarchiste.
En guise de conclusion, nous adressons notre salut amical à tous les jeunes qui, militants ou non, spontanément réagissent d'une manière libertaire.

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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 13:33

Résolution sur l'entente des libertaires de langue française
Motion adoptée au 13ième congrès de la Fédération anarchiste réuni à Bordeaux les 16, 17 et 18 mai 1959


Le congrès annuel de la Fédération anarchiste française, réuni à Bordeaux les 16, 17 et 18 mai 1959 a été amené, par la situation actuelle et par l'exemple pratique déjà réalisé en mai 1958, à considérer la nécessité et la possibilité d'un resserrement de liens entre tous les libertaires parlant français de diverses affiliations, et avec ceux qui demeurent dans l'expectative ou la dispersion.
La Fédération anarchiste française réaffirme le caractère largement ouvert à toutes les nuances et tendances de l'anarchisme, de son organisation fédéraliste, antidogmatique et pluraliste ; elle persiste à espérer que cette formule continuera à attirer dans son sein le plus grand nombre possible de camarades ; mais elle tient à préciser que la voie de l'unité passe pour nous par la tolérance, la coexistence fraternelle et la solidarité dans l'action et non pas par l'application de la devise « qui n'est pas avec nous est contre nous ».
Elle reconnaît le caractère authentiquement libertaire – hors de ses groupes et de ses organismes spécifiques, de nombreuses initiatives, publications, associations et activités diverses, auxquelles les camarades de la Fédération anarchiste française participent déjà ou pourront participer dans l'avenir, et qui auraient avantage de leur côté à ne pas ignorer la Fédération.
Comme première étape de rapprochement, un pacte pourrait être conclu, comportant :
1.l'acceptation de l'idée d'arbitrage égalitaire pour régler les différends, dissiper les préventions et établir la vérité des faits sur des points contestés – les parties en cause se faisant une règle de taire les litiges jusqu'à leur règlement à l'amiable ;
2.la publicité mutuelle accordée par les organes et organismes libertaires chacun signalant l'autre à charge de réciprocité ;
3.la consultation réciproque à l'occasion des évenements cruciaux de l'actualité ;
4.la reconnaissance mutuelle du principe de la double ou multiple affiliation, les groupements ne se considérant pas comme exclusifs et fermés les uns aux autres.

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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 13:34

Résolution sur l'entente internationale des libertaires
Motion adoptée au 13ième congrès de la Fédération anarchiste réuni à Bordeaux les 16, 17 et 18 mai 1959


Le congrès a pris connaissance avec satisfaction du pas en avant accompli au congrès de Londres par la coopération pratique de tous les secteurs du mouvement international anarchiste sans distinction d'étiquette et de tendance. Il adresse un salut fraternel à tous les anarchistes du monde et en particulier aux groupes et mouvements libertaires de langues étrangères qui voisinent avec ceux de langue française. C'est uniquement par inadvertance que ces groupes et mouvements n'ont pas été selon la tradition pressentis pour prendre part au congrès et celui-ci a tenu à leur exprime ses regrets ainsi que l'affirmation de son entière solidarité.

D'autre part, le congrès salue l'attitude exemplaire des camarades anarchistes de langue allemande (ceux de Berlin-Ouest en particulier) qui, sans se laisser ébranler par les menaces de guerre, lancent un périodique, préparent un congrès d'unité et apportent depuis trois ans un constant appui à la Commission de Relations Internationales Anarchistes.

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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 13:35

Raisons d'espérer
Edito du Monde libertaire # 61 de juin 1960


Comme chaque année, les anarchistes de toutes les régions de France vont se réunir, et au sein de leur congrès, dans la chaude atmosphère de ceux qui, d'un même coeur, veulent voir s'instaurer le monde futur, ils vont faire le point de la situation nationale et internationale, et envisager la lutte à poursuivre.
C'est dans un climat particulièrement lourd et menaçant qu'un tel rassemblement aura lieu.
Plus que jamais la folie des puissants de ce monde jette une ombre de désespoir sur l'humanité, plus que jamais les rivalités puériles, les intérêts sordides dressent face à face les blocs politiqus et les trusts financiers.
N'est ce pas précisemment dans ces heures-là, plus qu'en tout autre, qu'il appartient aux militants des causes libres et humaines de faire le tour d'horizon, de mesurer les dangers, de percevoir les rares éclaircies et d'envisager les actions à entreprendre.
Dans l'imbroglio infernal ds intérêts mêlés et des catastrophes multiples qu'ils peuvent déclencher, tentons de découvrir quelques thèmes de réveil de la dignité humaine.
Deux d'entre eux sont à soutenir et à animer : d'une part l'opposition qui semble enfin se fair jour contre la guerre d'Algérie, d'autre part le soulèvement des travailleurs las des salaires éternellement bloqués face à des prix éternellement en hausse.
C'est peut-être par la conjugaison de ses deux forces, pacifiste et ouvrière, qu'une issue est possible.
Les regroupements des minorités syndicales d'une part, l'action des Forces Libres de la Paix de l'autrenous permettent de le croire.

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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Dim 1 Mar 2009 13:35

Edito du Monde libertaire # 62 d'août 1960

Trélazé 1960


Le congrès de Trélazé nous a permis de constater une recrudescence de nos groupes et de notre activité.
Ne nous y trompons pas, cet accroissement ne nous est pas particulier ; il marque l'inquiétude de notre temps et le réveil d'une génération qui ne consent plus au rôle de condamné à mort.
Le remous des masses politiques et syndicales nous apporte la preuve de la lassitude des peuples à apporter aux maîtres du Monde une confiance aveugle et béate ; l'agitation indéniable et qui peut-être grandissante des mouvements sociaux témoigne d'une prise de conscience face aux problèmes actuels.
Penser que tous les éléments de ce réveil : dégoûtés des partis politiques ou inorganisés accédant au militantisme, rejoindraient nos rangs dans leur entier eût été utopique ; il faudra, à beaucoup, d'autres expériences, d'autres répétitions des évenements présents, d'autres déceptions pour comprendre (s'ils le comprennent un jour) que le pouvoir est maudit, comme le disait Louise Michel et que seule la liberté n'est pas une impasse.
Il nous suffit que les plus clairvoyants continuent à venir à nous et que leur nombre aille grandissant.
Dans la complète connaissance des tâches qui nous incombent, le congrès de Trélazé a défini les objectifs que nous devons de poursuivre :
lutte contre la guerre d'Algérie, le combat pour la Paix étant intimement lié à celui pour la liberté et l'une ne pouvant être sans l'autre ;
collaboration aux actions entreprises dans ce domaine lorsqu'elles sont véritables et non menées dans des buts politiques ou partisans ;
lutte contre l'emprise cléricale dans le domaine scolaire et adhésion au Comité de Défense Laïque ;
invitation aux militants syndicaux de la FA de participer au Comité de Liaison des Syndicalistes Révolutionnaires.
La Fédération anarchiste estime que par le contact des éléments de base, quelles que soient leurs centrales et par dessus les bureaucraties paralysantes de celles-ci, une unité d'action syndicale peut se faire jour.
En conclusion, notre rôle est de ne rien perdre de nos caractéristiques tout en étant présents dans toutes les manifestations populaires où notre voix peut être entendue.
Dans la mesure où nous saurons remplir cette double mission, dans la mesure où nous saurons nous joindre aux cartels sans nous y perdre, tous les espoirs nous sont permis.

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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Mer 4 Mar 2009 22:37

Dans les numéros 18, 30 et 31 de la revue La Rue, éditée entre 1968 et 1986 par le groupe libertaire Louise-Michel de la Fédération anarchiste, Maurice Joyeux, l’un des principaux animateurs de cette revue et de ce groupe, fit paraître trois articles intitulés “L’Affaire Fontenis”, “La reconstruction de la Fédération anarchiste” et “La Fédération anarchiste reprend sa place”.

Voici le deuxième article :


La reconstruction difficile de la Fédération anarchiste 1954 - 1960


La crise qui, au lendemain de la Libération, secoua la Fédération anarchiste et dont l’affaire Fontenis fut le révélateur ne fut pas seulement due aux courants multiples qui traversaient notre mouvement, même si ceux-ci lui imprimèrent une marque bien de chez nous. Elle se greffa sur ce brassage des idée reçues qui est le fruit des grands cataclysmes. La fin de la Première Guerre mondiale avait déclenché dans nos milieux des convulsions de même nature et aboutit à l’éclatement du syndicalisme révolutionnaire fécondé au début du siècle par l’anarchie, ce qui donna cette branche originale du mouvement ouvrier français connue sous le nom d’anarcho-syndicalisme. Phénomène d’une société qui se reconvertit pour panser ses plaies et dont furent également victimes les partis politiques de gauche et les organisations humanitaires.

Ces crises, que la fin des conflits déclenchent, naissent de la confusion entre les valeurs classiques du mouvement ouvrier qui le compartimentent en structures idéologiques bien typées et d’autres issues de la guerre où se confondent les mutations économiques et politiques, et l’impatience à reconstruire un tissu qui tienne compte de l’évolution des esprits. A partir de 1920 comme en 1947 toutes les formations se réclamant du socialisme éclatèrent, rejetant du noyau initial de multiples groupes éphémères qui, avant de s’éteindre, perturbèrent le milieu et firent la fortune des échotiers et des historiens avides de sensationnel. Ceux-ci leur accordèrent une place sans aucun rapport avec leur importance réelle, ce que le temps rectifiera. Le mouvement anarchiste à ces deux époques de notre histoire ne fut pas le seul à ressentir les effets de cette situation qui fit voler en éclats les certitudes théoriques, même si le commentateur mit facilement l’accent sur les divisions qui secouèrent les anarchistes et en passa pieusement sous silence d’autres, de même nature, qui déchirèrent les partis se réclamant du socialisme ou des mouvements syndicaux.
En dehors de son caractère propre, dont je parlerai plus loin, les soubresauts qui agitèrent la Fédération anarchiste à peine reconstituée furent le fruit de mythes nés de la Résistance et de la résurgence du marxisme-léninisme auquel les victoires de l’armée soviétique donnaient une nouvelle jeunesse. Les “nouveaux militants”, confrontés à une opinion publique exaltée par les “victoires” des pays démocratiques et la Russie soviétique, ne voulurent pas demeurer en reste de ces idées toutes faites qui poussaient les populations vers un nouveau mode d’organisation sociale où le socialisme accentuerait son recours à un jacobinisme centralisateur qui avait fait preuve de son efficacité dans les combats clandestins et sur les champs de bataille. Le fruit de cet état d’esprit fut, dans un temps qui sera court, un gonflement excessif des effectifs des organisations politiques, des organisations syndicales, des organisations humanitaires, auquel naturellement le mouvement anarchiste n’échappa pas. Pléthore qui n’aura qu’un temps avant que la paresse, les désillusions ne vident ces organisations de leur trop-plein. Cette fluctuation déplorable pour les grandes organisations ouvrières s’avéra tragique pour les petites, vidées d’éléments turbulents mais actifs, ce qui conduisit à une désaffection en chaîne parmi les autres, surtout parmi les hommes d’âge moyen qui sont la richesse de toutes les organisations, laissant face à face des jeunes gens, insuffisamment avertis de ce qu’était réellement l’anarchie dont ils se gargarisaient à longueur de journée, et des vieux militants désabusés et sceptiques. Constamment, depuis cette époque, il manquera à la Fédération anarchiste pour assurer son équilibre une génération, celle où l’homme est sorti de la turbulence qui désagrège tous les projets et n’est pas encore entré dans la sénilité qui les rend inconsistants.

C’est dans cette situation peu enviable, mais qui ne lui était pas propre, que se retrouva la Fédération anarchiste lorsque, Fontenis liquidé, il lui fallut reconstituer le mouvement libertaire et refaire un journal.

•••

Le congrès de la Maison Verte, dont j’ai déjà parlé, devait donner à l’organisation de nouveaux statuts. Il n’avait réuni qu’une mince assistance, beaucoup de camarades de province restant dans l’expectative, attendant de voir d’où venait le vent. Oui, je sais bien, certains de nos amis se demanderont s’il est bien utile d’étaler nos faiblesses. Je pense que si on veut progresser il est nécessaire d’en finir avec cette fatuité où trop d’anarchistes se complaisent et qui les poussent à un élitisme fatal au développement de notre mouvement.

En réalité, ce congrès ne fut rien d’autre qu’une chambre d’enregistrement de décisions soigneusement préparées par une poignée de militants décidés à échapper au concept de majorité et de minorité cher aux démocraties, dans une organisation où de tradition, on entrait et on sortait comme dans un moulin à vent et dont le premier va-de-la-gueule, s’appuyant sur des slogans à la mode, pouvait s’emparer. L’expérience amère que nous venions de vivre avait porté ses fruits et nous savions bien que les déviations que nous venions de supporter comme celles qui risquaient à nouveau de nous perturber dans les années à venir tenaient justement à la confusion que la jeunesse qui venait nous rejoindre entretenait entre les propositions des organisations de gauche ou d’extrême gauche et nous, confusion facilitée par un vocabulaire commun et par des finalités similaires, au moins sur le papier et dans le discours.

Les purs pourront toujours prétendre que cette méthode de travail n’est pas démocratique et ils ne s’en priveront pas, mais on ne peut pas nier qu’elle soit réaliste et elle se révéla utile lorsque, plus tard, notre mouvement et son journal étant repartis, d’autres personnages turbulents, marxistes, provos, situationnistes, et j’en oublie, voudront à nouveau faire servir l’anarchie à des fins personnelles. Il est curieux ce goût prononcé d’une certaine jeunesse, celle des écoles en particulier, de faire, tel le coucou, ses œufs dans le nid du voisin.

•••

C’est cette équipe, rescapée de l’aventure Fontenis, qui construisit les “Principes de base”, lesquels sont encore de nos jours la règle que tout nouvel adhérent à la Fédération anarchiste s’engage à respecter, et qui fonda la Société pour l’étude et la diffusion dés philosophies rationalistes, organisation légale, aujourd’hui disparue, qui devait posséder tous les biens de la Fédération et mettre celle-ci à l’abri des majorités de circonstance !

Ce fut une belle équipe ! Elle possédait cet enthousiasme pour les idées et cette ardeur au travail qui est le lot de tous les renouveaux mais qui ne dure que jusqu’à l’instant où les hommes, repris par leurs démons, s’opposent dans des affrontements sans grandeur. Cependant elle possédait autre chose : une connaissance profonde de notre mouvement, une idée juste de ces emballements théoriques qui ne durent qu’un instant, un sens de l’organisation, de la propagande, de l’écriture nécessaire à la présentation de nos idées de façon à être compris par une faible minorité, certes, de la population active, mais une minorité nécessaire pour constituer un nouveau maillon de la chaîne. Ce n’était peut-être plus un éventail aussi chatoyant que celui qui était issu du congrès de 1945, mais les hommes et les femmes qui le composaient avaient plus de solidité. On y retrouvait quelques-uns de ceux dont j’ai déjà parlé et qui avaient été à l’origine de la reconstruction qui avait suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale : Vincey, Maurice Laisant, Fayolle, Suzy Chevet puis des nouveaux venus des milieux individualistes, tels Bontemps, Berthier, du communisme libertaire tel Devriendt, des jeunes issus des Auberges de la jeunesse comme Lanen, Kéravis. Toutes les tendances classiques de l’anarchie étaient représentées à partir d’un dosage savant, horizontal si je puis dire, mais qui représentait plus une idée de la surface de l’anarchie que de sa profondeur, les éléments individualistes ou humanistes ayant beaucoup moins d’enracinement dans le peuple que l’anarcho-syndicalisme ou le socialisme libertaire.

Quelques principes fort simples guidèrent l’action de ce groupe chargé par le congrès de la Maison Verte de mettre sur pied et de faire vivre cette nouvelle Fédération anarchiste. Le premier, celui qui conditionna tous les autres et imprima son visage à la nouvelle organisation, fut la règle de l’unanimité pour toutes les décisions à prendre. Ce principe, dont la noblesse semblait indiscutable, possédait un inconvénient majeur : il obligeait l’organisation à s’aligner sur la tendance la plus minoritaire, celle-ci fût elle composé d’un seul militant, dont le droit de veto a tant et si justement agacé les militants ! Et par un paradoxe étonnant on verra alors la Fédération anarchiste ne manifester son unanimité que sur des problèmes mineurs, particuliers aux individualistes et aux humanistes manifestement les moins nombreux dans notre mouvement ; j’ai alors pu parler d’une véritable dictature d’une minorité faisant barrage à toutes les solutions collectives proposées !

Cependant, cet accord sur les Principes de base présentés au congrès de la Maison Verte et adoptés sans grande discussion avaient été difficiles à conclure car le groupe qui en avait pris l’initiative était idéologiquement profondément divisé. On y trouvait des hommes comme Bontemps ou Berthier peu familiarisés avec les nécessités qu’imposait une organisation solide et la sortie régulière d’un journal. Ils n’avaient pas renoncé à nous imposer Lecoin qui continuait à rôder autour de la Fédération anarchiste pour en tirer parti au profit de ses projets particuliers, certes honorables, mais qu’il impulsait avec un autoritarisme qui nous semblait peu conforme à l’esprit libertaire. A l’autre bout de l’éventail des idées, Fayolle, Suzy Chevet, Devriendt et moi-même qui voulions conserver le minimum de cohésion à cette Fédération occupée à panser ses plaies. Entre ces deux formations de pensée se trouvait Vincey, surtout préoccupé de gestion et constamment tiraillé entre son souci d’efficacité et le vieil individualisme qui formait le fond de sa pensée. Enfin Maurice Laisant pour lequel la synthèse chère à Sébastien Faure constituait un credo ! Ces deux derniers furent le véritable lien qui permit de souder entre elles ces différentes sensibilités associées pour faire revivre un mouvement libertaire dans un pays envahi par une vague marxiste qui venait battre contre tous les groupes d’extrême gauche et submerger la faune intellectuelle derrière Sartre et quelques autres.

Pour moi le danger était là, dans les menaces d’altération qui nous guettaient si nous ne dressions pas un barrage entre nous et ce pourrissoir du vieux mouvement ouvrier français. Il fallait dresser une digue contre ce chancre qui nous était apporté par de jeunes étudiants qui nous rejoignaient et qui avaient été mis en condition par leurs professeurs, qui avaient colonisé les classes de philosophie de l’Université ! Après les palabres d’usage, j’acceptais avec mes amis de me rallier aux positions de synthèse de Maurice Laisant. Seul Fayolle demeura irréductible et refusa d’appartenir à l’Association pour l’étude et la diffusion des idées rationalistes qui chapeauta la Fédération anarchiste. Il dénonça l’état d’esprit qui avait présidé à sa mise en place dans une excellente brochure : Réflexions sur l’anarchie, que nous publiâmes dans le Monde libertaire sans que personne y trouve à redire, ce qui définit bien la tolérance et l’amitié qui nous unissaient malgré les aspects différents de nos projets d’organisation. Pourquoi ai-je fini par accepter la synthèse, solution bâtarde et inapplicable et envers laquelle nous tricherons constamment, ce qu’on me reprochera souvent par la suite ? Pour le comprendre il faut avoir en tête une idée exacte de l’état du mouvement anarchiste après la liquidation de Fontenis et de son groupe.

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La scission qui venait de secouer la Fédération anarchiste avait découragé de nombreux militants parmi ceux qui se réclamaient du communisme libertaire. Rejetant la politique de l’O.P.B. qui débouchait sur le parti anarchiste, ils n’avaient que méfiance contre l’individualisme mais surtout contre cet anarchisme humaniste qui sécrétait la confusion et se réclamait d’un intellectualisme vieillot et mou. Les jeunes ou ce qui en restait se tournaient vers les sectes marxistes qui se multipliaient autour d’intellectuels de préaux d’écoles se voulant dans le vent et d’où sortirent Socialisme ou Barbarie, puis l’Internationale situationniste, mouvements réputés plus efficaces que nous et dont le confusionnisme permettait de rester en contact avec les partis de gauche, terrain favorable à des reconversions honorables.

La province restait indécise malgré la prise de position ferme du groupe de Bordeaux. Les formations de province, qui reprochaient aux Parisiens leur centralisme, s’agitaient au gré de l’opinion de leur correspondant de la capitale. A part Bordeaux, la province ne fut jamais en état de prendre conscience des évolutions multiples qui secouaient la société. Sa contribution doctrinale ne dépassa jamais la récitation de ce qu’elle connaissait des évangiles établis par les grands anciens ! Pour les provinciaux, ceux-ci avaient tout dit, il n’y avait rien à ajouter, et surtout rien à retrancher sous peine d’être accusé d’hérésie. La situation étant ce qu’elle était, à peine née la nouvelle Fédération risquait d’éclater. Il n’était pas possible de reconstruire ce mouvement autrement qu’en le dotant d’une organisation souple conservant l’autonomie aux groupes dans l’autonomie de la Fédération et l’autonomie des hommes dans l’autonomie des groupes ! Il en est encore ainsi de nos jours, même si, souvent, la raison l’emporte sur cet individualisme maladif qui est la maladie infantile de l’anarchie. Le réalisme veut qu’on construise avec les éléments qui existent. Mais il ne faut pas avoir peur de le dire, tant que nous maintiendrons ce cap nous n’aurons jamais d’organisation révolutionnaire incisive, mais un club disert où chacun agira suivant sa fantaisie.

L’état du mouvement commandait la politique que devait suivre l’organisation, je le compris tout de suite comme je compris que heurter les réalités à la tête, fussent-elles désagréables, n’aboutirait qu’à faire éclater le mouvement. Maintenir un noyau suffisamment fort avec des antennes dans toutes les régions, voilà à quoi devait se borner nos ambitions. Se mobiliser pour proposer et défendre des positions traditionnelles et sans surprises ? C’était possible et dans une certaine tranquillité d’esprit, l’Association écartant, tout au moins nous l’espérions mais, comme nous verrons, ce ne sera pas toujours vrai, l’Association écartant les politiciens, cela permit aux débats contradictoires nécessaires de se dérouler dans une relative sérénité.

Et c’est ainsi que sous la pression des événements et en tenant le plus grand compte du caractère des hommes fut construit à Paris, dans le 18e arrondissement à Montmartre, une nouvelle Fédération anarchiste, maison d’accueil de tous ceux qui se réclamaient de la pensée libertaire, mais réduite pratiquement à l’impuissance par des statuts qui lui interdisaient toute action n’ayant pas recueilli l’unanimité, statuts qu’il nous faudra bien violer de temps à autre en protestant de notre orthodoxie, pour engager la Fédération anarchiste dans le combat journalier qui se développait dans le pays.
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Dès sa reconstruction, la Fédération se trouva confrontée à trois problèmes dont la solution conditionnait tout notre avenir. Il fallait faire paraître un journal, rassembler les militants épars dans le pays, rétablir les liens avec le mouvement syndical au sein duquel l’anarcho-syndicalisme conservait un solide prestige.

Nous avions, dans la débâcle, été dépouillés du vieux titre du mouvement anarchiste : “le Libertaire”. Le journal de Sébastien Faure et de Louise Michel était resté dans les mains des politiciens et il crevait entièrement des conneries qu’on pouvait lire dans cette feuille jadis glorieuse. Nos moyens étaient modestes. En raclant les fonds de tiroir et grâce, il faut le dire, au groupe Louise-Michel, nous pûmes faire reparaître un mensuel : le Monde libertaire, qui existe encore de nos jours et est devenu hebdomadaire. Ce fut une réussite, même si, comme tous ceux qui l’avaient précédé, il fut vilipendé par quelques-uns de ces personnages qui rôdent autour du mouvement révolutionnaire et dont le plus clair du travail consiste à s’approprier les réalisations d’autrui, et, en cas d’échec, à les dénigrer systématiquement. J’ai sur ma table de travail les premiers numéros. En les feuilletant on s’aperçoit qu’en dehors des Temps nouveaux de Jean Grave aucun de nos journaux ne fut si riche en collaborations prestigieuses. On y relève les noms d’Albert Camus, d’André Breton, de Benjamin Péret, de Léo Ferré, de Chavance, d’Hagnauer, de Michel Ragon, de Prudhommeaux, de Jeanne Humbert, d’Hélène Gosset, d’Alexis Danan, et j’en passe ! Tout ce qui avait choisi entre le marxisme centralisateur et la pensée libertaire se retrouvait dans les pages du Monde libertaire. La mise en pages du journal était classique, les rubriques étaient bien caractérisées, les photos et les dessins humoristiques nombreux. Dernièrement, des camarades de l’actuel comité de presse du Monde libertaire, feuilletant quelques-uns de ces numéros, m’interrogeaient pour savoir si cette série ne fut pas l’œuvre de professionnels. Naturellement non ! Mais cet hommage de nos jeunes camarades à une équipe aujourd’hui presque entièrement disparue m’a consolé de bien des conneries que j’ai pu à cette époque entendre de la part d’un gauchisme alors à ses débuts.

Donner au journal une structure technique solide ne fut pas facile. Nous avons les défauts de nos qualités et notre amour de la liberté perturbe souvent l’ordre dont, prétendait Reclus, l’anarchie est la plus haute expression ! Je parvins pourtant à faire accepter à notre mouvement un comité de presse dont le fonctionnement fut assez semblable à celui d’un journal classique. Trier les articles à partir de l’actualité, de leur intérêt, de leur qualité d’écriture et les répartir entre les différentes rubriques, confectionner les papiers de dernière heure, tel fut le travail souvent ingrat du comité de lecture. A Berthier fut attribué un billet, à Bontemps un feuilleton en bas de page. Je fus chargé de la dernière page, une page magazine à vocation culturelle. Le corps du journal fut constitué par des articles venus de province et forcément en retard sur l’actualité. Cette actualité était traitée en première page par Maurice Laisant, Maurice Fayolle et Maurice Joyeux, ce qui fit dire aux mauvaises langues que le journal était devenu celui des trois Maurice ! Ce n’était pas complètement faux. Au marbre, pour mettre en formes et corriger les articles, après plusieurs essais qui ne furent pas tous heureux, le poste échut à Suzy Chevet, ce qui fut un bonheur pour notre journal.

Depuis ses origines le journal se faisait à l’imprimerie du Croissant, une imprimerie spécialisée dans une presse de moyen tirage. Nous y jouissions de facilités dues aux souvenirs communs que nous avions avec la direction et avec les ouvriers du Livre qui étaient alors de tendance libertaire. Suzy avait tout pour réussir dans cette tâche délicate, confectionner un journal de caractère libertaire : le goût, la gentillesse, la culture mais aussi la ténacité qui se transformait en obstination, qualité indispensable pour imposer nos décisions à des ouvriers pas faciles à manier et qui considéraient un peu le Monde libertaire comme leur journal, ce qui était à la fois sympathique et gênant !

Qui n’a pas vu Suzy au marbre, la taille entourée d’un tablier de cuisinière, les doigts tachés d’encre, se déplacer autour des tables qui supportaient les marbres, bousculer un typo grognon, plaisanter avec un autre, débattre âprement avec la direction, tout ça avec le sourire, ne peut pas s’imaginer ce qu’était alors la confection du journal, cette espèce de fête collective survoltée par la passion, les coups de gueule, les grosses plaisanteries ! Autour de cette ruche qui bourdonnait, les journalistes Laisant, Fayolle, moi-même et quelques autres, le crayon à la main, bousculés par les uns, rudoyés amicalement par les autres, houspillés par tous, nous relisions nos papiers, ajoutions à un texte, retranchions à un autre, confectionnions l’article de dernière heure que personne peut-être ne remarquerait mais qui paraissait indispensable. Le travail fini, les formes bouclées, nous allions tous ensemble manger le sandwich et boire le verre de l’amitié au bistro du Croissant, celui où avait été assassiné Jean-Jaurès.

Mais un journal n’est pas seulement un certain nombre de pages d’écriture, c’est également une administration sourcilleuse, toujours à la recherche de ses sous pour boucler les fins de mois. L’intendance, sous l’œil vigilant de Vincey et d’un camarade qui, par la suite, fera une brillante carrière au Syndicat des correcteurs : André Devriendt, suivait allègrement. Oui ce fut un des meilleurs journaux de notre histoire, animé par une équipe solide, compétente, brillante même, un roc contre lequel les révolutionnaires de préaux d’école se cassèrent les dents lorsque, quelques années plus tard, ils voulurent nous refaire le coup du marxisme libertaire .

La parution d’un journal libertaire est sans mystère. Il ne peut pas vivre simplement de ses ventes, surtout lorsqu’on a l’ambition d’en faire autre chose qu’une feuille d’usine ou de quartier. Seule la souscription peut lui permettre de vivre et, après Vincey, j’ai souvent dit que cette souscription était le thermomètre pour prendre la température du mouvement anarchiste !

Une fois de plus, sans que nous ayons voulu y croire, le miracle s’accomplit ! L’argent rentra et le journal, support et ossature de notre mouvement, repartit d’un bon pied. En réalité, il y a là moins de mystère qu’on pourrait le croire.

Au même titre que d’autres organisations de gauche ou d’extrême gauche, le mouvement libertaire accueillait chaque année de nombreux jeunes qui, par la suite, s’égaillaient dans la nature, pompés par les nécessités de l’existence, et c’est pourquoi des gens mal intentionnés ont pu dire que la Fédération anarchiste était une passoire. Pas plus que d’autres organisations, le Parti communiste par exemple, dont le robinet de vidange, si on en croit ses statistiques sur les adhésions, doit ressembler à une entrée de métro ! Pourtant, entre les partis de gauche et d’extrême gauche, il existe une différence fondamentale. Venir chez nous n’est pas faire l’apprentissage d’une carrière politique. Les camarades qui nous quittent restent en général des anarchistes authentiques, suivant de près notre mouvement, lisant notre presse, conservant des contacts épistolaires avec nous, fréquentant notre librairie. Ce sont eux la vraie richesse de notre Fédération. On les compte par milliers, éparpillés dans le pays ! Souvent recyclés en province dans des organisations humanitaires jouant un rôle local, ils ont constamment un œil sur la Fédération. Ils sont souvent exigeants avec une organisation à laquelle ils n’appartiennent plus, du moins officiellement ! En général, ils ont réussi dans l’existence. Ils suivent avec indifférence la politique traditionnelle mais se tiennent au courant de la vie sociale. Ils nous seront toujours fidèles. Il suffira que quelques vieux militants connus dans le mouvement fassent appel à eux par l’intermédiaire du journal pour qu’ils répondent présents. On l’a vu encore dernièrement lorsqu’il s’est agi de trouver de l’argent pour nous loger moins à l’étroit que rue Ternaux. Là encore les petits malins partis de chez nous en claquant la porte et qui ont voulu profiter du filon se sont cassé le nez. Tous ces sympathisants savent ce qu’est l’anarchie et vouloir leur vendre du marxisme sous une étiquette libertaire a toujours abouti à un échec, quelle que soit la surface des personnages qui se livraient à ce jeu. Et c’est ce qui explique ces multiples feuilles éphémères, sitôt mortes que parues, que les rénovateurs ont jetées sur le marché depuis vingt ans ?

Mais si le journal est la locomotive qui tire la Fédération, l’administration engrange les résultats de la propagande. Vincey, qui en était conscient, placera à la permanence de notre siège et de notre librairie André Devriendt, et l’atmosphère du local va changer, c’est-à-dire perdre ce caractère d’aimable bordel qui était sa marque propre. Bien sûr, nous sommes loin des cinq permanents des années cinquante et nous pouvons mesurer tout ce que nous avons perdu, pas seulement l’argent. Mais si dans le pays les groupes se sont reformés, on le doit non seulement à l’intendance qui suit mais aussi au comité de relations qui fonctionne dans la tranquillité.
Cela a été possible grâce à la souplesse de notre nouvelle Fédération, à la peur qui avait secoué les anarchistes devant la tentative d’un groupe pour s’emparer du mouvement, mais surtout grâce à Maurice Laisant, nouveau secrétaire général, après quelques tentatives qui ne furent pas heureuses même si elles furent originales Laisant déploiera des trésors de patience pour faire coller entre eux les éléments disparates qui constituaient la Fédération anarchiste. Il avait toutes les qualités qu’exige ce poste délicat qui, chez nous, ne confère aucune autorité particulière, mais assure simplement la coordination des travaux de l’organisation. Il en possédait une autre, que nous ignorions, et qui se révéla quelques années plus tard lorsqu’à nouveau quelques marxiens issus des amphithéâtres essaieront à leur tour de s’emparer de ce beau fruit bien juteux qu’était devenu ce Monde libertaire que, journellement, ils couvraient de crachats ! Cette qualité c’était une volonté inébranlable de préserver la pensée libertaire de toutes les déviations venues d’intellectuels en rut.

Toute qualité a son revers et cette fermeté s’associait chez lui à une impossibilité de comprendre les évolutions nécessaires, non pas des principes, qui sont inaliénables, mais de la tactique et de la stratégie indispensables pour assurer la survie d’une organisation révolutionnaire si l’on ne veut pas qu’elle meure avec ses fondateurs.

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Le premier numéro du Monde libertaire symbolisa toute l’action que nous allions entreprendre dans les années qui suivirent pour replacer l’organisation dans le courant des luttes ouvrières. Il porte un gros titre : “Les anarchistes et le monde syndical”. Et dans l’article, Alexandre Hébert rappelle la lettre restée fameuse de Fernand Pelloutier aux anarchistes où il les invite à entrer dans les syndicats afin de leur conserver le caractère révolutionnaire hérité de la section française de la Première Internationale. En deuxième page, un autre article, sur le même registre, annonce les assises pour l’unité syndicale.

L’attitude des militants syndicalistes révolutionnaires peut parfois sembler déroutante à ceux qui examinent les démarches de l’extérieur sans connaître les ressorts qui conduisent leurs motivations. La scission qui avait abouti à la création de Force ouvrière datait de 1948. Elle avait été précédée d’une autre, plus modeste, qui avait permis de constituer la C.N.T. Dans les deux cas les anarcho-syndicalistes et les syndicalistes révolutionnaires issus des milieux trotskistes ou socialistes révolutionnaires avaient constitué le fer de lance de l’éclatement de la vieille C.G.T. Ils l’avaient en quelque sorte imposée à Jouhaux et à ses amis qui désiraient conserver les miettes de l’appareil que les communistes consentaient à leur abandonner pour maintenir le mirage de l’unité des travailleurs. A peine la division du monde syndical était-elle consommée qu’on vit les mêmes syndicalistes révolutionnaires, à travers un journal, l’Unité, et une conférence nationale dont le but était cette unité qu’ils avaient détruite, lancer à nouveau l’idée de l’unité d’action puis de la réunification à terme du mouvement syndical. Attitude illogique en apparence et dont vous ne trouverez pas l’explication chez les savants historiens du mouvement ouvrier penchés sur leurs paperasses, considérées comme documents irréfutables, et qui sont souvent des éléments de circonstance déformés pour les nécessités de la propagande auprès des travailleurs qui ne doivent pas être mis dans le secret du sérail.

En dehors et à côté des reproches officiels faits à l’organisation d’être devenue une annexe du Parti communiste, une autre raison profonde nous avait poussés à la scission. Raison à peine perçue par ceux qui avaient été les animateurs de ce mouvement et qui consistaient à débloquer l’organisation ouvrière. Les congrès à tous les échelons étaient devenus des grand-messes, les élections de simples formalités pour réélire les sortants. Les amitiés qui se nouaient de la base au sommet et qui orientaient les élections aux responsabilités, les habitudes, l’action des cellules rendaient pratiquement impossible une propagande suivie à la base. La scission, puis l’organisation de nouvelle centrales syndicales nécessitèrent la formation de nouveaux cadres aptes aux responsabilités syndicales. La propagande pour l’unité d’action puis pour une unité syndicale éventuelle leur permirent dans de bonnes conditions d’affronter les cadres de la C.G.T., complètement caporalisés par les staliniens, sur un pied d’égalité. Personne, bien entendu, n’avança dans les discussions ces justifications de la scission, mais elles étaient dans la tête de tous !

Ce mouvement pour l’unité prit de la consistance à partir de la crise grave qui opposa Staline à la Yougoslavie de Tito en pleine rébellion contre les prétentions du dictateur communiste. Quelques trotskistes qui n’étaient pas sans affinité avec les partisans de Tito prirent langue avec ceux-ci. Les communistes français tiraient à boulets rouges sur les renégats titistes ; ceux-ci trouvèrent là l’occasion de leur renvoyer la balle. Un accord fut conclu. Les Yougoslaves financeraient un journal, l’Unité, où se retrouveraient tous les syndicalistes révolutionnaires.

Ils s’engageaient à ne pas intervenir dans son orientation. Cependant, méfiants devant cet aréopage de militants syndicalistes turbulents, ils exigèrent qu’à la tête du comité qui devait animer le journal fût placé un ancien secrétaire de la C.G.T. de tendance réformiste qui n’avait pas, comme d’autres, participé à la scission et qui, depuis, avait été éjecté pour des raisons qui n’ont jamais été bien claires. C’est autour de ce journal que vont s’organiser les assises nationales pour l’unité avec le concours actif de ceux qui avaient été les propagandistes de la scission !

J’ai devant les yeux le numéro, un des premiers, qui prépara ces assises. Il est de 1953, et voir mon nom parmi la dizaine de camarades qui composaient le comité d’organisation, si ça ne me rajeunit pas me fait toutefois plaisir !

Cette action syndicale au côté de militants d’autres organisations se réclamant du socialisme ne fut admise que du bout des lèvres par un certain nombre de militants de la Fédération anarchiste qui avaient une aversion insurmontable pour le syndicalisme. Cependant, nous jouâmes un rôle non négligeable dans ce rassemblement, et cette action nous permit de conforter l’enracinement de l’anarcho-syndicalisme dans le mouvement ouvrier. En réalité personne ne croyait beaucoup à la réunification syndicale et chacun pensait tirer de l’action en commun pour l’unité un bénéfice substantiel. Et, de fait, c’est cette présence qui nous a non seulement permis de conserver une influence certaine dans les syndicats ouvriers mais également parmi les petits cadres syndicaux des entreprises en dehors desquels l’action syndicale n’est que bavardage et turbulence stérile. Enfin, quelques années plus tard, c’est ce Comité syndical pour l’unité qui se transformera en Comité d’action révolutionnaire pour faire face à la rébellion des généraux et au retour de de Gaulle. Ce n’est pas vanité de ma part que de rappeler que je fus à la Fédération anarchiste celui qui anima cette action syndicale, c’est tout simplement vrai ! Pendant des années je représenterai notre mouvement à ces comités successifs et au journal l’Unité. Il est désagréable de rappeler ces vérités, mais certains personnages qui ne firent que passer dans nos milieux et qui, aujourd’hui, on ne sait trop pourquoi, se pare du titre d’historiens de l’anarchie ont tendance, comme la grenouille, à vouloir être plus gros que le bœuf.

Pour étoffer notre présence dans ces milieux syndicaux, nous avions constitué au congrès de Paris, en 1955, une commission de relations syndicales dont le projet consistait à réunir tous les syndicalistes se réclamant de la tradition libertaire, quelle que soit la centrale syndicale à laquelle ils appartenaient, sur une plate-forme commune. Ce projet indispensable ne put jamais se réaliser. La raison est simple : la cacher ne sert à rien et serait rendre un mauvais service au mouvement anarchiste. Après quelques années de présence et dans la mesure où ils y ont acquis des responsabilités, les militants donnent la priorité au patriotisme d’organisation syndicale plutôt qu’à l’intérêt bien compris du mouvement anarchiste.

"Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs." (N. Makhno)
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Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum le Mer 4 Mar 2009 22:38

Et la suite du deuxième article :

A côté de ce combat traditionnel au sein du mouvement ouvrier, notre propagande va s’orienter dans deux autres axes. La défense des objecteurs de conscience et la lutte antimilitariste, que Maurice Laisant animera, et la lutte contre la guerre d’Algérie où, dans une série d’articles brillants, Maurice Fayolle se révélera un journaliste et un analyste de premier ordre. Pour poursuivre et mener à bien ces tâches multiples, il faut de l’argent. Au début de 1955 nous demanderons un million à nos lecteurs (l’argent de cette époque) ! Et nous l’aurons !...

Il ne rentre pas dans mon intention de parler ici des manifestations extérieures nombreuses auxquelles prit part la Fédération anarchiste dans les années qui suivirent ; je l’ai déjà fait dans mon ouvrage “l’Anarchie dans la société contemporaine”, mais de décrire les ressorts de la Fédération anarchiste et son évolution interne. Je rappellerai simplement au passage que nos jeunes seront constamment présents au cours des manifestations contre le rappel des libérés et contre la guerre d’Algérie. Ainsi la campagne contre la guerre d’Indochine des Forces libres de la paix amènera notre ami Maurice Laisant devant la justice où Albert Camus, que j’avais connu au cours d’un meeting en faveur de l’Espagne, viendra témoigner. C’est ainsi que se nouera entre le grand écrivain et les militants de la Fédération anarchiste une amitié solide, dont l’élément le plus capital fut la publication par notre journal de son texte l’Espagne et le donquichottisme .

Dans le pays la tension monte, les gouvernements de la IVe République tombent, la rue s’agite ! Entre les généraux et les politiciens le conflit se noue. C’est dans les facultés que la colère se manifeste avec le plus de force alors que dans les usines les communistes maintiennent une pression modérée de façon à ne pas se couper des socialistes dont ils soutiennent la politique en Algérie. Un tout jeune étudiant anarchiste, Marc Prévôtel, écrit dans notre joumal :

“Le peuple nord-africain est, nous dit-on, aveuglé par le fanatisme religieux. Messieurs les dirigeants éclairés qu’avez-vous fait depuis un siècle pour le tirer de là ?”

C’est cette guerre d’Algérie qui, dans les années qui vont suivre, va détériorer le climat qui régnait au sein de la Fédération anarchiste. Dès 1956 Laisant, dans notre journal, va clairement marquer la différence qui existe entre notre position, qui était la position traditionnelle du défaitisme révolutionnaire, et celle des partis marxistes de gauche et d’extrême gauche relevant d’un nationalisme hérité de Lénine, et qui est encore de nos jours celui de Marchais et de ses acolytes. Ecoutons Laisant :

“Une guerre perdue d’avance. Nous l’avons déjà dit et nous le répétons, l’avenir n’est pas à la multiplication des cloisonnements nationaux, derrière lesquels s’asphyxient les peuples, mais au contraire à leur disparition. Les idéologies meurtrières du nationalisme sont condamnées par l’évolution des techniques modernes qui réclament impérieusement la libre circulation dans un monde où les distances s’abaissent chaque jour un peu plus.”

Et dans le même numéro Fayolle ajoutait :

“Il reste une seule vraie solution, celle d’une révolution sociale en France, se prolongeant dans les ex-colonies et soudant dans une marche en commun vers la conquête de la liberté et du bien-être les peuples métropolitains et indigènes.”

Mais dans les écoles comme dans les usines ces propos du mouvement ouvrier révolutionnaire, qui avaient été le langage des internationalistes de la Commune de Paris, étaient mal compris. Chauffés à blanc par les politiciens de gauche pour lesquels la guerre d’Algérie était de la matière électorale, préoccupés par le danger de faire le service militaire en Algérie, les jeunes réagissaient à partir du nationalisme traditionnel de la petite-bourgeoisie française. Les Algériens, ils ont bien le droit d’avoir une patrie. Bien sûr. Ils avaient même le droit de crever pour elle. Plan, plan, rataplan. Et même si cela peut aujourd’hui paraître incroyable, ce national-communisme classique, transformé en national-anarchisme, se répandit chez nous par l’intermédiaire de jeunes étudiants sans cervelle. Ce courant ne fut jamais vraiment dangereux, mais ce fut la première secousse qui grippa la Fédération reconstituée. Et on voit aujourd’hui ce qu’est devenue cette Algérie conduite par le F.L.N. qui avait alors toute leur sympathie. Un pays capitaliste sous une phraséologie marxiste appropriée qui recouvre une exploitation féroce. Un pays où les libertés les plus élémentaires sont bannies et qui est dominé par la nomenclature .

Dans l’Europe asservie depuis Yalta aux deux grands impérialismes la révolte gronde et les luttes anticoloniales qui secouent les démocraties ont leur contrepartie au sein des démocraties populaires où des travailleurs remettent en cause l’hégémonie soviétique, et je pourrai écrire à la fin de l’année 1956 :
“A Varsovie, à Poznan, à Budapest, à Gyor les ouvriers sont sortis des usines et sous les coups de boutoir des peuples polonais et hongrois dix années d’impostures se sont effondrées.”

Nous participerons naturellement à toutes les manifestations organisées par l’extrême gauche révolutionnaire et en particulier à celle où Thorez et ses acolytes, les fesses serrées, camouflés derrière les volets de leur siège, rue de Châteaudun, purent entendre toute une soirée les clameurs indignées des travailleurs. Au cours des deux années qui vont suivre, le climat se dégrade. Les politiciens de gauche qui, pour un temps, ont remplacé les politiciens de droite, se jettent dans la guerre d’Algérie comme le firent les politiciens de droite dans celle d’Indochine. La jeunesse échappe aux partis. Chez elle naît cet esprit d’indépendance envers les idéologies et leurs représentants qui, dix ans plus tard, la jettera dans la rue, armée de ce que sa fantaisie lui permettra de glaner dans les programmes des organisations et dans leur histoire. Contestataire et irrespectueuse, pour les réfutations confirmées, elle fait ses premiers pas, drapée d’un manteau d’arlequin aux couleurs plus chatoyantes que bien fixées, et que la vie va se charger de délaver.

Les militaires piétinent en Algérie. Le F.L.N.. gagne du terrain. Les politiciens de gauche se regroupent autour de Guy Mollet qui n’a pas digéré les tomates qui l’accueillirent à Alger. Les partis s’affolent. La population sent que l’atmosphère s’empuantit et que le pays est à la veille de changements importants. La Fédération anarchiste, elle, est en état de faire face. Elle a reconstitué son tissu dans le pays. Son journal se vend bien, ses organismes administratifs et de propagande se sont rodés convenablement. Enfin, grâce à Alexandre qui me prêtera un million de francs, l’organisation va sortir du “Château des Brouillards” pour avoir son propre siège rue Ternaux. Nous sommes en 1957, l’horizon se couvre, la Fédération anarchiste s’est donné le moyen de faire face. Et elle va faire face avec une vigueur et une efficacité incontestables. Mais quelle était la santé intérieure de cette Fédération qui avait mis deux ans à se relever des ruines où l’avait laissée la scission ?

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C’est un lieu commun de dire que le mouvement anarchiste est composé de trois courants de pensée : l’individualisme né de Stirner, l’anarcho-syndicalisme de la Commune et de Fernand Pelloutier, le communisme libertaire dont le père est incontestablement Kropotkine. Cependant ses héritiers abusifs feront subir à son contenu des variations qui le déformeront.

Proudhon détestait le terme communiste. Ses diatribes contre le communisme de Cabet, de Considérant puis de Marx sont restées célèbres. Et lorsqu’on connaît les avatars de la communauté communiste d’Icare, on le comprend. Même si, parfois, les théories de Proudhon sont discutables, plus d’ailleurs pour un homme de notre époque que pour ceux de sa génération, Proudhon était un homme sérieux. Bakounine rejetait le communisme centralisé de Marx, Kropotkine ignorait Marx et disait : “Il ne m’a jamais rien appris.” Il ne prenait à Proudhon et à Bakounine que juste ce qui lui était nécessaire pour étayer sa théorie bâtie à partir de la Conquête du pain et de l’Entraide. Dans son esprit, son communisme n’avait rien de commun avec celui de Marx comme il était différent de celui de Sébastien Faure qui, dans “Mon communisme”, est plus près de l’individualisme et de Proudhon.

Au début de ce siècle la majorité des anarchistes français furent dans leur immense majorité des partisans du communisme de Kropotkine, même après la prise de position discutable du révolutionnaire russe en faveur des démocraties pendant la Première Guerre mondiale. Il m’a semblé nécessaire de rappeler les origines du communisme libertaire car, aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est justement à partir de l’équivoque qui se dégagera du terme communisme, lequel, effectivement, définissait chez Kropotkine une idée et des moyens précis, que sont nées les pires déformations de la pensée anarchiste à toutes les étapes de notre histoire récente. Je ne suis pas sûr que nos analystes aient bien pris conscience de ce phénomène, mais je suis persuadé que c’est justement à partir d’une clarification sans indulgence des noyaux qui se sont réclamés du communisme libertaire qu’il sera possible de rétablir entre les anarchistes représentant plusieurs courants de pensée une sérénité souhaitable.

Le phénomène est classique. Des jeunes gens viennent parmi nous, qui n’ont lu ni Kropotkine ni Sébastien Faure. Lorsqu’ils se réclament du communisme libertaire ils s’en réclament au pif et souvent par analogie avec le communisme traditionnel marxiste dont ils ont entendu parler, qui emploie un vocabulaire similaire au nôtre. Ils le considèrent certes comme haïssable en raison de son caractère autoritaire et centralisateur, mais ils jurent qu’il suffirait de le débarbouiller avec un peu de la potion magique libertaire pour le rendre fort présentable. Et ils sont d’autant plus encouragés dans cette voie qu’elle a au moins l’avantage de pouvoir se donner une attitude sans être obligé de lire et de choisir entre des ouvrages copieux que seul le respect les obligent à ne pas avouer qu’ils sont emmerdants. Et dès cet instant ils deviennent une proie facile pour des personnages qui, après avoir fait carrière dans les partis socialistes ou communistes, en sont sortis parce qu’ils n’y trouvaient pas les satisfactions intellectuelles qu’ils recherchaient, soit plus prosaïquement parce qu’ils considéraient que l’on ne les y traitait pas selon leurs mérites. Ils rôdaient autour de nous ou même pénétraient chez nous armés d’un communisme particulier qui n’avait rien à voir avec celui de Kropotkine. Et c’est ce communisme marxiste et libertaire-là, agencé au goût du jour, qui fut un élément constant de divisions, de déformations et, finalement, de désagrégation des organisations anarchistes.

Ne croyez pas, lorsque je tiens ces propos, que je condamne le communisme libertaire, ne croyez pas que je sois opposé aux aménagements que l’évolution de la société impose à toutes les théories. Je suis au contraire fort près du communisme libertaire classique, mais l’expression communisme, qui permet toutes les équivoques, me paraît mal choisie pour situer le collectivisme libertaire qui forme l’élément essentiel de notre pensée. Que peut-il y avoir de commun entre le communisme libertaire dont se réclame la C.N.T. espagnole qui se veut fidèle à Bakounine qui, lui, condamnait le communisme, et Guérin, par exemple, qui frotte son marxisme originel au lubrifiant anarchiste, entre Sébastien Faure, Kropotkine ou les anarchistes russes qui suivirent Archinov ? Dans nos milieux, l’expression communisme a servi, à force d’être manipulée, à toutes les sauces, de cheval de Troie à tous les noyauteurs qui ont rêvé de s’emparer de la Fédération et de son journal pour, sous prétexte d’efficacité, transformer l’organisation anarchiste en un parti politique. Et c’est la raison pour laquelle, afin de ne pas fournir d’aliments à ce travail de sape, que j’ai depuis longtemps cessé de me réclamer du communisme libertaire, encore que ceux qui me lisent ne se soient pas trompés sur mon orientation idéologique. D’ailleurs, mon ami Fayolle qui, du point de vue économique, fut celui d’entre nous qui était le plus influencé par les propositions économiques de Kropotkine, s’est toujours gardé de faire la fortune de cette expression galvaudée par les politiciens.

Tout naturellement, dans notre Fédération anarchiste dotée de structures souples afin que chacun s’y sente à l’aise, le communisme libertaire se réinstalla, non plus celui de Kropotkine ou de Sébastien Faure, mais un communisme libertaire qui avait tendance à doter notre mouvement d’une économie de type marxiste enrubanné de formules libertaires agréables et sans conséquence. Ces gens-là publieront un inévitable manifeste communiste dont la fortune ne sera pas plus éclatante que celui de Fontenis. Il est vrai que pour bien se caractériser, ce groupe, l’U.G.A.C., transforma communisme libertaire en anarchisme communiste ; mais si le flacon changea, le parfum resta le même.

Au début de 1958, Lacoste règne en Algérie, Mollet règne sur le parti socialiste, Max Lejeune règne sur l’armée et l’armée s’énerve. Le bombardement de Sakiet en Tunisie soulève l’indignation à l’échelle internationale. La machinerie parlementaire se détraque. Dans les entreprises, les travailleurs s’agitent et Salamero peut écrire dans le Monde libertaire :

“Dans les prochaines luttes les travailleurs éliront leurs comités de grève à la base, chercheront à les fédérer sur le plan local puis national, et ces comités de grève coordonneront effectivement l’action nationale. Si les organisations syndicales traditionnelles appuient ces initiatives, tant mieux, si elles s’y opposent, et c’est probable, il faudra se passer de leur permission.”

On ne pouvait mieux dire et nous le disons encore aujourd’hui. Pour le souvenir, je veux rappeler qu’au gala du groupe Louise-Michel au Moulin de la Galette, il y avait Jean Yann, René-Louis Lafforgue et Léo Ferré. Le feu couve sous la cendre, quelques généraux d’opérette, qui confondent le vieux pays avec les Etats d’Amérique du Sud, vont souffler dessus et en Algérie tout va s’embraser.

Cette guerre d’Algérie va provoquer quelques frictions parmi nous. Des personnages issus du groupe Fontenis qui s’étaient recyclés à Noir et Rouge, qui en étaient partis en claquant les portes et que nous avions bien eu tort de réintégrer, vont de nouveau avoir des états d’âme. Ils seront nationalistes algériens en diable, et nous aurons quelque peine à maintenir l’internationalisme prolétarien dans les colonnes de notre journal. II en est ainsi dans nos milieux chaque fois qu’à l’échelon national ou international le national-marxisme, s’appuyant sur la maladie infantile du communisme de Lénine, voudra jouer au plus fin avec la bourgeoisie pour exploiter l’esprit grégaire des masses. Ils partiront pour former une nouvelle organisation qui, à son tour, se disloquera. Pour se donner des sigles à la mode ils puiseront dans toutes les lettres de l’alphabet, à la plus grande joie des historiens de l’anarchie. Ces derniers, il faut les comprendre et être indulgents. Ils ne connaissent du mouvement libertaire que son aspect public. Il leur est difficile de composer leurs œuvres parce qu’ils ne savent que ce que dit la presse. Manifestations, grèves, protestations qui souvent se mêlent à d’autres mouvements ouvriers ou syndicaux, cela risque d’être lassant. Et puis le lecteur aime bien être dans le secret des dieux. Ils se précipitèrent sur ces sigles pour les faire parler. Trois barbus mal dans leur peau et qui claquent la porte les plongent dans l’euphorie. Un personnage en vue dans nos milieux peut cristalliser l’opprobre. Quelle aubaine. Cette cuisine intérieure est alléchante. Et hop la boum ! voici des pages intéressantes et notre historien passe pour un homme averti. Voyons ce que fut en cette occasion l’action de notre Fédération anarchiste dont personne n’a parlé jusqu’à ce jour !

Les militants d’extrême gauche, qui avaient constitué le Comité pour l’unité syndicale, auquel les anarcho-syndicalistes de la Fédération anarchiste dans leur grande majorité appartenaient, suivaient avec attention les événements. Lorsqu’ils sentirent la situation s’aggraver, ils formèrent le Comité d’action révolutionnaire dont je donne la composition : Fédération anarchiste, Parti communiste internationaliste (trotskiste), Syndicat des charpentiers en fer (C.G.T.), Comité d’action et de liaison pour la démocratie ouvrière. Ce comité aura son siège 3, rue Ternaux, dans les locaux de notre Fédération. Je représentais notre organisation à son secrétariat au côté de Lambert, Hébert, Chéramy, Ruffe, Renard et quelques autres. Cette énumération peut paraître fastidieuse mais elle est nécessaire pour remettre chacun à sa place.
La suite appartient à l’histoire. Il s’agit du complot du 13 mai, de l’intervention des troupes rebelles en Corse, de la rébellion, la première, des généraux, de l’appel de de Gaulle que le socialiste Mollet ira chercher à Colombey-les-Deux-Eglises !

La Fédération anarchiste était en contact étroit avec les militants de l’extrême gauche révolutionnaire. L’affiche décidée en commun : “Alerte aux travailleurs”, en une nuit couvrit les murs de la capitale. Un congrès extraordinaire de la Fédération anarchiste réuni à la hâte rue de Clichy lança un appel à tous les antifascistes pour rejoindre les comités de résistance qui se créaient un peu partout. Il demanda de créer les conditions de la riposte ouvrière immédiate . Dans le numéro de juin de notre journal je pouvais écrire :

“Ce peuple et son avant-garde étaient présents au cours du défilé de la Bastille à la Nation. Entourant les militants du Comité d’action révolutionnaire, les travailleurs socialistes révolutionnaires, les communistes internationalistes, les syndicalistes anarchistes, les jeunes des Auberges de la jeunesse, unis dans un groupe imposant, clamaient leur volonté de combattre le bonapartisme, l’aventure, la régression sociale. La digue doit tenir. Il faut que tous les hommes de cœur s’arc-boutent !”

Et c’est vrai que les travailleurs mobilisés par le Comité d’action révolutionnaire étaient nombreux. A sa tête il y avait du beau monde que dominait la crinière d’André Breton. Mais la manifestation de protestation à laquelle nous nous étions associés et qui comprenait toutes les organisations démocratiques, y compris les syndicats, était, compte tenu de l’événement, médiocre. Deux cent mille participants à peine. Le cœur n’y était pas, et chacun sentait bien que c’était foutu. Et lorsque avec quelques camarades j’essayais d’entraîner le cortège dans le Faubourg Saint-Martin, seuls quelques anarchistes suivirent. La grande chance de la liberté ce fut que de Gaulle n’était pas un fasciste, mais le représentant de cette vieille droite réactionnaire bien de chez nous qui préfère masquer sa poigne de fer dans un gant de velours, ce qui, depuis Poincaré, lui a toujours réussi lorsqu’elle est directement au pouvoir ou par socialistes interposés.

Cependant nos efforts ne seront pas inutiles à notre mouvement, même si nous n’écrirons pas comme certains, que le ridicule n’effraie pas, qu’ils firent reculer le fascisme ! Et dans ce numéro de juin de notre journal, rempli de proclamations qui relatent l’événement, on peut lire un communiqué de l’union départementale de Force ouvrière à la commission administrative à laquelle nous étions quatre à appartenir :

“L’union demande la cessation immédiate des hostilités et le respect, par les autorités civiles et militaires de la métropole et de l’Algérie comme par les responsables musulmans de tous partis, des libertés fondamentales qui garantissent la vie et la dignité humaine.”

C’est à cette époque que je signais au nom de la Fédération anarchiste, avec toutes les autres organisations de gauche, l’affiche fameuse sur la défense de la République, ce qui me sera reproché par tous les excités qui préparaient la révolution dans les arrière-salles des bistros du quartier Latin. Fayolle, une fois de plus dans un article brillant, conclut :

“Nous devons entrer dans le combat avec notre drapeau déployé, avec nos propres mots d’ordre. Sans lancer d’exclusives contre personne, mais non plus sans rien renier de notre raison d’être et de lutter.”

Cette attitude de notre Fédération, si elle déclencha l’ire de tous nos marginaux, renforça notre influence dans les milieux ouvriers, et nous pûmes faire face lorsque, après un nouveau coup de force en Algérie contre de Gaulle cette fois-ci, le pouvoir, désarçonné, fera par la voix de Michel Debré appel à la rue.

J’ai souligné le caractère de de Gaulle, vieille culotte de peau, imbu des traditions de classe de la société française mais foncièrement partisan d’une démocratie appropriée. Après son retour au pouvoir, la démocratie parlementaire se remit à ronronner. Pour consolider sa présence à la tête de l’Etat, il va avoir recours au référendum. Pour la première fois notre journal ouvrira ses colonnes aux militants pour savoir si, mesurant les circonstances, il convenait d’y participer. La plupart des camarades interrogés nous feront une réponse de Normands, c’est-à-dire refuseront de donner une consigne à nos lecteurs, laissant chacun se déterminer suivant sa conscience. Choix hautement libertaire et peut-être un peu facile, compte tenu des circonstances. Cette consultation, cependant, ne manqua pas d’intérêt, surtout par les réponses de ceux qui n’hésitèrent pas à s’engager dans un sens ou dans un autre.

Devriendt, Laisant, Suzy, Lanen, Fayolle et moi-même se déclarèrent pour la participation au référendum et préconisèrent le non. Devriendt a bien situé les raisons de notre attitude :

“La dictature c’est la nuit. L’étouffement total de toute expression, le règne du mouchardage et de l’arbitraire. C’est la prison, les camps de concentration pour beaucoup de camarades. Si, dans leur combat pour une société plus juste, les militants acceptent le risque, il n’est pas moins vrai que lorsqu’ils ont un moyen d’éviter la souffrance — même si ce n’est pas très orthodoxe — on doit l’employer. Cela aussi c’est une attitude anarchiste.”

D’autres camarades sont farouchement opposés au vote : Louvet, Faugerat, Vincey, Berthier, Faucier, dont l’esprit sera bien reflété par le texte de Bontemps :
“Comme organisation représentative d’un courant d’opinion, les pouvoirs publics nous ignorent. Nul ne peut nous reprocher de rendre dédain pour dédain sur le plan des institutions. Nous sommes plus indépendants à leur égard sur le plan de l’action.”

Nous préconisâmes l’abstention traditionnelle afin de ne pas faire de vagues, mais ce problème n’est toujours pas tranché et ne le sera pas tant que l’émotion prendra le pas sûr la raison.

Naturellement cette initiative fut blâmée par tous les purs qui encombrent le mouvement libertaire. Cependant, en relisant trente ans après les pages jaunies de notre journal, je mesure toute la qualité de ces hommes qui surent traiter de ce sujet délicat dans nos milieux, sans se déchirer, et je ne me suis jamais senti si près d’eux qu’en relisant, pour construire ce texte, ce qu’alors ils écrivaient.

Mais si nos militants purent suivre l’événement à leur échelle et s’y mêler, c’est parce que l’intendance suivait. Nous sommes maintenant installés rue Ternaux et nous y constituons une coopérative, Publico, qui doit administrer tous nos biens, lesquels, rappelons-le, appartiennent à l’Association pour l’étude et la diffusion des philosophies rationalistes dont seuls une quinzaine de vieux militants ont la charge, ce qui, à chaque congrès, déclenchera l’ire de jeunes militants qui disparaîtront aussi vite qu’ils ont paru et qui, dans le court séjour qu’ils feront chez nous, se considéreront comme les héritiers légitimes des grands ancêtres.

Mais c’est surtout à travers les syndicats que nous prolongerons notre influence. Ainsi nos camarades du Sud-Ouest réussirent comme nous à Paris à regrouper dans l’action des militants appartenant à la C.G.T., à F.O., à la C.F.D.T. Salamero peut écrire en leur nom dans notre journal :

“Ce n’est que par une action générale que les travailleurs, s’ils le désirent, renverseront la situation en leur faveur en même temps qu’ils créeront les conditions permettant d’imposer les transformations des structures économiques de la société.”

C’est parfaitement vrai, et moi qui n’ai pas d’imagination j’en suis encore resté là.

Cette année-là, quatre de nos camarades interviennent au congrès de la C.G.T. Force ouvrière : Hébert, Martin, Hautemulle et Suzy Chevet qui déclara :

“La cellule vivante de notre confédération c’est le syndicat de base. Changer ce principe fédératif c’est remettre en cause notre syndicalisme, c’est le garde-fou contre toutes les aventures.”

Dirai-je en passant que trois de ces camarades appartenaient au groupe libertaire Louise-Michel ? Notre congrès, cette année-là, connut quelques remous. Martin, dans un éditorial de notre journal, avait écrit :

“Stirner, Proudhon, Bakounine ou Sébastien Faure sont inconnus de l’immense majorité des hommes. En compiler les textes sacrés n’ébranlera pas cette société dont la transformation ne saurait être envisagée en brandissant des tablettes périmées.”

Ce n’était pas tout à fait faux et ce fut un beau scandale ! Toucher aux saints des premiers jours de l’anarchie, les colonnes du temple en frémirent. Ajouter à cela que Martin, qui était mon ami, appartenait au groupe Louise-Michel et que je disais à peu près la même chose que lui avec plus de diplomatie. Alors, concluez !
Maurice Laisant gardien sourcilleux d’une certaine orthodoxie, s’employa à ramener les brebis égarées au bercail, et le congrès de Bordeaux de 1959 dans une motion réaffirma son attachement à l’idéologie classique :

“La Fédération anarchiste, à l’occasion de son congrès, réaffirme son attachement à son idéologie, à savoir que ses membres restent toujours disponibles et refusent d’accepter une vérité quelle qu’elle soit comme définitive.”

Texte qui eut le mérite de contenter tout le monde !

•••

Nous sommes en 1960. La mise en place de la Fédération anarchiste et de son journal est terminée. L’un et l’autre ont déjà subi le feu de l’actualité et, à leur échelle qui est mince, ils ont réussi à s’y insérer. L’outil est au point, il va pouvoir donner sa mesure au cours des années difficiles qui se préparent.

Pourtant l’homme qui fut la cheville ouvrière de cette reconstruction vient de disparaître. Georges Vincey est mort d’un cancer généralisé, emporté en quelques jours à l’affection de tous. Aujourd’hui, je le revois encore dans son petit atelier de la rue du Temple, penché sur le grand livre de comptes de la Fédération anarchiste, parcourant de son crayon les colonnes alignées avec cette conscience du bon ouvrier, me noyant d’explications qui me faisaient sourire, avant que nous allions boire le verre de l’amitié dans ce petit bistro d’en face où il invitait ses amis. Je ne sais pas si on retrouvera dans une page d’un quelconque dictionnaire des militants ouvriers le nom de cet homme qui ne fut ni un orateur ni un écrivain mais simplement un ouvrier du bâtiment qui était devenu un organisateur hors pair.

Les circonstances ont voulu que je sois souvent chargé, dans notre journal ou au cimetière, d’enterrer nos morts. Je voudrais pour clore ce chapitre sur la reconstruction de la Fédération anarchiste publier un passage de l’article que j’écrivis dans notre journal.

“Georges Vincey ne fut pas seulement un militant solide, il fut également un copain. Notre copain ! Depuis quinze ans dans ce mouvement qui était en partie son œuvre, dans ce journal qui était le sien, nous avions mis en commun nos espoirs, nos joies, nos colères, nos déceptions. L’équipe qui, au lendemain de la Libération, rêvait de projeter sur les hommes ces vérités magnifiques qui embrasaient nos cœurs s’est effritée au hasard du chemin difficile, mais ceux qui restent comme ceux qui se sont ajoutés à eux ont senti à chaque épreuve resserrer les liens qui les unissaient par-dessus les oppositions de pensée ou de tempérament. Et dans cette équipe la place qu’occupait Vincey était immense comme la peine que nous ressentons de ne plus le sentir à nos côtés.

Ce ne sont pas seulement les membres de la Fédération anarchiste ou l’équipe du journal, mais tous les libertaires, tous les esprits libres, tous ceux qui l’ont connu et aimé, comme nous l’avons connu et aimé, qui voient partir avec lui un peu de leur jeunesse, un peu de leur chaleur.”

Maurice Joyeux
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