Histoire de la Fédération anarchiste – 85 mars 2013 par florealanar
http://florealanar.wordpress.com/2013/03/05/histoire-de-la-federation-anarchiste-8/LA RECONSTRUCTION DIFFICILEDE LA FÉDÉRATION ANARCHISTE (1954-1960)
(suite et fin du deuxième volet)
C’est un lieu commun de dire que le mouvement anarchiste est composé de trois courants de pensée : l’individualisme né de Stirner, l’anarcho-syndicalisme de la Commune et de Fernand Pelloutier, le communisme libertaire dont le père est incontestablement Kropotkine. Cependant ses héritiers abusifs feront subir à son contenu des variations qui le déformeront.
Proudhon détestait le terme communiste. Ses diatribes contre le communisme de Cabet, de Considérant puis de Marx sont restées célèbres. Et lorsqu’on connaît les avatars de la communauté communiste d’Icare, on le comprend. Même si, parfois, les théories de Proudhon sont discutables, plus d’ailleurs pour un homme de notre époque que pour ceux de sa génération, Proudhon était un homme sérieux. Bakounine rejetait le communisme centralisé de Marx, Kropotkine ignorait Marx et disait : « Il ne m’a jamais rien appris. » Il ne prenait à Proudhon et à Bakounine que ce qui lui était nécessaire pour étayer sa théorie bâtie à partir de La Conquête du pain et de L’Entraide. Dans son esprit, son communisme n’avait rien de commun avec celui de Marx comme il était différent de celui de Sébastien Faure qui, dans Mon communisme, est plus près de l’individualisme et de Proudhon.
Pierre KropotkineAu début de ce siècle la majorité des anarchistes français furent dans leur immense majorité des partisans du communisme de Kropotkine, même après la prise de position discutable du révolutionnaire russe en faveur des démocraties pendant la Première Guerre mondiale. Il m’a semblé nécessaire de rappeler les origines du communisme libertaire car, aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est justement à partir de l’équivoque qui se dégagera du terme communisme, lequel, effectivement, définissait chez Kropotkine une idée et des moyens précis, que sont nées les pires déformations de la pensée anarchiste à toutes les étapes de notre histoire récente. Je ne suis pas sûr que nos analystes aient bien pris conscience de ce phénomène, mais je suis persuadé que c’est justement à partir d’une clarification sans indulgence des noyaux qui se sont réclamés du communisme libertaire qu’il sera possible de rétablir entre les anarchistes représentant plusieurs courants de pensée une sérénité souhaitable.
Le phénomène est classique. Des jeunes gens viennent parmi nous, qui n’ont lu ni Kropotkine ni Sébastien Faure. Lorsqu’ils se réclament du communisme libertaire, ils s’en réclament au pif et souvent par analogie avec le communisme traditionnel marxiste dont ils ont entendu parler, qui emploie un vocabulaire similaire au nôtre. Ils le considèrent certes comme haïssable en raison de son caractère autoritaire et centralisateur, mais ils jurent qu’il suffirait de le débarbouiller avec un peu de la potion magique libertaire pour le rendre fort présentable. Et ils sont d’autant plus encouragés dans cette voie qu’elle a au moins l’avantage de pouvoir se donner une attitude sans être obligé de lire et de choisir entre des ouvrages copieux que seul le respect les obligent à ne pas avouer qu’ils sont emmerdants. Et dès cet instant ils deviennent une proie facile pour des personnages qui, après avoir fait carrière dans les partis socialistes ou communistes, en sont sortis parce qu’ils n’y trouvaient pas les satisfactions intellectuelles qu’ils recherchaient, soit plus prosaïquement parce qu’ils considéraient que l’on ne les y traitait pas selon leurs mérites. Ils rôdaient autour de nous ou même pénétraient chez nous armés d’un communisme particulier qui n’avait rien à voir avec celui de Kropotkine. Et c’est ce communisme marxiste et libertaire-là, agencé au goût du jour, qui fut un élément constant de divisions, de déformations et, finalement, de désagrégation des organisations anarchistes.
Ne croyez pas, lorsque je tiens ces propos, que je condamne le communisme libertaire, ne croyez pas que je sois opposé aux aménagements que l’évolution de la société impose à toutes les théories. Je suis au contraire fort près du communisme libertaire classique, mais l’expression communisme, qui permet toutes les équivoques, me paraît mal choisie pour situer le collectivisme libertaire qui forme l’élément essentiel de notre pensée. Que peut-il y avoir de commun entre le communisme libertaire dont se réclame la C.N.T. espagnole qui se veut fidèle à Bakounine qui, lui, condamnait le communisme, et Guérin, par exemple, qui frotte son marxisme originel au lubrifiant anarchiste, entre Sébastien Faure, Kropotkine ou les anarchistes russes qui suivirent Archinov ? Dans nos milieux, l’expression communisme a servi, à force d’être manipulée, à toutes les sauces, de cheval de Troie à tous les noyauteurs qui ont rêvé de s’emparer de la Fédération et de son journal pour, sous prétexte d’efficacité, transformer l’organisation anarchiste en un parti politique. Et c’est la raison pour laquelle, afin de ne pas fournir d’aliments à ce travail de sape, que j’ai depuis longtemps cessé de me réclamer du communisme libertaire, encore que ceux qui me lisent ne se soient pas trompés sur mon orientation idéologique. D’ailleurs, mon ami Fayolle qui, du point de vue économique, fut celui d’entre nous qui était le plus influencé par les propositions économiques de Kropotkine, s’est toujours gardé de faire la fortune de cette expression galvaudée par les politiciens.
Tout naturellement, dans notre Fédération anarchiste dotée de structures souples afin que chacun s’y sente à l’aise, le communisme libertaire se réinstalla, non plus celui de Kropotkine ou de Sébastien Faure, mais un communisme libertaire qui avait tendance à doter notre mouvement d’une économie de type marxiste enrubanné de formules libertaires agréables et sans conséquence. Ces gens-là publieront un inévitable manifeste communiste dont la fortune ne sera pas plus éclatante que celui de Fontenis. Il est vrai que pour bien se caractériser, ce groupe, l’U.G.A.C., transforma communisme libertaire en anarchisme communiste ; mais si le flacon changea, le parfum resta le même.
Au début de 1958, Lacoste règne en Algérie, Mollet règne sur le Parti socialiste, Max Lejeune règne sur l’armée, et l’armée s’énerve. Le bombardement de Sakiet en Tunisie soulève l’indignation à l’échelle internationale. La machinerie parlementaire se détraque. Dans les entreprises, les travailleurs s’agitent et Jo Salamero peut écrire dans Le Monde libertaire :
« Dans les prochaines luttes les travailleurs éliront leurs comités de grève à la base, chercheront à les fédérer sur le plan local puis national, et ces comités de grève coordonneront effectivement l’action nationale. Si les organisations syndicales traditionnelles appuient ces initiatives, tant mieux, si elles s’y opposent, et c’est probable, il faudra se passer de leur permission. »
On ne pouvait mieux dire et nous le disons encore aujourd’hui. Pour le souvenir, je veux rappeler qu’au gala du groupe Louise-Michel au Moulin de la Galette il y avait Jean Yanne, René-Louis Lafforgue et Léo Ferré. Le feu couve sous la cendre, quelques généraux d’opérette, qui confondent le vieux pays avec les Etats d’Amérique du Sud, vont souffler dessus et en Algérie tout va s’embraser.
Cette guerre d’Algérie va provoquer quelques frictions parmi nous. Des personnages issus du groupe Fontenis qui s’étaient recyclés à Noir et Rouge, qui en étaient partis en claquant les portes et que nous avions bien eu tort de réintégrer, vont de nouveau avoir des états d’âme. Ils seront nationalistes algériens en diable, et nous aurons quelque peine à maintenir l’internationalisme prolétarien dans les colonnes de notre journal. II en est ainsi dans nos milieux chaque fois qu’à l’échelon national ou international le national-marxisme, s’appuyant sur la maladie infantile du communisme de Lénine, voudra jouer au plus fin avec la bourgeoisie pour exploiter l’esprit grégaire des masses. Ils partiront pour former une nouvelle organisation qui, à son tour, se disloquera. Pour se donner des sigles à la mode ils puiseront dans toutes les lettres de l’alphabet, à la plus grande joie des historiens de l’anarchie. Ces derniers, il faut les comprendre et être indulgents. Ils ne connaissent du mouvement libertaire que son aspect public. Il leur est difficile de composer leurs œuvres parce qu’ils ne savent que ce que dit la presse. Manifestations, grèves, protestations qui souvent se mêlent à d’autres mouvements ouvriers ou syndicaux, cela risque d’être lassant. Et puis le lecteur aime bien être dans le secret des dieux. Ils se précipitèrent sur ces sigles pour les faire parler. Trois barbus mal dans leur peau et qui claquent la porte les plongent dans l’euphorie. Un personnage en vue dans nos milieux peut cristalliser l’opprobre. Quelle aubaine ! Cette cuisine intérieure est alléchante. Et hop la boum ! voici des pages intéressantes et notre historien passe pour un homme averti. Voyons ce que fut en cette occasion l’action de notre Fédération anarchiste dont personne n’a parlé jusqu’à ce jour.
Les militants d’extrême gauche, qui avaient constitué le Comité pour l’unité syndicale, auquel les anarcho-syndicalistes de la Fédération anarchiste dans leur grande majorité appartenaient, suivaient avec attention les événements. Lorsqu’ils sentirent la situation s’aggraver, ils formèrent le Comité d’action révolutionnaire dont je donne la composition : Fédération anarchiste, Parti communiste internationaliste (trotskiste), Syndicat des charpentiers en fer (C.G.T.), Comité d’action et de liaison pour la démocratie ouvrière. Ce comité aura son siège 3, rue Ternaux, dans les locaux de notre Fédération. Je représentais notre organisation à son secrétariat au côté de Lambert, Hébert, Chéramy, Ruffe, Renard et quelques autres. Cette énumération peut paraître fastidieuse mais elle est nécessaire pour remettre chacun à sa place.
La suite appartient à l’histoire. Il s’agit du complot du 13 mai, de l’intervention des troupes rebelles en Corse, de la rébellion, la première, des généraux, de l’appel de De Gaulle que le socialiste Mollet ira chercher à Colombey-les-Deux-Eglises.
La Fédération anarchiste était en contact étroit avec les militants de l’extrême gauche révolutionnaire. L’affiche décidée en commun : « Alerte aux travailleurs », en une nuit couvrit les murs de la capitale. Un congrès extraordinaire de la Fédération anarchiste réuni à la hâte rue de Clichy lança un appel à tous les antifascistes pour rejoindre les comités de résistance qui se créaient un peu partout. Il demanda de créer les conditions de la riposte ouvrière immédiate
Dans le numéro de juin de notre journal je pouvais écrire :
« Ce peuple et son avant-garde étaient présents au cours du défilé de la Bastille à la Nation. Entourant les militants du Comité d’action révolutionnaire, les travailleurs socialistes révolutionnaires, les communistes internationalistes, les syndicalistes anarchistes, les jeunes des Auberges de la jeunesse, unis dans un groupe imposant, clamaient leur volonté de combattre le bonapartisme, l’aventure, la régression sociale. La digue doit tenir. Il faut que tous les hommes de cœur s’arc-boutent ! »
Et c’est vrai que les travailleurs mobilisés par le Comité d’action révolutionnaire étaient nombreux. A sa tête il y avait du beau monde que dominait la crinière d’André Breton. Mais la manifestation de protestation à laquelle nous nous étions associés et qui comprenait toutes les organisations démocratiques, y compris les syndicats, était, compte tenu de l’événement, médiocre. Deux cent mille participants à peine. Le cœur n’y était pas, et chacun sentait bien que c’était foutu. Et lorsque avec quelques camarades j’essayais d’entraîner le cortège dans le faubourg Saint-Martin, seuls quelques anarchistes suivirent. La grande chance de la liberté ce fut que de Gaulle n’était pas un fasciste, mais le représentant de cette vieille droite réactionnaire bien de chez nous qui préfère masquer sa poigne de fer dans un gant de velours, ce qui, depuis Poincaré, lui a toujours réussi lorsqu’elle est directement au pouvoir ou par socialistes interposés.
Cependant nos efforts ne seront pas inutiles à notre mouvement, même si nous n’écrirons pas comme certains, que le ridicule n’effraie pas, qu’ils firent reculer le fascisme ! Et dans ce numéro de juin de notre journal, rempli de proclamations qui relatent l’événement, on peut lire un communiqué de l’union départementale de Force ouvrière à la commission administrative à laquelle nous étions quatre à appartenir :
« L’union demande la cessation immédiate des hostilités et le respect, par les autorités civiles et militaires de la métropole et de l’Algérie comme par les responsables musulmans de tous partis, des libertés fondamentales qui garantissent la vie et la dignité humaine.
C’est à cette époque que je signais au nom de la Fédération anarchiste, avec toutes les autres organisations de gauche, l’affiche fameuse sur la défense de la République, ce qui me sera reproché par tous les excités qui préparaient la révolution dans les arrière-salles des bistros du quartier Latin. Fayolle, une fois de plus dans un article brillant, conclut :
« Nous devons entrer dans le combat avec notre drapeau déployé, avec nos propres mots d’ordre. Sans lancer d’exclusives contre personne, mais non plus sans rien renier de notre raison d’être et de lutter. »
Cette attitude de notre Fédération, si elle déclencha l’ire de tous nos marginaux, renforça notre influence dans les milieux ouvriers, et nous pûmes faire face lorsque, après un nouveau coup de force en Algérie contre de Gaulle cette fois-ci, le pouvoir, désarçonné, fera par la voix de Michel Debré appel à la rue.
J’ai souligné le caractère de De Gaulle, vieille culotte de peau, imbu des traditions de classe de la société française mais foncièrement partisan d’une démocratie appropriée. Après son retour au pouvoir, la démocratie parlementaire se remit à ronronner. Pour consolider sa présence à la tête de l’Etat, il va avoir recours au référendum. Pour la première fois notre journal ouvrira ses colonnes aux militants pour savoir si, mesurant les circonstances, il convenait d’y participer. La plupart des camarades interrogés nous feront une réponse de Normands, c’est-à-dire refuseront de donner une consigne à nos lecteurs, laissant chacun se déterminer suivant sa conscience. Choix hautement libertaire et peut-être un peu facile, compte tenu des circonstances. Cette consultation, cependant, ne manqua pas d’intérêt, surtout par les réponses de ceux qui n’hésitèrent pas à s’engager dans un sens ou dans un autre.
Devriendt, Laisant, Suzy, Lanen, Fayolle et moi-même nous déclarâment pour la participation au référendum et préconisâment le non. Devriendt a bien situé les raisons de notre attitude :
« La dictature c’est la nuit. L’étouffement total de toute expression, le règne du mouchardage et de l’arbitraire. C’est la prison, les camps de concentration pour beaucoup de camarades. Si, dans leur combat pour une société plus juste, les militants acceptent le risque, il n’est pas moins vrai que lorsqu’ils ont un moyen d’éviter la souffrance — même si ce n’est pas très orthodoxe — on doit l’employer. Cela aussi c’est une attitude anarchiste. »
D’autres camarades seront farouchement opposés au vote : Louvet, Faugerat, Vincey, Berthier, Faucier, dont l’esprit sera bien reflété par le texte de Bontemps :
« Comme organisation représentative d’un courant d’opinion, les pouvoirs publics nous ignorent. Nul ne peut nous reprocher de rendre dédain pour dédain sur le plan des institutions. Nous sommes plus indépendants à leur égard sur le plan de l’action. »
Nous préconisâmes l’abstention traditionnelle afin de ne pas faire de vagues, mais ce problème n’est toujours pas tranché et ne le sera pas tant que l’émotion prendra le pas sûr la raison.
Naturellement cette initiative fut blâmée par tous les purs qui encombrent le mouvement libertaire. Cependant, en relisant trente ans après les pages jaunies de notre journal, je mesure toute la qualité de ces hommes qui surent traiter de ce sujet délicat dans nos milieux, sans se déchirer, et je ne me suis jamais senti si près d’eux qu’en relisant, pour construire ce texte, ce qu’alors ils écrivaient.
Mais si nos militants purent suivre l’événement à leur échelle et s’y mêler, c’est parce que l’intendance suivait. Nous sommes maintenant installés rue Ternaux et nous y constituons une coopérative, Publico, qui doit administrer tous nos biens, lesquels, rappelons-le, appartiennent à l’Association pour l’étude et la diffusion des philosophies rationalistes dont seuls une quinzaine de vieux militants ont la charge, ce qui, à chaque congrès, déclenchera l’ire de jeunes militants qui disparaîtront aussi vite qu’ils ont paru et qui, dans le court séjour qu’ils feront chez nous, se considéreront comme les héritiers légitimes des grands ancêtres.
Mais c’est surtout à travers les syndicats que nous prolongerons notre influence. Ainsi nos camarades du Sud-Ouest réussirent comme nous à Paris à regrouper dans l’action des militants appartenant à la C.G.T., à F.O., à la C.F.D.T. Jo Salamero peut écrire en leur nom dans notre journal :
« Ce n’est que par une action générale que les travailleurs, s’ils le désirent, renverseront la situation en leur faveur en même temps qu’ils créeront les conditions permettant d’imposer les transformations des structures économiques de la société. »
C’est parfaitement vrai, et moi qui n’ai pas d’imagination j’en suis encore resté là.
Cette année-là, quatre de nos camarades interviennent au congrès de la C.G.T.-Force ouvrière, Hébert, Martin, Hautemulle et Suzy Chevet qui déclara :
« La cellule vivante de notre confédération c’est le syndicat de base. Changer ce principe fédératif c’est remettre en cause notre syndicalisme, c’est le garde-fou contre toutes les aventures. »
Dirai-je en passant que trois de ces camarades appartenaient au groupe libertaire Louise-Michel ? Notre congrès, cette année-là, connut quelques remous. Martin, dans un éditorial de notre journal, avait écrit :
« Stirner, Proudhon, Bakounine ou Sébastien Faure sont inconnus de l’immense majorité des hommes. En compiler les textes sacrés n’ébranlera pas cette société dont la transformation ne saurait être envisagée en brandissant des tablettes périmées. »
Ce n’était pas tout à fait faux et ce fut un beau scandale ! Toucher aux saints des premiers jours de l’anarchie, les colonnes du temple en frémirent. Ajouter à cela que Martin, qui était mon ami, appartenait au groupe Louise-Michel et que je disais à peu près la même chose que lui avec plus de diplomatie. Alors, concluez !
Maurice Laisant, gardien sourcilleux d’une certaine orthodoxie, s’employa à ramener les brebis égarées au bercail, et le congrès de Bordeaux de 1959 dans une motion réaffirma son attachement à l’idéologie classique :
« La Fédération anarchiste, à l’occasion de son congrès, réaffirme son attachement à son idéologie, à savoir que ses membres restent toujours disponibles et refusent d’accepter une vérité quelle qu’elle soit comme définitive. » Texte qui eut le mérite de contenter tout le monde !
Nous sommes en 1960. La mise en place de la Fédération anarchiste et de son journal est terminée. L’un et l’autre ont déjà subi le feu de l’actualité et, à leur échelle qui est mince, ils ont réussi à s’y insérer. L’outil est au point, il va pouvoir donner sa mesure au cours des années difficiles qui se préparent.
Pourtant l’homme qui fut la cheville ouvrière de cette reconstruction vient de disparaître. Georges Vincey est mort d’un cancer généralisé, emporté en quelques jours à l’affection de tous. Aujourd’hui, je le revois encore dans son petit atelier de la rue du Temple, penché sur le grand livre de comptes de la Fédération anarchiste, parcourant de son crayon les colonnes alignées avec cette conscience du bon ouvrier, me noyant d’explications qui me faisaient sourire, avant que nous allions boire le verre de l’amitié dans ce petit bistro d’en face où il invitait ses amis. Je ne sais pas si on retrouvera dans une page d’un quelconque dictionnaire des militants ouvriers le nom de cet homme qui ne fut ni un orateur ni un écrivain mais simplement un ouvrier du bâtiment qui était devenu un organisateur hors pair.
Les circonstances ont voulu que je sois souvent chargé, dans notre journal ou au cimetière, d’enterrer nos morts. Je voudrais pour clore ce chapitre sur la reconstruction de la Fédération anarchiste publier un passage de l’article que j’écrivis dans notre journal.
« Georges Vincey ne fut pas seulement un militant solide, il fut également un copain. Notre copain ! Depuis quinze ans dans ce mouvement qui était en partie son œuvre, dans ce journal qui était le sien, nous avions mis en commun nos espoirs, nos joies, nos colères, nos déceptions. L’équipe qui, au lendemain de la Libération, rêvait de projeter sur les hommes ces vérités magnifiques qui embrasaient nos cœurs s’est effritée au hasard du chemin difficile, mais ceux qui restent comme ceux qui se sont ajoutés à eux ont senti à chaque épreuve resserrer les liens qui les unissaient par-dessus les oppositions de pensée ou de tempérament. Et dans cette équipe la place qu’occupait Vincey était immense comme la peine que nous ressentons de ne plus le sentir à nos côtés.
Ce ne sont pas seulement les membres de la Fédération anarchiste ou l’équipe du journal, mais tous les libertaires, tous les esprits libres, tous ceux qui l’ont connu et aimé, comme nous l’avons connu et aimé, qui voient partir avec lui un peu de leur jeunesse, un peu de leur chaleur. »