La nouvelle Fédération Anarchiste (F.A.)
Histoire du mouvement anarchiste 1945-1975 de Roland Biard
Editions Galilée pages 81-105
La reconstitution de la Fédération anarchiste se déroule en plusieurs temps. Tout d'abord, dans la clandestinité, un certain nombre de militants restés libres de leurs mouvements se réunissent dans une ferme de la région toulousaine le 19 juillet 1943. cene sera qu'un échange de vues : le mouvement n'est ni mûr, ni adapté à l'action clandestine.
A Agen, le 30 octobre 1944, les choses sont plus constructives. On discute de déclaration de principes et d'organisation. Des moutures qui avaient été élaborées lors d'une rencontre précédente (janvier) sont reprises et définitivement élaborées. Décision est aussi prise de refaire paraître le Libertaire. Conscients de ne pas représenter le mouvement, les participants (Laisant, Joyeux, Lapeyre, Arru, Vincey...) ne le conçoivent que comme un lien, une sorte de bulletin intérieur (les lois d'exception sur la presse ne permettaient pas d'ailleurs la création d'organes sans autorisation spéciale). Le Libertaire ne deviendra public qu'en septembre 1945. Ce n'est qu'à l'issue du Congrès constitutif de la F.A. qu'il deviendra l'organe de celle-ci.
Malgré cette réapparition, le mouvement ne se développe guère. Le Congrès d'Agen, comme l'édition du « Lib », ne sont que des initiatives individuelles. La mise en place d'un mouvement réel, reposant sur des groupes locaux, des régions, l'élection d'organes de liaison, mettront des mois à se réaliser. Cette lenteur s'explique par la résurgence quasi immédiate des divergences et polémiques au sein du mouvement. Se reconstituer était le but commun de tous ceux qui se référaient à l'étiquette anarchiste. Mais sur quelle base ? Il fallait donc, avant de convoquer un véritable Congrès, se mettre d'accord – tendance par tendance, « personnalité par personnalité » - sur le « visage » de la future organisation. Ces discussions seront laborieuses et dureront presque toute l'année 1945.
Ce n'est qu'en octobre 1945 que parviendront les invitations au Congrès constitutif de la F.A.
Celui-ci s'ouvre le 20 octobre 1945. il réunit les militants des organisations libertaires de l'avant-guerre : la Fédération anarchiste (organisation de « synthèse ») et l'Union anarchiste (organisation qui soutint la politique collaborationniste de la C.N.T.-F.A.I. Pendant la Révolution espagnole), ainsi que de nombreux jeunes militants issus des forcesd e la résistance et déçus par l'attitude réformiste de la gauche traditionnelle. Trois tendances se font jour : les individualistes et pacifistes qui défendent la thèse de l'organisation-bureau de liaison, les partisans de la « synthèse » (Lapeyre-Laisant...) qui demadent le minimum structurel (journal) mais refusent la responsabilité collective et le pouvoir souverain des Congrès, et une tendance « ouvrière » regroupant communistes libertaires et anarcho-syndicalistes (dont Joyeux) qui souhaitent la construction d'une organisation puissante et efficace.
Finalement c'est une motion « chèvre-choux » qui l'emporte. La Fédération anarchiste regroupe l'ensemble du mouvement à l'exceptiond e certains individualistes regroupés autour d'Emile Armand (qui publieront l'Unique et l'En Dehors jusqu'à la mort de celui-ci en 1962), et de certains pacifistes qui publient Contre-Courant jusque vers 1965-1966 (Louis Louvet et André Maille).
Par ailleurs, une structure confédérale est mise en place :le Mouvement libertaire destiné à coordonner les efforts de publications avec le courant Louvet, la minorité anarcho-syndicaliste de la C.G.T. et le Libertaire.
Avec le tripartisme qui naît à la suite du départ du général De Gaulle, la France entre dans une nouvelle période. L'« ordre est établi », un gouvernement bourgeois de Centre-gauche préside aux destinées du pays pour résoudre la crise. À l'instabilité relative de la période précédente et ses séquelles de situation révolutionnaire fait place une étape « pure et dure » pour le « redressement français ».
C'est cette situation que la nouvelle F.A. va devoir affronter. Contrairement – semble-t-il – aux voeux de certains, la F.A. sous l'impulsion de ses nouveaux militants va adopter une ligne dure et cohérente. Les ambiguïtés de la situation (gauche au pouvoir, aide américaine, début de la répression colonialiste...) vont être sans cesse dénoncées.
La F.A. se prononce pour le boycott actif des grandes consultations électorales (référendums constitutionnels, élections législatives) et dénonce en novembre le bombardement d'Haïphong, prélude à la première guerre d'Indochine.
Cette intense activité va d'ailleurs porter ses fruits et la F.A. atteindra cette année-là son extension maximale par rapport à la période qui nous intéresse. Le Libertaire tire à 78 000 exemplaires, dont une moyenne de 33 000 sont régulièrement vendus.
Un mouvement de jeunes sera même créé qui éditera une éphémère bulletin en juillet 1946.
Mais cette tendance ne va guère avoir de suites. L'année 1947, bien que fertile en événements sociaux, va voir un tassement des positions libertaires, qui amorcera le repli des années suivantes.
Sous l'impulsion de Georges Fontenis, élu secrétaire général de la F.A. au Congrès de Dijon (1946), réélu au Congrès d'Angers (1947), le Libertaire va continuer à participer activement à l'agitation. Les thèmes essentiels en seront la politique anti-sociale du gouvernement : politique anti-inflation (baisse autoritaire de 5%), la durée du travail à 48 heures (la durée « légale » du travail reste 40 heures, mais en pratique ce sont les 48 heures qui sont appliquées. Le rapprochement opéré par le gouvernement Ramadier de la France et des Etats-Unis permettra à la F.A. de développer un thème qui sera repris par la suite : celui de la double opposition aux impérialismes nord-américain et russe. De même, la question – dramatique – du ravitaillement sera un leitmotiv des campagnes du « Lib ». La F.A. soutiendra et justifiera (et participera lorsqu'elle y aura des militants) les violentes manifestations (qualifiées par la grande presse d'« émeutes ») contre l'incurie des services ministériels de Ravitaillement qui se déclencheront spontanément à Nevers, à Millau, en Côte-d'Or, en Haute-Vienne...
La lutte pour des salaires « décents » atteint son paroxysme en juin. Des grèves éclatent un peu partout et dans tous les secteurs (principalement à la S.N.C.F., à l'E.D.F., au G.D.F., dans les Grands Magasins parisiens...).
Malgré un changement de gouvernement, les grèves s'intensifeint en nombre et en violence : Nord (évacuation par les C.R.S. des mineurs grévistes qui occupent les fosses), Béziers (les ouvriers s'emparent de la Mairie), Saint-Etienne (les combats sont tellement violents que la police est obligée de se replier... abandonnant quelques automitrailleuses sur le terrain !), Nice, Marseille, Montpellier...
Mais dès le début septembre, me mouvement s'essoufle : le P.C.F. et la C.G.T. ne veulent pas pousser plus loin des mouvements de plus en plus incontrôlables.
La F.A. est totalement incapable de faire face à la situation. Sa faiblesse numérique (en particulier chez les mineurs et dans le midi de la France) ne lui permet guère plus qu'une agitation par la presse. Sur le plan offensif, cependant, elle semble prête. Dans son Congrès de 1947, elle adopte :
« La F.A. doit, en somme, viser à la généralisation, à la simultanéité et à l'internationalisation des grèves et autres mouvements sociaux.
Elle doit agir pour détruire le caractère politique ou réformiste des mouvements actuels : les conduire à la grève générale expropriatrice et gestionnaire de la production et des services publics ; inciter à la création de syndicats et de comités de consommateurs et d'usagers, pour combattre les intermédiaires, le commerce accaparateur et entraîner les consommateurs à la répartition des produits, à l'utilisation sociale des locaux et des services publics. »
La faiblesse chronique de la F.A. s'illustre parfaitement dans la « grève des grèves » de l'année 1947 : la grève des usines Renault.
Le 25 avril, toute une série d'ateliers débrayent et de mandent une augmentation uniforme de 10 francs. Très rapidement, la grève s'étend, et le 2 mai, celle-ci gagne toute l'usine. Un référendum organisé le 2 mai donne 11 354 partisans de la grève contre 8 015 et 1 547 abstentions (sur 21 286 votes exprimés).
À l'origine du mouvement, on retrouve essentiellement des militants trotskystes (de l'Union Communiste, dissidence de la Ivième Internationale, qui deviendra par la suite l'Union Communiste Internationaliste qui éditera Voix Ouvrière puis Lutte Ouvrière). Les militants libertaires sont peu nombreux chez Renault : un groupe C.N.T. et un groupe F.A. (qui d'ailleurs se recoupent). Pour cette dernière organisation, on ne compte que six militants actifs et huit sympathisants. La section C.N.T. regroupe un nombre supérieur d'inscrits (une cinquantaine ?), mais une partie de ceux-ci sont des réfugiés espagnols tenus à une certaine réserve sous peine de suppression de la carte de réfugiés politiques. La F.A. annonce d'ailleurs un chiffre de vente à peu près équivalent : quantre-vingt-dix.
Les anarchistes soutiennent à fond le mouvement. Ils en seront les plus fermes défenseurs. Lorsue les trotskystes, à leur tour, estimeront que la grève est terminée, les libertaires seront les seuls à s'y opposer. Cette attitude leur vaudra l'adhésion de nombreux ouvriers insatisfaits qui prendront leur carte à la C.N.T. en dénonçant le « Syndicat autonome Renault » crée par l'U.C.I.
L'absence de perspectives révolutionnaires à cette période va cependant rendre ce sursaut illusoire. La C.N.T., comme le syndicat autonome, s'effiloche très rapidement. Le raz de marée de la récupération, de l'isolement et de la lassitude feront d'ailleurs disparaître toute implantation libertaire aux usines Renault. Il faudra attendre 1968 pour qu'un éphémère groupe anarchiste de la R.N.U.R. réapparaisse.
La grève d'avril-juin 1947 chez renault n'a guère eu qu'une seule conséquence tangible : la « démission » des ministres communistes du gouvernement Ramadier.
La situation politique de l'année 1947 ne permettait pas un optimisme quelconque sur le plan révolutionnaire. Les débuts de la guerre froide, les restrictions, les difficultés de tous ordres, la répression provoquèrent les premiers vrais désenchantements de l'après-guerre.
Les mouvements révolutionnaires connurent à cette époque une période de recul... dont ils ne devaient plus guère sortir avant 1968.
La F.A. n'échappa pas à ce mouvement. Nous en voudrons pour témoins les chiffres de tirages du Libertaire en 1947 : tirage moyen par hebdomadaire : 47 000, ventes moyennes : 27 000 (soit 6 000 de moins que l'année précédente).
[...]
Dans l'euphorie des années précédentes, nombreux sont ceux qui souhaitent que la F.A. se double d'un « mouvement de masse ». La C.N.T. Leur semble être le terrain idéal. Inconsciemment ou non, ils si'inspirent de l'exemple espagnol... en oubliant que dans celui-ci la démarche a été inverse : c'est le mouvement syndical – C.N.T. - qui a secrété l'organisation politique – la F.A.I. Cette attitude n'est pas partagée unanimement, on s'en doute ! Mais celle-ci est le fait de la frange jeune du mouvement. Les jeunes militants qui « arrivent » à l'anarchisme à cette époque sont souvent fortement influencés par le marxisme. Certains d'entre-eux ont d'ailleurs rejoint le P.C.F. dans la clandestinité ou dans les premiers mois de la Libération. Ils s'en sont retirés rapidement devant l'inaction flagrante dont fait preuve ce Parti. Ceux qui n'ont pas adhéré aux divers mouvements trotskystes se trouvent dans le mouvement libertaire. Leur bagage anarchiste est fort mince. Tout au plus s'agit-il souvent d'une réaction « contre » : contre l'immobilisme, e réformisme, le bureau cratisme... Le mouvement libertaire en général et la F.A. en particulier n'offent aucune structure d'accueil ou de formation à ces militants. Immédiatement après leur adhésion, ils doivent participer aux querelles, divergences et autres polémiques qui agitent le mouvement. Très vite, certains s'en vont. Ceux qui restent, parce qu'ils ont le « virus anar », voient rapidement les défauts et les contradictions. Auusi vont-ils essayer d'agir pour que cesse cet état de fait. Les seuls instruments de référence qu'ils peuvent avoir est ce qu'ils ont vu ou étudié au P.C.F. ou dans les organisations trotskystes. Ces organisations sont perçues comme beaucoup plus efficaces. Le mythe de l'efficacité va devenir progressivement une règle de conduite. L'organisation est conçue dès lors, non plus comme une organisation de type fédéraliste libertaire, comme les « plate-formistes » avaient tenté de le faire, mais sur le modèle marxiste-léniniste. Nous verrons ultérieurement les implications organisationnelles de ce type d'attitude. En 1949, le « grand problème » posé par cette « tendance » est celui du mouvement de masse et de l'organisation syndicale.
Sous l'impulsion du courant qu'incarne parfaitement bien Georges Fontenis (qui redeviendra Secrétaire général de la F.A. en 1950), une dégradation progressive des rapports entre la F.A. et la C.N.T. se produit. Celle-ci n'est pas le fait de cette dernière organisation, mais le produit de conceptions de plus en plus « dirigéistes » qui se font jour à la F.A.
Nous en voudrons pour témoin le compte-rendu du quatrième Congrès de la Deuxième Région de la F.A. tenu à Narbonne en janvier 1949. On peut lire dans la résolution sur le problème syndical :
« ... (il faut) reconstituer le mouvement syndical, repartir presque à zéro, en s'appuyant sur la F.A. et la C.N.T. ... »
« La structure de la F.A. ne lui permet pas d'entraîner l'ensemble des travailleurs dans une action révolutionnaire. C'est à la C.N.T. que ce rôle est dévolu. C'est pour cette raison que les anarchistes doivent l'orienter et ne pas hésiter à prendre en main des postes responsables... »
« Le Congrès de la Deuxième Région de la F.A. constatant le détachement syndical de la classe ouvrière par le mouvement syndical décide de s'attacher à la création de groupes anarchistes d'entreprises et au regroupement des minorités syndicalistes en vue de recréer le syndicalisme révolutionnaire... »
On voit apparaître à travers ces citations tous les grands thèmes chers aux mouvements marxistes : contrôle de l'appareil syndical, double structure politique et syndicale dans les entreprises...
Cette orientation va s'accentuer en 1950. le 11 mars, le Congrès de la Région parisienne de la F.A. adopte une résolution qui va encore beaucoup plus loin :
« Toute organisation para-anarchiste, non affiliée statutairement à la F.A. devra, dans le cadre régional, être sous le contrôle direct du bureau de la Région, son action influencée par les militants de la F.A. Le Conseil régional restant seul juge de son fonctionnement et le cas échéant de sa dissolution.
Cette attitude parfaitement dirigiste à l'égard du « mouvement de masse » est une conception étrangère à l'anarchisme. Ce droit de contrôle, de direction et de liquidation que s'arroge l'organisation est typique de l'avant-gardisme.
La C.N.T. ne pouvait être indifférente à ces prises de positions successives qui visaient à la transformer en véritable « courroie de transmission ». Le Cartel d'Action Syndicaliste mis en place en 1949 entre la F.A. et la C.N.T., et qui publie un communiqué revendiquant la bagatelle de 150 000 adhérents, éclate, la C.N.T. reprenant son autonomie.
On peut, à juste titre, s'étonner de l'importance excessive prise soudainement par ces thèses à l'intérieur de la F.A. Deux éléments sont à considérer dans ce domaine. Tout d'abord l'élimination progressive des « chefs historiques » par les « jeunes ». les premiers ne pouvant suivre le rythme effréné en matière militante qu'imposent les seconds se retrouvent rapidement sur la touche : à leurs objections on oppose leur « non-militantisme ».
Le deuxième élément est à rechercher dans la baisse des effectifs et dans l'isolement preogressif de la F.A.
En 1948, le Libertaire ne tire plus qu'à 34 000 exemplaires et est vendu à 19 000 exemplaires (soit dans une moyenne hebdomadaire inférieure de 8 000 exemplaires par rapport à 1947). En 1949, la moyenne des ventes tombe à 16 000. Le Lien, le bulletin intérieur de la F.A., signale que la F.A. est devenue une « véritable passoire » (novembre 1949). Le nombre de militants ne cesse de baisser. Ceux qui restent sont incapables de discerner la vérité sur l'état de l'organisation. Le structures verticales ont été renforcées de congrès en congrès (1948 : Lyon, 1950 : Paris – pas de congrès en 1949). Le pouvoir politique appartient à une série de Comités : comité national, Comité régional, formant des écrans successifs. Les responsables sont élus aux Congrès sur des critères d'efficacité... ce qui permet d'éliminer les opposants.
À partir de 1950, le système est perfectionné. En effet, une opposition sourde commence à se faire sentir... surtout du côté du courant anarchiste « synthésiste ». Les « jeunes » décident alors de se regrouper en fraction clandestine : l'Organisation Pensée-Bataille (O.P.B.) du nom d'un ouvrage célèbre de Camillo Berneri. Nous verrons plus loin les conséquences dramatiques qu'eut sur la F.A. cette création.
Pour l'heure, il faut aux dirigeants de la F.A. tenter de résoudre l'impasse dans laquelle cette organisation semble s'être engagée. La rupture avec la C.N.T. la prive de son principal contact ouvrier. Par ailleurs, la situation politique de 1949 ne permet guère d'espoirs au niveau de la relance des luttes sociales. La « Guerre froide » est largement entamée. Le P.C.F. et la C.G.T. sont engagés dans des combats sectaires que leur défense « inconditionnelle » des « Grands Procès » et du stalinisme aggrave de jour en jour. F.O. s'engage de plus en plus dans la collabration de classe. La répression bat son plein. En 1950 sont votées les « Lois scélérates » qui limitent le droit de grève.
La F.A. publie fin 1949, début 1950, une brochure intitulée « Les Anarchistes et le problème social ». Ce texte est une véritable « Bible » qui s'inspire d'ailleurs étroitement du livre de Gaston Leval : « L'indispensable Révolution ». « Le lecteur y trouvera une solution aux problèmes angoissants de l'heure présente ».
Les activités économiques et sociales sont divisées en deux branches : les coopératives de consommation et les coopératives de production. Ces deux structures parallèles sont les bases de la réorganisation sociale :
« La production, qui aura tenu compte des chiffres fournis par les services de la statistique, livrera directement tous ses produits dans les entrepôts. De là, par un système spécialisé de répartition qui fonctionnera sous le contrôle des fédérations régionales de consommation, les produits et objets sont répartis dans les coopératives. »
Les syndicats deviendront alors les instruments du contrôle de la production et se transformeront en coopératives. Les commerçants disparaîtrons, les paysans et les artisans devront se regrouper dans des unions de producteurs associées aux coopératives ouvrières.
La Commune libre est la base de l'organisation territoriale. Elles sont autonomes et fédérées au sein d'un « Conseil inter-régional des Communes » qui aura charge de la sécurité individuelle et collective, de l'état-civil, de l'habitat, des loisirs, des communications...
Les moyens d'arriver à cette société ne sont guère étudiés. Une fois de plus, on attribue au mouvement syndical la part essentielle :
« L'action directe se traduit jusqu'à présent sous la forme de grèves, d'occupations de lieux de travail... mais c'est ici qu'intervient de façon importante le rôle du mouvement syndical. La lutte du peuple travailleur, lutte dans laquelle les techniciens et de nombreuses professions libérales ont leur place, trouve son terrain le plus fertile dans le syndicalisme.
C'est par le canal de son syndicat que le travailleur sans s'arrêter aux programmes des partis politiques, peut influencer les décisions de ses maîtres et peut déterminer leur attitude en conformité avec ses aspirations. »
Le programme de la F.A. reste conforme, comme le livre de Gaston leval, aux grandes données théorico-politiques de la Révolution espagnole. L'exemple de la C.N.T. reste le « grand exemple » !
Pour rompre son isolement, la F.A. définit à partir de 1950 une politique dite de « Troisième Front ».
Dès 1949, ele avait entamé ce processus en entrant dans un Cartel International de la Paix (Confédération générale pacifiste) aux côtés de toute une série d'organisations plus ou moins mythiques : Ligue des Anciens Combattants pacifistes, Ligue d'Action pacifiste et sociale, Ligue des Espérantistes pacifistes, Mouvement Apolitique d'Evolution par les sciences, Mouvement français pour l'Abondance, Mouvement international pour la Réconciliation, Mouvement pacifiste des Mères, Parti pacifiste international, Union pour une Humanité nouvelle, Au Service de la Paix, La Mère éducatrice, Internationale des Jeunes contre la guerre, Equipe « La Patrie mondiale », Missions de Paris, Groupe pacifiste des P.T.T. ...
La F.A. participe à ce regroupement pour le moins hétéroclite parce qu' « il nous a permis de côtoyer un certain nombre d'organisations, d'y faire rayonner l'idéal libertaire et d'y réunir de la documentation ». Il s'agit bien plutôt de rompre l'isolement de la F.A. Mais l'exiguïté des composantes ne permet guère d'envisager aucune action de masse. En 1951, la participation de la F.A. à ce cartel est remis en cause par le groupe de Mâcon (Le Lien, 1951). Celui-ci propose que la stratégie de « Troisième Front » soit plutôt axée vers les quelques mouvements de gauche ou d'extrême-gauche non inféodés au P.C.F. ou à la S.F.I.O. : Mouvement de Libération ouvrière, Economie et Humanisme, Libre Pensée, Rassemblement Démocratique Révolutionnaire, Citoyens du Monde, Libération économique. Cette proposition ne dépassera pas le stade des vélléités. Les contacts pris avec ces organisations s'avèrent infructueux, la politique de Troisième Front, trop floue, trop ambigüe, intervenant dans une période politique où les « Grands » de la gauche ont une hégémonie sans partage des militants et des électeurs.
La F.A. tentera une ultime démarche de type frontiste en s'associant aux campagnes de Gary Davis. Ce personnage assez étrange, d'origine américaine développe une campagne sur le thème des « Citoyens du Monde ». L'O.N.U. siégeant à cette époque à Paris, c'est dans cette ville qu'il mène l'essentiel de celle-ci. Bien que Gary Davis ne se réclame pas de l'anarchisme mais uniquement du mondialisme, et bien que des accusations graves pèsent sur lui (financement de ses campagnes par la C.I.A.), la F.A. s'engage à fond. Le Libertaire lui consacre des titres énormes. Il faudra les mises en garde répétées des intellectuels et l'effondrement politique du personnage, pour que la F.A. se dégage de cette campagne.
Il apparaît dès 1951, que le « Troisième Front » est un fétu de paille. Le terme continuera à être utilisé par la F.A. mais uniquement comme motif d'agitation. Aucun « Front » ne se constituera réellement, ni à cette date, ni ultérieurement.
L'échec du mouvement libertaire fut aussi flagrant dans un autre domaine : celui de la jeunesse.
Le Mouvement des Auberges de Jeunesse (F.N.A.J.) avait été reconstitué en 1945. Dès son origine, il connut un gros succès qui tenait à la fois de celui de l'avant-guerre et de celui des « Chantiers de la Jeunesse » du régime de Vichy. À l'origine, le mouvement était indépendant, géré par ses usagers, et financé en partie par eux, et en partie par la Ligue de l'Enseignement. Le 14 juin 1946, les A.J. passent sous la tutelle de l'Etat (décret André Morice). Les responsables gouvernementaux s'empressent d'éliminer des postes de « père » ou « mère aub » (celui ou celle qui a la charge d'une A.J.), les militants révolutionnaires. La première vague d'épuration touche les anarchistes. Pour cela, ils opposent entre elles les tendances politiques qui s'étaient fait jour au sein des A.J. La tendance « majo » et la tendance trotskyste (Unité ajiste) poussent à la rupture avec les anarchistes. Celle-ci ser acquise fin 1951 par la formation d'un Mouvement Indépendant des Auberges de Jeunesse (M.I.A.J.). Ce nouveau mouvement d'inspiration libertaire connaît en 1952 une progression foudroyante. Sur la région parisienne, de cinq groupes au moment de la scission, il comptabilise, fin 1952, vingt-cinq groupes. Mais très rapidement le mouvement décline. L'absence de subventions gouvernementales, le manque de cadres à plein temps, les dissenssions entre anarchistes l'amènent petit à petit à disparaître. À l'heure actuelle, semble-t-il, une seule auberge se réclame encore du M.I.A.J.
Le désintérêt de la F.A. durant cette période a été total. Seul un petit groupe, les Jeunes Libertaires, semble avoir soutenu les efforts du M.I.A.J. mais avec ds moyens extrêmement limités.
La F.A. de 1951 (Congrès de Lille) à 1953 (Congrès de Bordeaux de 1952, Congrès de Paris 1953) vit d'ailleurs une crise grave qui l'empêche d'avoir une attitude offensive et cohérente.
On a vu précédemment qu'en 1950 s'était créée une fraction clandestine au sein de la F.A. : l'O.P.B. Cette fraction regroupait de « jeunes militants » qui entendaient oeuvrer au redressement de la F.A. par l'élimination progressive des tendances traditionnelles ou individualistes. Pour ces militants, en effet, la crise de la F.A. depuis les années 1948-1949 ne pouvait être que la conséquence du « freinage » et de l'« obstruction » de ces tendances vis-à-vis de l'orientation générale de l'organisation.
Ces jeunes militants, par leur dynamisme, avaient investi, sans contestations, un organisme interne de la F.A. intitulé « groupe d'auto-défense ». ce groupe avait pour but de déceler les infiltrations policières ou provocatrices éventuelles. Il s'agissait en somme d'un groupe « de contre-espionnage ». Comme tel, il était clandestin vis-à-vis des autres militants. Ses membres étaient cooptés et ceux-ci ne devaient rendre de compte à personne.
L'O.P.B. se construisit donc sur le modèle du groupe d'auto-défense. Elle était administrée par un secrétariat et un secrétaire général... qui n'était autre que Georges Fontenis, également secrétaire général de la F.A. L'O.P.B. recevait des cotisations spéciales de la part de ses membres, ce qui la dotait de moyens financiers importants (elle n'avait pas de journal à éditer). L'O.P.B. « doublait » toutes les réunions de l'organisation. Tout Congrès régional, ou national, toute réunion du Comité national, était précédé d'une réunion O.P.B. Là on se mettait d'accord sur les motions à faire adopter, sur les désignations à proposer... L'O.P.B. s'efforçait aussi d'avoir au moins un militant par groupe F.A. D'ailleurs, elle s'arrangeait pour faire éliminer des Congrès les groupes qui lui échappaient (cas des groupes de Toulouse, Grenoble, Lille au Congrès de 1953).
En 1954, un groupe parisien fut exclu de la F.A. Il protesta de son exclusion dans un long mémorandum qui nous permet aujourd'hui de faire le point sur l'O.P.B. Les renseignements qu'il fournit montrent qu'à l'issue du Congrès de 1953, outre les exclusions qui eurent lieu duant celui-ci, l'O.P.B. s'assurait la majorité dans la Commission Presse (chargée de l'édition du Libertaire et des brochures), la Commission des Conflits (chargée de régler les différends entre les groupes, les militants...), la Commission du Contrôle financier.
L'O.P.B. se trouvait donc représenter un prototype connu dans d'autres milieux, en particulier trotskystes : le contre-appareil clandestin destiné à s'emparer de la F.A.
Le Congrrès de 1952 fut le premier durant lequel l'O.P.B. fut véritablement « opérationnelle ». Au cours de celui-ci fut adopté le principe du vote par mandat. En soi, cette proposition n'avait rien d'anti-libertaire, tout au contraire, elle permettait la libre expression de toutes les tendances... même celles non représentées au Congrès. Mais son application permettait à l'O.P.B. de prendre toute décision en vertu d'une majorité fabtiquée. Le vote « bloqué » de groupes favorables à ses thèses lui assurant une majorité confortable (ainsi le groupe de Clermond-ferrand disposant de quatorze mandats... n'avait en réalité que quatre militants)... Cette opération permis d'exclure des « têtes » du courant anarchiste traditionnel : Joyeux, Lapeyre, Fayolle, Arru, Vincey...
Dans le même temps fut adopté « à une large majorité » le Manifeste communiste libertaire de Georges Fontenis. Ce texte sous des allures « plate-formistes » était en fait une apologie de l'avant-gardisme et contenait une orientation nettement léniniste.
Ceux qui ne furent pas exclus lors du Congrès firent, dans les jours suivants, scission : Fernand Robert, Beaulaton, Louvet, Prudhommeaux... Ces dissidents créèrent en novembre une revue et une liaison qui prit le nom d'Entente Anarchiste. Les exclus ne s'y rallièrent qu'en partie espérant un retournement de situation à la F.A.
Au Congrès de 1953, à l'issue d'une nouvelle vague d'exclusions, la F.A. acheva sa transformation et devint Fédération communiste libertaire, ses structures furent renforcées et son orientation de plus en plus léniniste.
Cette situation acheva de décider les exclus et opposants à se regrouper. Fin 1953, la F.A. fut reconstituée.