L'Organisation Révolutionnaire Anarchiste (O.R.A.)
Histoire du mouvement anarchiste 1945-1975 de Roland Biard
Editions Galilée pages 233-237
Deux ans après leur scission d'avec la F.A., les militants de l'O.R.A. Sont toujours à la recherche d'une ligne cohérente. Des divergences sous-jacentes hypothèquent le développement de l'organisation. Tiraillés entre leur anarchisme traditionnel qui leur faisait deux ans plus tôt applaudir aux diatribes de Maurice Joyeux contre le matérialisme historique, leur découverte livresque et toute fraîche du marxisme et de ses écoles : léninisme, luxembourgisme et leur désir de « faire quelque chose », ils oscillent de positions contradictoires en positions contradictoires. Toute une série d'orientations plus ou moins élaborées se font jour. Certains souhaitent mettre l'accent sur le rôle prééminent de l'organisation. D'autres, tout au contraire, pensent que l'organisation doit être un lien, une coordination entre secteurs de base. Vis-à-vis du syndicalisme, mêmes ambiguïtés. Certains dénoncent le rôle « contre-révolutionnaire de TOUS les syndicats » et s'opposent ainsi à ceux qui voient dans la C.F.D.T. l'amorce d'un mouvement de masse révolutionnaire. Enfin sur le plan statégique, toute une gamme de positions s'étage entre ceux qui veulent le repli de l'organisation sur elle-même (en vue de l'étude de la situation politico-économique du monde contemporain et l'élaboration de texte théoriques) et ceux qui prônent l'engagement « tous azimuts ».
L'O.R.A. sera incapable de 1970 à 1973 de sortir de cette situation qui exacerbe les contradictions et les oppositions.
L'ouverture de pourparlers de fusion avec le Mouvement Communiste Libertaire n'arrange guère la situation. Au cours de multiples discussions (elles dureront en définitive plus de trois ans), de multiples oppositions se créent. Des scissions et des départs de tous ordres contribuent à alourdir un débat déjà assez obscur. En juillet 1971, les groupes de Marseille, Dijon, Saint-Etienne et des militants isolés rejoindront le M.C.L. qui, pour l'occasion, se transformera en Organisation Communiste Libertaire. La crise provoquée par ces départs sera la plus grave connue par l'O.R.A. depuis son origine. Elle vide l'organisation de la plupart de ses éléments « historiques » et dynamiques. Elle connaît à cette époque son plus faible niveau de recrutement, une dizaine de groupes au plus (60 à 70 militants). Ceux-ci prennent alors conscience de la situation et vont tenter d'y remédier. Considérant que 1971 est le terme de la crise de « jeunesse » de l'O.R.A., ils vont introduire et pomouvoir dans l'organisation un certain nombres de formules organisationelles et tactiques nouvelles.
L'O.R.A., à cet égard, est novatrice par rapport à la « tradition » du mouvement libertaire.
Premier problème à aborder : celui del'accueil des sympathisants, leur formation, leur intégration dans le combat révolutionnaire. Pour la première fois, une double structure du mouvement est mise en place. Les « Cercles Front Libertaire » sont la structure d'accueil de l'O.R.A. Ceux-ci existent depuis la fin 1969 (13ième arrondissement de Paris). Jusque-là, ils avaient été considérés comme de simples appendices de l'organisation. A partir de juillet 1971,leur rôle va être systématisé. Ils deviennt une stucture à part entière, dotée de l'autonomie politique. Le passage des militants des C.F.L. à l'O.R.A. n'est pas systématique, mais volontaire de part et d'autre. Ces Cercles vont jouer un grand rôle dans le mûrissement des conceptions O.R.A. En effet, pour la première fois, les militants de celle-ci se trouvent confrontés à l'action pratique (dans les quartiers, les lycées...).
À la même période, l'O.R.A. met en place des structures « interprofessionnelles » (Batîment, P.T.T., S.N.C.F...). certaines de ces liaisons se transformeront rapidement en regroupements autonomes dont certains seront amenés à jouer un grand rôle dans certains mouvements sociaux : « Le Rail Enchaîné », « Le Postier Affranchi », « Chiens de Garde » (éducateurs)...
Enfin l'O.R.A. tente à cette époque une systématisation de ses conceptions théoriques. À l'occasion du Congrès international de l'Internationale des Fédérations Ananrchistes tenue à Paris en août 1971, et dont l'O.R.A. assume le secrétariat, toute une série de textes seront élaborés. Leur rejet durant le Congrès, par une majorité anarchiste « traditionnelle », aménera d'ailleurs l'O.R.A. à quitter l'Internationale.
L'élan de l'année 1971 est stoppé par toute une série se scissions qui vont s'étaler jusqu'en 1973.
Guy Malouvier, qui avait jusqu'au Congrès international assuré le secrétariat de l'I.F.A., avait crée en 1969 la Fédération Anarchiste Communiste d'Occitanie. Celle-ci avait été provisoirement mise en sommeil. Mais à l'issue du Congrès de Paris, Guy Malouvier demande à l'O.R.A. de se prononcer sur son initiative, c'est à dire sur le problème des luttes de libération des minorités nationales. L'O.R.A. se refusant à entériner ses thèses, Guy malouvier et les membres de la F.A.C.O. se retirent alors de l'O.R.A.
ces départs seront suivis peu de temps après par ceux des militants des groupes du 14ième arrondissement et de Juvisy.
Cette scission présentant un caractère exceptionnel dans l'histoire du mouvement libertaire, il convient de s'y arrêter quelques instants.
L'origine de la scission est à rechercher dans le besoin de confortation idéologique dans lequel se trouvaient un certain nombres de militants. Certains de ceux-ci ayant « découvert » le marxisme, ayant assimilé, semble-t-il rapidement, demandèrent à l'O.R.A., ni plus ni moins, que sa disparition en tant qu'organisation, et son repli sous formes de Cercles d'études de la pensée marxiste. Ces opérations, dans l'esprit de leurs auteurs, auraient dû amener, à terme, à la naissance d'une nouvelle organisation s'inspirant étroitement du marxisme. Cette démarche fut repoussée par l'O.R.A., tant dans le fond que dans sa forme. Les groupes cités plus haut choisirent alors de partir... et rallièrent l'Union des Communistes de France, groupuscule maoïste, le plus « stalinien » qui soit. Démarche et fin étranges pour un courant qui voulait « redresser l'anarchisme »!
En 1972, se trouve posé à l'O.R.A. le problème des élections législatives (de mars 1973). certaines organisations d'extrême-gauche avaient en effet décider de participer à la campagne électorale. Certaines d'entre elles (Ligue Communiste, Révolution !...) proposaient des « candidatures révolutionaires uniques ». Il se trouva quelques militants pour appuyer cette initiative. Très rapidement, ils firent l'unanimité contre eux. Néanmoins, la polémique à ce sujet dura jusqu'à la fin 1972, date à laquelle ils furent exclus de l'organisation. Comme dans le cas précédent, des évenements curieux se produisirent. Le principal groupe proposant la participation avait été jusque-là un des plus farouches défenseurs de l'orthodoxie anarchiste. Ce revirement spectaculaire ne fut pas analysé à l'époque, la majorité se contentant de réfuter un à un les arguments. Cependant, l'exclusion de ces militants de l'O.R.A. eut des conséquences inattendues. Tout d'abord ceux-ci présentèrent non comme des exclus mais comme des scissionistes. Dés lors, ils s'adressèrent à la principale organisation engagée dans la campagne électorale : la Ligue Communiste (sauf une minorité qui donna immédiatement son adhésion à Lutte Ouvrière). Celle-ci accueillit d'autant plus volontiers les transfuges que c'était quasiment la première fois qu'un tel type de scission se produisait dans les milieux libertaires (les « passages » en direction du mouvement trotskyste sont rares, c'est en général l'inverse qui se produit !). un communiqué de Rouge salua le départ de 25% de l'O.R.A. vers la Ligue Communiste (en réalité, c'est seulement une dizaine de militants qui furent exclus, le pourcentage est alors fantaisiste, car l'O.R.A. s'était considérablement renforcée depuis 1971). les militants exclus furent alors admis à la Ligue par le canal des comités Taupes Rouges (structure d'accueil de cette organisation)... sauf celui qui semblait le leader de la scission, qui fut admis directement. Lorsque l'on sait que c'est ce même individu qui, par la suite, par l'introduction d'armes à feu au siège de la Ligue Communiste, fut le prétexte à l'interdiction de celle-ci, il semble que toute cette affaire ait été une vaste provocation politico-policière. Anarchistes et trotskystes ne s'en aperçurent que plus tard... comme d'habitude !
Néanmoins, cette scission levait, comme les précédentes, une à une les ambiguïtés de l'organisation, en réduisant progressivement les possibilités de « déviation ».
La dernière en date des scissions, en 1974, fut l'oeuvre d'un courant ultra-spontanéiste intellectualiste, qui rompit avec l'organisation, trouvant celle-ci trop « dirigiste » (groupes de Grenoble, de Lyon, puis de Vitry).